B. LE CENTRE DE GRAVITÉ DU TERRORISME AU SAHEL SE DÉPLACE VERS LA LIBYE

Les activités terroristes étendent toujours plus leur champ d'action, autour des « métastases » du Mali et du Nigéria, tandis que, avec le coup d'arrêt donné par Serval à la prolifération terroriste au Nord Mali, leur centre d'activité se déplace progressivement vers la Libye.

1. Des foyers terroristes (Mali, Nigéria) qui diffusent dans un espace de plus en plus vaste
a) Le Mali, ancien sanctuaire terroriste au coeur d'un vaste espace aux frontières difficiles à contrôler

Il nous parait faux de dire qu'il y aurait eu un simple jeu de vases communicants entre des groupes armés qui étaient hier en Libye, qu'ils en auraient été en quelque sorte chassés par l'intervention de 2011, pour s'installer au Mali, et qu'ils seraient aujourd'hui, sous le coup de butoir de Serval, amenés à se réinstaller en Libye.

Nous pensons que le phénomène a dès l'origine une dimension régionale . Les trafics, le terrorisme, sont le fait de groupes très mobiles qui se jouent des frontières et circulent librement dans ce vaste espace saharien souvent comparé à un océan.

Nous avons déjà largement insisté, dans notre premier rapport 57 ( * ) , sur le caractère difficilement contrôlable des immenses frontières saharo-sahéliennes , qui sont d'ailleurs depuis la nuit des temps des « adjuvants » aux échanges et aux trafics bien plus que des obstacles.

L'idée d'un « contrôle » de telles frontières, si elle peut demeurer un objectif, doit nécessairement intégrer la difficulté d'un tel exercice.

Ainsi le Mali, dont les forces armées sont dans l'état que nous avons décrit plus haut, a-t-il quelque 1 300 kilomètres de frontières avec l'Algérie, 2 200 avec la Mauritanie, 800 avec le Niger, 1 000 avec le Burkina Faso. Ce pays enclavé à l'intérieur de l'Afrique occidentale partage au total plus de 7 000 kilomètres de frontières avec sept pays : la Mauritanie, l'Algérie, le Niger, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée et le Sénégal.

De tout temps, le Nord Mali a été approvisionné depuis l'Algérie. Les familles vivent souvent des deux côtés de la frontière algéro-malienne. Un Malien n'a pas besoin de visa pour entrer en Algérie. Les exemples de ce type pourraient être multipliés : la porosité et les solidarités transfrontalières existent aussi naturellement à la frontière nigéro-malienne, notamment.

La Libye a 4 500 km de frontières , partagées avec 6 voisins (Algérie, Niger, Soudan, Égypte, Tchad et Tunisie).

Dans ces vastes espaces aux frontières poreuses, il était prévisible que l'effet de l'opération Serval ne conduise les groupes terroristes qui ont pu se dégager à se mettre à l'abri et à chercher à se constituer un nouveau sanctuaire, de préférence dans les « zones molles » où les États ne sont pas en mesure d'assurer la sécurité.

Comme ils l'ont toujours fait, les groupes terroristes restent mobiles et circulent librement dans ces vastes espaces, le long d'une route qui part du Golfe de Guinée pour pénétrer dans le Sahel, via le Nord Mali, le Nord Niger, la Libye et jusqu'à la Tunisie.

Pour autant, il ne faut pas sous-estimer le rude coup qui a été porté à leurs capacités : au Mali, plus de 600 terroristes ont été neutralisés, des centaines de tonnes d'armement ont été saisies, les centres logistiques, de commandement, d'entrainement ont été détruits. La plupart des experts s'accordent pour dire que les organisations terroristes n'y aurait plus aujourd'hui les moyens de mener une action d'envergure, structurée et coordonnée.

Mais si nous avons traité l'essentiel du problème au Mali, nous n'en avons pas fini avec le terrorisme dans le Sahel.

b) Le Nigéria, géant de l'Afrique, menacé par « l'ombre de Boko Haram58 ( * ) »

Les enlèvements perpétrés par des organisations terroristes nigérianes viennent rappeler que la menace terroriste est aussi en expansion au sud du Sahel .

C'est ainsi que plusieurs étrangers ont été enlevés en février 2013 à Jema'are, dans le Nord de l'Etat de Bauchi, dans un territoire relevant de l'aire d'influence de Boko Haram. Les victimes sont un Britannique , un Grec, un Italien et des Libanais .

Mais c'est surtout l'enlèvement de la famille Moulin-Fournier : Tanguy Moulin-Fournier, son frère, son épouse et leurs quatre enfants (12, 10, 8 et 5 ans), en territoire camerounais (Dabanga), tout près de la frontière nigériane, le 19 février 2013, qui marque un tournant dans l'expansion tant géographique qu'en termes de mode opératoire des terroristes présents au Nigéria.

Aujourd'hui, l'augmentation de la violence au Nigeria 59 ( * ) est le résultat de tensions liées à deux foyers : celui de la région du Plateau, avec un conflit entre chrétiens et musulmans autour de la ville de Jos (attaque d'églises chrétiennes à compter de 2010), et, d'autre part, celui du nord-est du pays où se produisent la plupart des attentats de Boko Haram.

Fondée au milieu des années 1990, Boko Haram (ce qui signifie : « l'éducation 60 ( * ) est impie ») est une secte islamiste muée en mouvement d'insurrection armée dans les années 2000.

La sphère d'influence de Boko Haram ne cesse de s'étendre en « tâche d'huile ». Partie de Maiduguri et de la région de Borno située à la lisière du lac Tchad, et initialement active dans seulement deux des trente-six États du Nigeria, --le Yobé et le Borno-- la secte est aujourd'hui présente dans toute la zone nord-est, jusqu'à Abuja la capitale, et dans le nord-ouest.

La question de la capacité de Boko Haram à toucher, aujourd'hui, le sud du pays (le Nigéria « utile », par ailleurs à dominante chrétienne), ainsi que les pays voisins, est aujourd'hui clairement posée.

Au-delà de l'expansion géographique patente, les experts mettent par ailleurs en avant la montée en puissance dans la violence observée par la secte islamiste dont l'agenda, local à l'origine -faire appliquer la « charia » dans les différents États du Nigéria et y mettre en place progressivement un État islamique-, pourrait de plus en plus adhérer aux thématiques terroristes du « djihad global ». La carte 61 ( * ) des États du Nigéria « appliquant la charia 62 ( * ) » en 2012 (douze au total, figurant avec le sigle C ci-dessous) est à cet égard significative :

Après la répression de 2009, au cours de laquelle le fondateur de Boko Haram, Mohamed Yusuf, fut tué, le mouvement est devenu clandestin et ses cadres se sont enfuis à l'étranger. Ils auraient alors été récupérés par la mouvance djihadiste internationale, et convaincus de la nécessité de monter en puissance dans la violence ; leur but devenant de déstabiliser l'État avec une stratégie terroriste.

Le recours récent aux attentats-suicides et aux enlèvements d'Occidentaux marque une évolution notable des méthodes de l'organisation, et montre aussi son glissement idéologique.

L'attentat à la bombe du 26 août 2011 contre les bureaux des Nations unies à Abuja, qui a causé la mort de 25 personnes et fait 70 blessés, a ravivé les inquiétudes quant aux liens avec AQMI , qui lui prodiguerait non seulement des financements mais aussi des conseils, des formations et des entraînements. Des liens semblent aujourd'hui avérés avec les mouvements terroristes oeuvrant au Nord Mali , même si les faits ne sont pas (encore ?) suffisamment nombreux pour démontrer l'existence d'une réelle coordination opérationnelle entre eux.

Des connexions s'établissent avec les autres mouvements terroristes , en particulier les Shebab somaliens : « C'est le cas pour Mamman Noor, un dissident de Boko Haram qui dit avoir été formé par le groupe islamiste Al-Shabab en Somalie 63 ( * ) », affirme Marc-Antoine PÉROUSE de MONTCLOS, que vos rapporteurs ont auditionné.

Dans ces immensités aux frontières poreuses, la perspective d'une internationalisation de Boko Haram est naturellement un risque fort.

Pays le plus peuplé d'Afrique avec 162 millions d'habitants , le Nigéria, en plein décollage économique, est donc aujourd'hui menacé par la montée du terrorisme.

2. La Libye fragmentée, futur sanctuaire terroriste et lieu d'un inquiétant « couplage » entre Sahel, Maghreb, Mashrek et Moyen-Orient ?

Depuis plusieurs mois, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat suit avec attention le développement de la situation en Libye. C'est ainsi qu'une délégation de la commission, conduite par son président, Jean-Louis CARRÈRE, s'est rendue fin décembre 2012 à Tripoli pour manifester son soutien au processus de transition en cours. Le ministre libyen des affaires étrangères M. Mohamed Emhemed ABDELAZIZ a été auditionné par la commission le 12 février dernier, pour échanger sur le processus politique en cours et la situation sécuritaire. Le Sénat s'est montré désireux de soutenir, par une coopération parlementaire active, le développement des capacités au sein du parlement libyen.

a) La chute du régime de Kadhafi : la fin d'une politique extérieure active au Sahel
(1) Une société fragmentaire, un régime sans État

La dictature unique et originale qui a permis à Kadhafi de gouverner la Libye pendant 42 ans, se voulant une « troisième voie » entre le socialisme et le capitalisme, dont les principes de l' « État des masses », la Jamahiriya, sont décrits dans le « Livre vert », est parfois comparée à un « anti-Etat » , organisant certes une centralité du pouvoir autour de Kadhafi et de son clan, gouvernant certes par la violence et l'arbitraire, mais sans institutions .

« Il s'agissait donc bien de construire un centre politique, mais sans structure étatique 64 ( * ) ».

Plusieurs travaux ont décrit l'originalité de ce système de gouvernance autoritaire unique en son genre, conciliant la nécessité d'une centralité du pouvoir (notamment pour redistribuer la rente pétrolière) et les « traditions acéphales des sociétés fragmentaires 65 ( * ) » et fonctionnant sans ce qui constitue l'État au sens moderne : des institutions stabilisées, des délégations de pouvoir définies, une représentativité assise sur l'exercice de la citoyenneté.

Certaines « institutions » existaient, et constituaient la colonne vertébrale du régime Kadhafiste, comme la société pétrolière Libyan Oil National Compagny (NOC), l'appareil de sécurité, ou les comités révolutionnaires, qui avaient des fonctions de redistribution de la rente pétrolière, de contrôle sécuritaire ou idéologique et de régulation sociale (voire de prédation). Mais elles étaient organisées suivant un « système concentrique de pouvoir 66 ( * ) » au centre duquel se trouvait Kadhafi, sa famille formant le premier cercle, ses clients et alliés le deuxième, différents responsables de ces institutions le troisième. Ce schéma permettait, dans un contexte de réformes administratives incessantes, d'instaurer un « mode de gestion par l'incertitude 67 ( * ) » : ce qui permettait à Kadhafi « de gérer de manière fluide l'équilibre toujours instable des rapports de force, satisfaire des demandes sociales, faire et défaire des alliances, intimider, surprendre, frapper, acheter, amadouer... ».

