PROPOSITIONS - UN ARSENAL JURIDIQUE RENFORCÉ AU SERVICE DE NOUVELLES PRIORITÉS

Le constat dressé par vos rapporteurs spéciaux est le suivant : la vente de biens matériels sur Internet pose à l'administration des douanes - mais aussi à l'administration fiscale - des difficultés qui sont difficilement surmontables en l'état actuel des moyens humains, matériels et surtout juridiques . Ces difficultés n'empêchent pas de bons résultats en matière de lutte contre la contrefaçon et les trafics, mais rendent largement illusoire un recouvrement des droits et taxes à hauteur de ce qui est dû .

Ces difficultés tiennent largement aux caractéristiques mêmes du commerce en ligne (l'atomisation des envois) et des droits et taxes à l'importation (qui sont déclaratifs) , et se situent donc bien au-delà du champ du présent rapport. De fait, il n'est pas possible - et ne sera jamais possible - d'ouvrir chaque colis pour en examiner le contenu et calculer sa valeur... Dès lors, la lutte contre la fraude sur Internet doit passer par un renforcement et une amélioration des outils de contrôle existants .

Vos rapporteurs spéciaux formulent donc plusieurs propositions qui, en pratique, pourraient améliorer à la fois la lutte contre les trafics de marchandises prohibées et le recouvrement des droits et taxes.

D'une manière générale, la douane doit impérativement réorienter ses efforts vers les enjeux fiscaux , qu'il s'agisse des critères de ciblage du fret, des enquêtes et actions contentieuses, des informations transmises entre services de la DGDDI et avec les autres administrations. Vos rapporteurs spéciaux seront très attentifs à cette réorientation, et insistent pour qu'elle se traduise par des indicateurs de résultats mis en valeur chaque année.

Certaines des propositions de vos rapporteurs spéciaux relèvent du domaine de la législation douanière européenne - aussi gagneraient-elles à être reprises dans le cadre des négociations qui se déroulent actuellement entre les Etats membres, la Commission européenne et le Parlement européen (cf. encadré).

La révision de la législation douanière européenne

Actuellement, la législation douanière de l'UE est régie par le Code des douanes communautaire (CDC) (règlement CEE n° 2913/92 du Conseil) et ses Dispositions d'application consolidées (DAC) (règlement CEE n° 2913/93 de la Commission).

Le règlement CE n° 450/2008 du Parlement et du Conseil du 23 avril 2008 a établi un Code des douanes modernisé (CDM) , mais celui-ci n'est pas encore applicable .

En effet, une grande partie des nouveaux processus douaniers prévus par le CDM nécessite la mise en place, par les administrations nationales, d'un grand nombre de systèmes électroniques . Or cela implique des investissements lourds, et des travaux de coordination importants entre Etats membres et avec les opérateurs économiques. Pour l'essentiel, ces systèmes n'ont pas encore vu le jour.

Le 20 février 2012, la Commission a donc proposé la refonte du Code des douanes modernisé , afin de prendre en compte ces contraintes et d'adapter certains dispositifs aux évolutions économiques et au traité de Lisbonne. Le code s'appellera désormais Code des douanes de l'Union (CDU) . Il est en cours d'examen par le Parlement européen.

La date butoir pour la mise en oeuvre des nouveaux processus fondés sur le recours aux systèmes d'information en cours de développement est fixée à 2020.

I. CRÉER DE NOUVEAUX INSTRUMENTS JURIDIQUES

A. INSTAURER UN DROIT DE COMMUNICATION AUTOMATIQUE À L'ÉGARD DES INTERMÉDIAIRES DU COMMERCE EN LIGNE

Vos rapporteurs spéciaux font donc l'analyse suivante : puisque l'action contre la fraude sur Internet ne peut pas se porter sur les deux extrémités de la chaîne - les millions de clients individuels et les milliers de sites aussi douteux qu'éphémères -, la DGDDI doit renforcer ses liens avec les principaux « intermédiaires » du commerce en ligne :

- les opérateurs de fret express et postal , tels que FedEx, DHL, UPS, La Poste, Chronopost etc., qui sont choisis par la quasi-totalité des acheteurs en ligne ;

- les intermédiaires de paiement , tels que PayPal, les groupements de cartes bancaires (Visa, Mastercard etc.) et les établissements financiers, qui disposent d'informations financières détaillées sur les recettes des vendeurs.

