II. LES CONTRÔLES SONT EN PRATIQUE PLUS DIFFICILES, MAIS PRODUISENT TOUTEFOIS DE BONS RÉSULTATS

En pratique , le contrôle de l'importation des marchandises achetées sur Internet et envoyées par fret express ou postal se heurte à bien des obstacles et connaît bien des vicissitudes. Vos rapporteurs spéciaux ont ainsi identifié deux séries de facteurs qui réduisent considérablement la portée des contrôles douaniers normalement prévus :

- d'abord, les informations dont dispose la douane sur le contenu et la valeur des envois sont très insuffisantes ;

- ensuite, les modestes moyens qui peuvent être mis en oeuvre - notamment humains - sont sans commune mesure avec l'importance des volumes traités, et peu adaptés à l'atomisation des envois.

Ces facteurs découlent directement des spécificités des ventes en ligne , et il n'est pas question de nier la difficulté particulière que représente cette nouvelle forme de commerce pour la DGDDI. Vos rapporteurs spéciaux estiment d'ailleurs que, compte tenu des moyens humains et juridiques disponibles, la douane réalise un travail tout à fait satisfaisant en matière de saisies de marchandises prohibées .

A. UNE CONNAISSANCE DES FLUX TROP LIMITÉE POUR LUTTER EFFICACEMENT CONTRE LA FRAUDE

1. Des informations très insuffisantes en fret express...

Étant entendu qu'un bon ciblage permet un bon contrôle, il est vital que l'administration des douanes dispose d'un maximum d'informations sur le contenu des marchandises afin d'opérer les vérifications les plus pertinentes et les plus exhaustives possibles.

Or tel n'est pas du tout le cas en fret express 35 ( * ) .

Certes, les opérateurs de fret express fournissent à la douane une série d'informations dans le cadre de la procédure ICS puis dans le cadre de la procédure de dédouanement (cf. supra ). L'application Delta X permet ainsi un ciblage relativement efficace ainsi qu'un « rapprochement avec les contrôles positifs déjà réalisés 36 ( * ) ». Cependant, si ces informations sont utiles, elles sont en même temps très insuffisantes . La DGDDI souligne ainsi que l'application Delta X « présente des fonctionnalités insuffisantes au regard de la lutte contre la fraude 37 ( * ) ».

Le contraste est très net avec le fret classique, dit « général cargo » , dont le niveau d'exigence élevé en termes d'informations permet un ciblage optimal , aux dires des services de la direction interrégionale de Roissy. En fret cargo, la déclaration réalisée via Delta C par le commissionnaire en douane s'accompagne de nombreuses pièces justificatives , et notamment des factures. La déclaration précise aussi le numéro de la marchandise dans la nomenclature du « Système Harmonisé » (SH) , système unique de désignation, de classification et de tarification des marchandises, applicable au niveau mondial 38 ( * ) . Ce système permet, pour les 195 pays qui l'utilisent, d'identifier et de taxer précisément les marchandises échangées, et d'estimer leurs flux commerciaux internationaux 39 ( * ) .

Le niveau d'exigence est bien moins élevé en fret express : en fait , le modèle économique du fret express est fondé sur la rapidité et la fluidité des échanges , quitte à ce que cela se fasse au détriment de la connaissance et de la sécurité de ces flux 40 ( * ) .

Ainsi, les opérateurs de fret express ne fournissent qu'un numéro de SH incomplet, et les pièces justificatives sont très succinctes - si elles existent . L'expéditeur peut utiliser une dénomination commerciale très vague (« montre », « veste » etc.) pour désigner sa marchandise. De plus, l'expéditeur réel est parfois inconnu , dans le cas où l'opérateur qui procède localement au dédouanement dispose seulement de la référence de l'opérateur du pays d'origine. Le destinataire réel peut lui aussi être inconnu . D'une manière générale, les bordereaux des envois express sont souvent remplis de manière bien trop imprécise ou fantaisiste pour permettre un ciblage pertinent, comme ont pu le constater vos rapporteurs spéciaux lors de leur visite (cf. infra , exemple de bordereau en fret express).

Surtout, la douane n'a pas accès, à ce jour, aux multiples données logistiques et commerciales dont disposent les opérateurs de fret express : bases clientèles, référence des achats etc. Pourtant, ces informations pourraient être d'une très grande utilité dans le processus de ciblage du fret express. A ce jour, leur communication n'est pas obligatoire : ces renseignements sont seulement transmis au cas par cas, sur demande expresse de l'administration , lorsque celle-ci fait usage de son droit de communication (cf. encadré) à l'occasion d'un contrôle. Mais aucun « ciblage » automatique et systématique sur de grands volumes n'est possible.

Vos rapporteurs spéciaux estiment donc tout à fait justifiée la demande des services de la DGDDI : « il est impératif d'avoir accès aux bases de données des différents opérateurs afin de pouvoir cibler les envois qui paraissent sensibles selon nos missions. En effet, un tel accès serait de nature à accroître de manière très sensible notre efficacité 41 ( * ) ».

Les insuffisances pointées ici en matière de disponibilité et de traitement des informations appellent également à une mise à jour impérative de l'application Delta X .