Dans la société et le régime libyens, le lien tribal est structurant 68 ( * ) , mais coexiste avec d'autres appartenances : région, ville, quartier, milice (qui permet des alliances parfois contradictoires), ce qui rend la lecture de la situation très difficile depuis l'extérieur. D'où le qualificatif de société « fragmentaire ». Une société fragmentaire peut être définie comme un « système » dynamique et mouvant d'hostilités et d'alliances claniques, jeu forcément complexe et équilibre forcément instable.

Dans l'arbitraire des lois et des pratiques qui caractérisait le système libyen, la protection tribale permettait d'obtenir des passe-droits, d'accélérer les démarches administratives, d'avoir des autorisations ou des protections : « les organisations tribales permettent de structurer les formes de clientélisme 69 ( * ) ».

Le clientélisme de Kadhafi s'appuyait donc au premier chef, malgré une administration pléthorique (estimée à 1 million, sur 6 millions d'habitants), sur les structures tribales.

Dans ce pays dont l'ancien dictateur est parfois présenté comme un acheteur compulsif d'armements, beaucoup soulignent qu'il n'y avait en fait pas « d'armée » structurée en lignes organiques et hiérarchiques, comme en Algérie ou en Égypte, par exemple.

(2) La fin d'une politique extérieure très active au Sahel

Pour des raisons pouvant relever soit de « l'imaginaire bédouin 70 ( * ) » soit de la contestation des frontières coloniales ou de la lutte contre la domination occidentale, Kadhafi a longtemps considéré le Sahel comme sa sphère naturelle d'influence. Ce rêve africain de Kadhafi est aussi le produit des échecs des tentatives successives du Guide de faire de la Libye un centre de l'arabisme ou du tiers-mondisme.

Tour à tour panarabe ou panafricaine, la politique extérieure de Kadhafi fut donc aussi très active dans la région sahélienne .

Sans remonter jusqu'à l'éphémère « Union des États islamiques du Sahel » avec Goukouni Oueddeî, l'opposant tchadien qu'il soutenait, ni de ses tentatives unionistes au Tchad (bande d'Aozou et conflit tchado-libyen), c'est en 1998 que Kadhafi créée la communauté des états sahélo-sahariens (CEN-SAD). Avant cette date, il a toujours développé une politique très active en direction des Touaregs . Soutenant les rébellions et les mouvements révolutionnaires, il a accueilli des milliers de Touaregs soit à l'issue des crises économiques et des sécheresses (grande sécheresse dans les années 1973-1974), soit lors des différentes rébellions tant au Niger qu'au Mali. « L'instrumentalisation, par le régime Kadhafi, des Touaregs réfugiés sur le sol libyen a surtout consisté à les intégrer dans sa légion, ou à son armée nationale, et à les envoyer combattre au Liban ou au Tchad dans les années 1980 », constate une récente étude sur le sujet 71 ( * ) .

En avril 2006, à l'instigation de Kadhafi est créée la « Ligue populaire et sociale des tribus du Grand Sahara » association regroupant des représentants des populations de toute la zone saharienne, du Maroc au Soudan, mais aussi de divers pays comme Djibouti ou Oman. L'objectif de Kadhafi était de réunir à terme tout le Sahara en un seul État. L'ouverture du consulat libyen à Kidal vient témoigner de cette ambition.

Pourtant, à l'instar d'autres communautés comme les Toubous, les Touaregs restaient pour la plupart discriminés sur le sol libyen, et l'affichage pro-touareg du régime pouvait s'accompagner, surtout pour ceux qui étaient d'origine malienne et nigérienne, d'une difficulté d'intégration (disposant uniquement d'un permis de circulation, ils sont dans l'impossibilité de participer à la vie politique du pays) qui explique notamment la défection des Touaregs en 2011, qui se sont retirés de Libye en emportant leurs armes et n'ont pas soutenu le régime de Kadhafi.

b) La révolution n'a pas débouché sur la mise en place d'institutions solides
(1) Une transition politique bloquée ?

La victoire de la Révolution du 17 février, proclamée le 23 octobre 2011, trois jours après la mort de Kadhafi, et à l'issue d'un conflit de huit mois, a ouvert une période de transition politique après quarante-deux ans de dictature.

La première phase de cette transition, lancée avec la proclamation de la libération du pays, le 23 octobre 2011, s'est achevée, le 7 juillet 2012, par l'élection d'un Congrès national , assemblée législative et, à l'origine, constituante, de deux cents membres. Cette élection, qui a entraîné la dissolution du Conseil national de transition (CNT), a vu un bon niveau de participation (60%) pour ce premier scrutin national depuis un demi-siècle.

Dans le schéma initial, le Congrès avait pour tâche principale d'adopter, puis de soumettre à référendum, une nouvelle constitution, élaborée par une Commission constitutionnelle composée de soixante membres représentant à parité les trois régions libyennes (Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan), avant l'organisation d'élections générales en 2013.

Toutefois, en décidant que la Commission constitutionnelle serait, finalement, elle-même élue (le Congrès se chargeant de rédiger la loi électorale), les Libyens ont pris le risque d'un processus de transition politique particulièrement long, sur lequel pèse aujourd'hui, plus de deux ans après le soulèvement du 17 février 2011, un risque d'enlisement.

Dans une vie politique où les partis peinent à se structurer, et où les alliances fluctuent, on voit mal aujourd'hui se dessiner une issue rapide pour la sortie de la phase de transition. À tel point qu'aujourd'hui, on peut se demander si ce n'est pas le rapport de force entres les milices qui est le facteur le plus structurant de la vie politique libyenne.

(2) La loi d'exclusion, « coup d'état rampant » et signe d'une radicalisation « islamiste » ?

Parler d'un coup d'État est un peu paradoxal dans un pays dont nous avons fait observer plus haut qu'il n'avait pas d'État, mais le vote récent (5 mai 2013) de la loi d'exclusion politique en Libye, écartant du pouvoir tous ceux ayant servi sous l'ère Kadhafi, est analysé par beaucoup d'observateurs comme une sorte de « coup d'État rampant » destiné à confisquer le pouvoir pour le donner à ceux qui n'ont pas réussi à le conquérir par les urnes en juillet dernier.

Cette véritable opération de récupération du pouvoir intervient dans un contexte sécuritaire tendu (ministères bloqués, ministres ne pouvant plus accéder à leurs bureaux, manifestations au Congrès ...) destiné à peser sur les députés et à affaiblir le gouvernement de transition.

La coalition de circonstance à l'origine de cette loi, qui semble englober tous les mécontents (battus des dernières élections, milices menacées de ne plus recevoir à l'avenir leurs "primes" si elles n'intégraient pas l'armée ou la police, voire groupuscules radicaux tels qu'Ansar al-charia ou Ansar al-Sunna...), a su créer un contexte sécuritaire instable pour faire pression sur les membres du Congrès. Certains anciens du GICL 72 ( * ) y occuperaient une part active. Au Congrès, ces acteurs auraient été soutenus par le groupe « Fidélité aux martyrs » d'environ 80 personnes, constitué de régionalistes de Misratah, de radicaux salafistes et de quelques indépendants.

Un contexte sécuritaire instable destiné à faire pression pour le vote de la loi d'exclusion, présenté par ses promoteurs comme un instrument de lutte anti-corruption

- Fin décembre 2012 , après une semaine de manifestations, la décision est prise de former un comité chargé de la préparation et de la rédaction d'une loi sur l'isolement (l'exclusion) politique, malgré l'existence d'une « Haute commission de l'Intégrité et du patriotisme », sur proposition d'Abderrahman Sweyhli, député de Misrata,

- Depuis janvier 2013 , le débat sur la loi d'isolement politique fait rage : présenté par ses promoteurs comme la continuation naturelle de la révolution, il est considéré par ses détracteurs (partisans d'une réconciliation nationale plus progressive) comme un prétexte pour favoriser des règlements de comptes et créer une dynamique déstabilisatrice au sein du Congrès,

- Le 5 mars 2013 , pour exiger le vote du projet de loi sur "l'isolement politique", des manifestants armés assiègent les locaux provisoires du Congrès et tirent sur la voiture du Président Megarief. Les travaux parlementaires sont interrompus pendant deux semaines.

- Toute la journée du 28 avril , une trentaine de véhicules dont plusieurs armés de canons anti-aériens, ainsi que des dizaines d'hommes armés, encerclent le bâtiment du ministère des affaires étrangères à Tripoli, tandis qu'un autre groupe armé prend d'assaut le bâtiment du ministère de l'Intérieur.

- Le 29 avril , un groupe d'hommes armés entre avec des armes dans les locaux de l'agence nationale de presse. Un autre groupe armé pénètre dans les locaux du ministère des finances, attaquant les gardes de sécurité du Ministre et détruisant plusieurs bureaux du ministère.

- Le 30 avril , des camionnettes dont plusieurs armées de canons anti-aériens, encerclent le ministère de la Justice. Le même jour, plus de mille manifestants armés encerclent la salle de conférences du Congrès avec des cercueils pour persuader le Congrès de voter la loi sans l'amender. Les manifestations se poursuivent jusqu'au dimanche 5 mai, jour du vote de la loi sur l'isolement politique.

Le vote de cette loi sur l'isolement politique, survenu dans un contexte d'intimidation armée, conduit de fait, compte tenu de sa formulation, à écarter de la scène politique libyenne la plupart des élites : on voit bien en effet la difficulté de la définition exacte de la « collaboration » s'agissant d'un régime qui a duré 42 ans.

Elle a déjà conduit à la démission, le 28 mai dernier, du président du Congrès Mohamed MEGARIEF , pourtant opposant historique au régime Kadhafi, contraint à passer 31 ans en exil comme réfugié politique (mais ambassadeur en Inde jusqu'en 1981), dont les propos empreints d'émotion tenus devant le Congrès 73 ( * ) lors de son derniers discours relevaient à juste titre : « Faire usage des armes ou menacer d'en user (...) ne cadre pas avec les exigences de cette phase de reconstruction et de transition démocratique ».

Cette loi privera les institutions de l'État libyen naissant des personnes les plus expérimentées et compétentes pour gérer la transition . Elle privera aussi la communauté internationale de ses interlocuteurs les plus crédibles et les mieux formés pour consolider le processus de transition.

