CINQUIÈME PARTIE
RENFORCER LA LUTTE CONTRE L'ÉVASION DES CAPITAUX

Ces dernières années ont vu un effort d'élaboration législative contre la fraude fiscale considérable. Depuis 2008, il n'est pas une loi de finances qui ne comporte ses dispositions propres. Cette continuité législative porte de nombreux fruits. Mais, beaucoup reste à faire.

La lutte contre l'évasion fiscale n'accomplira de progrès significatifs qu'à condition que les intermédiaires indélicats comprennent qu'ils seront traités avec la même sévérité que les fraudeurs eux-mêmes . A cet égard, la commission d'enquête exprime une nette préférence pour les dispositions législatives et réglementaires contraignantes par rapport aux déclarations de bonnes intentions, codes de bonne conduite et autres « relations améliorées » avec l'administration - qui tardent à produire leurs effets au-delà de la rhétorique. De plus, il convient de rappeler que si les banques, sociétés de conseil fiscal et autres sites Internet se jouent aisément des frontières et des régimes juridiques, les individus , eux, sont bien présents sur un territoire donné - et souvent le nôtre : c'est sur ces derniers que doit se porter l'effort.

A la multiplication des initiatives et réflexions sur le sujet, la commission d'enquête préfère insister sur quelques propositions fortes et concrètes , destinées à renforcer l'arsenal fiscal et judiciaire utilisable contre les intermédiaires. Certaines d'entre elles du fait de la superposition des agendas sont en cours d'examen dans le cadre de projet de loi contre la fraude fiscale mais dans un format qui mériterait parfois d'être élargi.

C'est d'abord à l'administration fiscale qu'incombe la tâche d'agir contre les facilitateurs d'évasion fiscale : à cette fin, la commission d'enquête soutient la mise en place d'un dispositif du type « FATCA » à l'échelle européenne et d'un système de déclaration préalable obligatoire des schémas d'optimisation fiscale, ainsi qu'une réorientation des outils et priorités du contrôle fiscal. Cependant, les moyens dont dispose l'administration fiscale apparaissent vite trop limités, rendant impératif de confier à l'autorité judiciaire un rôle plus important dans la lutte contre les complices de la fraude fiscale .

I. MIEUX CONNAÎTRE POUR MIEUX COMBATTRE

A. CRÉER UN CADRE INSTITUTIONNEL FAVORABLE À LA TRANPARENCE DES SYSTÈMES DE CONTRÔLE

L'actualité a montré combien la crédibilité des systèmes de contrôle pouvaient être atteinte par des « accidents » laissant supposer, à tort ou à raison, une complaisance de la part de leurs responsables.

Un effort de redressement doit être entrepris qui passe par une définition assez large de la lutte contre les conflits d'intérêt et l'application rigoureuse des dispositifs « casuistiques » mis en place, mais aussi par des mesures visant à fortifier la démocratie sociale et économique et les institutions publiques.

La commission est conduite à formuler une série de recommandations pour progresser en ce sens.

Proposition n° 1 : créer un Haut-Commissariat à la protection des intérêts financiers publics et développer cette mission au sein du Parlement.

Proposition n° 2 : doter les personnels dédiés au contrôle interne de conformité d'un statut de salarié protégé .

Proposition n° 3 : mettre en place un groupe de travail destiné à assurer la complète indépendance des commissaires aux comptes par rapport aux entreprises dans lesquelles ils interviennent.

Proposition n° 4 : appliquer rigoureusement les dispositions destinées à lutter contre les conflits d'intérêts aux autorités administratives de supervision, aux services des administrations économiques et aux magistrats.

Proposition n° 5 : inclure le civisme fiscal des entreprises dans le champ de leur responsabilité sociale et prescrire aux organes dirigeants des entreprises financières et des entreprises faisant appel public à l'épargne une obligation de déclaration de conformité fiscale et au regard des obligations imposées par la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Le développement de l'information financière à dimension fiscale doit dépasser le champ des établissements bancaires pour concerner au moins les entreprises faisant appel public à l'épargne.

Proposition n° 6 : renforcer les prérogatives des institutions représentatives du personnel en matière de prévention de la lutte contre l'évasion fiscale internationale.

Les comités d'entreprise devraient être informés de la politique fiscale de l'entreprise et pouvoir bénéficier des concours techniques nécessaires.

Proposition n  7 : assurer une protection adaptée des lanceurs d'alerte.

Le rôle des lanceurs d'alerte dans les enquêtes fiscales apparait considérable. Au-delà des mesures destinés à les protéger juridiquement contre des mesures de rétorsion abusive et des questions que pose l'encadrement de leurs interventions du point de vue de la protection contre la diffamation ou la dénonciation calomnieuse, il convient de définir un statut qui permette de prendre mieux en compte leur contribution à la lutte contre la fraude fiscale, notamment celle à dimension internationale. Ce statut devra en particulier clarifier les conditions dans lesquelles leurs témoignages sont recueillis, mais plus largement les modalités des échanges entre les lanceurs d'alerte et les superviseurs.

Par ailleurs, la protection des sources des journalistes et la définition d'un statut du repenti rentrent dans ce domaine d'action qui doit concilier l'efficacité et le respect de principes essentiels de protection de la vie privée.

Proposition n° 8 : étendre l'obligation de déclaration de soupçon à Tracfin aux employés des personnes assujetties.

La 4 ème directive anti-blanchiment conduit à cette mesure de bon sens dans la mesure où elle prévoit l'extension des responsabilités en cas de manquement à la procédure de signalement à un camp plus vaste de personnes.

Les enjeux de l'évasion fiscale internationale, les affaires qui ont porté atteinte à la crédibilité de notre système politico-administratif, à tort ou à raison, la multiplication des travaux parlementaires ad hoc sur les sujets connexes aux questions abordées par la commission d'enquête renforcent la nécessité déjà identifiée par la commission d'enquête du Sénat sur l'évasion fiscale internationale de réunir les conditions institutionnelles d'une meilleure crédibilité de l'action publique en ces domaines.

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