B. DES CONTRE-MESURES À RENFORCER

On constate une diversification juridique des chefs d'incrimination des flux illicites des capitaux qui peut en favoriser la répression. Mais, l'essentiel est que les moyens pour les combattre soient effectivement réunis.

L'opacité des transactions, leur multiplication, leur vitesse contrastent avec la fragmentation des autorités de contrôle. Celles-ci doivent remonter des circuits qui se matérialisent en quelques secondes quand leurs investigations supposent de longs délais.

1. Une diversité des instruments juridiques internes

Il existe plusieurs voies juridiques pour appréhender le blanchiment. Au-delà de l'infraction spécifique de blanchiment, la diversité des infractions qui lui sont associées est couverte par u droit qui tend à se diversifier lui- même.

En soi, le blanchiment est une infraction de conséquence qui suppose une infraction préconstituée, le lien entre les flux financiers constitutifs du blanchiment est l'infraction sous-jacente devant être démontré dans le cadre de l'article 324-1 du code pénal.

La difficulté d'établir ce lien incite les autorités judiciaires à passer par une autre incrimination : celle de la non-justification de ressources (article 321-6 du CP) ou de recel (article 321-1 du CP).

Mais malgré la montée en charge du recours à l'article 321-6 (12 condamnations en 2008) depuis son introduction en 2006, les condamnations pour blanchiment sont nettement plus nombreuses (200 en 2006 ; 264 en 2008).

D'autres voies judiciaires sont disponibles comme autant d'alternatives (ainsi de l'exercice illégal de la profession de banquier ou de l'abus de biens sociaux).

Le blanchiment est également une infraction autonome. Son élément intentionnel n'est pas homogène à l'intention de l'infraction sous-jacente. L'intention est liée au détournement du système financier ou bancaire pour rendre licites des fonds d'origine criminelle.

En outre, il existe des infractions spécifiques de blanchiment comme celui de trafic de drogue, le blanchiment douanier que réprime l'article 415 du code des douanes. L'intention du blanchisseur est de jouir des richesses obtenues illégalement en leur donnant une apparence légale. Les techniques de blanchiment sont plus ou moins sophistiquées mais en constante évolution.

Enfin, la tendance à la diversification des incriminations conduit à renouveler les ocnceptions de l'escroquerie comme en témoigne le projet de loi sur la lutte contre la fraude.

2. Des coordinations internationales qui doivent progresser

Le Gafi est l'organisme internationale de coordination de la lutte anti-blanchiment.

Ses standards ont été améliorés en 2012 et désormais le Gafi prend plus pleinement en compte les inractions fiscales pénales.

Cependant, la portée de sa coordination reste insuffisante.

Le Gafi publie deux listes de pays dont la pratique de lutte anti-blanchiment n'est pas satisfaisante. Une première liste noire regroupe 10 pays : l'IRAN, la Corée du Nord, la Birmanie, la Bolivie, Cuba, l'Éthiopie, le Kenya, le Sri Lanka, la Syrie et la Turquie. Une seconde liste recense les pays où la situation n'est pas satisfaisante mais qui ont pris des engagements d'amélioration. Elle compte 31 pays : Angola, Antigua et Barbuda, Argentine, Bangladesh, Brunei, Cambodge, Équateur, Ghana, Honduras, Indonésie, Maroc, Mongolie, Namibie, Népal, Nicaragua, Nigéria, Pakistan, Paraguay, Philippines, Sao Tomé et Principe, Soudan, Tadjikistan, Tanzanie, Thaïlande, Turkménistan, Trinidad et Tobago, Ukraine, Venezuela, Vietnam, Yémen, Zimbabwe.

Ces listes ne sont établies que par référence aux recommandations essentielles du GAFI, qui comportent des lacunes. En particulier, l'opacité des structures n'entre pas totalement dans le critérium du GAFI. On relèvera également la non-homogénéité des listes GAFI et OCDE.

Ces hésitations nuisent à une action coordonnée des pays et ont un certain tententissement sur la conception même des instruments juridiques mis en place au sein de l'Europe

3. Une quatrième directive européenne anti-blanchiment trop ambivalente

L'Europe prétend avancer régulièrement dans le champ de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Elle en est déjà à sa quatrième directive anti-blanchiment. Celle-ci est censée tirer les enseignements des problèmes rencontrés et instaurer une coordination plus coopérative des régimes et pratiques des États membres.

Pourtant, sur de nombreux points essentiels, la quatrième directive anti-blanchiment se révèle très préoccupante.

La quatrième directive anti-blanchiment comporte des nouveautés dont certaines sont, de fait, ambivalentes .

