II. LA LOI DU 21 AOÛT 2007 S'INSCRIT DANS LE CADRE CONSTITUTIONNEL DE L'EXERCICE DU DROIT DE GRÈVE

A. UNE LOI À L'AMBITION LIMITÉE

1. Dans son objet : la loi ne vise que les transports terrestres réguliers de voyageurs

La loi du 21 août 2007 est applicable seulement aux services publics de transport terrestre régulier de personnes à vocation non touristique, comme l'indique son article premier.

Son champ d'application est donc restreint puisqu'il ne concerne pas les modes de transport aérien, maritime et fluvial.

En conséquence, l'application de la loi doit être évaluée en distinguant les trois volets suivants :

- le transport urbain par bus et tramways et le transport interurbain par car ;

- le transport ferroviaire de personnes (national et régional), réalisé par la SNCF ;

- et le transport en Ile-de-France, qui comprend le métro, le RER, Transilien, les tramways et le transport urbain et interurbain.

Notre collègue Catherine Procaccia, rapporteur du texte au Sénat, indiquait toutefois que si le bilan de la mise en oeuvre de la loi s'avérait positif, il faudrait « étendre le dispositif du service minimum ainsi prévu à d'autres types de transports (maritime, aérien, fret) voire, en l'adaptant, à l'ensemble des services publics (service postal, éducation nationale) » 8 ( * )

Vos rapporteurs soulignent la nécessité de tenir compte de toutes les composantes du transport terrestre de voyageurs, et notamment du transport urbain et interurbain, trop souvent oublié lorsque cette loi est évoquée. Selon les dernières données du ministère des transports, le transport intérieur terrestre s'élève en 2011 à environ 1 000 milliards de voyageurs-kilomètres 9 ( * ) , dont 84 % sont effectués à bord de voitures particulières, 10,7 % grâce aux transports ferrés et 5,3 % par des autobus ou des autocars (soit 51 milliards de voyageurs-kilomètres) 10 ( * ) . Il convient à ce stade de souligner la place singulière de la région Ile-de-France, qui enregistre 28,5 milliards de kilomètres-voyageurs la même année.

Activité annuelle des transports collectifs urbains en France

Millions de voyages

Milliards de voyageurs-km

2010

2011

2010

2011

Stif - Ile-de-France

4 048,2

4 137,0

28,6

28,5

dont métro

1 506,2

1 524,0

7,5

7,6

dont RER et trains

1 138,0

1 167,0

16,5

16,1

dont bus

1 296,0

1 332,0

4,3

4,4

dont tramways

108,0

114,0

0,3

0,4

Province

métro

491,1

498,5

n.d

n.d

tramways

492,4

522,4

n.d

n.d

Source : Stif, DGITM, enquête Certu

Enfin, vos rapporteurs rappellent que les dispositions de la loi du 21 août 2007 s'appliquent également aux entreprises privées chargées d'une mission de service public de transport terrestre de voyageurs. Dans un arrêt 11 ( * ) du 9 octobre 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que « les dispositions relatives à la grève dans le service public s'appliquent notamment au personnel d'une entreprise privée gérant un service public affecté à cette activité, peu importent les modalités de rémunération de l'entreprise ». En l'espèce, à la suite d'une interruption de trafic ferroviaire pour cause de travaux, la SNCF avait passé un contrat avec une entreprise privée de transport routier de voyageurs, moyennant le versement d'une somme forfaitaire. De ce fait, la qualification de délégation de service public n'était pas clairement établie. Des salariés ont ensuite été sanctionnés par des mises à pied disciplinaires pour avoir participé à une grève en méconnaissance des règles prévues par la loi du 21 août 2007. Le juge judiciaire a estimé que la simple exécution d'un service public, indépendamment de la nature juridique du contrat et de son mode de rémunération, entraînait l'application des dispositions de cette loi en matière d'exercice du droit de grève.

2. Dans sa finalité : la loi n'institue pas de service minimum

Aujourd'hui, comme lors de son examen par le Parlement en 2007, beaucoup de commentateurs considèrent que cette loi impose un service minimum dans les transports en cas de grève.

Cette interprétation est inexacte. En effet, si l'ensemble des salariés d'une entreprise de transport décide de se mettre en grève, aucun service ne peut, par définition, être réalisé.

La création d'un service minimum nécessiterait d'autoriser la réquisition du personnel. Tel n'a pas été le choix du législateur en 2007.

De telles réquisitions existent dans notre législation, par exemple :

- dans les établissements et organismes de radiodiffusion et de télévision (lois du 26 juillet 1979 et du 30 septembre 1986) ;

- dans ceux détenant des matières nucléaires (loi du 25 juillet 1980) ;

- dans le domaine de la navigation aérienne (loi du 31 décembre 1984) ;

- dans les services publics hospitaliers (article L. 6112-2 du code de la santé publique) et dans les établissements privés de santé assurant une mission de service public.

Le préfet peut également réquisitionner tout bien ou service et requérir toute personne à la place du maire en cas d'urgence et d'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques en vertu de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales.

Dans le cadre de la politique de sécurité nationale et de défense, le Gouvernement dispose par ailleurs d'un large pouvoir de réquisition, comme l'y autorisent les articles L. 2211-1 et suivants du code de la défense.

Enfin, certains pays, comme l' Italie , ont instauré un service minimum dans les transports dès 1990 12 ( * ) .

3. Les agressions dont peuvent être victimes les agents et les usagers dans les transports n'entrent pas dans le champ de la loi

La loi du 21 août 2007 ne concerne que les perturbations prévisibles du trafic. Elle exclut donc par définition les arrêts de travail collectifs qui interviennent spontanément après l'agression d'un agent.

Le droit de retrait est en principe un droit individuel, comme l'indique l'article L. 4131-1 du code du travail, qui dispose que « le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection », et qu'il peut « se retirer d'une telle situation ».

Selon les interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs, l'exercice collectif du droit de retrait est de plus en plus développé. Il n'existe toutefois pas de statistiques précises sur ce sujet.

Pour les représentants de la SNCF, le droit de retrait ne doit pas être confondu avec le « dépôt de sac », réaction collective de solidarité, à chaud, en réaction à un événement inacceptable.

Dans tous les cas, les directions des entreprises de transport, sauf cas exceptionnels, ne cherchent pas à sanctionner les salariés concernés, conscientes de l'impact psychologique que provoquent les agressions contre les conducteurs ou les contrôleurs.

Bien évidemment, en cas d'exercice du droit de retrait collectif ou de « dépôt de sac », les procédures prévues par la loi du 21 août 2007 ne sont pas applicables.


* 8 Rapport n° 385 (2006-2007) de la commission spéciale du Sénat chargée d'examiner le projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, 12 juillet 2007, p. 24.

* 9 L'unité « voyageur-kilomètre » est souvent utilisée dans l'économie des transports et se réfère à un trajet d'un kilomètre parcouru par un voyageur unique.

* 10 Chiffres clés du transport - Edition 2013, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

* 11 Cour de Cassation, chambre sociale, 9 octobre 2012, n° 11-21.508.

* 12 Voir le rapport précité de Mme Catherine Proccacia, p. 51-52.

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