EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 10 juillet 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission entend une communication de la mission d'information sur l'organisation du système de soins de premier recours et prévention du suicide au Québec.

Un débat s'engage après l'intervention des membres de la délégation.

M. Alain Milon . - Vous nous avez interpellés, Catherine Génisson et moi-même, sur la délégation de tâches entre professionnels de santé. Le dispositif des « super-infirmières » que vous décrivez ne me paraît pas très différent de ce qui existe en France avec les infirmières spécialisées. Nous travaillons actuellement, dans le cadre de la préparation de notre rapport d'information, sur le fait de savoir si la délégation de tâches est seulement liée à la pénurie de médecins dans certains secteurs ou si elle ne répond pas aussi à la nécessité de professionnaliser certains métiers de la santé. Nous nous orientons vraisemblablement vers cette deuxième option.

Sur le suicide, reconnaissons que la politique de prévention menée en France n'est pas si mauvaise. Nous pourrions, en revanche, davantage axer nos efforts sur la « postvention », à l'image de ce que fait le Québec.

S'agissant des dépassements d'honoraires, il faudrait, pour que la comparaison entre le Québec et la France soit pertinente, savoir à combien s'élève le salaire des médecins québécois. On sait très bien qu'en France, la pratique des dépassements d'honoraires est liée à l'insuffisante revalorisation des actes opposables.

Je rappelle, par ailleurs, que des services téléphoniques existent aussi en France, comme le 15 en cas d'urgence médicale.

Depuis la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », la coopération entre les secteurs sanitaire et médico-social se développe, par exemple dans le cadre des communautés hospitalières de territoire (CHT). En outre, nos maisons de santé me semblent assez proches des CSSS québécois.

Mme Catherine Procaccia . - Il est toujours intéressant d'étudier ce qui se fait à l'étranger mais il ne faut pas oublier que, dans le cas du Canada, l'échelle géographique n'est pas la même ! Ce qui se pratique là-bas n'est pas forcément transposable à la France.

L'ambassadeur de France au Canada, que j'ai récemment rencontré à l'occasion d'un colloque, m'a expliqué que la problématique des déserts médicaux ne se posait pas dans les mêmes termes que chez nous car les médecins canadiens ne choisissent pas leur lieu d'exercice. Est-ce la même règle au Québec ?

Y avez-vous rencontré des médecins et des infirmières français qui connaissent des problèmes liés à la reconnaissance de leurs diplômes et à leur liberté d'installation ?

M. Yves Daudigny . - Vous insistez sur l'approche intégrée du système de santé québécois. C'est, je crois, une différence majeure avec la France, où il existe une véritable séparation entre la dimension sanitaire et la dimension médico-sociale. Qui plus est, les interlocuteurs ne sont pas les mêmes. Certes, avec la création des ARS, nous gagnons en transversalité, mais beaucoup reste encore à faire.

Par ailleurs, je crois qu'il est important, pour la survie de notre système de soins, d'avancer sur le dossier de la répartition des tâches entre professionnels de santé.

Mme Colette Giudicelli . - Nous avons été particulièrement frappés par la place accordée à la dimension humaine des problématiques de santé. D'ailleurs, le bénévolat y est beaucoup plus développé qu'en France.

Mme Catherine Deroche . - Il faut reconnaître que la démarche mise en oeuvre en matière de prévention du suicide est assez intrusive ; la prise en charge va parfois très loin dans l'intimité des personnes, ce que nous n'accepterions peut-être pas en France.

En matière de recherche, tous les programmes font l'objet d'une évaluation, ce qui n'est pas toujours le cas ici.

La collaboration entre le médico-social et le sanitaire est effectivement très poussée ; il n'existe pas de culture du secret comme chez nous.

Les « super-infirmières » ne correspondent pas vraiment à nos infirmières spécialisées car elles ont une compétence générale. Leur champ d'intervention est toutefois très précisément défini. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une délégation de tâches puisqu'elles sont entièrement responsables de leurs actes.

Dernier point : du fait de l'étendue et de la diversité de leur territoire, les Québécois font preuve d'une grande capacité d'adaptation et de souplesse dans la mise en oeuvre des dispositifs.