De nombreux cadres intermédiaires pourraient être touchés, y compris au ministère de l'intérieur et de la défense, ce qui contribuera à déstructurer encore un peu plus les services de sécurité. D'ores et déjà, le ministre de l'intérieur, de la défense et le chef d'état-major des armées ont démissionné. Un autre effet pourrait être d'empêcher le retour de Mahmoud JIBRIL , le Premier ministre de la révolution (de mars à octobre 2011), jadis conseiller économique d'un régime qu'il contribua pourtant plus tard à faire tomber. Au moins quatre ministres du gouvernement Zeidan et une quinzaine de députés tomberaient eux aussi sous le coup de la loi 74 ( * ) .

D'autres délibérations législatives semblent inspirées par des préoccupations éloignées des principes portés par la révolution. Ainsi, la loi adoptée en janvier 2013 interdisant les transactions financières avec intérêt , alors même que les institutions permettant l'application d'une finance islamique n'existent pas en Libye, a graduellement aggravé le blocage du fonctionnement des banques , d'autant plus que sa mise en application prévoit l'emprisonnement de toute personne qui signerait une transaction portant intérêt. Dans un pays à l'économie en panne, où les aspirations sociales et sécuritaires sont légitimement au premier plan, était-il si urgent de déstabiliser le secteur bancaire libyen, qui emploie à lui seul 16 000 personnes, et d'atrophier encore plus un secteur privé déjà balbutiant ?

Le vote de ces textes montre l'emprise grandissante des mouvements armés, des milices et des éléments les plus radicaux, sur le Congrès et sur l'appareil d'État.

(3) Des capacités productives altérées

L'économie libyenne est totalement dépendante des hydrocarbures. Avec une production pétrolière en 2010 de 1,6 million de barils par jour et une population de seulement six millions d'habitants (dont près d'un tiers de migrants), la Libye est le pays le plus riche d'Afrique du Nord en termes de revenu par habitant (11 230 € par habitant en 2012).

En 2010, les recettes pétrolières représentaient 95 % des exportations de la Libye, 60 % de son budget, et 56 % de son PIB.

Malgré ses richesses, la plupart des infrastructures libyennes (logement, transports, télécommunications, éducation, santé) remontent aux années 1970. Ce retard de développement s'explique par une série de décisions économiques incohérentes ainsi que par l'isolement du pays pendant la période des sanctions (1986-2003). Le niveau des équipements est souvent équivalent à celui de la zone sahélienne et sub-saharienne. Un effort de rattrapage pour l'équipement du pays serait aujourd'hui nécessaire.

Dans un pays où le secteur privé est quasi-inexistant (on estime à 1,3 million le nombre de fonctionnaires), le chômage, estimé à 25% de la population active, affecte particulièrement une jeunesse mal formée et s'orientant tendanciellement vers la fonction publique, le développement des activités productives reposant sur une importante main d'oeuvre immigrée (notamment d'Afrique sub-saharienne mais aussi et surtout égyptienne et tunisienne - respectivement 1 million et 500 000 personnes).

Le régime Kadhafiste avait mis en place une sorte d'état-providence fondé à la fois sur la coercition, le clientélisme, la négociation et la redistribution, dans lequel les chefs de clan jouaient un rôle important.

En matière de redistribution de la rente pétrolière , le gouvernement issu de la révolution a quant à lui décidé de l'augmentation (de 64% en moyenne) des salaires de la fonction publique et de la distribution de primes (anciens combattants, prime par famille pour le 1 er anniversaire de la révolution, prime par famille pour le 2 ème anniversaire de la révolution...).

Les subventions aux prix, déjà pratiquées par l'ancien régime, (énergie, carburant, produits de consommation de base) représentent désormais plus de 20% des dépenses budgétaires totales (contre 15% en 2010). De nouvelles mesures sociales ont été prises, comme des allocations familiales ou des pensions mensuelles pour les anciens combattants.

Dans ce pays disposant pourtant de ressources naturelles, le développement des infrastructures est aujourd'hui à l'arrêt. Aucun des grands chantiers suspendus n'a encore repris, et aucun nouveau grand projet n'a été lancé en dehors des secteurs des télécommunications et de l'électricité.

Pire, la production pétrolière, qui avait brièvement retrouvé son niveau de 2010, est aujourd'hui affectée par une conjonction d'incidents (grèves, incidents sécuritaires entre milices, défaut d'entretien sur certaines installations...) qui limitent l'extraction à moins d'un million de barils par jour).

De l'avis de certains experts, le risque d'une interruption prolongée de la production pétrolière, en raison d'incidents sécuritaires, techniques ou d'accidents industriels, apparait aujourd'hui important. Elle a déjà entraîné la diminution des recettes de l'État libyen.

(4) Le spectre d'un éclatement libyen

La Libye est au carrefour entre la Méditerranée et le Sahara, entre le Maghreb et le Mashrek, entre l'Afrique du nord et l'Afrique noire, et, de création récente, comme la plupart des États de la région, elle réunit des régions que bien des choses séparent.

Alors qu'elle plonge profondément dans l'Afrique et le Sahara, elle appartient aussi aux sphères maghrébine et levantine : d'ailleurs, dans l'administration française, elle relève traditionnellement du ressort de la direction géographique « Afrique du nord et Moyen-Orient », et non pas de la direction « Afrique et océan indien ».

Au plan culturel et historique, la Cyrénaïque , sous influence phénicienne à l'ère pré-islamique, se rattache à l'Égypte voisine, tandis que la Tripolitaine , jadis sous influence grecque, fait partie du Maghreb.

Ces deux grandes régions, séparées par un espace désertique, ont des spécificités propres, et disposent d'ailleurs de leurs propres sites de production et de transport d'hydrocarbures.

Le risque de scission s'est exprimé dès le 6 mars 2012, lorsque 3 000 délégués de la Cyrénaïque réunis en Congrès ont tenté de s'autonomiser. Le modèle fédéral pourrait à cet égard être considéré par certains comme un objectif politique, et il existe au sein de la population à l'Est un réel désir de décentralisation et de rééquilibrage dans la redistribution des ressources. Dans ce contexte, le gouvernement a annoncé le 5 juin une relocalisation des sièges sociaux de 4 compagnies pétrolières de Tripoli à Benghazi. C'est aujourd'hui la situation sécuritaire à Benghazi, très dégradée, qui est toutefois le principal sujet d'inquiétude.

Le Fezzan est la région du sud libyen, à la frontière avec l'Algérie, le Niger et le Tchad, riche en pétrole mais souffrant de sous-développement par rapport au reste du pays, et qui abrite notamment les communautés Touareg, Fazzani et Toubou.

Pendant la révolution, les instances du Conseil national de la transition et son bras armé dans la région (les milices de Zintan) ont considéré le Fezzan comme un bastion pro-Kadhafi, ouvrant la voie à des règlements de compte après la chute du régime et à une élévation durable du niveau de violence (attaque contre les Touaregs à Ghadamès en mai 2012), dans un contexte où les communautés Touareg, Toubous et Fazzanis sont traditionnellement discriminées en Libye. Dans ce contexte, la chute du régime a favorisé la naissance d'un mouvement autonomiste au Fezzan . Plusieurs experts rencontrés par vos rapporteurs ont mis en avant la constitution (autour de milices mais aussi du général touareg proche de Kadhafi Ali Kana réfugié en dehors du territoire libyen) d'une mouvance fédéraliste ou autonomiste au Sud. Cette région, siège de tous les trafics (migrants et armes, en particulier) est aujourd'hui un véritable « trou noir » sécuritaire.

C'est l'incapacité de l'Etat à contrôler ses frontières sahariennes (Algérie, Niger et Tchad) qui explique aujourd'hui la constitution d'un « trou noir » sécuritaire au Fezzan, autour du triangle Oubari-Sebha-Mourzouk.

Des violences ethniques et tribales ont régulièrement lieu en Libye. Elles opposent le plus souvent des groupes rivaux sur fond de conflits fonciers anciens, de contrôle des routes commerciales vers les frontières (rackets des personnes et des biens, contrebande et flux illicites de stupéfiants, d'armes et d'êtres humains...). Ces conflits dégénèrent facilement en raison de la prolifération des armes de toutes catégories et des réflexes de solidarité familiale, clanique, tribale ou ethnique. Enfin, ces différends sont souvent combinés à des règlements de comptes et vengeances liés aux positions respectivement adoptées durant la Révolution.

c) Le « chaos » sécuritaire fait de la Libye un refuge idéal pour les terroristes
(1) Un système éclaté de milices dont toutes n'ont pas fait allégeance au nouveau pouvoir

On compterait jusqu'à 300 milices et brigades révolutionnaires Thowars ») présentes sur le sol libyen.

La Commission des anciens combattants libyenne a évalué à près de 300 000 le nombre de miliciens dans ce pays de 6 millions d'habitants.

La question du désarmement des milices et de leur intégration dans les forces armées et de sécurité est naturellement un enjeu majeur pour la transition. On peut schématiquement les classer en quatre catégories 75 ( * ) :


• Les brigades révolutionnaires : créées au début de la révolution pour porter et défendre les idéaux de liberté, elles sont structurées, réparties géographiquement sur l'ensemble du territoire, et sont pour la plupart fédérées autour des conseils militaires et affiliées au gouvernement ;


• Les brigades non affiliées : apparues pendant la révolution, elles sont le plus souvent attachées à une seule ville et tournées vers la défense de leurs propres intérêts locaux ;


• Les brigades post-révolutionnaires : créées après la révolution, elles ont servi à combler le vide sécuritaire institutionnel. Ce sont les « brigades de quartier » qui assurent bien souvent des missions traditionnellement dévolues à la police telles que les contrôles aux « check-points » ;


• Les milices illégitimes : elles ont pour objectif majeur d'organiser les trafics (armes, migrants, stupéfiants, contrebande...). En ce sens elles ont détourné l'objet des milices « légitimes », défini comme un « service militaire ».

Largement paralysé, le pouvoir central a adopté une politique paradoxale : tout en annonçant sa volonté de désarmer les brigades , il a encouragé en parallèle leur action pour projeter son autorité et faire face au défi sécuritaire. Cette autonomie des brigades se décline surtout autour des deux principales organisations à qui le CNT a délégué la sécurité en Libye aujourd'hui, le Comité suprême de sécurité (qui dépend du ministère de l'Intérieur) et les forces du « Bouclier de la Libye » (relevant de la Défense). Ces deux organisations, par leurs partis-pris et leur latitude d'action (elles seraient responsables d'affrontements avec les Toubous dans le Sud, et des incidents de Benghazi en juin dernier), attisent aujourd'hui les frustrations d'une population excédée par l'insécurité.

