CONCLUSION

Au cours de la période récente, la police et la gendarmerie nationales ont su prendre le tournant de la modernisation . Mieux équipées, disposant de matériels souvent à la pointe de la technologie, elles ont réussi à relever le défi des avancées scientifiques et techniques pour assurer leurs missions régaliennes avec un haut niveau d'exigence. Pour ce faire, elles ont pu compter sur un effort d'investissement important porté par la collectivité nationale et les finances de l'Etat.

Dans un contexte budgétaire particulièrement tendu , cet effort devient toutefois de plus en plus fortement contraint. Des retards ont d'ailleurs été pris de ce fait dans certains secteurs clefs, comme notamment l'immobilier et les conditions de garde à vue. De nouveaux investissements sont nécessaires pour permettre un accueil des usagers et des conditions de travail dignes. L'adaptation et la mise à niveau de nos forces de sécurité intérieure ne pouvant s'entendre que comme un processus continu dans le temps, de nouveaux besoins pointent en outre d'ores et déjà à l'horizon.

Autant de raisons qui doivent inciter aujourd'hui, plus encore que par le passé, les décideurs et les gestionnaires de la police et de la gendarmerie à poursuivre résolument leur action en faveur de la rationalisation de leurs dépenses, et notamment celles d'investissement . Si les mutualisations ont d'ores et déjà atteint un degré satisfaisant, de nouvelles voies doivent désormais être explorées. Dans cette perspective, la démarche environnementale et le souci d'un achat éco-responsable recèlent de fructueuses pistes en conciliant la nécessaire prise en compte du long terme et de conséquentes sources d'économie à court et moyen terme.

C'est à cet exercice ambitieux et positif que votre rapporteur spécial convie les deux forces : s'appuyer sur leurs « fondamentaux » solides (niveau d'exigence élevé dans le service de l'Etat, faculté d'adaptation et d'anticipation) pour imaginer une politique d'investissement renouvelée, en phase tout à la fois avec une équation budgétaire difficile et les attentes profondes du pays et de nos concitoyens .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 22 octobre 2013, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-Vincent Placé, rapporteur spécial, sur les investissements dans la police et la gendarmerie.

M. Jean-Vincent Placé, rapporteur spécial . - L'action de la police et de la gendarmerie se situe au coeur du pacte républicain. Toutes deux remplissent une mission régalienne aussi difficile qu'indispensable. Pour garantir leur efficacité, l'Etat a l'obligation de leur garantir les moyens de leur tâche, notamment via l'investissement.

La police et la gendarmerie ont-elles les moyens d'agir sur le terrain et d'accueillir convenablement les victimes ? Ont-elles accompli un saut technologique ? Tous les secteurs et les activités ont-ils profité équitablement des efforts ? La stratégie d'achat respecte-t-elle les impératifs de protection de l'environnement ?

Depuis 2007, l'investissement est à la baisse, il a fait les frais des arbitrages. La Cour des comptes a montré que les baisses d'effectifs ont été plus que compensées par les mesures catégorielles, le protocole « corps et carrières » pour la police et le plan d'adaptation des grades aux responsabilités exercées (Pagre) pour la gendarmerie. Dans ces conditions, la dynamique des dépenses de rémunération inscrites sur le titre 2 explique pour une bonne part les tensions pesant sur le titre 5 relatif aux dépenses d'investissement. La sanctuarisation des crédits de fonctionnement a aussi fortement joué. Dans le projet de loi de finances pour 2014, une enveloppe de 192,8 millions d'euros est prévue pour les investissements dans la police, soit une hausse de 23,2 % pour l'an prochain. Et 117,7 millions d'euros sont budgétés pour la police.

Comment sont utilisés ces crédits ? La modernisation de la police et de la gendarmerie s'est faite à un rythme soutenu : protection des agents, armements, innovations technologiques. La vidéosurveillance a absorbé à elle seule 133,6 millions d'euros depuis 2007. Aucune étude scientifique indépendante n'a pourtant démontré son efficacité. Les écologistes demandent un moratoire sur ces investissements. La montée en puissance de la police technique et scientifique (la PTS) est également un fait marquant de la période. De plus en plus, la culture de la preuve se substitue à celle de l'aveu.

