2. Une division du tissu associatif qui témoigne de divergences persistantes

Si la position officielle de la France ne souffre pas d'ambiguïtés, les débats relatifs à la prostitution demeurent malgré tout marqués par des approches idéologiques opposées.

Dans un cas, la prostitution est appréhendée comme une violence faite aux femmes . Celles-ci doivent par conséquent être prises en charge en tant que victimes.

Dans un autre, elle peut être considérée comme une activité professionnelle choisie qui devrait alors être reconnue en tant que telle. Chaque personne étant libre de disposer de son propre corps, rien ne doit l'empêcher de vendre un service sexuel à la condition que la transaction s'effectue dans le cadre d'un contrat librement consenti par chacune des deux parties. C'est notamment la position du syndicat du travail sexuel (Strass) dont des représentants ont été auditionnés par vos rapporteurs.

Ces deux approches conduisent à des préconisations de politiques publiques différentes. Si la prostitution est une violence de genre, l'essentiel des moyens qui lui sont consacrés doivent être concentrés sur l'accompagnement des personnes en dehors de la prostitution et sur le travail de réintégration sociale et professionnelle, avec pour objectif final de la faire entièrement disparaître.

Si elle peut être une activité librement consentie, l'objectif de diminution de l'activité prostitutionnelle passe alors derrière celui de l'amélioration des conditions de vie des personnes qui se prostituent et de leur accès aux soins et aux droits sociaux.

En pratique, l'action sur le terrain des associations dites de réinsertion sociale et des associations de santé communautaires, composées à part égale de personnes prostituées et non prostituées, ne semble pas freinée par ces divergences idéologiques. Ainsi que le note l'Igas dans le rapport précité, leurs modes d'intervention, alliant une démarche d'« aller vers » à travers des maraudes et une permanence dans leurs locaux, sont similaires. En outre, les associations de réinsertion sociale peuvent être très impliquées sur les questions de prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) tandis que les associations communautaires développent des actions de réinsertion sociale et professionnelle.

Les divergences idéologiques peuvent en revanche rendre difficile la mise en place d'actions de plus grande envergure que tenteraient d'impulser les pouvoirs publics.

L'Igas souligne ainsi que le manque de collaboration entre associations a nui au bon déroulement de l'étude Pro-Santé, conduisant notamment à restreindre l'échantillon aux personnes rencontrées dans les structures d'accueil, d'accompagnement, d'hébergement et de réinsertion sociale. Lors de son audition, l'InVS a fait part aux rapporteurs des réactions parfois très tranchées qui avaient accompagné la présentation des résultats provisoires, certaines associations reprochant à l'étude de montrer une vision misérabiliste de la prostitution.

Que ce soit au cours des auditions, des maraudes effectuées avec l'association Les amis du bus des femmes, ou grâce aux contributions recueillies sur le site participatif de la mission, vos rapporteurs se sont pleinement rendu compte de la diversité des situations que recouvre le terme prostitution. Si certaines femmes ont revendiqué devant vos rapporteurs l'exercice libre et sans contrainte de leur activité, d'autres ont pu témoigner des souffrances qu'emporte celle-ci, même lorsqu'elle n'est pas exercée au sein d'un réseau.

Ces témoignages rejoignent le constat dressé par l'Igas : « l'examen de la diversité des situations de prostitution fait apparaître des degrés très variables dans la contrainte ou au contraire dans la liberté. Et cette gradation se traduit de façon très concrète en termes de risques sanitaires, notamment pour ce qui concerne l'effet des violences, mais aussi les possibilités d'accès aux soins » .

Vos rapporteurs demeurent malgré tout conscients que les témoignages qu'ils ont pu recueillir ne reflètent qu'une partie de la réalité de la prostitution et que les personnes les plus soumises à la violence ainsi qu'aux réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains étaient également les moins en mesure de s'exprimer devant eux.

Sans se prononcer sur les débats en cours quant à une éventuelle évolution du cadre législatif de la prostitution, vos rapporteurs estiment que les réponses qui devront être apportées en termes d'accompagnement sanitaire et social des personnes prostituées ne peuvent être uniques. Elles doivent permettre de dépasser les jugements manichéens pour contribuer à la mise en oeuvre d'une prise en charge à la fois globale et individualisée.

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