Schématiquement, on peut dire qu'en Tripolitaine , les milices (une centaine environ) ont pour la plupart prêté allégeance au gouvernement, même si elles semblent difficiles à contrôler, comme en témoignent les incidents sécuritaires à Tripoli, Bani Walid ou Syrte par exemple. Pour la plupart, tout en conservant leurs armes et leurs structures de commandement, elles ont pourtant choisi de rallier les structures de la transition mises en place par les autorités. En revanche, en Cyrénaïque , la situation est plus complexe. En l'absence de forces de sécurité régulières, certaines brigades comme Ansar al Charia profitent d'une large liberté d'action. Très investies dans le secteur sécuritaire, mais aussi social, elles refusent d'être démobilisées et sont dans une logique de confrontation avec les autorités. Certains chefs de ces milices ont une dimension idéologique réelle et un agenda radical clairement affiché : celui d'une lutte armée pour une autonomisation de la Cyrénaïque visant à l'application d'un islamisme radical.

De l'avis des experts, le mouvement du 17 février, qui a porté la révolution, comportait aussi indéniablement une composante de radicalisation islamiste. Il a, à tout le moins, permis l'affirmation politique et militaire des salafistes libyens dans le paysage politique. La participation du GICL (groupe islamique combattant libyen 76 ( * ) , désormais dissous, fondé dans les années 1990 par des Libyens combattants les Soviétiques en Afghanistan), à la révolution aux côtés des forces rebelles a permis l'implantation de groupes et de méthodes insurrectionnelles voire terroristes : certains rappellent 77 ( * ) ainsi qu'après la chute de Benghazi, le drapeau d'Al Qaïda flottait sur le toit de la Cour de justice.... Le chef de l'ancien GICL fut d'ailleurs nommé commandant militaire de la zone de Tripoli par le Conseil national de transition.

Plusieurs articles et études 78 ( * ) documentent le fait que le couloir allant de Benghazi à Tobrouk, en passant par la ville de Derna, représente de longue date l'une des plus grandes concentrations au monde de terroristes, et « peut être considérée comme la première source de candidats à l'attentat kamikaze, tous pays confondus 79 ( * ) ». S'agissant de la guerre d'Irak, Derna, « avec une proportion de 1 combattant terroriste envoyé en Irak pour 1 000 à 1 500 habitants », est ainsi décrite comme « le paradis des kamikazes », dépassant de loin son compétiteur le plus proche, à savoir Riyad, en Arabie Saoudite.

Les mouvements islamistes armés étaient à la pointe de la lutte contre le régime autocratique de Kadhafi.

Le rôle des mouvements islamistes armés dans la lutte contre Kadhafi

Des mouvements islamistes armés ont également surgi dans la société de Kadhafi. Issus de la guerre en Afghanistan -1979, début des années 80 -, ces vétérans soudainement sans mission sont revenus en Libye pour former de petits groupes.

Tout comme les Frères musulmans, leur nombre explose aussi durant les années 90, au cours desquelles ils mènent une guerre de guerrilla contre Kadhafi. Celui-ci est alors le premier à lancer en 1995 un mandat d'arrêt international contre Ben Laden !

Le combat de ces islamistes armés va se prolonger jusqu'au milieu des années 2000. Dans ce combat, les Frères musulmans leur prêtent main forte.

En 2003, Seif El Islam, le deuxième fils de Kadhafi, actuellement aux mains de la milice de Zentan, au nom d'une réconciliation - pratiquée par d'autres pays -, fait libérer des islamistes. Il souhaitait en faire des alliés.

En dépit de cette réconciliation, certains d'entre eux portent allégeance en 2006 à Al Qaeda. C'est le cas de certains chefs, tels que :

. Abdulhakim Belhaj ; Abou Yahya al-Libi (numéro deux d'Al Qaeda, de son vrai nom, Mohamed Hassan Qaïd, tué au Pakistan par un drone américain en juin 2011) ; Sufian al-Quma, le chauffeur personnel d'Oussama Ben Laden et Abdul Hakim el-Hasadi qui a combattu en Afghanistan avant de rejoindre l'insurrection libyenne.

Source : Tribune d'Hélène Bravin (auteur du livre : «Kadhafi, vie et mort d'un dictateur»), http://www.rue89.com/2013/02/17/la-libye-senlise-dans-la-violence-des-milices-239705

De l'avis de certains spécialistes, aujourd'hui la majorité des milices au moins est totalement incontrôlable, en particulier à l'Est du pays.

D'autres estiment même que certaines seraient d'ores et déjà alliées à Al Quaïda (Ansar Al Charia Benghazi et Ansar Al Charia Derna sont les plus fréquemment citées 80 ( * ) ). Ansar Al Charia de Benghazi est parfois soupçonnée d'être impliquée dans l'attaque du consulat américain de septembre 2012. Ansar Al Charia de Derna est dirigée par un ancien détenu de Guantanamo, Abou Sufyan bin Qumu, transféré en Libye en 2007 puis libéré en 2010.

Bien que le Congrès national ait pris la décision de charger le gouvernement de procéder à l'intégration des groupes armés qui ne lui seraient pas encore affilés, et que la création d'une Garde nationale destinée à les incorporer soit envisagée à cette fin, force est de constater que les résultats recherchés sont loin d'être atteints à l'heure actuelle.

(2) Une incapacité des autorités libyennes à assurer la sécurité dans un contexte d'attentats contre les intérêts occidentaux

Près de deux ans après la chute du régime Kadhafi en octobre 2011, la société libyenne reste marquée par une violence latente qui donne lieu à des incidents sécuritaires de plus en plus fréquents. La situation est marquée par la prolifération des armes de tous calibres, la présence envahissante des milices armées qui « règnent » souvent sur des quartiers voire des portions entières du territoire, leur réticence à intégrer les cadres des ministères de la Défense et de l'Intérieur, les difficultés rencontrées par les autorités pour procéder au redéploiement des forces de sécurité.

La dégradation de la situation sécuritaire est patente à l'Est comme au Sud du pays.

Dans l'Est de la Libye, et notamment à Benghazi, les incidents se multiplient ces dernières semaines. Divers courants y sont en compétition : autonomistes, salafistes, combattants « djihadistes » pratiquant la lutte armée, trafiquants, milices...

La presse fait état au quotidien d'incidents à Benghazi ces dernières semaines , depuis l'explosion d'un véhicule devant l'hôpital Al Jalaa le 13 mai, l'attaque d'un « check-point » le 17 mai, ou celle contre une patrouille le 29 mai. Le 8 juin dernier, des dizaines de manifestants, dont certains armés, ont tenté de déloger la brigade « Bouclier de Libye » de sa caserne, provoquant un affrontement entre les deux groupes, faisant une trentaine de victimes. Six militaires des unités spéciales de l'armée libyenne ont été tués le 15 juin 2013 en différents endroits de Benghazi, suite à des attaques perpétrées par des hommes armés contre plusieurs casernes du ministère de la défense et de la direction de la sécurité nationale. En conséquence, l'aéroport international de Benghazi a été fermé pendant plusieurs heures 81 ( * ) .

De l'avis de certains experts entendus, l'État libyen ne serait pas capable aujourd'hui d'assurer la sécurité sur un territoire trois fois grand comme la France. Son autorité serait virtuelle, la sécurité étant aux mains des milices, dont certaines accueilleraient des ex-combattants du GICL, voire des combattants d'Al-Qaida. Le contrôle aux frontières serait inexistant, notamment à la frontière nigérienne, à moins d'une quinzaine d'heures de route de Tripoli : concrètement, il n'existerait aujourd'hui aucune force de sécurité capable d'intercepter les « pick-up » lourdement armés qui se dirigent vers le sud et la fameuse passe de Salvador .

Les intérêts occidentaux sont directement menacés.

L'attentat contre notre ambassade à Tripoli , qui a blessé deux agents dont l'un grièvement, est venu démontrer l'incapacité des services de sécurité libyens à faire face à la montée de la menace. Elle fait suite non seulement à l'attaque contre l'antenne diplomatique américaine de Benghazi qui, le 11 septembre 2012, a entraîné la mort de l'Ambassadeur Chris Stevens et de trois de ses collaborateurs américains , mais à toute une série d'incidents sécuritaires et d'attentats contre les représentants étrangers : le Représentant spécial des Nations unies , dont le convoi a été visé par une cartouche d'explosif en avril 2012, l'ambassadeur britannique, dont le véhicule de sécurité a été atteint en juin 2012 par une roquette, les attentats contre le CICR à Benghazi puis à Misrata (mai puis août 2012), la voiture de l'ambassadeur de France, atteint par une balle en décembre 2012, le Consul d'Italie à Benghazi dont le véhicule a été atteint par une rafale de fusil d'assaut en janvier 2013, l'explosion devant l'ambassade de Grèce à Tripoli en mai 2013....

Sur place, des parallèles sont régulièrement effectués entre la situation sécuritaire à Benghazi et celle prévalant en Irak en 2003-2004 .

Recommandation : Face à la menace avérée, vos rapporteurs ne peuvent qu'encourager le gouvernement à relocaliser au plus vite l'ensemble des services de l'Ambassade de France à Tripoli et des logements de ses personnels et à les regrouper sur un site sécurisé.

Si vos rapporteurs ne peuvent que comprendre et appuyer la décision du gouvernement de rétracter notre dispositif diplomatique en Libye (et les moyens de notre coopération, civile comme militaire), compte tenu du contexte sécuritaire, ils soulignent toutefois que cela n'oeuvre sans doute pas, dans le long terme, en faveur d'une construction des capacités propres du gouvernement libyen.

C'est là toute la difficulté de la situation actuelle.

(3) Une configuration libyenne propice à une implantation potentielle d'AQMI

Contrairement à l'Égypte ou à la Tunisie, les élections ont porté au pouvoir, en Libye, après la révolution, les forces tribales traditionnelles , qui ont un temps fait écran à la montée des radicalismes .

Dans un contexte de dissémination de l'arsenal des armes Kadhafistes, et de montée des trafics, et face à l'incapacité des nouvelles autorités à établir un état de droit , à déployer les services publics et à assurer la sécurité, ces forces semblent désormais prendre le dessus : la Libye est en train de devenir un terreau favorable pour un nouvel enkystement terroriste au Sahel.

Le vide du pouvoir et la passivité des autorités en termes de sécurité profitent en effet aux extrémistes.

Plusieurs experts estiment 82 ( * ) que la révolution libyenne a pu offrir une opportunité opérationnelle à AQMI d'étendre son champ d'action. Sans doute aussi qu'en « prévision » de l'intervention armée au Mali, « planifiée » dès mi 2012 dans la cadre de la préparation de la résolution 2085 (intervention des forces africaines de la CEDEAO au Mali), l'organisation a développé une stratégie délibérée d'implantation à l'Est (comme, autrefois, l'organisation algérienne issue du GSPC avait planifié son extension au Sud, vers le Mali).