- les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) ;

- les sites Internet majeurs où sont susceptibles de se dérouler des transactions entre tiers , tels que les sites de petites annonces ou d'enchères (eBay etc.).

Moins nombreux et plus facilement identifiables, ces « maillons » incontournables disposent non seulement d'éléments sur les flux physiques, mais aussi - et surtout - sur les flux financiers en matière de vente sur Internet , qui à ce jour font défaut à l'administration pour exercer un contrôle suivi et efficace (cf. supra ). L'analyse de ces flux financiers doit pouvoir permettre de lier des envois en apparence disparates à un seul et même vendeur, et d' éviter ainsi le piège des redressements aux enjeux si dérisoires qu'ils ne valent pas la peine d'être conduits .

Part des principaux services de paiement utilisés pour le commerce sur Internet
(en % des acheteurs en ligne)

Source : FEVAD 2013

Vos rapporteurs spéciaux proposent donc d'instaurer un droit de communication automatique à l'égard des principaux intermédiaires du commerce en ligne : opérateurs de fret express et postal, fournisseurs d'accès à Internet (FAI), intermédiaires de paiement et sites d'enchères ou d'annonces.

Proposition n° 1 : instaurer un système d'échange automatique d'informations entre la douane et les intermédiaires du commerce en ligne, sous la forme d'un droit de communication de l'administration.

Actuellement , le droit de communication à l'égard des tiers s'exerce à la demande de l'administration , ce qui limite considérablement le volume et la pertinence des informations transmises. La procédure de ciblage automatique des risques ne peut donc s'effectuer qu'à partir des maigres données obligatoires fournies dans le cadre de la procédure de dédouanement (cf. supra ). La communication automatique d'informations logistiques, commerciales et surtout financières permettra d'identifier les flux douteux dans leur ensemble , et le cas échéant de les interrompre ou d'opérer les redressements qui s'imposent. La capacité à agir immédiatement est ici primordiale, compte tenu de l'adaptabilité très rapide des acteurs les plus indélicats de la vente sur Internet.

En fait, il s'agit de généraliser et de rendre obligatoire ce qui, à ce jour, repose sur la seule bonne volonté de certains acteurs qui ont conclu des conventions d'échange d'informations avec la DGDDI - par exemple la compagnie Air France (cf. supra ). Cette modification est de portée législative (article 65 du code des douanes), mais une initiative coordonnée à l'échelle européenne est indispensable pour parvenir à un dispositif efficace et acceptable pour tous les acteurs.

Bien entendu une attention particulière devra être portée à la protection des données personnelles . Ce nouveau droit de communication porterait sur les données déjà existantes dans les systèmes des intermédiaires, strictement et limitativement définies.

La mise en place de ces droits de communication rendrait indispensable le renouvellement des systèmes d'information de la douane , afin de pouvoir en assurer le traitement effectif. Aussi des investissements informatiques doivent-ils être réalisés (cf. infra ).

La question d'un droit de communication automatique à l'égard des intermédiaires du commerce en ligne se pose en des termes différents pour les transporteurs, d'une part, et les intermédiaires des transactions, d'autre part.

1. Avec les opérateurs de fret express et de fret postal : de la bonne volonté à l'obligation juridique

La priorité va à la mise en place d'un droit de communication à l'égard des opérateurs de fret express , qui est d'ores et déjà à l'étude et correspond d'ailleurs à une demande récurrente des services de la DGDDI : « il est impératif d'avoir accès aux bases de données des différents opérateurs afin de pouvoir cibler les envois qui paraissent sensibles selon nos missions. En effet, un tel accès serait de nature à accroître de manière très sensible notre efficacité 80 ( * ) ».

La mise en place de cet échange automatique ne présente pas de difficulté technique particulière. L'obstacle est juridique. En effet, les expressistes disposent déjà des informations en question dans leurs systèmes , qu'ils communiquent d'ailleurs automatiquement à plusieurs pays, dont les Etats-Unis 81 ( * ) .

Les opérateurs de fret postal, en revanche, disposent d'informations très parcellaires sur les envois traités 82 ( * ) , mais celles-ci n'en sont pas moins nécessaires aux douaniers. Il faut toutefois rappeler que les - très légères - obligations déclaratives en matière postale pèsent pour l'essentiel sur l'expéditeur : il est dès lors difficile de s'assurer de leur bon accomplissement, et a fortiori d'en imposer de nouvelles 83 ( * ) .

