B. LE PILOTAGE DU VOLET IMMOBILIER DE LA RÉFORME

1. Les services en charge du pilotage du volet immobilier

Dans un contexte marqué par la multiplicité des acteurs, le volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire a impliqué la mise en place d'une organisation et d'outils ad hoc pour, d'une part, définir rapidement les différents scenarii immobiliers et assurer le suivi et des opérations et, d'autre part, identifier clairement les missions de chacun des services concernés, à savoir :

- la sous-direction de l'immobilier du secrétariat général, avec son réseau de neufs départements immobiliers (anciennement dénommés antennes régionales de l'équipement) ;

- la sous-direction de l'organisation et du fonctionnement judiciaire , relevant de la direction des services judiciaires, avec son bureau de suivi de l'implantation territoriale et de la sûreté des juridictions ;

- les cours d'appel , les magistrats délégués à l'équipement et les services administratifs régionaux.

La sous-direction de l'immobilier, au-delà du rôle important tenu par les départements immobiliers qui en dépendent, s'est vu confier la responsabilité de la mise en oeuvre du volet immobilier . En ce qui concerne le suivi des opérations, la sous-direction, par le biais du bureau de la programmation et de l'investissement immobilier, a défini un tableau de bord , permettant de suivre l'état d'avancement des opérations et de mesurer le coût global de la réforme. Ce tableau est alimenté pour chaque opération immobilière par une fiche détaillée comprenant les éléments physico-financiers relatifs à celle-ci (calendrier opérationnel, prévision et exécution budgétaires, évolution des coûts, etc.) et renseignée par les départements immobiliers .

La direction des services judiciaires a, quant à elle, organisé et encadré l'ensemble des actions connexes aux opérations immobilières, produisant notamment trois circulaires sur la gestion des archives. Ainsi a-t-elle assuré l'organisation et le financement des déménagements et de l'équipement des juridictions reconfigurées .

Enfin, les cours d'appel ont supporté la mise en oeuvre opérationnelle du volet de la carte judiciaire sous la supervision des chefs de cour et des magistrats délégués à l'équipement assistés, selon les cas, par des équipes spécialisées 40 ( * ) . Il faut toutefois souligner que les opérations immobilières les plus importantes ont été confiées à l' agence pour l'immobilier de la justice (APIJ) 41 ( * ),42 ( * ) .

Réforme de la carte judicaire

Organigramme immobilier

Source : ministère de la justice

2. La coordination des acteurs du volet immobilier

La conduite du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire a entraîné un travail commun de différents acteurs qu'il était nécessaire de coordonner ; aussi des comités de pilotage ont-ils été institués aux niveaux national et local à cet effet.

À partir de 2010, un comité de pilotage animé, dans un premier temps, par le secrétaire général du ministère de la justice, puis par la direction des services judiciaires s'est réuni mensuellement et a coordonné l'action de l'ensemble des services déconcentrés . En parallèle, et selon une fréquence adaptée aux besoins, des comités de pilotage locaux ont réuni les chefs de cour et leurs représentants avec les différents services du secrétariat général en charge du suivi des projets immobiliers et ceux de la direction des services judiciaires.

Les besoins immobiliers ont été définis au sein des comités de pilotage locaux précités. Les départements immobiliers ont apporté leur expertise immobilière aux chefs de cours qui ont pu proposer, pour leurs juridictions, des schémas d'implantation qui ont ensuite fait l'objet d'une validation par la Chancellerie. En tant que de besoin, la définition des scenarii a fait l'objet d'échanges techniques avec les correspondants de l'administration centrale , à savoir le bureau des études et des opérations immobilières de la sous-direction de l'immobilier. La direction des services judiciaires a également apporté son appui pour la définition des besoins en matière immobilière, s'agissant notamment des normes théoriques d'effectifs et de surfaces.

Il faut enfin souligner que la coordination a reposé sur une centaine de déplacements des services centraux (concernant notamment la sous-direction de l'immobilier et la direction des services judiciaires) dans le ressort des cours d'appel et l'organisation d'une cinquantaine de visioconférences . Ces exercices ont permis d'actualiser les données servant au pilotage, de repérer les difficultés survenant dans le cadre de la mise en oeuvre des opérations immobilières, voire parfois de les anticiper.

3. Un pilotage par la performance ? La question des objectifs et indicateurs
a) Une mesure de la performance focalisée sur la mise en oeuvre des opérations immobilières

Selon le ministère de la justice, la performance du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire a été évaluée au regard de deux objectifs : le respect des délais , permettant l'entrée en vigueur de la réforme aux dates fixées 43 ( * ) , et le respect de la programmation budgétaire .

Le suivi des objectifs a été réalisé à l'aide du tableau de bord mentionné précédemment, qui permet de suivre l'état d'avancement de chaque opération immobilière et de mesurer le coût total de ces dernières.

