LISTE DES PERSONNALITÉS AUDITIONNÉES

- Mme Marie-Eve AUBIN et M. Roland MASSE, présidente et membre du CIVEN ;

- Mme Michelle DEMESSINE, sénatrice du Nord ;

- M. Jean-Luc SANS, président de l'AVEN ;

- M. Patrice BOUVERET, directeur de l'observatoire des armements ;

- Maître Cécilia LABRUNIE, avocate au cabinet Teissonnière ;

- M. Jean-Luc BODIN, SGA, ministère de la défense ;

- M. Richard TUHEIAVA, sénateur de Polynésie française ;

- Mme Anne Flüry-Hérard, CEA ;

- M. Marcel-Pierre CLEACH, sénateur de la Sarthe, rapporteur du projet de loi ;

- Cabinet du ministre de la défense ;

- Contribution écrite reçue de M. Bruno BARILLOT, ancien Délégué pour le suivi des conséquences des essais nucléaires.

ANNEXE I - ETUDE D'IMPACT ANNEXÉE AU PROJET DE LOI

1. La situation

1.1 Les essais nucléaires français réalisés au Sahara et en Polynésie française

1.2 Les travailleurs ayant participé aux essais

1.3 Les populations concernées

1.4 La réglementation applicable en matière de radioprotection

1.5 La réglementation applicable en matière de maladies professionnelles provoquées par une exposition à des rayonnements ionisants

1.6 Le dispositif spécifique à la Polynésie française

1.7 Les rapports des scientifiques internationaux

1.8 Les exemples étrangers

1.9 En France, les propositions de lois déposées sur le sujet

2. Le dispositif

2.1 L'objectif poursuivi

2.2 Le champ d'application du projet de loi

2.3 Les critères d'indemnisation

2.4 La réparation intégrale des préjudices

2.5 L'impact juridique

2.6 L'impact économique du projet de loi

2.7 L'impact social

2.8 Modalités de financement

2.9 L'impact administratif

2.10 La concertation

1. La situation

1.1. Les essais nucléaires français réalisés au Sahara et en Polynésie française

1.1.1. Au Sahara

Au Sahara, 4 essais aériens ont été réalisés au Centre Saharien d'Expérimentations Militaires (CSEM) près de Reggane (du 13 février 1960 au 25 avril 1961). Les zones de retombées sont comprises dans un secteur angulaire centré sur le point 0°03'26" ouest, 26°18'42" nord, compris entre l'azimut 100 et l'azimut 110°, pour un rayon de 350 km.

13 essais ont été réalisés en galerie au Centre d'Expérimentation Militaire des Oasis (CEMO), dans le Hoggar près d'In Ecker, du 7 novembre 1961 au 16 février 1966. La technique d'essais en galerie avait pour but d'assurer le confinement de l'essai et éviter toute dispersion de matière radioactive.

Cependant, 4 de ces essais n'ont pas été totalement confinés et l'un d'entre eux, l'essai BERYL du 1 er mai 1962, a provoqué une retombée radioactive sur une bande de 150 km sous le vent dans une zone inhabitée, ainsi que l'exposition des personnes présentes sur la zone. Les documents d'époque permettent de connaître la dose reçue par celles-ci.

La zone de retombées est constituée d'un secteur angulaire de 40° centré sur le point 05°02'30" est, 24°03'00" nord, compris entre l'azimut 70° et l'azimut 110° pour un rayon de 40 km, prolongé sur l'axe d'azimut 90° par un rectangle de 100 km de longueur.

Au Sahara, tant pour les essais aériens que lors de l'accident de l'essai Béryl du 1 er mai 1962, du fait des mesures d'évacuation prises, aucune population ne résidait dans ces zones (cf. § 1.3).

Le démantèlement des sites d'expérimentation au Sahara (centre saharien des expérimentations militaires et centre d'expérimentations militaires des oasis) a pris fin le 31 décembre 1967.

