C. LES CONTOURS D'UN ÉVENTUEL TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

Au-delà de la réorganisation des juridictions actuelles de première instance et de la mise en place d'un guichet universel de greffe mutualisé entre elles, si une forme de tribunal de première instance devait être mise en place, vos rapporteurs envisagent de limiter, dans un premier temps, son périmètre aux actuels TGI et tribunaux d'instance.

1. Quelles juridictions regrouper au sein du TPI ?

Les partisans unanimes du TPI défendent la fusion du TGI et des tribunaux d'instance de son ressort, avant d'envisager une extension plus incertaine à d'autres juridictions, susceptibles d'être transformées en chambres échevinées ou élues du TPI. La priorité consisterait donc à mutualiser les effectifs des magistrats et surtout des greffiers du TGI et des tribunaux d'instance, afin de retrouver de la souplesse de gestion dans un contexte de pénurie des moyens.

Le regroupement du TGI et des tribunaux d'instance de son ressort pour constituer le TPI s'entend en prenant en compte les réorganisations déjà proposées par vos rapporteurs pour le tribunal d'instance.

Recommandation n° 16

Constituer dans un premier temps le tribunal de première instance uniquement par la fusion du tribunal de grande instance et des tribunaux d'instance de son ressort

Vos rapporteurs écartent l'idée d'intégrer, dans un premier temps, la juridiction de sécurité sociale unique échevinée qu'ils proposent de créer par regroupement du tribunal des affaires de sécurité sociale et du tribunal du contentieux de l'incapacité. Au surplus, le caractère écheviné des tribunaux sociaux, même après leur fusion, ne plaide pas nécessairement pour leur intégration rapide au sein d'un éventuel TPI.

Enfin, comme ils l'ont déjà indiqué plus haut, vos rapporteurs considèrent que les conseils de prud'hommes et les tribunaux de commerce, en raison des particularités de leur composition et de leur accessibilité, n'ont pas vocation à rejoindre un éventuel TPI à ce stade, sans préjudice d'une réflexion ultérieure.

2. Faut-il un TPI départemental ?

Comme de nombreux acteurs judiciaires entendus en audition, vos rapporteurs écartent le principe d'un TPI par département, qui conduirait à créer des juridictions très lourdes à gérer et éventuellement à supprimer de nouvelles implantations judiciaires.

Au regard de la taille actuelle des TGI dans certains départements qui en comptent aujourd'hui plusieurs (Nord, Bouches-du-Rhône, Var...) et de la masse des affaires qu'ils ont à traiter, il n'y a pas de justification à les regrouper dans une nouvelle juridiction unique de taille plus importante. En effet, selon l'expérience quasi unanime des personnes rencontrées, les juridictions les plus grosses ne sont pas toujours celles qui fonctionnent le mieux. Ainsi, les syndicats de personnels judiciaires CGT et SGF comme le Syndicat de la magistrature et FO-Magistrats considèrent que les tribunaux trop gros fonctionnent mal - comme les tribunaux trop petits d'ailleurs -, ce qui conduit à devoir privilégier les tribunaux de taille moyenne, ce qui plaide contre l'idée de TPI départemental unique. L'Union syndicale des magistrats a insisté plus précisément sur la notion de taille efficiente d'un tribunal, qui ne peut être qu'une taille moyenne. Les difficultés de gestion sont récurrentes dans les petits TGI, même si les délais de jugement comme l'accueil du public sont généralement meilleurs, tandis qu'à l'inverse la gestion est déficiente et déshumanisante dans les gros TGI.

A cet égard, M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, a détaillé devant vos rapporteurs le contenu de la réforme de l'organisation judiciaire entrée en vigueur aux Pays-Bas en 2013 : outre une réduction du nombre de tribunaux, il s'est agi de constituer des tribunaux de taille moyenne, afin de s'assurer qu'ils puissent rendre le meilleur service, avec la même qualité sur tout le territoire.

