B. UNE LOI ENCADRÉE PAR LA JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE ET ADMINISTRATIVE EN MATIÈRE DE DROIT DE GRÈVE

1. Le Conseil constitutionnel veille aux prérogatives du législateur pour encadrer le droit de grève

Reconnu au septième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, le droit de grève « s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». L'article 34 de la Constitution confère d'ailleurs au pouvoir législatif le soin de fixer les « principes fondamentaux [...] du droit du travail » et « du droit syndical ». Le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle qui n'est ni général ni absolu : il s'exerce dans le cadre de la loi qui en fixe les limites.

Ni la Constitution, ni la loi ne définissent la grève : cette tâche revient donc dans les faits au juge judiciaire. Ainsi, la chambre sociale de la Cour de cassation a défini, dans un arrêt 13 ( * ) du 23 octobre 2007, la grève comme « un arrêt collectif et concerté du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles ».

Il revient en revanche à la loi d'opérer la « conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte », pour reprendre les termes d'une décision du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1979 14 ( * ) .

Le Conseil a d'ailleurs précisé, en qui concerne les services publics, que « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ».

En 2007, le législateur a veillé à rappeler dès l'article premier de la loi que les services de transport terrestre régulier de personnes sont « essentiels à la population » car ils permettent la mise en oeuvre des principes constitutionnels suivants :

- la liberté d'aller et venir ;

- la liberté d'accès aux services publics, notamment sanitaires, sociaux et d'enseignement ;

- la liberté du travail ;

- la liberté du commerce et de l'industrie.

Les limites apportées au droit de grève doivent être exactement proportionnées à l'intérêt public qui les justifie.

Par conséquent, seul le législateur, et non le pouvoir réglementaire, peut encadrer le droit de grève. Il doit lui-même concilier cette liberté constitutionnelle avec d'autres principes d'égale valeur, comme la continuité du service public, au risque sinon, s'il n'épuise pas sa compétence, d'encourir une censure du Conseil constitutionnel au titre de sa jurisprudence relative à l'« incompétence négative » 15 ( * ) .

2. Dans le silence de la loi, il revient toutefois au pouvoir réglementaire de préciser la nature et l'étendue des limitations du droit de grève dans les services publics

Jusqu'à la loi du 31 juillet 1963 16 ( * ) , il n'existait pas d'encadrement précis du droit de grève dans les services publics. Dans sa décision Dehaene du 7 juillet 1950, le Conseil d'État a reconnu au pouvoir réglementaire, à titre supplétif, le soin de fixer lui-même, sous le contrôle du juge, la nature et l'étendue des limitations au droit de grève.

La loi du 31 juillet 1963 n'offrant qu'un cadre législatif partiel sur le droit de grève, tout comme d'ailleurs la loi du 21 août 2007, le Conseil d'État a maintenu jusqu'à aujourd'hui sa jurisprudence Dehaene. Ainsi, dans une décision 17 ( * ) du 11 juin 2010, le Conseil d'État a estimé que ni les dispositions du code du travail, pour la généralité des services publics, ni celles de la loi du 21 août 2007, pour les services publics de transport terrestre qu'elle régit, « ne constituent l'ensemble de la réglementation du droit de grève annoncée par la Constitution ».

Concrètement, il revient aux organes dirigeants des entreprises de transport de déterminer la nature et l'étendue des limites à apporter au droit de grève afin d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public.

3. Le Conseil constitutionnel a déclaré la loi conforme à la Constitution tout en précisant certaines de ses modalités d'application

Dans sa décision du 16 août 2007, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l'intégralité de la loi.

Le Conseil a tout d'abord rappelé que le législateur, en renvoyant à un accord entre partenaires sociaux et à un décret, n'a pas méconnu la compétence qui lui est confiée par le septième alinéa du Préambule de 1946, car la loi « fixe l'objet, encadre le contenu et précise les conditions de la mise en oeuvre de ce décret, qui doit se borner à prévoir les modalités d'application de la loi ».

Le Conseil rappelle ensuite que le droit de grève, qui est un moyen de défense des intérêts professionnels, est un principe constitutionnel comportant des « limites », et qu'il doit être concilié avec la sauvegarde de l'intérêt général et d'autres principes de valeur constitutionnelle, comme la continuité du service public.

Certains considérants de cette décision seront rappelés dans ce rapport, portant notamment sur les mots d'ordre des grèves, les préavis glissants, le contenu de l'accord de prévisibilité ou la déclaration individuelle.

Enfin, le Conseil constitutionnel a également déclaré conforme à la Constitution, le 15 mars 2012, la loi dite « Diard », qui prévoit en son article 5 des règles supplémentaires en matière de déclaration individuelle des salariés en cas de grève 18 ( * ) (voir infra ). Les requérants n'avaient pas soulevé de grief sur cet article, mais le Conseil constitutionnel a estimé, au considérant 11 de sa décision, qu'il n'y avait lieu de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution.


* 13 Cour de Cassation, chambre sociale, 23 octobre 2007, n° 06-17.802.

* 14 Conseil constitutionnel, décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail.

* 15 Conseil constitutionnel, décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, TDF.

* 16 Loi n° 63-777 du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics.

* 17 Conseil d'Etat, 11 juin 2010, n° 333262.

* 18 Conseil constitutionnel, décision n° 2012-650 DC du 15 mars 2012, Loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page