Cette stratégie délibérée d'implantation est notamment décrite en ces termes dans un article 83 ( * ) récent citant des « sources locales » :

Fin 2011, les deux principales figures d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Nord-Mali, les Algériens Mokhtar Bel Mokhtar et Abou Zeid, arrivent dans la province libyenne du Fezzan. Grâce aux prises d'otages et aux rançons versées par les pays occidentaux - notamment la France -, ils ont amassé quelque 60 millions d'euros. Véhicules, lance-roquettes, missiles, fausses cartes d'identité... Ils achètent à tour de bras. « Y compris des véhicules blindés de transport de troupes à 250 000 dinars [155 000 euros, NDLR] pièce », précise une source locale

Abou Zeid repart, mais Mokhtar Bel Mokhtar reste. Pendant plusieurs semaines, il s'installe discrètement, avec son escorte armée, chez un ami qui possède un domaine agricole près d'Oubari, dans le sud-ouest du pays. Il pousse même la « promenade » jusqu'à la Méditerranée, du côté de Benghazi. Ancien d'Afghanistan, le chef djihadiste retrouve en Libye d'autres vétérans.

La question de savoir si la « greffe » d'AQMI au Sud et à l'Est libyen a pris, ou si elle est susceptible de prendre, est débattue parmi les chercheurs et experts rencontrés (tout comme est encore incertain le trajet suivi par Mokhtar Bel Mokhtar pour attaquer le site d'In Amenas : venait-il de Libye ou du Nord Mali 84 ( * ) ? La même question semble se poser pour les attaques d'Arlit et Agadez).

Certains estiment qu'il y aurait déjà une implantation avancée d'AQMI, d'autres estiment que l'organisation terroriste n'en serait qu'au stade des complicités logistiques avec d'autres groupes armés libyens qui leur offriraient, en échange de financements, des facilités dans leurs camps d'entraînement ou la possibilité d'un repli dans certaines zones par exemple.... Si certains considèrent l'implantation d'AQMI comme acquise, d'autres jugent qu'il ne faut pas sous-estimer la capacité des milices libyennes à développer leur propre agenda, non plus que leur réticence à se soumettre à une organisation perçue comme « algérienne » dans son encadrement.

De même, peut-on considérer aujourd'hui qu'une passerelle idéologique et organisationnelle existe entre le foyer d'islamisme radical qui se développe en Cyrénaïque et le trou noir sécuritaire du Fezzan ? Existe-t-il une action concertée de groupes qui poursuivraient le dessein de « djihad global » qui est celui d'Al Qaida ? Il est difficile, là encore, d'avoir, à l'heure qu'il est, une certitude en la matière.

La question du degré d'implantation d'Al Qaida en Libye n'est peut-être, au fond, qu'une question de temps : même si aujourd'hui la Cyrénaïque n'est qu'une terre de recrutement ou d'alliances avec des milices locales partageant le même objectif d'instauration d'un « califat » islamiste, même si aujourd'hui le Fezzan n'est qu'une base arrière par rapport à l'implantation principale du Nord Mali, tôt ou tard, sans action résolue pour y mettre un frein, le cancer terroriste y prolifèrera.

Car ce qui est certain, c'est que l'Est et le Sud libyen possèdent les caractéristiques « idéales », à l'instar du Nord Mali il y a quelques années, d'une zone molle propice à la constitution d'un sanctuaire terroriste :

- Les milices armées y prospèrent, certaines avec un agenda islamiste radical ;

- Des figures charismatiques du terrorisme s'y trouvent, anciens d'Afghanistan ou de Guantanamo, auréolées par la gloire de la lutte anti-Kadhafi, et ont réussi à territorialiser leur zone d'influence. Il faut noter par ailleurs que plusieurs Libyens ont par le passé tenu des postes importants auprès des chefs de l'organisation Al Qaida (central) ;

- Les trafics y prospèrent et les armes y circulent en nombre . Les trafics concernent tant la drogue, que les armes et les migrants ; ils semblent contrôlés à l'ouest par certains Touaregs, et à l'Est, vers le massif du Tibesti et les confins du Tchad, par des Toubous ; les armes suivent un courant descendant (depuis les anciens arsenaux Kadhafistes vers le Mali, voire le Tchad et le Nigéria), la drogue (cannabis plus que cocaïne en l'espèce) un flux ascendant, pour remonter via Tazurbu vers Derna puis vers les marchés de consommation (Europe ou Moyen-Orient) ; quant aux migrants sub-sahéliens , ils passent par le « triangle noir » du Fezzan (Oubari-Sheba-Mourzouk) pour remonter désormais en plus grande proportion qu'avant vers les ports de la Méditerranée puis vers Lampedusa ou Malte ;

- L'État n'est pas en mesure d'assurer la sécurité ni de contrôler ses frontières : le sud libyen en particulier est un vaste espace où les terroristes et les trafiquants sont libres de leurs mouvements et peuvent y trouver refuge, par la passe de Salvador (depuis et vers le Mali via le Niger) voire la passe d'Anaï à l'Est de Djanet (depuis et vers l'Algérie) ;

- En Cyrénaïque et au Fezzan, des mouvements autonomistes existent qui pourraient être utilisés ;

- Les richesses du sous-sol (gaz, pétrole) attisent les convoitises et procurent des rentes locales ;

- La radicalisation islamiste , fruit des années Kadhafi, se poursuit, dans l'effet de souffle des crises malienne et syrienne, qui fonctionnent comme de véritables appels d'air. À cet égard, le nombre de combattants libyens rejoignant la Syrie apparait préoccupant.

A ce sombre tableau, il faut ajouter un dernier élément : notre degré de connaissance n'est peut-être pas aussi bon s'agissant de la Libye que dans le cas malien. Sous l'effet conjugué de notre connaissance ancienne de l'Afrique de l'Ouest, et de nos points d'appui militaires à proximité, mais aussi poussés par la nécessité de retrouver nos otages , nous avons développé, s'agissant du Mali, une connaissance des hommes et du terrain et accumulé une somme de renseignements qui expliquent en partie la remarquable efficacité de l'opération Serval.

Pour l'heure, une intervention armée en Libye est exclue, comme l'a clairement indiqué le Président de la République.

Il semble pour autant indispensable d'accroitre notre niveau de connaissance de la situation complexe qui est aujourd'hui celle de la Libye.

Suggestions : 1- Nous n'avons pas le même niveau de connaissance sur la Libye que sur d'autres États de la zone. Nous devons en tout premier lieu améliorer notre connaissance de la situation mouvante sur le terrain , et notre compréhension fine des évolutions qui s'y observent. Des études et une réflexion sont nécessaires à tous les niveaux : SGDSN, ministère des Affaires étrangères, ministère de la Défense, ministère de l'Intérieur, think tanks, recherche académique, Parlement...

2- La France doit prendre l'initiative d'organiser, avec les Nations unies -et sans doute en collaboration avec nos partenaires britanniques et italiens- un évènement de haut niveau pour sensibiliser la communauté internationale au problème libyen, comme ce fut le cas pour le Mali en septembre 2012. Car le problème est devant nous.

3- Notre couverture de ces zones est aujourd'hui imparfaite ; les efforts en cours pour l'améliorer (drones, forces spéciales, renseignement...) doivent être redoublés, en coopération avec l'État libyen et les États de la région.

(4) La Libye, potentielle plaque tournante articulant crises malienne et syrienne

La particularité de la Libye est que sont susceptibles de s'y rejoindre les crises malienne et syrienne. En Libye s'opère le couplage entre montée du terrorisme au Maghreb, au Mashrek, au Moyen-orient et en Afrique sub-saharienne.

Plusieurs facteurs doivent être relevés :

. La sensibilité très forte de la Libye à l'évolution en Égypte . L'Égypte constitue la profondeur stratégique de la Libye, et vice-versa. Ce qui se passe en Égypte a des répercussions inévitables en Libye, qui accueille un million d'Égyptiens sur son sol ;

. Le couplage avec le Moyen-Orient, qui s'opère via la participation de combattants libyens à la crise syrienne . L'affaire du navire « Lutfallah », parti de Libye et arraisonné en avril 2012 au large du Liban, avec à son bord trois containers d'armes en provenance de Libye et destinés à la rébellion syrienne 85 ( * ) , a bien montré l'ampleur des connexions qui existent. Tout comme paraît, d'ailleurs, sensiblement poreuse la frontière entre la Turquie et la Syrie.

La diagonale Derna-Oubari , entre la Cyrénaïque et les frontières sahéliennes du Sud-Ouest, constituerait un itinéraire régulièrement emprunté par des groupes très mobiles effectuant la jonction entre les théâtres maliens et syriens (via Benghazi).

Une étude récente 86 ( * ) , portant sur 280 volontaires étrangers tués en combattant en Syrie aux côtés de la rébellion entre juillet 2012 et mai 2013, et se basant sur des sources ouvertes (avis de décès publiés sur internet) montre que le plus important contingent venait de Libye : « Avec 59 morts, le contingent libyen est le plus important, suivi à égalité par les Saoudiens (44 tués, soit 15,7%) et les Tunisiens (44 tués également). Viennent ensuite les Jordaniens (32 morts), les Égyptiens (27) et les Libanais (22). »

d) Des réponses pour l'heure inefficaces, faute de volonté ou d'interlocuteurs sur lesquels s'appuyer
(1) La mission d'appui des Nations unies, la MANUL

Après l'intervention en Libye sur le fondement de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, l'ONU a opté, pour soutenir la transition, pour une mission politique spéciale disposant d'un fort volet d'assistance technique (mais pas de volet opérationnel : ce n'est pas une opération de maintien de la paix).

Le 16 septembre 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé, par le vote de la résolution 2009, de la mise en place d'une Mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL), dont le mandat a été renouvelé en mars 2012.

Mandat de la MANUL dans la résolution 2009

a) Rétablir l'ordre et la sécurité publics et promouvoir l'état de droit ;

b) Entamer une concertation politique sans exclusive, encourager la réconciliation nationale, et lancer la rédaction de la constitution et le processus électoral ;

c) Étendre l'autorité de l'État, notamment en renforçant les institutions responsabilisées qui commencent à se constituer et en rétablissant les services publics ;

d) Défendre et protéger les droits de l'homme, notamment ceux des personnes appartenant à des groupes vulnérables, et soutenir la justice transitionnelle ;

e) Prendre les mesures immédiates voulues pour relancer l'économie ;

f) Coordonner l'appui qui pourrait le cas échéant être demandé à d'autres intervenants multilatéraux et bilatéraux.

Lors de sa prolongation, le mandat de la MANUL a été recentré sur le soutien au processus électoral , tandis que l'appui aux autorités libyennes dans le domaine des droits de l'homme, de l'État de droit, de la justice transitionnelle, de la restauration de la sécurité et de la lutte contre la dissémination illicite d'armes étaient confirmés comme des priorités.