En outre, alors que la réforme de la carte judiciaire demeure un fort sujet de mécontentement, en particulier chez les personnels judiciaires, il paraît inopportun de regrouper plusieurs TGI pour constituer des TPI départementaux, compte tenu des éventuelles conséquences en termes de changements d'affectation des personnels.

Dans ces conditions, vos rapporteurs estiment que les ressorts des TPI devraient, sauf exception spécialement justifiée par des circonstances locales, correspondre à ceux des actuels TGI. En pratique, ceci reviendrait le plus souvent à un TPI dans les départements les moins peuplés, jusqu'à deux ou trois TPI dans les plus gros départements.

Recommandation n° 17

Créer le tribunal de première instance au siège actuel de chaque TGI, sans imposer par principe un seul tribunal de première instance par département, et créer un réseau de chambres détachées correspondant aux implantations actuelles des tribunaux d'instance

En outre, une majorité de personnes entendues ont indiqué qu'il serait mal perçu d'engager une nouvelle réforme s'apparentant à la refonte de la carte judiciaire, de sorte que, si le TPI devait être mis en place, cette réforme devrait être conduite à carte judiciaire au moins constante .

3. Quelle répartition des contentieux et quelle organisation au sein du TPI ?

Une fois les juridictions regroupées au sein d'un même TPI, la question se pose de son organisation et de la répartition des contentieux entre ses différentes formations.

Le tribunal de première instance serait constitué de son siège et de chambres détachées, correspondant aux implantations judiciaires des anciens tribunaux d'instance. En effet, comme il a été dit précédemment, la réforme de la justice de première instance ne doit pas être une nouvelle réforme de la carte judiciaire : il est donc nécessaire de conserver la présence judiciaire apportée par le réseau des tribunaux d'instance.

À son siège, le TPI serait organisé, comme aujourd'hui, suivant plusieurs chambres spécialisées, éventuellement regroupées en pôles, dont le nombre et le périmètre de compétence seraient fixés par décision de son président. Plusieurs configurations ont été évoquées au cours des auditions (pôle civil général, pôle familial, pôle social, pôle pénal et pôle de la proximité...) : il ne faut toutefois pas lier l'appréciation du chef de juridiction sur ce point 46 ( * ) .

Comme on l'a vu précédemment, les représentants des juges d'instance se sont inquiétés de ce que leur affectation au sein de la chambre détachée puisse relever de la seule décision du président de la juridiction, faute d'être nommé spécifiquement à cette place. Vos rapporteurs observent que le droit en vigueur établit déjà un équilibre entre le respect de la spécialisation de l'instance et une certaine souplesse de fonctionnement, puisque le juge d'instance est en réalité nommé au siège du TGI pour occuper cette fonction, ce qui permet au chef de juridiction de l'affecter, en complément, si nécessaire à un autre service juridictionnel de ce TGI. Vos rapporteurs considèrent qu'il est raisonnable de penser qu'un équilibre équivalent pourrait être trouvé dans la configuration du TPI, que l'affectation au contentieux de la chambre détachée fasse l'objet d'une mention dans le décret de nomination ou qu'une autre garantie soit apportée au magistrat, par exemple un avis formulé par l'assemblée générale des magistrats du siège de la juridiction.

L'identification d'un bloc de compétence lié au contentieux de la proximité et du quotidien, et attribué aux implantations déconcentrées, 47 ( * ) fait consensus. Il conserverait le bloc de compétence actuellement dévolu au tribunal d'instance et à la juridiction de proximité, récemment enrichi conformément aux recommandations du rapport de la commission présidée par Serge Guinchard :

- le contentieux civil général d'un montant inférieur à 10 000 euros ;

- le crédit à la consommation ;

- le contentieux de l'impayé (injonction de payer, saisie des rémunérations, paiement direct des pensions alimentaires) et du surendettement 48 ( * ) ;

- les baux d'habitation ;

- les tutelles des majeurs ;

- les litiges ruraux ou ceux de voisinage ;

- le contentieux électoral judiciaire ;

- certains contentieux ponctuels, comme les contestations relatives à l'organisation des funérailles.