1.1.2. En Polynésie

41 essais nucléaires et 5 essais de sécurité (essais impliquant de la matière radioactive, sans dégagement d'énergie nucléaire) aériens ont été réalisés à Moruroa et Fangataufa, entre le 2 juillet 1966 et le 14 septembre 1974.

Lors de ces essais, les navires, avec le personnel, étaient mis à l'abri au vent, à une distance de sécurité en fonction de la puissance de l'engin. Leur retour n'était autorisé qu'après contrôle de l'état radiologique du site.

Les 41 essais aériens ont entraîné des retombées radioactives. 10 essais ont entrainé des retombées sur une zone circonscrite dans un secteur angulaire de 100 degrés centré sur Moruroa (21° 51' sud, 139° 01' ouest) compris entre l'azimut 15° et l'azimut 115° sur une distance de 560 kilomètres, comprenant les îles et atolls de Reao, Pukarua, Tureia et l'archipel des Gambier.

137 essais nucléaires et 10 essais de sécurité souterrains ont été réalisés entre le 5 juin 1975 et le 27 janvier 1996. Ces essais n'ont pas entrainé de dispersion de matière radioactive dans l'environnement.

1.2. Les travailleurs ayant participé aux essais

Au total, environ 150 000 travailleurs (civils et militaires) ont été présents sur les sites d'expérimentation entre 1960 et 1998. 70 000 d'entre eux, susceptibles d'avoir été professionnellement exposés à des rayonnements ionisants, ont fait l'objet de mesures de surveillance radiologique individuelle (dosimètres photographiques). Les autres personnels bénéficiaient des mesures de suivi radiologique d'ambiance ou collectif.

Répartition des travailleurs présents sur les sites des essais :

Personnels défense au Sahara (militaires + civils + entreprises extérieures)

20 000

Personnels militaires au Centre d'essais de Polynésie (CEP)

100 000

Personnels civils de la défense au CEP

8 000

Personnel d'entreprises extérieures au CEP

12 000

Personnel du commissariat à l'énergie atomique au Sahara ou au CEP

7 500

Total

147 500

1.3. Les populations concernées

Environ 2 000 personnes, dont 600 enfants de moins de 15 ans, résidaient pendant les essais aériens en Polynésie, dans le secteur angulaire précisé ci-dessus.

Les zones d'évacuation étaient définies et des mesures étaient prises avant chaque essai, en fonction des caractéristiques et des conditions de l'essai. Les populations y compris nomades pour le Sahara, et les personnels étaient évacués de cette zone. L'efficacité des mesures d'évacuation était vérifiée avant que l'essai soit autorisé (contrôle par moyens terrestres et aériens) et la levée des mesures était prononcée après vérification que l'état radiologique de la zone le permettait.

À titre d'exemple, la zone évacuée, dite "zone de contrôle rapprochée terrestre" pour l'essai "Gerboise bleue" s'étendait sur une profondeur de 300 à 400 kilomètres à l'est, à l'ouest et au sud du point 0.

1.4. La réglementation applicable en matière de radioprotection

La réglementation fixe les limites de doses efficaces susceptibles d'être reçues chaque année pendant toute une vie.

À l'époque des essais aériens, la limite annuelle de dose dans les conditions normales de travail pour les travailleurs affectés à des travaux sous rayonnements ionisants était de 50 millisieverts (mSv) et la limite annuelle pour les personnes du public était de 5 mSv.

Depuis 2006, la limite de dose annuelle pour les travailleurs directement exposés est fixée à 20 mSv (article R. 4451-12 du code du travail) et celle pour les personnes du public est fixée à 1 mSv.

1.5. La réglementation applicable en matière de maladies professionnelles provoquées par une exposition à des rayonnements ionisants

En l'état actuel du droit, les personnes atteintes de maladies radio-induites peuvent obtenir réparation sur le fondement des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, du code de la sécurité sociale ou dans le cadre de contentieux administratifs.