La MANUL rencontre, dans le contexte analysé ci-dessus, des difficultés à atteindre ses objectifs. Le rapport présenté par Tarek MITRI, représentant spécial de l'ONU et chef de la MANUL, devant le Conseil de Sécurité des Nations unies le 18 juin dernier est assez lucide à cet égard.

(2) Le processus de la « Conférence de Paris » et son suivi

À l'initiative notamment de la France, dix pays et six organisations internationales ou régionales 87 ( * ) se sont réunies à Paris le 12 février 2013 pour dégager des propositions concrètes d'assistance au gouvernement libyen dans les domaines de la sécurité, de la justice et de l'État de droit.

Cette réunion a décidé de la création d'un groupe de suivi pour s'assurer de la mise en oeuvre des projets annoncés. Une prochaine réunion au niveau ministériel du processus de la conférence de Paris devrait avoir lieu sans doute à Rome .

Conférence ministérielle internationale de soutien à la Libye dans les domaines de la sécurité, de la justice et de l'état de droit, Paris, 12 février 2013, communiqué final

1. Le Gouvernement de l'État de Libye et ses partenaires internationaux se sont réunis aujourd'hui à Paris pour renouveler leur engagement en faveur du peuple libyen et de ses aspirations à bâtir un État moderne, démocratique et responsable, doté d'un régime, d'institutions et de pratiques solidement ancrés dans un État de droit et respectueux des droits de l'homme. (...)

4. Les participants à la Conférence sont cependant convenus qu'il est nécessaire que la Libye et ses partenaires agissent immédiatement, de manière visible et concrète, pour remédier en priorité aux problèmes dans le domaine de la sécurité et de la justice qui sont susceptibles de compromettre les mesures prises récemment par la Libye pour assurer une transition démocratique couronnée de succès et un avenir prospère. Il s'agit notamment de la situation dans le pays en termes de sécurité, de la sécurité et de la gestion des frontières de la Libye, du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion des anciens combattants révolutionnaires et des questions liées à la gestion des armes et des munitions. (...)

9. Le Gouvernement libyen a identifié six domaines prioritaires du secteur de la sécurité, notamment : i) la coordination et l'architecture de la sécurité nationale ; ii) le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (DDR) ; iii) le contrôle des armes et des munitions ; iv) la sécurité et la gestion des frontières ; v) la réforme et le développement du secteur de la défense ; et vi) la réforme et le développement du secteur de la police.(...).

La France a montré de son côté sa disponibilité pour aider les autorités libyennes, qu'il s'agisse d'un projet de formation de 3 000 policiers libyens à la gestion démocratique des foules (accord en attente d'approbation côté libyen), de la gestion des anciens combattants, ou de la justice pénale. Le ministre de l'intérieur a en particulier identifié plusieurs axes de coopération : la protection des hautes personnalités, le contrôle de l'immigration et la sécurité civile.

Pour la mise en oeuvre de toutes ces actions, la France se heurte toutefois tant à une instabilité et à des blocages administratifs côté libyen, qu'à une dégradation du contexte sécuritaire.

(3) La mission d'assistance pour le contrôle aux frontières de l'Union européenne, EUBAM Libye

L'Union européenne a mis en place une mission d'assistance pour une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM Libye), qui a été formellement lancée par la décision du Conseil du 27 mai 2013.

L'objectif de la mission EUBAM Libye est d'aider les autorités libyennes à développer leurs capacités pour améliorer la sécurité de leurs frontières terrestres , maritimes et aériennes à court terme et à élaborer une stratégie plus vaste de gestion intégrée des frontières à long terme.

EUBAM Libye n'exerce pas de fonction exécutive. Elle consiste en un transfert de savoir-faire . Dans la pratique, le travail consiste à former et à guider les autorités libyennes afin qu'elles renforcent les services frontaliers, en conformité avec les normes internationales et les meilleures pratiques, et à les conseiller sur l'élaboration d'une stratégie nationale de gestion intégrée des frontières.

Le mandat initial de la mission EUBAM Libye est de deux ans ; son siège est à Tripoli. Le budget annuel de la mission est d'environ 30 millions d'euros . Lorsqu'elle fonctionnera au maximum de sa capacité, la mission comptera un peu plus de 100 agents internationaux . Un noyau d'experts était sur le terrain et réalisait des travaux préparatoires pour la mission en étroite coordination avec les autorités libyennes depuis la mi-avril 2013.

Outre le fait qu'il aura fallu plus de deux ans pour la mettre en place 88 ( * ) , cette mission a toutefois rencontré deux types de difficultés.

D'une part, alors qu'une équipe préparatoire restreinte était déjà présente à Tripoli pour préparer le lancement formel de la mission et assurer la continuité de la présence de l'Union européenne en matière de gestion des frontières, après une mission d'assistance technique déployée mi-mars, cette équipe a dû regagner Bruxelles, en raison d'un manque de base juridique entre la fin des mesures préparatoires (20 mai) et la décision de lancement de la mission (27 mai). Cet épisode (anecdotique) est néanmoins fâcheux en ce qu'il témoigne peut être d'une absence de volonté politique unanimement partagée par les 27. D'ailleurs on ne peut que s'interroger sur le fait qu'elle ne se déploie pas sur le territoire libyen, en particulier vers le Sud.

La deuxième difficulté tient, là aussi, aux interlocuteurs coté libyen. La loi d'isolement politique est susceptible d'avoir un impact sur le déroulement opérationnel de la mission dans la mesure où compte tenu du spectre très large des personnes potentiellement concernées, les interlocuteurs avec lesquels les missions préparatoires puis les éléments précurseurs de la mission EUBAM Libye ont travaillé jusqu'à présent peuvent disparaître, remettant en cause le travail débuté.

(4) Des coopérations régionales balbutiantes

Les coopérations régionales, particulièrement importantes en ce qui concerne la gestion des frontières , sont balbutiantes.

Un accord a été conclu à Ghadamès le 12 janvier 2013 entre les Premiers Ministres libyen, algérien et tunisien , avec pour objectif d'améliorer la sécurité frontalière, d'endiguer le trafic des personnes, des drogues et de lutter contre les infiltrations terroristes.

La rencontre de Ghadamès a permis de décider d'une série de mesures comprenant : des points de contrôle communs aux frontières, des patrouilles conjointes, l'échange d'informations au sujet des mouvements dans les zones frontières et des rencontres régulières des organes de sécurité de chacun des trois pays. Un comité tripartite doit être instauré pour la mise en application de ces décisions. Il proposera des recommandations pour les trois gouvernements à l'occasion de leur prochaine réunion qui fera le point sur le suivi des décisions.

Une autre réunion s'est tenue à Tripoli les 11 et 12 mars 2012 avec neuf pays maghrébins et sahéliens (Algérie, Égypte, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Soudan, Tchad et Tunisie). Une deuxième réunion devrait être organisée sur le même format.

Pour l'instant, ces mécanismes ne sont pas encore réellement opérationnels.

On peut en outre craindre que la coopération entre le Niger et la Libye ne se développe pas suffisamment en matière de contrôle des frontières, faute sans doute de moyens, mais aussi peut-être compte tenu d'irritants récents (citons à titre d'exemple la question de l'extradition de Saadi Kadhafi du Niger vers la Libye ou les déclarations récentes du président ISSOUFOU -fraîchement accueillies à Tripoli, et démenties- sur le développement d'un risque terroriste au sud Libye).

(5) Une coopération envisagée avec l'OTAN ?

L'Alliance atlantique préparerait également une mission de formation et d'assistance pour l'armée et les forces de sécurité libyennes.

Une équipe d'experts de l'OTAN a été dépêchée sur place en juin pour identifier les domaines dans lesquels des conseils de l'OTAN pourraient apporter une valeur ajoutée, suivant trois principes :

- une « forte appropriation » par le pouvoir libyen ;

- des conseils dans les domaines où l'OTAN a une expertise, comme la création de structures de sécurité ;

- et l'absence de déploiement de troupes de l'OTAN en Libye (les formations pourraient avoir lieu en dehors du territoire).

Plus précisément, l'action de l'OTAN pourrait porter sur la formation de la Garde nationale destinée à incorporer les différentes milices libyennes. Il conviendra en tout état de cause qu'elle soit, le cas échéant, bien articulée avec la mission européenne.

3. Des pays fragilisés par ces ondes de chocs multiples : Niger, Mauritanie, Tchad, Tunisie
a) Le Niger subit de plein fouet les crises à ses confins

Le Niger subit de plein fouet les répercussions de plusieurs crises à ses frontières : Libye, Mali, Nigéria. Frappé depuis plusieurs années par le développement du terrorisme, contre lequel il a mené une action résolue en pleine coopération avec la France, il dispose en outre d'une très importante communauté touarègue.

C'est bien sûr au premier chef la crise malienne qui impacte le Niger, du fait de la grande proximité entre ces deux pays, en termes d'histoire mais aussi de peuplement. À Gao, dans le bassin du fleuve Niger, on regarde naturellement vers Niamey, à quelques centaines de kilomètres seulement, de même qu'à Tombouctou on regarde vers l'ouest mauritanien ou à Kidal vers le nord algérien.

Même s'il existe des différences réelles entre la situation des Touaregs au Niger et au Mali, attestées par la capacité du Niger à insérer des Touaregs à de hauts postes de responsabilité et aux différents échelons de la société, et à conserver la paix civile depuis la fin de la dernière rébellion en 2006-2009, il va de soi que, compte tenu en particulier de la forte présence Touareg dans sa population, (il y a plus de Touaregs au Niger qu'au Mali), le Niger est particulièrement concerné par la crise Malienne et la question touarègue.

Après plusieurs années d'apaisement, la rébellion touareg est en effet réapparue au Niger en 2007 sous la conduite du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ). Ce mouvement a développé une revendication politique cristallisée, au-delà de l'identité touareg, sur l'absence de retombées de la manne uranifère et d'avancées réelles de la décentralisation. Après avoir infligé quelques revers aux Forces armées nigériennes en 2008, la rébellion armée n'a plus mené aucune action d'ampleur. Le mouvement s'est fractionné avec la création en mai 2008 du Front des forces de redressement (FFR) puis du Front patriotique nigérien (FPN) en mars 2009, confirmant le délitement du MNJ et l'affaiblissement du mouvement dans son ensemble. Après avoir longtemps privilégié l'option militaire (instauration d'un « état de mise en garde » dans la partie nord du pays, conférant un rôle prédominant aux forces armées), le président Tandja a finalement accepté d'engager des pourparlers sous l'égide de la Libye, entraînant progressivement le désarmement des 3 mouvements de rébellion en échange d'un décret d'amnistie général.

