B. UNE MAINTENANCE INSUFFISANTE DES RÉSEAUX RELEVANT DE L'ÉTAT

Pas plus que le réseau routier, présenté plus haut, le réseau ferré n'a bénéficié d'un volume financier suffisant, l'action étatique étant désormais centrée sur les réseaux dits « structurants ».

L'État, en effet, n'a pas réalisé les investissements requis par le simple maintien à un niveau constant de fonctionnement . C'est ce que décrit un rapport de la Cour des comptes, publié en juillet 2012, à la demande de la commission des Finances du Sénat, sur « l'entretien du réseau ferroviaire national ».

1. Les modestes effets positifs de l'audit du réseau ferré national français confié en 2005 à l'École polytechnique de Lausanne

En 2005, RFF et la SNCF ont mandaté un groupe d'experts indépendants réuni par le professeur Robert Rivier, directeur du Laboratoire d'Intermodalité des Transports et de Planification (LITEP) de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), afin de disposer d'un point de vue objectif et indépendant sur la maintenance (entretien et renouvellement) du réseau ferré national 8 ( * ) .

L'audit portait sur les spécialités suivantes : les voies, les ouvrages d'art (OA), les ouvrages en terre (OT), les installations fixes de traction électrique (IFTE) ainsi que les installations de télécommunication et de signalisation (IS-TEL).

Les buts et méthodologie de cette étude sont ainsi définis par ses auteurs :

« L'audit vise à évaluer en premier lieu l'état actuel de l'infrastructure du réseau ferré national français puis les politiques de maintenance actuellement appliquées par RFF et par la SNCF ainsi que leur mise en oeuvre.

Sur la base de ces analyses, l'audit fournit une appréciation des tendances et perspectives d'évolution probables, compte tenu des politiques de maintenance de l'infrastructure préconisées par les auditeurs, ainsi qu'une estimation des ressources nécessaires aux activités d'entretien et de renouvellement de l'infrastructure ferroviaire de 2006 à 2025.

L'audit repose sur une approche méthodologique divisée en étapes :

1. La première étape vise à évaluer de manière quantitative l'état de l'infrastructure du réseau ferré ainsi qu'à analyser l'historique de l'évolution de cet état durant les vingt dernières années.

2. La deuxième étape comprend l'analyse de l'historique des flux financiers (sommes utilisées annuellement pour la maintenance) et techniques (quantité annuelle d'interventions de maintenance) ainsi que de l'historique des sollicitations de l'infrastructure, essentiellement en termes de charges et vitesses du trafic.

3. Ces historiques permettent, en troisième étape, de situer l'état actuel de l'infrastructure du réseau et fournissent les éléments d'analyse nécessaires à l'évaluation des politiques de maintenance appliquées par RFF et la SNCF. La pertinence économique et technique desdites politiques ainsi que leur mise en oeuvre y est évaluée et fait l'objet d'un diagnostic et de recommandations. »

Le rapport aboutit au constat que les ressources allouées au cours des trois dernières décennies à la maintenance du réseau ferré classique ne suffisent pas à en garantir l'état de la totalité du patrimoine, en dehors des lignes nouvelles.

Faute de choix clairs opérés par une réduction du périmètre du réseau en faveur de tronçons considérés pérennes, ni de planification à long terme de l'évolution du réseau classique en fonction de prévisions de la demande de transport, les ressources restreintes affectées à la maintenance sont réparties en fonction des urgences, pour assurer la sécurité de circulation sur toutes les lignes .

Une maîtrise durable des coûts de maintenance de l'infrastructure passe par un processus décisionnel basé sur l'analyse du cycle de vie des composants.

Il s'agit de dépenser « juste » aujourd'hui, pour dépenser peu demain. Or, il est nécessaire de définir une esquisse des objectifs de demain et des moyens mis à disposition pour y arriver. Ces deux informations font cruellement défaut aujourd'hui.

Cette situation engendre des reports d'opérations d'entretien préventif destinées à prolonger la durée de vie du patrimoine. Les ponts métalliques et les poteaux de caténaires ne sont plus mis en peinture, les drains et fossés le long des voies ne sont plus suffisamment entretenus, alors qu'ils jouent un rôle déterminant sur la stabilité de la plateforme de la voie.