- Le champ d'application des standards est élargi aux agents de location, aux entités proposant des paris et jeux d'argent et de hasard en ligne, les jeux d'argent ne reposant pas sur le hasard n'étant pas visés.

- Le paiement en espèces est couvert dès le seuil de 7 500 euros et non plus de 15 000 euros mais sans élimination des coupures de montant nominal élevé qui posent un problème particulier.

- Le renforcement de l'exigence de connaissance du bénéficiaire n'est pas assez effectif.

La troisième directive avait introduit une obligation de connaissance du bénéficiaire effectif qui avait donné lieu à des divergences dans les États-Membres. Ceux-ci devront veiller à ce que les sociétés, ou entités juridiques établies sur leur territoire, obtiennent et détiennent des informations adéquates, exactes et actuelles sur les bénéficiaires effectifs. Les Etats devront faire en sorte que ces informations soient accessibles aux autorités compétentes et aux assujettis à signalement.

La façon dont cette dernière obligation sera appliquée n'est pas précisée. Surtout, il est regrettable que la solution visant à obliger à la constitution d'un registre officiel des trusts ou autres entités ou structures opaques n'ait pas été retenue.

La Commission européenne paraît hostile à cette mesure et invoque des contraintes relatives aux coûts, ce qui n'est pas admissible.

Or, l'utilisation de techniques juridiques, économiques et financières permettant d'accroître l'opacité des opérations et des flux comme l'utilisation de structures intermédiaires permettant l'anonymat, la localisation des fonds dans des juridictions non-coopératives, sont au coeur des risques de blanchiment.

- Les obligations nouvelles pour les personnes particulièrement exposées (PPE) suscitent une certaine perplexité.

On doit distinguer les PPE étrangères et nationales. Les PPE devront être identifiées, non seulement comme clients mais encore dès lors qu'elles sont les bénéficiaires effectifs. Mais la condition de visa de la relation d'affaires par une autorité hiérarchique très élevée est allégée. Pour les PPE nationales, alors que toute PPE était considérée porteuse de risques dans la troisième directive, il serait désormais loisible de graduer la vigilance.

Il est à noter que la demande des établissements que les États publient eux-mêmes des listes de PPE n'a pas été prise en compte. Demain comme actuellement, il faudra s'en remettre à des listes proposées par des entreprises privées. Il n'y a donc pas d'harmonisation sur ce point, ce qui peut engendrer les conséquences habituelles de l'incoordination : l'attribution d'une prime au moins-disant (au « faisant ») réglementaire.

- La quatrième directive approfondit l'approche par les risques mais sans offrir de véritables garanties.

La directive comporte une liste de critères faisant présumer des risques moins élevés passibles de procédures allégées de vérification. Certains sont inhérents aux clients et aux produits, d'autres aux canaux de distribution, d'autres enfin à des facteurs géographiques.

Il n'y a certes plus d'exemptions mais certaines solutions conduisent à établir des présomptions déconcertantes.

Par exemple, le risque est considéré comme faible dès lors que le client, quelle que soit sa nature, est résident d'un autre Etat membre de l'UE, d'un pays tiers qui dispose de systèmes efficaces de lutte contre le blanchiment des capitaux, ou d'un pays tiers identifié par des sources crédibles (type ONG) comme présentant un faible niveau de corruption ou d'activité criminelle. S'agissant des secteurs réclamant des obligations renforcées de vigilance, on signalera que la banque privée est incluse.

Le risque pays avait fait l'objet d'une politique de la liste, puisqu'une liste blanche recensant les pays disposant de systèmes analogues à ceux de l'UE devait être établie par chaque Etat membre. La liste française a été publiée par arrêté du 27 juillet 2011. Elle est très étonnante puisqu'on trouve, parmi les pays tiers équivalents, l'Afrique du Sud comme l'Australie, le Canada comme la Fédération de Russie, Hong Kong, l'Inde, le Mexique, Singapour et la Suisse....

À l'avenir, alors qu'une demande d'harmonisation avait été présentée par les établissements, ceux-ci seront responsables chacun de leurs listes. Autant dire, sur ce point, que l'ambition que l'action publique soit coordonnée est balayée.

Or, la commission d'enquête a pu vérifier l'extrême diversité des appréciations des banques, l'un des banquiers auditionnés confiant être dépourvu des moyens d'établir une liste tandis qu'un autre a présenté, pour son établissement, une liste assez fournie, notablement constituée, il est vrai, de pays où son établissement n'est pas déployé.

- Le durcissement des sanctions applicables doit être relevé.