- S'agissant des dispositions du code de sécurité sociale, les travailleurs relevant de ce régime peuvent obtenir la reconnaissance de leur maladie comme maladie professionnelle. Le code de la sécurité sociale fixe le régime de reconnaissance des maladies radio-induites comme maladies professionnelles. La liste de ces maladies, leur délai de prise en charge et la liste des travaux susceptibles de provoquer ces affections sont fixées dans le tableau 6 relatif aux affections provoquées par les rayonnements ionisants, annexé à l'article R. 461-3 du code de la sécurité sociale.

Les ouvriers d'État du ministère de la défense sont affiliés au régime de la sécurité sociale.

Le système d'indemnisation des agents relevant du régime spécifique à la Polynésie française est assuré par la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française (CPS). Le système de la présomption d'origine (tableau n°6 des maladies professionnelles) indiqué ci-dessus s'applique également en Polynésie. Cependant, le recours à des "commissions de reconnaissance des maladies professionnelles" qui, en métropole, permet aux demandeurs de demander réparation pour une maladie non inscrite au tableau n°6, en s'appuyant sur une imputabilité par preuve n'est pas prévu dans le régime de sécurité sociale polynésien.

- S'agissant des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, les régimes de la preuve et de la présomption d'imputabilité au service sont respectivement prévus aux articles L2 et L3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

La présomption d'imputabilité au service s'applique aux militaires en poste en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 31 juillet 1964, aussi bien pour les appelés que pour les militaires de carrière et engagés, car cette période est couverte par les dispositions de la loi du 6 août 1955 relative aux "opérations de maintien de l'ordre". Dans les autres zones géographiques et en Algérie en dehors de cette période, le bénéfice de la présomption ne s'applique qu'aux appelés et ne peut bénéficier aux militaires de carrière et engagés 23 ( * ) . Pour ces derniers, c'est le régime de la preuve qui s'applique.

Le droit à pension militaire d'invalidité, que les militaires soient métropolitains ou polynésiens, est évidemment strictement le même.

Toutefois, le bénéfice de la présomption est encadré dans des conditions de temps strictes. En effet, sont imputables par présomption les maladies officiellement constatées après 90 jours de service et avant le 30 ème jour suivant le retour du militaire dans ses foyers, ou la fin d'une période couverte par la loi de maintien de l'ordre (ou actuellement par les dispositions spécifiques aux OPEX) pour les engagés, et sauf preuve contraire apportée par l'administration.

Dès lors, pour les affections d'apparition différée, seule la preuve doit être apportée par le plaignant, un faisceau concordant de présomptions pouvant être pris en considération par les tribunaux des pensions.

Il convient enfin de noter que le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ne prévoit pas de liste limitative de maladies susceptibles d'être radio-induites, mais qu'au contraire, toute maladie peut être prise en considération.

Par ailleurs, les pensions militaires d'invalidité sont établies d'après le degré d'invalidité (article L4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre). Le taux d'incapacité ouvrant droit à indemnisation est de 30 % lorsque la maladie est rattachée à une période "hors guerre", 10 % lorsqu'elle se rattache à un temps de guerre ou une opération de maintien de l'ordre (ou OPEX actuellement).

À ce jour, 355 demandes de pensions militaires d'invalidité au titre de maladies liées aux essais nucléaires ont été formulées. 21 pensions sont actuellement versées, 52 dossiers sont en cours d'instruction, 282 demandes ont fait l'objet de décisions de rejet (dont 134 font l'objet de contentieux en cours). Le coût moyen d'une pension versée pour des préjudices physiques résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants s'élève à 6 951 euros par an.

L'essentiel des rejets est lié au fait que les demandes portent sur des maladies non radio-induites, ainsi que l'attestent les expertises médicales judiciaires par les tribunaux des pensions.

Les recours contentieux ont été défavorables pour les requérants à l'exception de deux dossiers pour lesquels le ministère de la défense a été débouté en appel et n'a pas formé de pourvoi en cassation.

Le principe est que les appelés bénéficient de la présomption pour toute leur période de service obligatoire, alors que celle-ci n'est applicable aux engagés qu'en temps de guerre et période assimilée

1.6. Le dispositif spécifique à la Polynésie française

Par ailleurs, une convention relative au suivi sanitaire des anciens travailleurs civils et militaires du centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d'expérimentation nucléaire a été conclue entre l'État et la Polynésie française, le 30 août 2007.