Outre l'accueil de réfugiés maliens sur son sol, la question d'une éventuelle contagion de la rébellion touareg est donc naturellement en toile de fond des préoccupations des dirigeants nigériens. Même si pour l'heure il est permis de ne pas avoir d'inquiétude particulière sur une reprise à court terme de la rébellion au Niger, dans un pays où les Touaregs, présents dans toutes les régions, mais plus encore autour d'Agadez, sont décrits comme bien intégrés à l'appareil d'état, cette question est particulièrement sensible.

La plus grande fluidité des rapports communautaires, de même que leur intégration élective est soulignée par la plupart des observateurs 89 ( * ) , non seulement au niveau central mais aussi régional (plusieurs citent l'exemple du Président du Conseil régional d'Agadez, Mohamed Anako, ancien chef rebelle).

Une importation au Niger de tensions intercommunautaires liées à la situation malienne, et principalement arabo-touareg, est possible. Les actions du Premier ministre Brigi RAFINI (touareg) et du ministre des Affaires étrangères Mohamed BAZOUM (arabe) à l'égard des communautés du nord peuvent naturellement constituer à cet égard des facteurs d'apaisement .

Les cicatrices de la crise libyenne sont toujours vives au Niger, autour notamment de la question Toubou et du développement du banditisme au Nord du pays, qui s'est récemment concrétisé par les attaques meurtrières d'Agadez et d'Arlit contre les forces armées nigériennes et les installations d'Areva.

Certains Touaregs nigériens sont préoccupés par la montée en puissance des Toubous sur le flanc est de la région d'Agadez, dans le cadre d'une rivalité traditionnelle entre ces deux communautés. Certains affirment que le regain d'insécurité que connaît la région s'accompagne d'une évolution des rapports de force intercommunautaires , au profit des Toubous dont certains disposeraient d'armes et de connexions en Libye, alors que les Touaregs auraient quant à eux presque tous été désarmés. En résulterait une augmentation du champ d'influence des Toubous, qui commencerait désormais dès Agadez. À la ligne de fracture principale que connaîtrait le Niger (Nord-Sud, sur le modèle malien), viendrait désormais s'ajouter une fracture Est-Ouest.

La société nigérienne est elle aussi traversée depuis plusieurs années par des courants d'islamisme radical . Ainsi, dès 2006 une étude 90 ( * ) mettait en lumière l'enracinement depuis les années 1980 du mouvement Izala (ou mouvement contre les innovations et pour le retour à l'orthodoxie), et son influence sur les jeunes en situation de chômage et les petits commerçants.

D'autres études mettent en avant l'émergence dès les années 1970 d'un islam influencé par le wahhabisme saoudien, véhiculé par des professeurs d'arabe et des prédicateurs. « Les premiers cercles wahhabites s'organisent dans la région de Maradi dans les années 1980 91 ( * ) ».

Mais c'est bien sûr, au premier plan, le développement du terrorisme , aux confins de la frontière libyenne, qui suscite le plus d'inquiétudes dans ce pays, et ce avant même l'intervention au Mali. La prise de conscience des autorités nigériennes est réelle, depuis plusieurs années, sur les dangers liés au risque terroriste.

Outre les trafics transfrontaliers qui traversent la région sahélo-saharienne, le Niger est confronté depuis plusieurs années à la menace terroriste représentée par AQMI . En témoignent les enlèvements par AQMI de l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies au Niger, M. Robert Fowler, et de son assistant, le 14 décembre 2008 à 40 km de Niamey, et de quatre touristes européens le 22 janvier 2009, à la frontière nigéro-malienne. Les évènements se sont depuis accélérés : tentative d'enlèvement de 4 ressortissants américains à Tahoua fin 2009, accrochage de l'armée nigérienne avec une cellule d'AQMI puis attaque suicide contre une garnison nigérienne en mars 2010, enlèvement le 20 avril 2010 près d'Agadèz d'un ressortissant français, Michel Germaneau, exécuté par ses ravisseurs au mois de juillet, enlèvement de 5 ressortissants français, d'un ressortissant togolais et d'un ressortissant malgache dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010 à Arlit au Niger, enlèvement le 7 janvier 2011 de deux ressortissants français à Niamey, tués le lendemain.

À cet égard, le massif de l'Aïr , forteresse naturelle qui n'est pas sans rappeler le massif des Ifoghas au Mali, pourrait devenir un jour un objectif stratégique pour AQMI, car il offre les mêmes caractéristiques et potentialités de cache et de sanctuarisation.

Plusieurs responsables et spécialistes entendus par vos rapporteurs estiment que la détermination des autorités nigériennes à lutter contre le terrorisme est réelle ; conjuguée avec la présence de l'État sur toutes les parties du territoire, y compris au Nord Niger (contrairement au Mali), à la méfiance intrinsèque par rapport au fondamentalisme des populations et des chefferies traditionnelles, et à une meilleure intégration des Touaregs, elle expliquerait pourquoi les terroristes n'auraient pu s'implanter durablement dans le massif de l'Aïr (présentant pourtant les mêmes qualités potentielles que l'Adrar des Ifoghas en tant que possible sanctuaire terroriste). S'il existe aujourd'hui indéniablement des « passages » voire un véritable « corridor » terroriste du sud libyen vers le Nord Mali passant par le Niger, il n'y aurait pas à proprement parler, de l'avis des spécialistes entendus par vos rapporteurs, d'enkystement terroriste comme cela a été le cas au Nord Mali.

Pour d'autres, la question de l'implantation éventuelle du MUJAO, notamment dans la région de Tasara , où résident les principales communautés arabes nigériennes, doit être examinée avec la plus grande attention. Cette région pourrait servir de base arrière logistique.

La récente revendication, par le MUJAO et par le groupe de Mokhtar bel Mokhtar, de l'attaque d'Agadez et d'Arlit du 23 mai dernier , est d'ailleurs un élément qui appelle à la vigilance sur ce point.

Tout comme sont préoccupantes les évasions le samedi 1 er juin 2013 de détenus à Niamey (22 détenus se seraient évadés d'après le gouvernement nigérien) dont des détenus de nationalité malienne, parmi lesquels figurerait Alassane Ould Mohamed, alias « Chébani », originaire de Gao, et condamné pour l'assassinat en 2009 de quatre touristes saoudiens dans l'ouest du Niger, près de la frontière malienne, ainsi que pour l'assassinat en décembre 2000 de l'attaché de défense américain au Niger et, selon certaines sources 92 ( * ) , soupçonné d'être impliqué dans l'enlèvement, en décembre 2009, près de Niamey, de l'envoyé spécial de l'ONU au Niger et de son assistant. L'enlèvement des deux diplomates, retenus en otages durant plus de quatre mois, avait été revendiqué par AQMI.

D'ailleurs, l'attaque (repoussée) contre la gendarmerie de Niamey le 11 juin dernier vient confirmer la montée très rapide du risque terroriste au Niger.

Les préoccupations des autorités nigériennes ont été clairement exprimées récemment par le Président ISSOUFOU, qui a déclaré 93 ( * ) , le 27 mai dernier, après les attentats d'Agadez et d'Arlit, que « Pour le Niger en particulier, la menace principale s'est déplacée de la frontière malienne vers la frontière libyenne. En effet je le confirme, l'ennemi qui nous a attaqués à Agadez et Arlit vient du Sud [libyen, ndlr] .». « La situation au Mali, qui n'est qu'une conséquence de la crise en Libye, ne doit pas détourner la communauté internationale de son devoir de stabiliser la situation en Libye, (qui) constitue aujourd'hui le principal foyer de déstabilisation du Sahel » .

Enfin, le Niger est impacté par les conséquences de la montée de la violence sur son flanc sud-ouest, au Nigéria . En particulier, la population Haoussa, à Zinder et Maradi, vit traditionnellement de part et d'autre de la frontière et pourrait être touchée par le développement de la violence au Nigéria.

Au total, l'armée nigérienne doit faire face à une série de menaces : outre le contrôle de la frontière libyenne au Nord, et de la frontière algérienne, les forces armées nigériennes sont déployées à la frontière Sud pour contrer les infiltrations d'éléments de Boko Haram et à la frontière Ouest (et sur le territoire malien) pour faire face aux conséquences de la crise malienne, tout en assurant une présence croissante à la frontière tchadienne.

Le défi est rude pour des forces armées de ce pays parmi les plus pauvres du monde, qui doivent sécuriser d'immenses frontières et qui, bien que généralement considérées comme dotées de réelles qualités (cohérence des unités, esprit de discipline, niveau d'équipement 94 ( * ) et de formation en hausse) ne comptent que 12 000 hommes environ. En dehors de ses frontières, le Niger est engagé, outre dans la MINUSMA (600 hommes, positionnés principalement à Gao et Ménaka), dans l'ONUCI en Côte d'Ivoire, avec un contingent de 300 hommes. Le Niger, qui a accepté notamment l'implantation de bases de drones américains et français sur son territoire pour faciliter la lutte contre le terrorisme, est résolument engagé à nos côtés. Il représente naturellement à cet égard une cible.

Le Niger reste vulnérable face aux menaces terroristes, en raison notamment de la difficulté à contrôler toute la zone, immense, entre le massif de l'Aïr (avec les sites uranifères) au centre du pays, la zone pétrolière d'Agadem, au sud-est, et la frontière libyenne au nord-est.

b) La Mauritanie n'est pas indemne des répercussions des crises à ses frontières

L'implantation du terrorisme au Sahel et le développement progressif de la crise politique au Mali n'ont naturellement pas manqué d'avoir des répercussions sur son voisin mauritanien .

Pays touché lui aussi par le développement du trafic de stupéfiants (cannabis, cocaïne), la Mauritanie est, depuis plusieurs années, de plus en plus vulnérable à la menace terroriste.

La Mauritanie a constitué dès l'origine une cible d'AQMI : assassinat de 4 touristes français à Aleg le 24 décembre 2007, attaque de Tourine en septembre 2008 faisant 12 morts parmi les militaires mauritaniens, assassinat d'un ressortissant américain le 23 juin 2009 à Nouakchott, attentat suicide contre l'ambassade de France à Nouakchott le 8 août 2009, enlèvement de 3 Espagnols le 29 novembre sur la route Nouakchott-Nouadhibou et de 2 touristes italiens le 19 décembre 2009 près de la frontière malienne, attentat déjoué contre une caserne militaire à Nema le 25 août 2010, attentats déjoués dans la nuit du 1 er au 2 février 2011 à proximité de Nouakchott contre l'ambassade de France, une caserne militaire et la présidence de la République islamique de Mauritanie.

La crise malienne a également eu des conséquences. Outre la question, très préoccupante, des 75 000 réfugiés maliens « échoués dans le désert mauritanien 95 ( * ) » dans le camp de Mbéra, la crise a pu aviver des tensions communautaires internes , dans la mesure où certaines communautés africaines (pulaar, soninké, wolof ou bambaras) se montrent solidaires des Maliens du sud, tandis que les « Maures » (d'origine arabo-berbère), proportionnellement plus nombreux dans la population en Mauritanie qu'au Mali, se montrent plus sensibles au sort des communautés touarègues et arabes.