Les personnes sanctionnables voient leur liste étendue à quasiment toute personne ayant participé à la relation d'affaires, directement ou indirectement ( back office ). Cette option peut sembler excessive au vu des responsabilités du back office et de l'organisation hiérarchique des banques. Toutefois, elle n'exclut pas une gradation du prononcé des sanctions et a pour elle un certain réalisme, étant donné la complexité des systèmes bancaires. La sanction peut atteindre 10 % du chiffre d'affaires de la personne morale et 5 millions d'euros pour les personnes physiques. Évidemment, dans ce domaine, les pratiques comptent plus encore que les normes. Or, les mécanismes de contrôle coordonnés des pratiques font défaut.

La prise en compte de la dimension du groupe n'est toujours pas satisfaisante . Une définition de la politique du groupe devra intervenir, tandis que les échanges d'information intra-groupe devront être favorisés. Il n'empêche que, s'il est recommandé d'appliquer à toutes les entités le droit de l'Union, la seule conséquence à tirer d'une impossibilité légale d'en respecter les principes demeure la communication de cette impossibilité à l'autorité de contrôle nationale. La pratique des superviseurs n'incite pas à envisager qu'ils en tirent toutes les conséquences envisageables. Quant aux échanges au sein du groupe, il est rappelé qu'ils doivent se conformer aux législations locales qui peuvent protéger les données, même si un système d'échange reposant sur des habilitations est évoqué.

L'approche par les risques laisse une large place à la subjectivité et ouvre grand les perspectives d'une hétéroclicité des législations et des pratiques, au sein de l'UE, mais aussi au sein d'un pays donné.

4. Pour la France, la nécessité d'une mise à niveau réglementaire et d'une action de renseignement et d'analyse plus déterminée
a) Développer la transparence mais aussi coordonner les services

La lutte contre le blanchiment impose des évolutions législatives pour assurer une meilleure transparence des flux financiers et éviter de fovoriser l'activité des blanchisseurs par une offre inconsidérée de moyens.

Plusieurs propositions sont faites dans ce rapport comme celles relatives à la constitution d'un FICOBA européen ou à l'extension du FICOBA français aux contrats d'assurance-vie. Par ailleurs, des mesures comme le retrait de la circulation monétaire des grosses coupures compliqueraient la vie des fraudeurs.

Le champ du souhaitable peut être défini à partir d'un objectif de mise à niveau des standards de transparence, qu'ils concernent l'enregistrement des trusts, une description fine des activités économiques des intermédiaires financiers, dans les paradis fiscaux notamment, ou encore le renforcement des pouvoirs d'investigation des superviseurs financiers...

Mais ces mesures n'auraient pas de portée si elles n`étaient secondées par un effort concernant l'action même des superviseurs.

A cet égard, le présent rapport comporte un certain nombre de recommandations tirées des constats auxquels la commission d'enquête est parvenue.

Dans un référé récent sur l'action des services administratifs contre la fraude fiscale internationale, la Cour des comptes relève la nécessité d'une plus grande coordination du renseignement.

Votre commission d'enquête a pu constater que la fragmentation des services est un obstacle pour une lutte efficace contre l'évasion des capitaux. La spécialisation des services peut l'entretenir puisqu'aussi bien chacun peut être tenté de poursuivre des intérêts propres, conformes aux missions spéciales des différentes structures, mais qui peuvent être sous-performants compte de la nécessité d'une approche opérationnelle globale.

A cet égard, une conception trop rigide de leurs compétences par les services du ministère de l'économie et des finances peut bloquer la circulation de l'information entre ces services mêmes mais aussi entre eux et d'autres services dont les moyens d'enquête sont plus adaptés à une action plus performante.

La commission a pu mesurer combien la criminalité organisée est porteuse de multiples infractions qui appellent une coordination administrative obligeant à dépasser le clivage entre le « fiscal » et le reste. L'affaire Virus en témoigne très largement.

Plus encore, il faut tirer les leçons du développement de la criminalité organisée et de la sophistication des fraudes sans frontières , en particulier pour les fraudes financières.

b) Promouvoir le renseignement et l'analyse

L'activité de renseignement devient dans ce contexte primordiale. Les mùéthodes du contrôle ne peuvent s'en enir aux traditionnels contrôles sur pièces ni même aux contrôles sur place dans leur acception ordinaire.

La sophistication des circuits financiers, leurs déplacements hors de portée des systèmes de contrôle via l'utilisation de vecteurs opacifiants (qu'ils doivent cette propriété à l'effet-frontière, à des caractéristiques techniques ou à des structurations juridiques) invitent à élargir le champ couvert par ces systèmes.

