2. Les risques sanitaires liés aux conditions de vie

A côté de ces risques sanitaires spécifiques, on rencontre, selon les publics et les situations, diverses pathologies qui ne sont pas nécessairement directement imputables à l'exercice de la prostitution, mais qui reflètent plus largement les conditions de vie  et l'environnement des personnes prostituées . Ces troubles chroniques se retrouvent plus généralement chez les publics en situation de précarité, indépendamment de toute activité prostitutionnelle.

a) Les pathologies recensées dans le cadre de la prostitution de rue

A partir des remontées de terrain, le rapport de l'Igas dresse un tableau des pathologies observées dans le cadre de la prostitution de rue, les données concernant les autres formes de prostitution (en particulier la prostitution « indoor ») étant insuffisantes. Celui-ci rejoint globalement les résultats de l'étude ProSanté, dont la grande majorité (88 %) des personnes prostituées interrogées exerce dans la rue.

Parmi les pathologies recensées, les problèmes respiratoires de type infections broncho-pulmonaires et asthme tiennent une place importante. Le tabagisme (cf. infra ) et l'attente postée à l'extérieur sont vraisemblablement en cause. Certains cas de tuberculose ont aussi été relevés par les associations, en particulier chez la population prostituée vieillissante.

Les problèmes dermatologiques constituent une autre catégorie régulièrement évoquée par les personnes prostituées. Ceux-ci peuvent être liés à des IST, mais traduisent aussi très souvent des conditions de vie précaires et stressantes (sécheresse cutanée, eczéma, lésions liées au grattage), parfois un manque d'hygiène (mycoses, furoncles, poux, gale).

Les troubles digestifs liés au stress (reflux gastriques, douleurs abdominales, ulcères gastroduodénaux) sont également fréquemment mentionnés.

Les troubles musculo-squelettiques observés, qui peuvent être consécutifs aux violences subites, s'expliquent aussi par le temps passé à l'extérieur en position debout (troubles du retour veineux, lésions aux pieds).

En outre, les déséquilibres alimentaires , corrélés aux rythmes de vie décalés et aux conditions d'existence souvent précaires peu propices à une alimentation équilibrée, représentent un problème de santé récurrent chez la population prostituée. Ils s'accompagnent de malnutrition et de surpoids, entraînant des risques d'obésité, de pathologies cardio-vasculaires et de maladies métaboliques (diabète, cholestérol). Par ailleurs, les troubles alimentaires, parfois associés au manque d'hygiène et de suivi bucco-dentaire, sont responsables de nombreux problèmes dentaires .

Les personnes prostituées vieillissantes (exerçant le plus souvent une prostitution dite « traditionnelle ») sont, de fait, plus susceptibles d'être concernées par ces pathologies chroniques. Lors de son audition, la présidente de l'association Avec Nos Aînées (ANA) a d'ailleurs alerté vos rapporteurs sur la très grande vulnérabilité de ces femmes qui continuent à travailler malgré un âge parfois très avancé et un état de santé général dégradé.

Tableau n° 3 : Problèmes de santé déclarés à l'interrogatoire par les personnes
en situation de prostitution venues en consultation médicale

Femmes
N=66

Transgenres
N=9

Hommes
N=3

Total
N=78

Asthénie

Amaigrissement

Anorexie

18 (27 %)

7 (11 %)

5 (8 %)

4

1

1

0

2

0

22 (28 %)

10 (13 %)

6 (8 %)

Troubles du sommeil

Anxiété

Etat dépressif

Au moins un de ces trois troubles

11 (17 %)

8 (12 %)

9 (14 %)

20 (30 %)

4

2

2

5

1

2

0

3

16 (21 %)

12 (15 %)

11 (14 %)

28 (36 %)

Migraine

Au moins un de ces quatre troubles

11 (17 %)

24

0

5

0

3

11 (14 %)

32 (41 %)

Problèmes dentaires
(caries, douleurs, parodontite, dent cassée)

9 (14 %)

3

1

13 (17 %)

Hyperlipidémie

Diabète

HTA

Au moins un de ces trois facteurs de risque

2 (3 %)

3 (5 %)

2 (3 %)

4 (6 %)

1

1

1

3

0

0

0

0

3 (4 %)

4 (5 %)

3 (4 %)

7 (9 %)

Infection virale chronique
(infection à VIH, VHB ou VHC)

2 (3 %)

4

0

6 (8 %)

Problèmes pulmonaires
(asthme, bronchite chronique ou emphysème)

4 (6 %)

1

0

5 (6 %)

Autres problèmes de santé
(douleurs, troubles digestifs,...)