Cette convention prévoit :

- un centre de suivi médical qui assure des consultations individuelles pour les anciens travailleurs du CEP et des personnes justifiant d'avoir résidé habituellement dans les communes de Tureia, Reao, Pukarua et Gambier entre 1966 et 1974 ainsi que les personnes ayant leur résidence principale dans ces communes.

- une commission d'évaluation médicale mixte État-Polynésie qui donne son avis sur l'imputabilité des dossiers qui lui sont présentés. La liste des maladies prise en compte est celle du tableau n°6 relatif aux affections provoquées par les rayonnements ionisants, annexé à l'article R.461-3 du code de la sécurité sociale.

- une commission d'évaluation du dispositif.

Ce dispositif a été mis en oeuvre en début d'année 2008.

1.7. Les rapports des scientifiques internationaux

Le 3 décembre 1955, l'Assemblée générale des Nations unies a approuvé à l'unanimité la résolution 913 (X) qui crée le comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (United Nations Scientific committee for effects of atomic radiations : UNSCEAR). L'UNSCEAR est reconnu comme la référence scientifique internationale en matière d'effets biologiques des rayonnements ionisants, utilisés aussi bien à des fins pacifiques que militaires, et provenant à la fois de sources naturelles et artificielles.

L'UNSCEAR a en particulier établi une liste des cancers susceptibles d'être radio-induits ainsi que la liste de ceux qui ne peuvent vraisemblablement pas être dus aux rayonnements ionisants.

Se fondant sur les mêmes bases scientifiques, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) retient une méthode qui permet d'établir une relation entre l'exposition des personnes aux rayonnements ionisants et la probabilité qu'un cancer dû à cette exposition soit constaté chez l'une de ces personnes.

1.8. Les exemples étrangers

1.8.1. L'exemple du dispositif américain

Le Radiation Exposure Compensation Act (RECA) met en place aux USA un programme de compensation du préjudice subi par les participants ou les populations concernées par le développement des armes nucléaires.

Le dispositif RECA s'applique aux personnes concernées par le développement de l'armement nucléaire : essais, mineurs d'uranium et transporteurs de minerais. Il fixe un certain nombre de critères :

Pour les essais :

1) Seuls les essais aériens, figurant sur une liste précisée dans RECA, sont pris en considération.

Tous ces essais ont eu lieu avant 1963. Les essais souterrains, non réputés générateurs de retombées, ne sont pas pris en considération.

2) Les zones concernées comprennent :

- Les sites d'essais pour les participants aux essais

- Les zones de retombées concernant les populations : 10 comtés de l'Utah, 6 de l'Arizona et 5 du Nevada sont retenus.

La zone de reconnaissance s'étend sur 800 km vers l'est des sites d'essais sur le continent américain.

3) Les participants sont les employés civils ou militaires qui ont occupé l'un des emplois suivants :

- travail en zone « opérationnelle » autour de l'essai,

- travail de décontamination d'un équipement (bateau, avion...),

- observation ou prélèvement de nuage,

- équipe de sécurité affectée à la surveillance de l'essai,

- membre de la garnison d'ENEWETAK pour un essai aérien particulier sur BIKINI.

Les participants doivent avoir été présents à la date de l'essai répertorié, cette période étant prolongée de 6 mois après l'essai.

Ainsi, les seuls participants indemnisables sont ceux qui participaient directement à l'essai (expérimentateurs, personnel assurant la sécurité), pouvant être comparés à nos travailleurs sous rayonnements ionisants.

4) Les populations pouvant prétendre au bénéfice du système sont celles qui ont résidé dans les comtés de l'Utah, de l'Arizona et du Nevada précités :

- entre 1951 et 1958, pendant au moins 1 an (pour la leucémie de l'enfant) ou 2 ans (pour les autres maladies susceptibles d'être reconnues)

ou

- pendant toute la période du 30 juin au 31 juillet 1962.