S'ajouterait à ce contentieux celui reçu des tribunaux paritaires des baux ruraux, qui enrichirait la compétence relative aux litiges ruraux.

Cette solution permettrait de conserver, pour ce contentieux, l'homogénéité qui caractérise actuellement la procédure devant le tribunal d'instance : absence de représentation obligatoire par avocat, tentative de conciliation, oralité plus marquée.

La délimitation de ce contentieux de proximité, qui constituerait une garantie pour le justiciable, pour la proximité d'accès à la justice , ne pourrait être laissé à la seule décision des chefs de juridiction et relèverait de la loi ou du règlement .

L'implantation déconcentrée pourrait accueillir les délégués du procureur et héberger ainsi, comme actuellement les tribunaux d'instance, une partie des alternatives pénales aux poursuites. En revanche, le contentieux du tribunal de police ayant été reversé au tribunal correctionnel, l'activité juridictionnelle se limiterait à une activité civile.

Comme on l'a vu précédemment, la question la plus débattue au cours des auditions au sujet du contentieux de la proximité a été le transfert ou nom d'une partie du contentieux familial de la juridiction siège aux juridictions déconcentrées.

Si l'implantation judiciaire de proximité doit permettre au justiciable de disposer d'un juge pour les litiges du quotidien, il est évident que la matière familiale devrait faire partie de son champ de compétence.

En outre, en dehors du divorce, qui relève d'une procédure avec représentation obligatoire, le contentieux familial ne nécessite pas la présence d'un avocat, ce qui rend plus facile de l'assimiler au contentieux de proximité actuellement traité au sein des tribunaux d'instance.

Toutefois, bien qu'ils en comprennent l'inspiration, vos rapporteurs ne jugent pas cette proposition réaliste.

En effet, le contentieux familial représentent plus de la moitié du contentieux civil porté devant les TGI . Ce que l'on nomme parfois le contentieux familial hors divorce , et qui recouvre celui de l'après divorce (révision de la prestation compensatoire ou de la pension alimentaire, du droit de visite, etc .), celui de l'autorité parentale et celui des obligations alimentaires, représente lui-même la moitié (51 %) de tout le contentieux familial . Ceci correspond à un peu plus du quart (27 %) de l'ensemble du contentieux civil (194 656 affaires nouvelles enregistrées en 2010, pour 702 291 affaires civiles au total).

Décider de traiter ce contentieux dans les implantations judiciaires de proximité du TPI installées au siège des actuels tribunaux d'instance, imposerait, par conséquent, de réaffecter près du quart des emplois de magistrats aujourd'hui dédiés au traitement du contentieux civil du TGI.

Ceci irait à rebours de la logique de spécialisation qui a justifié la concentration du contentieux familial au sein du TGI 49 ( * ) , afin de permettre la création d'un pôle familial identifié. En outre, se poserait inévitablement la question de l'encombrement de tribunaux déjà surchargés, par importation d'un contentieux massif.

Faut-il pour autant renoncer absolument à rapprocher la justice aux affaires familiales 50 ( * ) du justiciable ?

Vos rapporteurs considèrent que d'autres voies méritent d'être explorées.

Les audiences foraines en sont une. L'expérience montre d'ailleurs qu'elles sont principalement organisées en matière familiale. Elles évitent de dissoudre l'unité du pôle familial, puisque le juge ne se déplace que certains jours et siège sinon au tribunal de grande instance. Elles permettent aux justiciables de rencontrer leur juge au plus près de leur domicile.

La création de chambres détachées au périmètre renforcé pourrait être une seconde solution . C'est d'ailleurs celle qu'a préconisée la mission sur l'évaluation de la carte judiciaire, présidée par Serge Daël, pour remédier à l'éloignement de la justice consécutif à la suppression d'un TGI.