Mme Annie David, présidente . - Il est vrai que leur politique de prévention du suicide peut paraître intrusive. Preuve en est la procédure dite « P-38 » qui permet aux forces de police d'interpeller et de placer en établissement toute personne dont l'état de santé mentale présente un danger pour elle-même ou pour autrui. Se pose alors la question des libertés individuelles...

En France, il existe certes des services téléphoniques comme le 15, mais ceux-ci ne s'adressent pas spécifiquement aux personnes suicidaires. L'avantage du système québécois est de permettre à ces personnes de s'adresser directement à un interlocuteur formé.

De manière générale, il y a eu au Québec une véritable prise de conscience collective par rapport au suicide : on parle d'ailleurs de « personnes qui se sont ôté la vie ». Cette expression reflète bien l'état d'esprit qui y règne : le suicide n'est pas une fatalité, on peut l'empêcher.

S'agissant des CSSS, dont la création est assez récente, je crois que la comparaison avec les maisons de santé n'est pas pertinente : la maison de santé est un regroupement de professionnels de santé, alors que le CSSS est une structure de pilotage de l'offre de services de santé et de services sociaux sur un territoire donné.

Nous devrions, me semble-t-il, nous inspirer de cette approche globale qui envisage la personne comme un tout et non pas comme une somme de parties.

Le territoire du Québec est effectivement très vaste et hétérogène mais, même dans les régions isolées, une réponse existe. Il est justement du ressort des CSSS d'adapter l'offre de soins aux spécificités locales. Ainsi, l'un des CSSS que nous avons visités à Montréal n'est pas confronté au même public que celui du Saguenay Lac Saint-Jean.

Mme Claire-Lise Campion . - Je voudrais apporter un témoignage car je me suis rendue au Québec, quelques jours avant la délégation de la commission, dans le cadre des Assises franco-québécoises. Ayant visité un CSSS dans la région rurale des Chaudière-Appalaches, j'ai pu mesurer combien cette coopération entre le sanitaire et le médico-social était développée. J'ai aussi été frappée par l'implication des citoyens sur tous les sujets de société et par l'importance du bénévolat.

Les territoires ruraux ne sont pas exclus de cette dynamique, bien au contraire. Cette approche intégrative irrigue l'ensemble du territoire. Le recours à la télémédecine, sujet d'actualité chez nous, y est également très développé.

M. Jean-Claude Leroy . - Dans mon département du Pas-de-Calais, une maison de santé pluridisciplinaire a été créée. C'est bien la preuve que la démarche partenariale entre professionnels existe aussi ici !

Mme Annie David , présidente. - Je pense que les maisons de santé se rapprochent davantage des GMF québécois que des CSSS.

M. Jean Desessard . - Pour répondre à Alain Milon, nous n'avons pas spécifiquement étudié la question de la rémunération des médecins québécois. Toutefois, l'un de nos interlocuteurs a parlé d'un revenu mensuel équivalent à 6 000 euros pour un médecin généraliste.

Je voudrais revenir sur deux enseignements : premièrement, la dimension « service public » du système de santé et de services sociaux québécois ; il s'agit du premier poste budgétaire de la province, ce qui n'a jamais été remis en cause ; deuxièmement, le social et la santé sont imbriqués l'un dans l'autre, ce qui constitue une grande force.

Comme la présidente, je crois que les maisons de santé se rapprochent plus des GMF que des CSSS.

M. Jean-Claude Leroy . - Je précise que la maison de santé en question a noué un partenariat avec un hôpital public.

M. Jean Desessard . - Au Québec aussi, les coopérations avec les hôpitaux publics sont très développées.

J'insiste en outre sur le fait que priorité a été donnée aux services de première ligne afin de répondre plus rapidement possible aux demandes de la population.

Mme Annie David , présidente. - Et ceci pour éviter l'engorgement des services de deuxième et de troisième lignes.

M. Jean Desessard . - Je suis en revanche d'accord avec mes collègues pour dire que la politique de prévention du suicide présente un risque d'intrusion dans la vie privée des personnes.

M. Alain Milon . - Rien n'est parfait !

Mme Annie David , présidente. - Pour ma part, je n'ai qu'un seul regret ; ne pas avoir eu le temps de rencontrer des usagers de ces services de santé et services sociaux.

La commission autorise la publication du rapport d'information .

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