La veille technologique est source d'efficacité. Attention cependant à maintenir, voire à renforcer notre vigilance afin que la protection des libertés publiques et de la vie privée ne soient pas remises en cause. Je songe par exemple aux fichiers génétiques. Un encadrement démocratique est indispensable.

Une part significative de l'investissement concerne les actifs immatériels. La formation valorise le capital humain. Son format a été redimensionné avec la fermeture de plusieurs écoles de police et de gendarmerie, avec pour contrepartie un effort sur le parc immobilier et les moyens informatiques des autres écoles. Reste à s'interroger sur la stratégie d'enseignement... La prévention fait également partie des actifs immatériels. Des initiatives ont été couronnées de succès ; il est hélas difficile de chiffrer les crédits correspondants, ce qui serait fort utile pour la suite.

L'émergence de nouvelles formes de criminalité, notamment sur Internet et à l'encontre de l'environnement, appelle des réponses adaptées. Il y faut des moyens financiers et humains.

Le principal point noir de l'investissement, sensible au niveau des départements, concerne le parc immobilier. L'immobilier a trop servi de variable d'ajustement ces dernières années. L'image de la police, de la gendarmerie et de la justice en est dégradée, les conditions d'accueil et de garde à vue ne sont pas satisfaisantes, le moral des troupes s'en ressent. J'ai visité des casernes qui sont dans un état pitoyable. Le besoin de financement, pour les seules casernes de la gendarmerie, est estimé à 300 millions d'euros. J'ai également visité le commissariat de la Rochelle, resté dans le même état que dans le film Le Train , tourné dans les années soixante-dix !

Le retard dans le renouvellement des véhicules des deux forces est patent. Une enveloppe de 183,3 millions d'euros serait nécessaire en 2014 ; le besoin d'investissement, les années suivantes, sera encore supérieur à 100 millions d'euros. La rationalisation des moyens aériens, entre la gendarmerie, la sécurité civile et la police a atteint un stade satisfaisant, mais le renouvellement de la composante aérienne dans la gendarmerie exige encore des arbitrages. Je signale que si les dernières tranches de renouvellement des Écureuils ne sont pas confirmées d'ici 2014, l'État devra s'acquitter d'un dédit de 5,5 millions d'euros.

Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur a accéléré la mutualisation des achats, favorisant économies et redéploiements de personnel. Toutefois, la dépense d'investissement dans la sécurité intérieure ne joue pas encore pleinement le rôle de levier de développement : le critère environnemental et social doit être mis en oeuvre avec plus de volontarisme, la production locale valorisée et l'achat écoresponsable privilégié. Réduisons le nombre de véhicules diesel. Et penchons-nous dès à présent sur l'obsolescence programmée du parc roulant.

Les difficultés rencontrées par la police et la gendarmerie sont bien réelles. La situation, je ne vous le cache pas, est assez inquiétante. Malgré les efforts de modernisation, les retards sont nombreux, touchant aussi bien l'état des bâtiments que les conditions de travail, d'accueil ou de garde à vue. Les éléments que je vous livre sont le fruit de nombreuses auditions, avec les syndicats, la préfecture de police, la Cour des comptes, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, l'Union de groupements d'achats public (UGAP)...

M. Albéric de Montgolfier . - Il n'y aura en 2014 aucune acquisition de véhicule dans les départements de taille moyenne comme le mien. De plus, le budget en carburant diminuera de 15 %. Pourquoi recruter si l'on ne peut pas faire circuler les équipes ? Je signalerai cet exemple : sur une brigade de six motos, une seule fonctionne, et l'on doit « cannibaliser » les cinq restantes pour en construire une seconde opérationnelle.

M. Roger Karoutchi . - Jean-Vincent Placé voudrait faire rouler les généraux en vélib'. Ma question porte cependant sur un autre point, la stratégie du ministère, qui souhaite fermer des antennes de police pour réduire les coûts, inventant une notion nouvelle, les « commissariats de regroupement ». En réalité, n'est-ce pas un moyen de fermer des commissariats en zone urbaine ? Allez-vous demander une augmentation du budget du ministère de l'intérieur sur ce point ? La situation est préoccupante, les postes de police sont dans un état accablant.