Le cas des populations des Iles Marshall, État indépendant, n'est pas abordé dans ce dispositif. Il fait l'objet d'accords internationaux avec ces Iles.

5) Les maladies susceptibles d'être indemnisées figurent sur une liste limitative :

- leucémies (autres que lymphoïde chronique). Apparition au moins 2 ans après la première exposition,

- autres maladies (apparition au moins 5 ans après la première exposition) :

- myélome multiple,

- lymphomes non hodgkiniens,

- cancers primitifs de la thyroïde, de l'oesophage, du pharynx, de l'intestin, du pancréas, des voies biliaires, de la vésicule, des glandes salivaires, de la vessie, du cerveau, du colon, de l'ovaire, du poumon, du foie (sauf s'il existe une hépatite B ou une cirrhose).

6) L'indemnisation, versée sous forme de capital, est de 50 000 $ pour les membres de la population et 75 000 $ pour les participants. Elle ne prévoit pas la prise en charge de soins.

Le dispositif RECA offre une indemnisation forfaitaire aux personnes reconnues victimes des essais nucléaires aériens ou à leurs ayants droit, non cumulable avec d'autres systèmes de compensation ou de reconnaissance de maladie professionnelle.

1.8.2 L'exemple du dispositif britannique

La méthode préconisée par l'AIEA précitée a été reprise par les Britanniques pour l'indemnisation des vétérans des essais nucléaires. Le système de reconnaissance est basé sur le calcul de la probabilité de causalité et utilise le modèle de risque relatif préconisé par les travaux scientifiques internationaux.

Le système britannique est dénommé « Compensation Scheme for Radiation Linked Diseases (CSRLD).

Le CSRLD prend en compte tous les cancers exceptés la leucémie lymphoïde chronique, le mélanome malin, la maladie de Hodgkin et le mésothéliome. Les cancers pulmonaires et du tractus digestif font l'objet d'un traitement particulier.

La réparation varie selon la probabilité du lien de causalité entre la maladie du demandeur et les essais nucléaires. La réparation s'effectue ainsi :

- si la probabilité de causalité est inférieure à 20 %, il n'y a pas de réparation ;

- si la probabilité de causalité est comprise entre 30 et 40 %, la réparation versée est de 50 % ;

- si la probabilité de causalité est comprise entre 40 et 50 %, la réparation versée est de 75 % ;

- si la probabilité de causalité est supérieure à 50 %, la réparation est à taux plein.

1.9. En France, les propositions de lois déposées sur le sujet

Depuis 2002, une quinzaine de propositions de loi relatives à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français (cf. liste en annexe) ont été déposées.

La proposition de loi n°1258 du 14 novembre 2008 de Mme Taubira relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais ou accidents nucléaires a fait l'objet d'un débat en séance publique à l'Assemblée nationale le 19 novembre 2008 au cours duquel le ministre de la défense s'est engagé à déposer un projet de loi sur ce thème.

2. Le dispositif

2.1. L'objectif poursuivi

Afin de faciliter les indemnisations et de faire bénéficier les personnes ayant participé aux essais et les populations, quelle que soit leur nationalité, d'un régime identique, le projet de loi relatif à la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires propose de créer un droit à réparation intégrale des préjudices pour les personnes souffrant d'une maladie radio-induite résultant de ces essais. Un décret en Conseil d'État précisera les conditions d'application du dispositif et fixera notamment la liste des pathologies ouvrant droit à indemnisation.

2.2. Le champ d'application du projet de loi

Le dispositif vise à indemniser les personnes reconnues atteintes d'une maladie radio-induite liée aux essais nucléaires. Il s'agit des militaires ou des personnels civils relevant du ministère de la défense, des personnes du commissariat à l'énergie atomique (CEA) ou celles employées par des entreprises cocontractantes du ministère de la défense ou du CEA. Ces personnes doivent avoir participé aux essais. La population qui a séjourné ou résidé dans les zones et aux périodes définies par le projet de loi bénéficie également du dispositif.