La mise en place d'un droit de communication automatique à l'égard des opérateurs de fret express et postal devra bien entendu intervenir dans le cadre de la révision de la législation douanière de l'Union européenne . La DGDDI est fondée à insister sur ce point : « il faut veiller à ne pas créer des divergences réglementaires ou faire peser en France des obligations qui n'existeraient pas dans d'autres Etats membres 84 ( * ) ».

2. Avec les intermédiaires de paiement et de ventes : la question de l'extraterritorialité

Vos rapporteurs spéciaux proposent également d'instaurer un droit de communication automatique à l'égard des sociétés offrant des services de paiement (par portefeuille virtuel ou par carte bleue), ainsi que, le cas échéant, des sites d'enchères ou de petites annonces.

Ces intermédiaires de vente et de paiement sur Internet disposent de données financières cruciales dans le cadre de la lutte contre la fraude et du recouvrement des prélèvements obligatoires. En effet, si les envois sont éclatés et les transactions multiples, les flux financiers, eux, peuvent être regroupés et tracés jusqu'à leur bénéficiaire ultime .

Il importera de trouver un critère juridique permettant de déclencher l'obligation de transmission automatique à partir d'un certain seuil - par exemple, de chiffre d'affaires, de montant des ventes ou encore de nombre de visiteurs. Là encore, les informations transmises devront être strictement définies, et la protection des données personnelles devra être assurée.

Ce droit de communication pourrait être ouvert à la DGFiP autant qu'à la DGDDI.

A la différence des opérateurs de fret express et de fret postal qui opèrent physiquement sur le territoire français, les intermédiaires de vente et de paiement ne sont pas nécessairement situés en France 85 ( * ) : le droit de communication bute donc sur un problème classique de territorialité , où l'alternative est entre une fin de non-recevoir et un recours à l'assistance administrative internationale.

Cela dit, la généralisation d'un échange automatique d'informations de portée extraterritoriale ne devrait pas être écartée d'un revers de main : peu nombreux et disposant de part de marché importantes, les intermédiaires de paiement auraient un intérêt objectif à s'y conformer. En fin de compte, le raisonnement est similaire à celui qui a permis la mise en place du dispositif « FATCA » par les Etats-Unis 86 ( * ) : cette loi unilatérale et extraterritoriale, qui fera en 2014 obligation à toutes les banques du monde de fournir à l' Internal Revenue Service (IRS) toutes les informations qu'elles détiennent sur les comptes bancaires des ressortissants américains, doit son efficacité au fait que les Etats-Unis représentent une « masse critique », et qu'aucune institution financière ne peut se permettre de se voir fermer le marché américain. Le vote de la loi FATCA a déclenché une véritable prise de conscience internationale et européenne sur la nécessité de passer à l'échange automatique d'informations à des fins fiscales ; peut-être un tel dispositif transposé à la vente en ligne pourra-t-il entraîner un même mouvement de lutte contre la fraude sur Internet, dont les enjeux, notamment fiscaux, dépassent très largement le simple cadre de l'administration des douanes.


* 80 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 81 Lors de l'expérimentation concernant les envois express (ACAS) réalisée sur trois mois entre la DGDDI et la société FedEx, cette dernière a ainsi ouvert ses bases de données à l'administration, permettant un ciblage bien plus performant des risques. Cette expérience n'a cependant pas été renouvelée.

* 82 Le numéro de vol, le numéro du conteneur, le numéro LTA (lettre de transport aérien) et la dépêche postale (cf. supra ). Menée depuis septembre 2012 entre plusieurs Etats membres, l'expérimentation concernant les envois postaux (AMAS), visant à instaurer une transmission préalable et automatique des informations, a pour l'instant donné des résultats insuffisants.

* 83 On rappellera à ce titre qu'un tiers des bureaux de poste dans le monde n'ont pas d'électricité...

* 84 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 85 Par exemple, PayPal Europe est une société de droit luxembourgois.

* 86 Au sujet de FATCA, voir le rapport pour avis n° 730 du 9 juillet 2013 fait par François Marc au nom de la commission des finances sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

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