M. Aymeri de Montesquiou . - Où en sommes-nous de la chasse aux doublons ? Comment se passe la redéfinition des zones de police et de gendarmerie ? Y a-t-il encore des chevauchements ? L'unification, ou la compatibilité absolue des systèmes de télécommunication, progressent-elles ?

M. Jean Arthuis . - Quel rôle doivent jouer la police et la gendarmerie en cas de manifestations de rue ? Je suis curieux d'entendre sur ce point notre collègue qui appelait ce matin les lycéens à descendre dans la rue. A-t-on un chiffrage du coût ?

M. Philippe Dominati . - A-t-on des données, également, sur le temps moyen de travail : 28 heures de vacation hebdomadaire en moyenne, est-ce une réalité ? Quel est le temps passé sur le terrain dans la police, dans la gendarmerie, et qu'en est-il chez nos voisins européens ?

Mme Marie-France Beaufils . - Pourrions-nous revenir aux investissements, l'objet du rapport ?

Quels sont les moyens mis en oeuvre pour améliorer la qualité de l'accueil des victimes et le respect des personnes gardées à vue ? La façon dont on les traite n'est pas sans incidences sur leur comportement quand ils sortent.

M. Éric Doligé . - Quel est le nombre d'assistantes sociales à disposition de la gendarmerie ? Combien de véhicules sont saisis par les gendarmes, notamment dans les démantèlements des réseaux de la drogue ? Enfin, alors que les cambriolages se multiplient en zone rurale, l'interdiction de signaler l'origine des personnes est-elle pertinente ? Quand on connaît mieux son ennemi, on le surveille mieux.

M. Philippe Marini, président . - Je rappelle, après Mme Beaufils, que la communication de M. Placé concerne les investissements...

M. Jean-Vincent Placé, rapporteur spécial . - Les besoins nationaux pour les investissements dans les véhicules sont de 180 millions d'euros. En 2014, 40 millions d'euros y seront consacrés pour la gendarmerie et 50 millions d'euros pour la police. Vos inquiétudes sont fondées, d'autant que les zones rurales ne seront sans doute pas prioritaires.

Le regroupement des commissariats, comme des ambassades ou des sous-préfectures, peut faire débat. En Ile-de-France, on s'oriente vers de gros commissariats et de petites antennes.

Les zones de police et de gendarmerie sont régulièrement revues en fonction des évolutions démographiques. Frédéric Péchenard, l'ancien directeur général de la police nationale, voulait étendre les zones de police à tous les départements, réservant la gendarmerie aux seules zones très rurales. La répartition est très difficile à changer. Dans l'Essonne, si l'on annonce la fermeture d'un commissariat au profit d'une gendarmerie, on sait ce que cela signifie... L'interopérabilité des systèmes de communication progresse dans toutes les zones, et la géolocalisation centralisée, efficace pour assurer le suivi d'une opération d'une zone à l'autre, se développe - elle est déjà opérationnelle dans les gros départements.

L'intervention de M. Arthuis a peu à voir avec le sujet d'aujourd'hui.

M. Jean Arthuis . - Les manifestations de rue mobilisent beaucoup de véhicules.

M. Jean-Vincent Placé, rapporteur spécial . - Nous songeons, pour les manifestations festives sur la voie publique, par exemple lors d'une victoire du PSG, à un système de convention avec les organisateurs de l'événement, pour obtenir un retour financier. Cela existe, modestement, avec le Tour de France. Il n'en va pas de même, bien sûr, des manifestations syndicales ou politiques.

Le temps de travail est très difficile à évaluer. La Cour des comptes a signalé le très grand nombre d'heures supplémentaires par rapport au temps de base. Nous poserons la question au ministre. C'est un sujet sensible, y compris au niveau syndical.

La qualité de l'accueil est le point noir du dispositif. Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, alerte sur la situation, qui reste difficile. Les choses ne sont pas plus réjouissantes s'agissant de l'état du parc immobilier ou du parc des véhicules.

J'ai vu le travail qu'accomplit, à Evry, une assistante sociale dans un commissariat - accueil des victimes, orientation vers les services sociaux si nécessaire, etc. Cela modifie la relation entre le plaignant et la police. Enfin, pour ce qui est des véhicules saisis, des mesures ont été prises pour accélérer le processus de réutilisation.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte de sa communication à Jean-Vincent Placé, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information .

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