IV. LA DGFIP : UNE MÊME IMPUISSANCE, DES ENJEUX DIFFÉRENTS

La question de la fraude fiscale dans le domaine de la vente en ligne relève également, bien sûr, de la direction générale des finances publiques (DGFiP) . La DGFiP assure en effet le recouvrement :

- de la TVA intracommunautaire (cf. encadré), là où la DGDDI collecte la TVA sur les importations en provenance de pays hors-UE ;

- de l'impôt sur les sociétés (IS) dont sont redevables les vendeurs en ligne établis en France ;

- ou, le cas échéant, de l'impôt sur le revenu (IR) , au titre des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou des bénéfices non-commerciaux (BNC).

Vos rapporteurs spéciaux ont donc recueilli les appréciations des services de la DGFiP sur la problématique de la vente en ligne, dans une perspective comparative et compte tenu, là encore, de l'importance des enjeux financiers 71 ( * ) .

Le régime TVA applicable à la vente à distance de biens matériels

Les règles applicables à la vente par correspondance et à l'achat à distance sont identiques que la commande soit passée par téléphone, à partir d'un catalogue ou via Internet.

La règle générale est le « principe d'origine » , c'est-à-dire l'application du taux de TVA du pays où est établi le fournisseur.

Toutefois, si le niveau des ventes dans tout autre État membre dépasse le seuil annuel de 100 000 euros de chiffre d'affaires (pour la France), c'est le « principe de destination » qui s'applique : le fournisseur doit s'immatriculer dans l'Etat membre où il réalise ses ventes, et facturer la TVA au taux applicable dans cet Etat membre.

Le « principe de destination » est également applicable sous le seuil de 100 000 euros, sur une base volontaire à la demande du fournisseur.

NB : pour les services et les biens immatériels, c'est toujours le « principe d'origine » qui s'applique. Toutefois, à partir de 2015, celui-ci sera entièrement remplacé par le « principe de destination » : la TVA sera facturée au taux en vigueur dans l'Etat du preneur. Le vendeur devra s'enregistrer au « guichet » de l'Etat membre de son choix et reverser la TVA à l'Etat membre du preneur.

Source : Commission européenne

La fraude en matière de vente en ligne constitue donc une fraude de droit commun - à la TVA, à l'IS ou à l'IR -, qui est seulement facilitée par les caractéristiques du commerce sur Internet. Les schémas de fraude sont essentiellement les suivants :

- des fraudes à la TVA ;

- des professionnels se faisant passer pour des « particuliers » sur des sites d'enchères ou de petites annonces, et échappant ainsi à l'imposition au titre de l'IS ou de l'IR 72 ( * ) .

A cela s'ajoute la problématique de « l'établissement stable » , qui relève non pas de la fraude mais de l'optimisation fiscale. Le critère de l'établissement stable permet en effet à un Etat d'imposer les bénéfices réalisés sur son territoire... pour peu que l'entreprise dispose d'installations physiques ou de personnels. Or les acteurs de l'économie numérique peuvent aisément s'en dispenser 73 ( * ) , pour des ventes matérielles et davantage encore pour des ventes immatérielles.

À l'instar de la DGDDI, la DGFiP manque de moyens - avant tout juridiques - pour assurer le recouvrement des impôts dus en matière de commerce électronique, alors même que, là aussi, les enjeux sont sans doute considérables.

Ainsi, les entreprises établies dans un autre Etat membre de l'UE réalisant en France des ventes à distances de biens matériels sont en principe tenues de s'immatriculer auprès de la direction des résidents à l'étranger et des services généraux (DRESG), afin de restituer au Trésor français la TVA facturée 74 ( * ) . Comment expliquer, dès lors, que seulement 599 e-commerçants soient à ce jour enregistrés auprès de la DRESG , alors que 550 000 sites de ventes sont actifs en Europe 75 ( * ) ?

Les contrôles effectués par l'administration fiscale en matière de vente sur Internet reposent principalement sur la mise en oeuvre du droit de communication 76 ( * ) , notamment à l'égard des établissements financiers et, au titre de l'article L.96 G du livre des procédures fiscales (LPF), des opérateurs de communications électroniques, des hébergeurs et des services de courtage de vente en ligne (enchères, annonces etc.). Ce dernier dispositif, introduit récemment 77 ( * ) , commence à porter ses fruits.