La Mauritanie est depuis plusieurs années un partenaire fiable de la France en matière de coopération dans la lutte antiterroriste. Des actions visant à renforcer les capacités de souveraineté de l'État mauritanien dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée ont en effet été engagées en 2009, en Mauritanie comme dans certains pays voisins (Niger...), dans le cadre d'une approche régionale sur la sécurité dans la zone sahélo-saharienne.

Bien que réservée, dans un premier temps, à la perspective d'une intervention militaire à ses confins, la Mauritanie envisage aujourd'hui de concrétiser son engagement aux côtés des pays africains militairement engagés au Mali par la participation d'un contingent de soldats à la MINUSMA, sans doute d'environ 1 000 hommes, qui pourraient être déployés à l'automne, et pour lesquels la France apporte une aide en termes de mise aux standards onusiens.

c) Le Tchad, qui s'est montré un allié militaire de premier poids au Mali, pourrait lui aussi être ciblé par le terrorisme

L'engagement du Tchad en faveur du rétablissement de la sécurité au Mali a été, selon les mots mêmes du Président Deby 96 ( * ), que vos rapporteurs reprennent à leur compte, « historique » et « panafricain ».

Les valeureux soldats tchadiens, qui ont lutté au corps à corps contre AQMI dans l'enfer de l'Adrar des Ifoghas, aux côtés des soldats français, ont d'ailleurs payé un lourd « prix du sang », perdant plus de trente hommes. Plusieurs témoins et responsables militaires ont fait part à vos rapporteurs de leur courage au combat, n'hésitant pas à s'engager frontalement « comme en 14-18 » (sic 97 ( * ) ) contre des tireurs d'élite visant le haut du corps et la tête, contre des ennemis décidés à mourir, bardés d'explosifs et qui se faisaient sauter sur des caisses de munitions.

Votre commission leur rend à nouveau hommage.

Au Tchad, la classe politique et la société civile ont soutenu la décision d'intervenir au Mali. Par la qualité et la quantité de sa contribution (plus de 2 000 soldats aguerris déployés dans la MISMA), le Tchad s'est mis en position de jouer un rôle de puissance régionale pour la gestion de la crise sahélienne. D'ailleurs, comme vos rapporteurs l'avaient déjà relevé, c'est à l'invitation du président tchadien, également président en exercice de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD), qu'un sommet extraordinaire de cette organisation, consacré à la sécurité, s'est réuni à N'Djamena fin février 2013.

Aujourd'hui, les autorités tchadiennes sont particulièrement inquiètes du développement du risque terroriste en Libye. Dans un entretien récent 98 ( * ) le président Idriss DÉBY livre un diagnostic alarmant sur la Libye, décrite comme la base arrière de " tous les islamistes radicaux " dans la région : " La Libye est au bord de l'explosion. Je n'ai pas du tout la solution mais on ne peut pas regarder cette situation, la laisser évoluer et nous exploser à la figure. La communauté internationale doit aider les autorités légitimes de la Libye . (...) Tous les islamistes radicaux sont aujourd'hui en Libye. (...) Hier ils n'avaient pas de terrain, aujourd'hui ils en ont un : c'est la Libye tout entière. Hier ils n'avaient pas d'armes, maintenant ils les ont toutes. Ils n'ont même pas besoin de fabriquer des trucs artisanaux. Hier ils se cachaient. Aujourd'hui ils s'affichent et disent qu'ils imposeront la charia en Afrique » . « Le terrorisme peut frapper quand il veut, même au Tchad ».

d) La Tunisie face à l'enracinement salafiste

Le tiers des assaillants d'In Amenas étaient Tunisiens , chiffre qui illustre parfaitement l'enracinement dans ce pays de mouvements radicaux et violents.

Plusieurs mouvements extrémistes existent en Tunisie, comme Ansar el-Charia ou encore la brigade Oqba Ibn Nafaa , démantelée en décembre 2012, groupe armé lié à AQMI et régulièrement présent aux rassemblements d'Ansar el-Charia. Le Groupe des combattants tunisiens (GCT), dont le fondateur est recherché dans le cadre de l'enquête sur l'attaque de l'ambassade américaine à Tunis, le 14 septembre 2012 , est souvent présenté comme étant en lien direct avec le commandement d'Al-Qaïda.

Pour autant, certains analystes 99 ( * ) estiment que ces groupes n'y appellent pas directement au combat sur le sol tunisien, considérant (pour l'instant ?) la Tunisie comme une terre de prédication et non de lutte armée.

Ces réseaux recrutent en revanche activement pour le Moyen Orient : la Syrie , via la Libye et la Turquie, constitue désormais la principale destination.

À cet égard, d'après plusieurs entretiens menés par vos rapporteurs, le nombre de combattants tunisiens en Syrie se conterait désormais en milliers , ce qui laisse augurer, lorsqu'ils reviendront, d'un fort potentiel de déstabilisation future.

Le rapport du groupe de travail sur la rive sud de la Méditerranée, que présenteront prochainement nos collègues les sénateurs Josette DURRIEU et Christian CAMBON, au nom de notre commission, viendra sans doute éclairer d'une façon particulièrement intéressante l'évolution de la situation, tant en ce qui concerne la Tunisie, que la Libye, ou encore s'agissant du potentiel de déstabilisation, dans la région, du conflit du Sahara occidental.


* 57 « Mali : comment gagner la paix ? »

* 58 D'après le titre de l'article de Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans Politique Internationale n°139, Printemps 2013

* 59 Source : « Nigéria, comment en finir avec la nébuleuse Boko Haram », entretien pour Slate Afrique janvier 2013, M A Pérouse de Montclos

* 60 Au sens où les Occidentaux entendent le mot « éducation »

* 61 Source : Marc Antoine Pérouse de Montclos, 2012, disponible sur : http://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/qdr40.pdf

* 62 En matière pénale car la charia était déjà appliquée en matière civile

* 63 Entretien précité à Slate Afrique

* 64 « La Libye après Kadhafi : essai de prospective géopolitique du conflit libyen », JF Daguzan et JY Moisseron, Hérodote n°142, 2011

* 65 Gellner, 1949, Evans-Prtichard, 1949, cités par l'article précité de JF Daguzan et JY Moisseron, Hérodote n°142, 2011

* 66 Ibid

* 67 Ibid

* 68 Voir par exemple : « Non state politics in post-qhadafi Libya », René Lemarchand, Jonhs Hopkins University, 01-2013

* 69 Cf. Patrick Haïmzadieh, « Au coeur de la Libye de Kadhafi », 2010.

* 70 D'après l'analyse développée dans l'article « Le Maghreb et son sud : vers des liens renouvelés » : « L'après Kadhafi : nouveaux défis en Libye et au Sahel », JY Moisseron et N. Belalimat

* 71 Article précité de JY Moisseron et N Belalimat

* 72 Groupe islamique combattant libyen

* 73 Source : Jeune Afrique. http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130529094226/libye-mouammar-kadhafi-benghazi-cgnlibye-le-president-de-l-assemblee-nationale-demissionne.html

* 74 Source : Jeune Afrique, http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2731p014.xml0/libye-freres-musulmans-projet-de-loi-mahmoud-jibrillibye-l-emprise-des-milices-et-des-salafistes.html

* 75 Cette typologie est de Brian McQuinn: «After the Fall. Libya's evolving armed groups», Small Arms Survey, Octobre 2012

* 76 Le GICL est listé comme organisation terroriste par les Etats-Unis et le Royaume-Uni

* 77 Source : Article de Moisseron et Belalimat, Ibid.

* 78 Voir notamment les commentaires de « L'étude de West point » par Webster G. Tarpley qui montre que certains révolutionnaires libyens sont issus d'al-Qaida

* 79 Voir : http://www.voltairenet.org/article169989.html

* 80 Voir notamment note d'actualité n°287 du cf2r « Ansar Al-Sharia, faux nez pour Al-Qaida? », Alain Rodier, http://www.cf2r.org/fr/notes-actualite/ansar-al-sharia-faux-nez-pour-al-qaida.php

* 81 Source : articles et dépêches de presse relatant ces incidents

* 82 Voir notamment l'étude «Al Qaeda in Libya : a profile», library of Congress, août 2012, http://www.fas.org/irp/world/para/aq-libya-loc.pdf

* 83 Christophe Boisbouvier, « Terrorisme : la poudrière libyenne », Jeune Afrique, 11 mars 2013, http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2721p044-047.xml0/

* 84 Si le ministre algérien de l'intérieur a attribué l'attaque du site gazier à un groupe d'une trentaine d'hommes « venant de Libye » où il a été formé et entraîné, Ali Zeidan, le premier ministre libyen, dément cette version des faires et nie que la base aérienne d'Al-Wigh, dans le sud-ouest de la Libye, soit utilisée par les terroristes.

* 85 Voir l'article : http://www.leparisien.fr/international/syrie-des-armes-saisies-a-bord-du-bateau-intercepte-au-liban-28-04-2012-1976125.php

* 86 Source : Flashpoint Partners, étude «Convoy of martyrs in the Levant»

* 87 Royaume-Uni, Etats-Unis, Italie, Allemagne, Danemark, Turquie, Qatar, Emirats Arabes Unis, Nations unies, Union Européenne, Malte, Espagne, Ligue des Etats arabes, Union Africaine, Union du Maghreb Arabe et le Conseil de Coopération des États arabes du Golfe

* 88 Voir notamment : « EUBAM Libya, story of a long-awaited CSDP mission », ISIS Europe, mai 2013

* 89 Niger : les ex-rebelles percent en politique, http://www.rfi.fr/afrique/20110622-niger-ex-rebelles-percent-politique

* 90 Étude provisoire sur les pratiques de l'islam au Niger, avril 2006 : http://liportal.giz.de/fileadmin/user_upload/oeffentlich/Niger/40_gesellschaft/islamrapportprovisoire24avril2006concorde.pdf

* 91 Source : L'islam et les ONG islamiques au Niger, les carnets du CAP, 2011, p. 142

* 92 Source :AFP citant une « source sécuritaire » nigérienne

* 93 Source : AFP

* 94 La France a notamment fait don de 3 hélicoptères à l'armée nigérienne

* 95 D'après le titre du rapport de Médecins sans frontières paru en avril 2012

* 96 Lors de la cérémonie d'hommage aux FATIM le 13 mai 2013

* 97 D'après le témoignage d'un officier ayant participé aux combats dans l'Amettetaï entendu par vos rapporteurs

* 98 Entretien au « Figaro » le 8 juin 2013

* 99 Voir notamment « Tunisie : violences et défi salafiste », International Crisis Group, février 2013

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