Si la personne est décédée, la demande d'indemnisation, peut être présentée par ses enfants, son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité.

2.3. Les critères d'indemnisation

Le gouvernement a souhaité mettre en place un principe de réparation intégrale.

Le demandeur doit attester qu'il est atteint d'une maladie, figurant sur une liste fixée par décret, et qu'il a résidé ou séjourné :

- soit au Sahara, entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques définies par décret en Conseil d'État ;

- soit en Polynésie française, entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Moruroa et Fangataufa ou dans des zones de Polynésie française, circonscrites dans un secteur angulaire précisé par décret en Conseil d'État, entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974.

Il revient ensuite au comité d'indemnisation, créé par la loi, d'examiner les demandes individuelles d'indemnisation. Ce comité indépendant, présidé par un conseiller d'État ou un conseiller à la cour de cassation, est composé principalement de médecins notamment spécialisés en radio-pathologies.

Plusieurs possibilités ont été étudiées concernant les modalités d'indemnisation. L'indemnisation automatique dès lors que l'intéressé avait reçu une certaine dose de rayonnements ionisants n'a pas été retenue même si le seuil proposé était inférieur aux doses pour lesquelles aucun effet pathologique n'a pu être mis en évidence. En effet, ce dispositif a fait l'objet de contestations, notamment de la part des associations, concernant d'une part les données connues relatives à la dosimétrie et d'autre part de la variabilité de la sensibilité des individus aux expositions aux rayonnements ionisants. Compte tenu de ces éléments, ce dispositif n'est pas retenu.

S'agissant des pathologies indemnisables, il a été choisi de s'appuyer sur les travaux et expertises menées dans ce domaine pour déterminer la liste des pathologies reconnues comme potentiellement radio-induites ouvrant droit à indemnisation. Cette dernière, qui sera reprise dans le projet de décret, comprend les cancers pour lesquels un lien avec l'exposition aux rayonnements ionisants est soit clairement établi soit probablement établi.

S'agissant de la recevabilité des demandes d'indemnisation, le comité d'indemnisation sera chargé d'expertiser les dossiers et d'apprécier si l'existence d'un lien de causalité entre la maladie dont il est atteint et les essais nucléaires peut être regardé comme existant.

Le comité procède ou fait procéder à toutes les investigations scientifiques et médicales utiles.

Pour cela, il s'appuie sur la méthodologie retenue par l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique. Cette méthodologie présente les meilleures garanties d'équité en proposant un calcul majorant du risque et en prenant notamment en considération la nature de la maladie ainsi que les principaux facteurs humains et éléments personnels comme l'âge, le sexe, la réalité de l'exposition et le délai écoulé entre cette exposition au risque et le début de la maladie.

A l'issue de l'instruction du dossier, le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de donner à la demande. Le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet de la demande.

2.4. La réparation intégrale des préjudices

Le dispositif permet une réparation intégrale consistant à indemniser tous les préjudices subis par la victime afin de compenser au mieux les effets des dommages subis. Le dispositif offre une réparation intégrale, c'est-à-dire que le demandeur ayant subi un préjudice doit être replacé dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s'était pas produit. L'indemnisation de la victime doit compenser l'intégralité du préjudice.

L'offre d'indemnisation sera détaillée poste de préjudice par poste de préjudice.

2.5. L'impact juridique

2.5.1. Le vecteur juridique choisi

Une loi est nécessaire pour instaurer ce régime spécifique d'indemnisation en application de l'article 34 de la Constitution selon lequel « la loi détermine les principes fondamentaux (...) des obligations civiles » (décision du Conseil constitutionnel n° 92-171 L selon laquelle les « dispositions qui concernent la responsabilité de la puissance publique en matière de dommages de guerre touchent aux principes fondamentaux " des obligations civiles " dont la détermination relève de la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution »).