L'appréciation du critère relatif au respect des délais a été réalisée sous l'angle d' une évaluation des risques traduite par trois couleurs : vert (sans problème), orange (opération réalisable mais comportant des risques de dérapage), rouge (pas de solution immobilière compatible avec les délais, au jour de la mesure). Ce mécanisme simple a permis au comité de pilotage de repérer immédiatement les opérations immobilières sur lesquelles une attention toute particulière était requise. Il a également permis de visualiser au fil du temps l'évolution de la performance globale du programme immobilier.

La mesure de la performance économique (soit le respect de la programmation budgétaire) a reposé sur l'analyse mensuelle de l'évolution à la hausse ou à la baisse des coûts finaux estimés (CFE), au fur et à mesure de l'avancement des études.

Les opérations conduites par l'agence pour l'immobilier de la justice (APIJ) font, quant à elles, l'objet d'un suivi spécifique dans le cadre du contrat de performance sur la période 2011-2013 de cet opérateur. Les objectifs fixés portent principalement sur la maîtrise des coûts de construction et de maintenance, des délais de construction et de la qualité des constructions 44 ( * ) . À ces différents objectifs sont associés des indicateurs de performance .

b) L'absence d'indicateur précis relatif au rendement d'occupation des surfaces

L'ensemble des objectifs précités visent à s'assurer du bon déroulement des opérations immobilières (appréhendé en termes de respect des délais et du coût prévisionnel). Toutefois, il ne ressort pas des informations qui ont été communiquées à vos rapporteurs spéciaux que des objectifs chiffrés aient été arrêtés s'agissant de l'optimisation du parc immobilier .

Dans le cadre de la politique immobilière de l'État, le principal indicateur en la matière consiste à mesurer le « rendement d'occupation des surfaces », exprimé en nombre de mètres carrés de surface utile nette (SUN) par poste de travail 45 ( * ) . La cible finale est fixée à 12 mètres carrés par poste de travail 46 ( * ) .

En avril 2008, une circulaire adressée aux chefs de cour d'appel par le secrétariat général du ministère de la justice a précisé les principes à respecter dans les propositions immobilières présentées dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire 47 ( * ) . Il s'agissait, en premier lieu, de rechercher la « densification des bâtiments judiciaires », sans pour autant que l'objectif à atteindre ne soit exprimé sous la forme d'une cible chiffrée.

À défaut d'une telle référence pour guider les choix réalisés par les juridictions en matière immobilière, la densification des locaux a difficilement pu s'imposer comme une priorité dans le cadre des opérations liées à la réforme . C'est en tout cas ce que semblent révéler les réponses adressées par les chefs de cour d'appel à vos rapporteurs spéciaux. En effet, du fait du caractère souvent dégradé des bâtiments judiciaires, les principales préoccupations concernaient le « maintien du parc immobilier du ressort [...] en bon état », la nécessité d'« assurer des conditions de fonctionnement normales » aux juridictions, voire d'assurer la sûreté et la sécurité des bâtiments ; de même, certaines contributions mentionnent l'adaptation des locaux pour faire face à l'accroissement du contentieux. Ainsi, lorsqu'elle est citée, la densification du parc immobilier apparaît généralement comme secondaire .

Pourtant, l'objectif de densification ne semble pas entrer en contradiction avec celui de remise aux normes et d'amélioration des locaux. Aussi la fixation d'indicateurs chiffrés s'agissant de l'occupation des surfaces aurait-elle pu fournir un guide utile lors de la conception et de la réalisation des opérations immobilières menées dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, permettant de rationaliser la démarche de densification des bâtiments. En tout état de cause, la mise en place de tels indicateurs pourrait s'avérer utile pour structurer la politique immobilière des juridictions, à condition qu'ils soient adaptés aux contraintes spécifiques qui s'imposent à ces dernières.

Car, en effet, les locaux judiciaires ne sont pas soumis à des objectifs et indicateurs de performance (sauf lorsqu'il s'agit de bureaux externalisés). Nombreuses ont été les cours d'appel invoquant la spécificité des activités judiciaires pour justifier ce traitement particulier. Tout d'abord, une part importante des surfaces occupées par les juridictions est dédiée aux salles d'audience, qu'il est peu pertinent de prendre en compte dans le calcul des ratios d'occupation. Ensuite, les bureaux de magistrats peuvent être utilisés pour la tenue d'audiences, ce qui explique qu'ils ne puissent entrer dans la norme de 12 mètres carrés de surface utile nette (SUN) par poste de travail. À titre d'exemple, un juge aux affaires familiales doit disposer des surfaces nécessaires pour accueillir, en même temps, les parties et leurs avocats respectifs. Par ailleurs, en ce qui concerne les activités pénales des juges et substituts menant des audiences de cabinet, vient s'ajouter la nécessité de bénéficier d'une distance minimale entre le bureau et l'emplacement de la personne comparaissant, pour des impératifs de sécurité.

Dès lors, l'objectif de rationalisation de l'occupation des locaux judiciaires peine à se matérialiser . À cet égard, il est intéressant de noter que plusieurs chefs de cour d'appel interrogés sur ce point ont simplement indiqué à vos rapporteurs spéciaux qu'« il n'exist[ait] pas d'indicateur spécifique » pour mesurer la performance de la gestion immobilière de leur ressort ; d'autres ont fait mention d'objectifs et d'indicateurs ne présentant aucun rapport avec la densification des bâtiments.