Cette analyse, réalisée par des experts extérieurs aux débats français, récurrents dans le domaine des transports, a conduit à un redressement de la maintenance du réseau ferroviaire, dont la rénovation annuelle a été doublée dans les années suivantes, passant de 500 km à 1 000 km par an, sur un total de 32 000 km.

Sollicités en 2011 pour une actualisation de leurs premiers travaux, les mêmes experts, en août 2012, constatent que :

« Les conditions de sollicitation du réseau sont globalement similaires qu'en 2005, avec certaines évolutions marginales localisées qu'expliquent l'évolution du trafic et l'arrivée d'engins de traction de nouvelle génération.

Les volumes 9 ( * ) de trafic TER ont connu, sur la même période et selon la même source, une croissance de l'ordre de 43 %. Cette montée en puissance est essentiellement le fruit d'une politique de développement des dessertes régionales voulue par les AOT. Ceci a souvent exigé la mise à niveau de l'infrastructure des lignes concernées, mise à niveau qu'il a fallu financer.

En matière de grande vitesse , le contexte a sensiblement évolué avec l'ouverture des LGV Est (2007) et Rhin-Rhône (2011). Le périmètre des installations à maintenir s'est ainsi accru de 900 km de voies .

Autre élément nouveau, la vitesse maximale admise sur ces lignes s'élève à 320 km/h au lieu de 300 km/h. Mais cette augmentation de performance commerciale pourrait avoir une incidence sur les coûts d'entretien de la voie, estimés par certaines prévisions de l'ordre de 20 à 30 %. »

Ils en concluent que : "malgré certaines évolutions locales, les conditions globales actuelles de sollicitation du réseau sont en moyenne comparables à celles qui prévalaient durant l'audit Rivier de 2005" ».

2. Le rapport de la Cour des comptes de juillet 2012

Après avoir rappelé la définition du terme de « maintenance », le rapport établit un constat critique de l'état du réseau ferroviaire 10 ( * ) . Il examine la mise en oeuvre de la politique de « maintenance » du réseau ferroviaire national et se réfère aux termes utilisés dans la convention d'entretien qui lie RFF et la SNCF.

La maintenance du réseau ferroviaire vise à conserver à celui-ci son niveau de performance. Elle s'appuie sur l'entretien , activité de surveillance et de correction de ses défaillances, financée sur crédits de fonctionnement, et sur le renouvellement , opération d'investissement de remplacement de ses composants. La maintenance doit s'adapter à l'hétérogénéité de ces composants (voies et installations de voies, ouvrages d'art, installations électriques, de signalisation et de télécommunication), et s'insérer dans le graphique de circulation, suscitant des arbitrages difficiles avec les sillons commerciaux.

Le réseau ferroviaire français représente un véritable défi pour la maintenance, du fait de sa taille, de son hétérogénéité et de son âge. Avec 29 273 km de lignes (chiffres 2011), auxquels s'ajoutent 15 000 km de voies de service, il constitue le second réseau européen, après le réseau allemand . Trait spécifique relevé par l'audit mené en 2005 par les experts de l'École polytechnique fédérale de Lausanne, le réseau français comprend un important réseau secondaire, avec 13 600 km de voies, dont 11 200 km sont parcourus par moins de vingt trains par jour . Cet audit avait souligné le vieillissement préoccupant de l'ensemble du réseau ferroviaire national, dû à l'effondrement des investissements de renouvellement depuis le début des années 80, les moyens financiers s'étant alors portés sur le développement des lignes à grande vitesse.

Sous l'influence des textes européens imposant une séparation entre un gestionnaire d'infrastructure ferroviaire et les entreprises utilisatrices de ce réseau, la réforme ferroviaire de 1997 a créé un gestionnaire d'infrastructure, RFF , et a néanmoins mis en place un système unique en Europe de répartition des responsabilités entre ce gestionnaire et son gestionnaire délégué, la branche infrastructure de la SNCF. La cogestion ainsi instituée de la maintenance du réseau ferroviaire national s'insère dans un dispositif conventionnel qui n'a pu remédier aux défauts structurels du système et a rigidifié les rapports entre les deux établissements. Ce système entraine un morcellement des responsabilités et des compétences et d'importants coûts de transaction entre RFF et la SNCF .