Le recours à la loi permet également de créer un régime juridique identique pour l'indemnisation des préjudices subis par les populations et par les personnes ayant participé aux essais quel que soit leur statut ou nationalité et les différentes législations dont ils relèvent en matière de réparation des maladies professionnelles (sécurité sociale, pensions militaires d'invalidité ...). Le comité d'indemnisation chargé d'examiner les demandes individuelles d'indemnisation est créé par la loi.

En effet, le caractère exceptionnel de l'irradiation subie, lié aux circonstances non renouvelées de sa survenance et à sa dimension transnationale et historique implique la mise en oeuvre d'un dispositif spécifique, qui ne saurait être comparé au droit commun.

Le projet de loi comprend un décret d'application complétant ce dispositif d'indemnisation pour les dispositions de niveau réglementaire (liste des pathologies, coordonnées géographiques, composition du comité d'indemnisation ...).

Il convient également d'étudier les aménagements nécessaires à la convention précitée conclue entre l'État et la Polynésie française le 30 août 2007 compte tenu de l'entrée en vigueur du nouveau dispositif législatif et réglementaire.

2.5.2. L'impact contentieux

La création d'un tel dispositif devrait induire une réduction du nombre des contentieux, notamment les recours en responsabilité dirigés contre l'État.

Le projet de loi précise, en outre, que l'acceptation de l'offre d'indemnisation par le demandeur vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil.

Le demandeur dispose d'un recours contre la décision si sa demande d'indemnisation a été rejetée, s'il n'a pas accepté l'offre qui lui a été proposée ou si aucune offre ne lui a été proposée dans le délai prévu. Des contentieux nouveaux pourront donc résulter des recours formés contre des décisions rejetant la demande d'indemnisation.

2.6. L'impact économique du projet de loi

Ainsi qu'il a été précisé précédemment, environ 150 000 travailleurs (civils et militaires) ont été présents sur les sites concernés entre 1960 et 1998. 70 000 d'entre eux, susceptibles d'être exposés à des rayonnements ionisants, ont fait l'objet de mesures de surveillance dosimétrique et 12 000 personnes ont été exposées à des doses supérieures à la limite de détection (0,2 mSv).

En Polynésie française, une population d'environ 2 000 personnes dont 600 enfants de moins de 15 ans, a été présente, entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974, dans la zone circonscrite dans un secteur angulaire centré sur Moruroa et inscrivant les îles et atolls de Reao, Pukarua, Tureia et l'archipel des Gambier.

Selon les données publiées par l'Institut national de veille sanitaire, le pourcentage des personnes susceptibles au sein d'une population témoin standard de développer au cours de leur vie les maladies figurant sur la liste des pathologies indemnisables, qui sera annexée au décret, est de l'ordre de 20 %. Sur les 152 000 personnes précitées (travailleurs et populations), au moins 30 000 sont donc susceptibles de développer une de ces pathologies au cours de leur vie, pathologies liées ou non aux conséquences des essais nucléaires.

A ce stade, il n'est donc pas possible de connaître le nombre de personnes susceptibles de présenter une pathologie liée aux essais nucléaires.

En vertu du principe de réparation intégrale, le comité d'indemnisation tiendra compte de la situation personnelle de chacun des individus qui lui auront présenté un dossier. Pour l'indemnisation des postes de préjudice extrapatrimoniaux, il s'appuiera sur les travaux et expertises menés dans ce domaine.

2.7. L'impact social

Le projet de loi permet un traitement plus rapide des dossiers par rapport aux procédures actuelles qui font souvent l'objet d'une longue procédure contentieuse.

Le projet de loi assure également un traitement identique des dossiers (quels que soient la nationalité ou le statut du demandeur) et simplifie les démarches des intéressés.

2.8. Modalités de financement

Le rattachement du dispositif d'indemnisation à un fonds d'indemnisation existant a été étudié, notamment pour la gestion des dossiers d'indemnisation (fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, fonds de garantie des assurances obligatoire de dommages ...).