Cependant, ces droits de communication souffrent des mêmes faiblesses que ceux de la DGDDI. D'abord, ils sont effectués à la demande de l'administration , ce qui limite considérablement les informations transmises. Ensuite, ils n'ont pas de portée extraterritoriale , ce qui signifie que les tiers sollicités ne sont pas tenus de répondre pour les activités situées hors du territoire français 78 ( * ) . Les agents du fisc sont alors soumis aux vicissitudes de l'assistance administrative internationale... Lors des échanges qu'ils ont eus avec vos rapporteurs spéciaux, les services de la DGFiP ont ainsi clairement indiqué que le passage à l'échange automatique d'informations constituerait un progrès majeur .

Les services de la DGFiP ont mentionné une autre faiblesse majeure du dispositif : les données visées à l'article L. 96 G du LPF ne peuvent pas être conservées plus d'un an par les opérateurs de communications électroniques 79 ( * ) , ce qui est bien peu au regard du temps nécessaire au traitement d'un dossier par l'administration fiscale, notamment lorsque celui-ci implique une demande d'assistance administrative internationale. Bien que cela n'entre pas dans le périmètre du présent contrôle, vos rapporteurs spéciaux estiment que l'augmentation de la durée de conservation de ces données est impérative . Celle-ci pourrait être portée à trois ans , afin de correspondre à la durée de prescription en matière fiscale.

D'une manière générale, la question du recouvrement des impôts en matière de commerce en ligne est donc largement laissée de côté par la DGFiP, faute d'instruments adaptés à ce secteur émergent . Vos rapporteurs spéciaux estiment une fois de plus qu'il est urgent d'entreprendre une action spécifique en la matière.

La coopération entre la DGFiP et la DGDDI
en matière de commerce électronique

Le protocole de coopération entre les deux administrations mentionne explicitement la thématique du commerce électronique. Les modalités de coopération peuvent inclure :

- des échanges spontanés (article L. 83 du livre des procédures fiscales) ;

- le recours aux bulletins de transmission d'une information (BTI) ;

- des formations croisées ;

- des contrôles coordonnés ou conjoints.

Concrètement, la coopération a surtout lieu entre les deux services chargés spécifiquement de la fraude sur Internet : la sixième brigade de la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) au sein de la DGFIP, et la cellule Cyberdouane de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) au sein de la DGDDI. Ces deux services comptent tous deux une dizaine de personnes. Toutefois, des échanges ponctuels entre directions régionales des douanes et directions régionales du contrôle fiscal (DIRCOFI) sont possibles.

Sources : DGFiP et DGFDDI


* 71 La question des prélèvements sociaux est laissée en dehors du champ du présent rapport, mais le manque à gagner vient bien sûr s'ajouter à celui qui est identifié pour la DGDDI et la DGFiP.

* 72 Le seuil permettant de distinguer un « professionnel » d'un « particulier » est déterminé au cas par car par les services fiscaux, mais une personne commercialisant en série sur un site d'enchères des biens achetés à un fournisseurs relèverait typiquement de la première catégorie.

* 73 Sur la question de l'établissement stable, voir la proposition de loi (n° 726) de Philippe Marini tendant à renforcer la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales des entreprises multinationales (n° 1243) déposée le 4 juillet 2013, et le rapport d'information fait par Pierre-Alain Muet et Éric Woerth au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur l'optimisation fiscale « agressive » des entreprises multinationales, déposé le 10 juillet 2013.

* 74 Au taux français, en application de la règle du seuil de 100 000 euros.

* 75 Source : e-commerce Europe 2013.

* 76 Prévu par les articles L. 82 A à L. 102 du livre des procédures fiscales, le droit de communication de l'administration fiscale couvre un périmètre très large de tiers : entreprises, administrations publiques, autorités judiciaires etc.

* 77 Article 55 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008.

* 78 Ceci dit, dans le cadre d'une « perquisition fiscale » (articles L. 16 B et L. 38 du LPF), toutes les données accessibles depuis les locaux visités sont susceptibles d'être retenues.

* 79 Article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques.

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