11 (17 %)

1

2

14 (18 %)

Au moins un problème de santé déclaré

37 (56 %)

8

3

48 (62 %)

Source : Etude ProSanté 2010-2011

b) Les troubles psychiques

Conformément à la définition globale de la santé promue par l'organisation mondiale de la santé (OMS), les études portant sur la santé des personnes prostituées ne se concentrent pas seulement sur la dimension physique, mais prennent également en compte la dimension psychique.

Elles révèlent l'existence de problèmes psychiques divers, allant des troubles de somatisation (maux de ventre, céphalées, dorsalgies, dermatoses...), des troubles du sommeil et des troubles anxieux , aux problèmes psychiatriques plus graves (dépressions, troubles psychotiques...).

L'étude ProSanté montre ainsi que les problèmes de santé les plus fréquemment rencontrés chez les personnes prostituées interrogées sont des symptômes en lien avec une souffrance psychique : des troubles du sommeil (chez 21 % des personnes), une anxiété (15 %) et/ou un état dépressif (14 %). Au total, au moins un de ces troubles est déclaré par le tiers (36 %) des interrogés. Les pensées suicidaires sont également beaucoup plus présentes chez les personnes en situation de prostitution ayant participé à l'étude (29 %) que dans la population générale (3 %). Parmi les personnes prostituées, les transgenres semblent particulièrement concernés par les comportements suicidaires, ce qui s'expliquerait par le harcèlement et la discrimination dont ils sont souvent victimes.

Bien que nombre d'intervenants de terrain témoignent de l'existence de troubles psychiques chez les personnes prostituées, l'Igas note que « le niveau de leur prévalence et la question de leur imputabilité plus ou moins directe à l'exercice de la prostitution ne fait pas consensus . Les divergences sur ce sujet s'inscrivent dans le cadre du débat plus général sur la nature même de la prostitution » .

Les troubles psychiques seraient, en tout état de cause, liés à plusieurs facteurs : les profils individuels (violences précédant l'entrée dans la prostitution telles que les abus et les traumatismes subis dans l'enfance ou à l'adolescence, addictions, troubles psychiatriques préexistants), les conditions d'exercice de la prostitution (les violences subies, la peur des contrôles de police, les conditions de vie précaire, la stigmatisation, l'éloignement du pays d'origine pour les personnes de nationalité étrangère) et/ou les déterminants sociaux (précarité, exclusion).

c) Les addictions

La consommation de produits psychoactifs (tabac, alcool, drogue...) est une problématique récurrente lorsqu'on s'intéresse à l'état de santé des personnes prostituées.

L'étude ProSanté montre ainsi que la consommation quotidienne d'alcool chez les personnes interrogées est supérieure à celle de la population générale, à âge équivalent. Ce constat vaut aussi bien pour les hommes que pour les femmes, à l'exception des femmes chinoises qui consomment très peu d'alcool.

De même, les personnes interrogées fument globalement plus que la population générale , à âge équivalent. Près de la moitié (46 %) des femmes déclare être fumeuse, cette proportion étant de 36 % chez les femmes de 26-34 ans et de 34 % chez les 35-44 ans dans la population générale. Il en est de même chez les hommes, avec 65 % de fumeurs parmi les hommes interrogés dans le cadre de ProSanté. Certaines nationalités se démarquent très clairement : les personnes d'Europe centrale et d'Europe de l'Est fument quasiment toutes, alors qu'elles sont peu nombreuses parmi les femmes d'Afrique subsaharienne ou chinoises. Ces différences concernant la consommation d'alcool et de tabac relèvent en partie de phénomènes culturels.

S'agissant du recours aux drogues illicites (cannabis, cocaïne, héroïne...), les données disponibles sont rares car le sujet reste encore tabou. Parmi les personnes ayant participé à ProSanté, 17 % déclarent avoir consommé du cannabis dans les douze derniers mois, 11 % de la cocaïne et 4 % de l'héroïne. Dans une enquête réalisée en 2010, l'Amicale du Nid de Paris constatait que 17 % de sa file active consommait des drogues illicites autres que le cannabis.

Comme pour les troubles psychiques, l'Igas souligne cependant qu' « il y a débat sur la question de savoir si la consommation de produits psychoactifs est directement liée à l'activité prostitutionnelle ou plus généralement aux conditions de vie, dans la mesure où le recours à ce type de substances concerne aussi, indépendamment de toute prostitution, une part importante des personnes en situation de précarité » . Alors que certaines personnes peuvent avoir recours à ces substances pour les « aider » à surmonter les peurs et les violences subies dans le milieu prostitutionnel, d'autres en viennent parfois à se prostituer pour payer leurs produits.

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