Cependant, cette solution n'a pas été retenue compte tenu de la spécificité du dispositif. En effet, le fonds d'indemnisation est généralement créé pour pouvoir indemniser les victimes lorsque l'auteur du dommage est insolvable, n'a pas pu être identifié ou encore que la responsabilité ne peut être clairement établie compte tenu du grand nombre d'intervenants. Le fonds est alors subrogé dans les droits de la victime pour exercer l'action récursoire à l'encontre de l'auteur du dommage, le cas échéant au terme d'une longue procédure judiciaire.

Or, dans la présente situation, le nombre de victimes est circonscrit aux personnes exposées aux essais nucléaires et il ne peut y avoir de nouvelle victime. Une fois ces victimes indemnisées, le dispositif est amené à s'éteindre. C'est l'Etat qui prendra à sa charge l'indemnisation du préjudice sans exercer d'action récursoire d'aucune sorte.

Le comité d'indemnisation prévu par la loi instruit les dossiers médicaux et proposera une offre d'indemnisation. Son secrétariat sera assuré par les services du ministère de la défense.

Pour l'année 2009 les dépenses de fonctionnement du comité d'indemnisation et les indemnisations elles-mêmes seront financées en gestion.

2.9. L'impact administratif

En fonction du nombre de dossiers, une équipe sera mise en place au sein des services du secrétariat général pour l'administration du ministère de la défense afin d'assurer les tâches de gestion administrative liées à la préparation et à l'instruction des demandes par le comité. Un grand nombre de demandes est à prévoir en phase initiale de mise en oeuvre du dispositif.

Afin d'informer les personnes susceptibles de déposer une demande, notamment les ayants-droit, des encarts informatifs seront insérés dans la presse locale du lieu de résidence des personnes concernées.

Les demandes seront adressées au comité d'indemnisation. En Polynésie, les demandes pourront être adressées à un point d'entrée unique qui transmettra ensuite les dossiers au comité d'indemnisation. Pour les Algériens, les demandes seront transmises à l'ambassade de France en Algérie.

Le secrétariat du comité d'indemnisation procèdera à la réception et à l'enregistrement des dossiers, à la vérification de la composition des dossiers et à celle des données de lieu et de temps, à l'inscription à l'ordre du jour des séances du comité, ainsi qu'aux autres actes de procédure (préparation de la décision, l'envoi de la décision, le suivi administratif des recours...).

Dès la clôture de la procédure d'instruction des dossiers effectuée, le comité d'indemnisation dispose d'un délai de six mois pour émettre un avis. Cet avis, s'il est positif, comprend une proposition d'indemnisation chiffrée.

2.10. La concertation

Le projet de loi et le projet de décret d'application ont fait l'objet d'une large concertation depuis décembre 2008. Le ministre de la défense et son cabinet ont ainsi reçu à plusieurs reprises des parlementaires de l'ensemble des groupes des deux assemblées pour leur présenter l'avant-projet de loi et leur faire part de l'évolution des travaux.

Les associations ("Tamarii Moruroa", "Moruroa e tatou", "l'association des vétérans des essais nucléaires - AVEN -, "l'association nationale des vétérans victimes des essais nucléaires - ANVVEN - "les sacrifiés des essais nucléaires", et le comité "vérité et justice") ainsi que les principaux opérateurs du nucléaire (EDF, CEA et AREVA) ont également été reçus et informés des dispositions du projet de loi.

Par ailleurs, des discussions ont eu lieu avec des professeurs de médecine, spécialistes des maladies radio induites, qui ont fait part de leurs connaissances et des études scientifiques récentes en matière de maladies radio-induites notamment concernant la méthode de calcul de l'excès de risque attribuable aux rayonnements ionisants.

Par ailleurs, le président de la Polynésie française a été reçu par le cabinet du ministre de la défense le 27 février 2009.

Enfin, la collectivité territoriale de Polynésie Française a été consultée conformément à l'article 9 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2007 portant statut d'autonomie de la Polynésie Française.


* 23 Le principe est que les appelés bénéficient de la présomption pour toute leur période de service obligatoire, alors que celle-ci n'est applicable aux engagés qu'en temps de guerre et période assimilée

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