L'ensemble s'avère préjudiciable à l'efficacité économique de la maintenance : son pilotage reste approximatif, ses coûts demeurent élevés (l'enveloppe annuelle pour le seul entretien représentait 2,14 Mds€ en 2011) et continuent à progresser , tirés notamment par les charges de personnel, tandis que la stagnation du volume d'entretien ne permet pas de faire face aux besoins croissants d'un réseau qui continue de vieillir.

Ce système a néanmoins apporté une amélioration notable par rapport à la situation antérieure par l'émulation de l'entreprise historique .

L'aiguillon qu'a représenté l'action de RFF a permis des évolutions en matière méthodologique (industrialisation de la maintenance, politique d'axes, recherche de nouveaux gains de productivité, développement de la sous-traitance et de la mise en concurrence), même si elles restent encore à développer.

Une « unification des métiers de l'infrastructure » , annoncée fin 2011 par la ministre de l'Écologie et du Développement durable, à l'issue des Assises du ferroviaire, serait susceptible de remédier à une part des dysfonctionnements résultant de la difficile cogestion de la maintenance par les deux entreprises, en identifiant un responsable unique chargé de garantir l'optimum global de gestion de l'infrastructure.

À la suite des conclusions alarmantes de l'audit du réseau en 2005, l'État a mis en oeuvre, à partir de 2006, un plan de rénovation du réseau, confirmé en 2008 par le contrat pluriannuel de performance conclu avec RFF. Ce plan a permis une forte progression des investissements de renouvellement depuis 2006, soit 7,3 Mds€ de 2006 à 2011 .

Mais les besoins de renouvellement des lignes à grande vitesse, qui bénéficient d'une programmation très rigoureuse, vont inéluctablement monter en puissance dans les années qui viennent, et c'est en définitive le réseau structurant des lignes classiques, qui accuse un retard croissant de rénovation .

Malgré les moyens importants mis en oeuvre, l'actuel plan de rénovation n'est pas en mesure d'enrayer le vieillissement du réseau, dont l'âge moyen continue de croître, notamment sur le réseau structurant classique . La part entre dépenses de renouvellement et dépenses d'entretien tend maintenant à s'équilibrer, mais un effort d'investissement important reste à fournir pour espérer atteindre une décrue durable de ces dernières à compter de 2020 .

3. Le projet de SNIT prend acte de la nécessité de donner la priorité à la maintenance, sans abandonner le développement d'infrastructures nouvelles

Ainsi, le projet souligne-t-il que : « l'effort de maintenance sera prioritaire sur le développement des infrastructures, en particulier sur le mode ferroviaire ». Les dépenses de maintenance doivent être considérées comme des dépenses de fonctionnement.

Sur les 245 milliards d'euros d'investissements que le schéma mobilisait sur une durée de vingt à trente ans, 105 milliards étaient consacrés à « l'optimisation des réseaux » (dont 64 % pour le ferroviaire ; 6,5 % pour le fluvial et 27 % pour le routier ; les 2,5 % restant allant au portuaire et à l'aérien) et 140 milliards aux projets de développement.

Il est souhaitable que la commission « Mobilité 21 » établisse une priorité entre ceux-ci, mais maintienne, autant que possible, les investissements consacrés aux réseaux existants, dont la pérennité risque, autrement, d'être compromise.

En effet, pour être durables, les infrastructures de transport doivent bénéficier d'un entretien constant. Le coût de cette maintenance est à comparer avec les effets qu'engendre sa déficience . Ainsi les États-Unis d'Amérique ont-ils été contraints de reconstruire près de 300 000 ponts routiers durant la dernière décennie, faute d'entretien adapté.

Un pont autoroutier s'est effondré le 23 mai 2013 dans l'État de Washington, l'organisme « Transportation for America » avait estimé, en 2011, que 70 000 ponts américains étaient « structurellement déficients ».


* 8 Réseau à grande vitesse et lignes classiques à écartement normal.

* 9 Volumes exprimés en tonnes kilomètres ou voyageurs kilomètres.

* 10 Source : Cour des comptes « L'entretien du réseau ferroviaire national », juillet 2012.

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