Une meilleure structuration de la recherche du renseignement extérieur en matière financière doit intervenir. Mais, des mesures plus simples visant à garantir aux contrôleurs une meilleure lisibilité des activités des contribuables s'imposent aussi. A cet égard, la teritorialité de l'imposition des sociétés ne doit pas faire obstacle à un accès très large aux pièces comptables des entreprises, y compris celles correspondant à leurs affaires extérieures.

Par ailleurs, l'exploitation des informations devient cruciale dans un monde foisonnant en données .

Elle suppose en premier lieu d'éviter le plus possible toute déperdition d'informations, ce qui suppose en particulier de coordonner des structures qui peuvent sembler excessivement cloisonnées mais aussi de disposer des moyens d'identifier les données les plus porteuses de sens.

La commission d'enquête a pu prendre la mesure des défis informationnels que doivent relever les régulateurs et autres superviseurs.

Elle a pu aussi estimer que tant le potentiel de recueil que celui d'expertise des données devraient être mis à niveau.

Les recommandations adressées aux superviseurs financiers vont dans ce sens comme celles qui concernent Tracfin.

Elles sont en cohérence avec les termes du référé sur les services de l'État et la lutte contre la fraude fiscale internationale communiqué à la commission d'enquête à la toute fin de ses travaux par la Cour des comptes, ce qui témoigne d'une forme de consensus sur la perception des progrès à poursuivre.

La commission d'enquête estime que les ressources d'analyse économique doivent également contribuer à cette politique ce qui suppose un effort statistique de grande ampleur.

Il faut pouvoir accéder à des images plus précises des organisations financières des groupes financiers ou non financiers et accéder à la vraie signification économique et fiscale de leurs opérations.

A ce égard, il est regrettable que des projets d'enquête statistique européennes, comme LIFI soient abandonnées. Il faut aussi encourager les autorités monétaires à compléter leur information non seulement pour répondre à leurs missions prudentielles à caractère financier mais aussi pour mieux appréhender le substrat économique des faits financiers contemporains.

Se pose en particulier la question de la complétude des données utilisées pour mener à bien le contrôle des consortiums financiers et des groupes multinationaux. Le contrôle sur base consolidée aboutit à focaliser l'attention sur les grandes masses des bilans quand la connaissance des flux est aujourd'hui une condition primordiale des contrôles prudentiels et de conformité. À ce sujet, les obstacles législatifs et réglementaires qui peuvent faire obstacle à la connaissance fine des opérations financières, notamment quand elles impliquent des entités liées localisées dans des pays à secret bancaire très rigide ou dépourvus d'une législation assurant la disponibilité d'ne information fiable, doivent être levés pour que les projets en cours sur l'échange automatique d'informations en matière fiscale ne soient pas désamorcés.

Les recommandations formulées par la Cour des comptes sur l'action des services renseignement sont très proches de celles que veut formuler la commission d'enquête.

L'affaire HSBC qui fait l'objet de développements particuliers a montré qu'une action contre la grande criminalité internationale qui ne disposerait pas de tous les leviers compatibles avec la légalité pourrait apparaître privée d'efficacité.

Cette affaire met également en évidence l'exigence de progrès dans le sens d'une diversification ordonnée des sources de renseignements, que d'autres dossiers ont également illustrée.

C'est ici toute la question de la loyauté des preuves qui est en cause mais aussi celle de la protection des lanceurs d'alerte, du statut des repentis et de la protection des sources des journalistes. Le premier problème semble en voie de résolution d'un strict point de vue juridique, grâce au texte prévu dans la loi contre la fraude fiscale. Il reste à organiser beaucoup mieux qu'aujourd'hui les relations entre les sources d'information de l'administration et celle-ci.

Notre commission a été destinataire de témoignages récurrents sur la déception des sources face à l'accueil qui leur est réservé par les autorités publiques, avec des nuances notables sur l'implication exemplaire de certains services d'enquête, tout particulièrement la DNEF dans le cadre de l'affaire HSBC.

La question de la rémunération des sources est évacuée avec pudeur ; elle devrait être abordée sur des bases pragmatiques et respectueuses de certains principes. Des pays proches, l'ont fait et ce n'est pas une considération secondaire dans un monde où les intérêts nationaux demeurent. Au demeurant, il arrive que la coopération internationale fonctionne de façon satisfaisante et il n'est pas exclu que certaines informations ayant donné lieu à des indemnisations aient pu être transmises à notre pays.

Au-delà, c'est bien la protection des informateurs qui compte. Votre commission d'enquête y a été très directement rendu sensible à l'occasion de ses travaux.

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