Toutefois, il serait possible au chef de juridiction de doter certaines chambres détachées d'attribution renforcées : au contentieux de proximité, défini par la loi ou le règlement, s'ajouterait, ainsi, par exemple, le contentieux familial hors divorce. Le choix de ces chambres détachées au champ de compétence élargi se ferait en considération de la faible présence judiciaire dans un territoire ou de l'éloignement par rapport au siège du TPI 51 ( * ) . Une offre de justice plus importante serait apportée aux justiciables concernés afin de remédier, au moins en partie, à cet éloignement.

La souplesse de gestion qu'autorise le TPI est un atout, dont les justiciables doivent profiter.

Recommandations n° s 18, 19 et 20

Confier aux chambres détachées du TPI la charge d'un contentieux de proximité défini par la loi ou le règlement, correspondant à celui actuellement traité au sein des tribunaux d'instance

Prévoir que la compétence de ces chambres détachées puisse être élargie, pour certaines d'entre elles, à des contentieux traités au siège du TPI, notamment le contentieux familial hors divorce, lorsque l'éloignement de la population concernée à la ville siège du TPI est trop important

Recourir, lorsque c'est opportun, aux audiences foraines pour augmenter l'offre de justice apportée au sein des implantations judiciaires déconcentrées du TPI

Examinant la question sous l'angle de l'accessibilité de la justice, vos rapporteurs ne se sont pas prononcés sur les évolutions éventuelles de procédures que pourrait justifier cette répartition des contentieux, laissant ces questions à une réflexion ultérieure qui leur serait plus particulièrement dédiée.


* 46 En effet, l'affectation des magistrats au TPI s'effectuerait comme actuellement, sous le régime des articles L. 121-3 et R. 121-1 du code de l'organisation judiciaire : le président de la juridiction déciderait, dans l'ordonnance dite « de roulement » de la répartition des juges dans les différents services du tribunal, sous réserve du respect de la spécialisation des magistrats nommés par décret à certaines fonctions (aujourd'hui : juge des enfants, juge d'instruction, juge de l'application des peines et juge chargé du service d'un tribunal d'instance).

* 47 Le siège du TPI, intégrerait lui aussi une telle chambre, à côté des autres chambres pénales et civiles qui composeraient le TPI.

* 48 La commission sur la répartition du contentieux avait proposé que le juge d'instance devienne juge de l'exécution pour toutes les actions mobilières. Toutefois, prenant en compte une jurisprudence de la Cour de cassation qui imposait au juge de l'exécution de statuer sur la validité de la créance, le législateur avait rejeté cette recommandation, afin de conserver une cohérence entre le fait d'être compétent au fond sur la créance dont l'exécution est demandée et le fait de statuer sur cette exécution. Par exception toutefois, il a validé le transfert du contentieux du surendettement au juge d'instance (art. 11 de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l'exécution des décisions de justice et aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées).

* 49 Cf. supra .

* 50 Votre commission des lois a mis en place une mission d'information, confiée à nos collègues Mme Catherine Tasca et M. Michel Mercier, chargée de réfléchir plus particulièrement à la justice aux affaires familiales. Vos rapporteurs limitent, pour cette raison, leur propos à ce qui relève exclusivement du TPI.

* 51 La délimitation de ce périmètre élargi, constitué autour du bloc de compétence de proximité définie par la loi ou le règlement, relèverait de la décision du président du TPI. La crainte, parfois évoquée, d'une rupture d'égalité dans l'accès à la justice ne paraît pas fondée, ce principe n'ayant jamais été consacré au sujet de la localisation d'un tribunal. En outre, tous les justiciables auraient la garantie que leur affaire serait traitée devant la même juridiction, le TPI. La loi définirait de plus un contentieux de proximité minimal, pour le tout le territoire, au sein des chambres détachées. Plutôt qu'à la création d'une nouvelle espèce de juridiction, la chambre détachée renforcée s'apparenterait à une audience foraine, dont la constitutionnalité n'est pas douteuse. En l'occurrence, le contentieux traité au sein de cette chambre détachée renforcée ne se distinguerait ni par la procédure, ni par la composition du tribunal, de celui traité devant le TPI siège.

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