Évidemment, la pratique fait apparaître une attention réelle à la rationalisation de l'utilisation des locaux . Comme l'ont souligné Philippe Ingall-Montagnier et Alain Nuée, respectivement procureur général et premier président de la cour d'appel de Versailles, « l'optimisation des surfaces dédiées au fonctionnement des juridictions et leurs coûts d'entretien sont [...] intégrés dans la politique immobilière du ressort, compte tenu de l'insuffisance des crédits au regard des besoins ». Pour autant, les politiques retenues ne sont pas uniformes selon les cours d'appel ; alors que certaines considèrent comme impossible l'application de la cible de 12 mètres carrés par poste de travail aux bureaux judiciaires, d'autres, comme la cour d'appel d'Orléans, indiquent retenir cet objectif s'agissant des locaux à usage de bureaux.

Par conséquent, en substitut à la cible de 12 mètres carrés de surface utile nette (SUN) par poste de travail applicable aux locaux à usage de bureaux de l'État, le ministère de la justice pourrait établir un référentiel fixant, pour chaque catégorie de locaux judiciaires (bureaux simples, bureaux utilisés pour la tenue d'audiences, etc.), des objectifs différenciés d'occupation des surfaces . De cette manière, il serait possible de concilier les contraintes inhérentes à l'activité judiciaire et la nécessité de disposer de cibles chiffrées s'agissant de la rationalisation du parc immobilier ; ces dernières présentent, en effet, un caractère mobilisateur et permettent de structurer la politique immobilière des juridictions.

En outre, un indicateur pourrait être institué pour mesurer la réalisation de ces objectifs différenciés et intégré à la mesure de la performance du programme n° 166 « Justice judicaire » de la mission « Justice » (qui ne comporte, à ce jour, ni objectifs ni indicateurs de performance rattachés à la gestion du parc immobilier).

Si une politique immobilière autonome peut se justifier eu égard aux spécificités des locaux ou des activités concernés, celle-ci ne doit pas sortir de la démarche de performance qui a sous-tendu la mise en place d'une politique immobilière de l'État unifiée. Aussi vos rapporteurs spéciaux estiment-ils que, concernant le parc immobilier judiciaire, les objectifs et indicateurs de performance ne doivent pas être écartés mais adaptés aux contraintes de la justice . Une telle logique pourrait d'ailleurs trouver à s'appliquer à l'ensemble des ministères et administrations ayant conservé une gestion propre de leur patrimoine immobilier.

Recommandation n° 1 : établir un référentiel fixant, pour chaque catégorie de locaux judiciaires, des objectifs différenciés d'occupation des surfaces.

Recommandation n° 2 : instituer un indicateur mesurant la réalisation des objectifs arrêtés en matière d'occupation des surfaces accueillant des locaux judiciaires, intégré à la mesure de la performance du programme n° 166 « Justice judiciaire » de la mission « Justice ».


* 40 Les personnels en charge des questions immobilières appartiennent aux services administratifs régionaux (SAR). Créés par une circulaire du 8 juillet 1996, ces services, placés sous l'autorité directe des chefs de cour d'appel, sont chargés de l'administration des moyens, de la gestion des personnels, mais également du parc informatique et de l'immobilier.

* 41 Selon le contrat de performance de l'agence pour l'immobilier de la justice (APIJ) sur la période 2011-2013, l'opérateur a vocation à prendre en charge les opérations dont le coût est supérieur à 3 millions d'euros.

* 42 Les différents aspects relatifs à la mise en oeuvre opérationnelle de la politique immobilière des juridictions sont analysés en détail infra dans la sous-partie C de la présente partie, « La réalisation des opérations immobilières ».

* 43 À savoir au 1 er janvier 2009 pour les conseils de prud'hommes et les tribunaux de commerce, au 1 er janvier 2010 pour les tribunaux d'instance et au 1 er janvier 2011 pour les tribunaux de grande instance.

* 44 Cf. contrat de performance de l'agence pour l'immobilier de la justice (APIJ) sur la période 2011-2013.

* 45 Il s'agit de l'indicateur 1.2 « Rendement d'occupation des surfaces : nombre de m² de SUN par poste de travail » rattaché au programme n° 723 « Contribution aux dépenses immobilières » de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

* 46 Sur l'ensemble du parc immobilier de l'État, le rendement d'occupation des surfaces devait atteindre 16 mètres carrés SUN par poste de travail en 2012 ; en 2009, ce ratio était de 17,8 mètres carrés SUN par poste de travail (cf. projet annuel de performances de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » annexé au projet de loi de finances pour 2013).

* 47 Cf. annexe III au présent rapport, « Extrait de la circulaire du 3 avril 2008 de la ministre de la justice relative à la mise en oeuvre de la réforme de la carte judiciaire ».

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