Le droit de communication de l'administration des douanes

Article 65 du code des douanes

Les agents des douanes sont autorisés à exiger de tous les opérateurs du commerce extérieur (transporteurs, commissionnaires, agences, concessionnaires d'entrepôts...) et, d'une manière générale, de toutes les personnes physiques ou morales , directement ou indirectement intéressées à des opérations régulières ou non relevant de leur compétence, sur place ou par correspondance, la communication des documents de toute nature, quel qu'en soit le support , intéressant leur service.

Ils ont le pouvoir de saisir les documents . Ce droit de communication suppose une remise volontaire des documents par la personne concernée.

Par ailleurs, pour le recouvrement des droits indirects , l'administration des douanes peut faire usage des différents droits de communication prévus par les articles L. 82 A à L. 102 du livre des procédures fiscales (LPF) (cf. infra ).

Source : DGDDI

2. ...et presque inexistantes en fret postal

En ce qui concerne le fret postal, le manque d'information est presque total .

D'une part, il n'existe pas en matière de fret postal de procédure de déclaration informatisée 42 ( * ) . Aucun ciblage automatique n'est donc possible.

D'autre part, les envois en fret postal sont soumis à des obligations déclaratives minimales (cf. supra ), qui de surcroît pèsent sur l'expéditeur et non pas sur le commissionnaire. La Poste n'est donc pas responsable des déclarations. En conséquence, « la Poste n'est pas en mesure de renseigner le service, avant contrôle, sur les numéros d'envoi des colis ainsi que les coordonnées des expéditeurs et des destinataires 43 ( * ) ».

Les informations fournies sur les déclarations CN 22 ou CN 23 sont d'ailleurs presque toujours incomplètes, imprécises, voire fantaisistes ou mensongères. On ne laisse pas de s'étonner du nombre de « cadeaux » (ou « gifts ») envoyés par la poste. De plus, les déclarations sont remplies dans la langue du pays d'origine - or les étiquettes rédigées en chinois ou en hindi, que ne maîtrisent pas forcément tous les agents chargés du contrôle, ne sont pas les moins suspectes en matière, par exemple, de médicaments ou de contrefaçons... Les services de la DGDDI signalent aussi la pratique du « repostage » , consistant pour l'expéditeur à faire figurer sur les colis la seule adresse d'un « groupeur » situé dans un autre pays, et ensuite chargé de répartir les envois entre les destinataires réels.

Aux dires de la DGDDI, « la Poste commence à s'emparer du sujet » et à « sensibiliser les guichetiers au bon accomplissement des formalités 44 ( * ) » - mais cela peut-il avoir une réelle portée en Chine ou en Inde ?

Enfin, la douane n'a pas accès aux bases de données logistiques et commerciales de la Poste , et notamment les bases CAPE VISION et THETYS. Comme dans le cas des opérateurs de fret express, cela prive la DGDDI d'informations qui pourraient s'avérer extrêmement utiles pour effectuer des recoupements.

3. Des informations supplémentaires qui sont soumises au bon vouloir des opérateurs

Dans ces conditions, le seul moyen pour la douane d'accéder aux informations commerciales des opérateurs du commerce international est de passer des conventions avec ces derniers.

En matière de fret, c'est notamment le cas avec Air France : « le niveau de coopération avec Air France est élevé et se traduit par la mise à disposition de bases de données (...). En outre, une convention a été conclue entre Air France et la direction régionale de Roissy Fret en novembre 2012 relative à l'utilisation de la base de données IDEFIX (application de suivi des réservations de fret) (...) par la cellule de ciblage du fret (CCF) 45 ( * ) ». Cette base de données contient des informations qui peuvent se révéler très utiles aux agents habilités à la consulter, telles que le numéro LTA (« lettre de transport aérien », c'est-à-dire le contrat de transport) ou le poids des marchandises.

S'il faut naturellement se féliciter de tels accords , vos rapporteurs spéciaux regrettent que l'administration soit soumise à la seule bonne volonté des opérateurs pour obtenir les données nécessaires à l'efficacité de sa mission. Cela est d'autant plus préjudiciable que cette bonne volonté est davantage l'exception que la règle : comme l'admet pudiquement la direction interrégionale de Roissy, « la coopération est en revanche occasionnelle avec les autres compagnies aériennes présentes sur le site 46 ( * ) »...

Il faut ceci dit rappeler qu'il importe, pour la DGDDI, de maintenir de bonnes relations avec les opérateurs économiques. Il ne s'agit pas seulement de lutte contre la fraude : la mission de la douane est avant tout de soutenir la compétitivité des entreprises en simplifiant les procédures et en mettant à leur disposition des outils d'information et d'accompagnement. La lutte contre la fraude ne saurait devenir l'horizon unique de la douane , au détriment de sa mission économique qui est aujourd'hui la plus cruciale.


* 35 Si les conséquences de ce manque d'informations sont déjà sérieuses pour le contrôle des marchandises prohibées, elles le sont naturellement encore plus en ce qui concerne le recouvrement des droits et taxes (cf. infra ).

* 36 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 37 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux. La remarque vaut d'autant plus en ce qui concerne les - rares - expressistes qui dédouanent encore au moyen de documents papier.

* 38 Sous l'égide de l'Organisation mondiale des douanes (OMD).

* 39 Source : DGDDI.

* 40 Si l'outil de traitement automatisé du fret est naturellement perfectible, il faut tout de même noter que la douane française est en avance sur ses homologues européens en la matière.

* 41 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 42 Sauf pour les envois de plus de 8 000 euros soumis à la procédure de droit commun.

* 43 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 44 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 45 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

* 46 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.

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