C. UNE PRÉSENCE JUGÉE AMBIVALENTE

Conséquence de l'absence de stratégie africaine autre qu'un repli budgétaire, la politique africaine s'adapte de façon pragmatique aux événements. Mais la difficulté à dégager une ligne de conduite claire a contribué à brouiller notre image.

1. Une politique hésitante

Pendant des années, la France a affiché, à la suite de Lionel Jospin, une doctrine du « ni-ni » -« ni ingérence, ni indifférence »- qui devait poser les bases d'une nouvelle relation de la France avec ses partenaires africains, débarrassée des oripeaux de l'ingérence postcoloniale.

Cette devise, censée résumer toute sa politique à l'égard du continent noir avait ainsi déçu les caciques des pouvoirs africains à l'ancienne, qui souffraient d'un complexe d'abandon ; elle avait aussi désespéré les oppositions qui misaient sur une improbable « ingérence démocratique ».

Au nom de la mise au placard des clientélismes et de l'arrêt de la connivence avec des régimes contestables, la France avait souhaité faire oublier qu'elle était naguère aussi « faiseuse de rois ». Le respect des peuples, des institutions et de la souveraineté des États imposait une ligne de conduite prudente en rupture avec l'ancienne « politique de la canonnière » qui l'avait conduite à 51 opérations militaires sur le continent en 30 ans.

Pourtant, à partir des années 2000 et singulièrement après 2002, la lisibilité de la doctrine du ni-ni apparaît problématique.

L'implication directe de notre armée dans la crise ivoirienne, au Tchad et en RCA semble avoir entériné de facto un nouveau changement de doctrine, sans que celle-ci ne soit jamais vraiment explicitée.

En 2011, cette politique a franchi un nouveau cap avec les guerres menées en Libye et en Côte d'Ivoire. En 2012, malgré l'alternance, l'engagement du Président de la République de rompre avec les interventions du passé, la France s'engage dans la crise malienne après s'être jurée pendant des mois de ne pas intervenir.

Cette « politique du Yoyo », selon l'expression utilisée par M. Justin Vaïsse, directeur du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie au ministère des affaires étrangères, qui a conduit les différents gouvernements à alterner abstention et intervention n'a pas favorisé une image très claire de la politique africaine de la France.

Cette politique pragmatique du cas par cas laisse ouvertes des questions dont la presse africaine se fait l'écho : comment comprendre que la France monte en première ligne pour faire respecter le verdict des urnes en Côte d'Ivoire alors qu'elle s'abstient dans d'autres contextes comparables ?

Comment départager les situations où l'on doit se résoudre en propre à une intervention armée de celles où s'impose la prise de responsabilité de l'Union Africaine et de ses organisations régionales ? La « communauté internationale » s'abrite bien souvent derrière le paravent des « solutions africaines aux problèmes africains » quand cela l'arrange, tandis que certains Etats africains se livrent à une instrumentalisation opportuniste de l'« agenda occidental », par exemple en matière d'anti-terrorisme.

Dans les situations d'urgence, l'européanisation comme l'africanisation de la politique africaine de la France montrent leurs limites, comme au Mali et en Côte d'Ivoire. Cette situation conduit la France à afficher des principes dont elle doit s'affranchir dès que la situation impose une action rapide.

Jusqu'où la responsabilité de protéger, héritière du « droit d'ingérence », nous permet-elle d'intervenir ? Après s'être réclamé des grands principes de la légalité internationale, comment fixer les limites sans avoir l'air de choisir au cas par cas en fonction des intérêts français ?

Nous intervenons au Mali, mais pas en Centrafrique où la dégradation de la situation sécuritaire et les exactions perpétrées contre la population civile sont avérées et l'incapacité de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) à l'enrayer, manifeste. Dans ce cas, la France se contente de « saluer les initiatives des États de la Communauté économique d'Afrique centrale et de l'Union africaine pour parvenir à une sortie de crise durable en RCA 58 ( * ). » .

Sur le plan de la promotion des droits de l'homme et de la démocratie où les attentes de nombreux Africains à l'égard de la France restent importantes, la réponse française a été également perçue ces dernières années comme erratique.

Après l'espoir suscité par le discours de La Baule (juin 1990), qui laissait penser que la France s'engageait résolument en faveur de la démocratie au Sud du Sahara, le soutien y compris militaire apporté à des gouvernants bafouant les libertés publiques a brouillé le message. De même, ces deux dernières années, l'engagement militaire en Côte d'Ivoire et en Libye a fait ressortir, par contraste, l'immobilisme adopté vis-à-vis d'autres situations (fraude électorale massive au Tchad, en RDC, en RCA, au Togo...).

Il est vrai que, depuis septembre 2001, on a eu tendance à voir le continent avant tout comme une menace.

Certains gouvernants africains ont saisi le bénéfice qu'ils pouvaient tirer de ce prisme sécuritaire et de la rente qui pouvait en découler. Leurs peuples ont de leur côté compris que le discours des Occidentaux sur la démocratie perdait en effectivité dès lors que leurs dirigeants, même s'ils exerçaient une dictature, ne seraient pratiquement jamais sanctionnés tant qu'ils luttaient contre Al-Qaida. Une attitude dont on a vu les limites au Maghreb sans qu'on en tire pleinement les conséquences en Afrique, sans voir que le développement de l'islam politique dans de nombreux pays, bien plus massif que celui de l'islamisme, peut apparaître de ce point de vue avant tout comme un symptôme de cette déception à l'égard du discours démocratique rabâché depuis les indépendances, dont les fruits sont jugés décevants.

Cette ambivalence se retrouve dans de nombreux domaines où la politique africaine de la France se cherche, hésitant entre diverses options.

Entre le maintien d'une politique d'influence et d'accueil des élites africaines et une politique migratoire dissuasive, entre la tentation du retrait et la volonté de maintenir des liens privilégiés avec le continent ; entre la normalisation et la personnalisation des relations ; entre des tendances à la multilatéralisation et le souci de conserver une politique d'influence bilatérale ; entre la conservation d'un pré carré francophone et l'affermissement des liens avec de nouveaux partenaires politiques et commerciaux ; entre la modernisation de notre appareil de coopération militaire et la perpétuation d'une vieille « politique de la canonnière » ; entre conditionnalités démocratiques et soutien à des régimes autoritaires, entre aide-programme et aide-projet, etc.


* 53 La politique française d'aide au développement, rapport rendu public mardi 26 juin 2012 : http://www.ccomptes.fr/content/download/44455/770878/version/1/file/rapport_public_politique_francaise_aide_publique_au_developpement.pdf

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