3. Le Mali un nouveau départ ?

L'intervention au Mali marque-t-elle une nouvelle étape ?

L'opération Serval, déclenchée le 11 janvier 2013, est ainsi née du refus de la France de voir une partition de l'État malien ou la constitution d'un État terroriste. Déclenchée dans l'urgence avec le soutien de la MISMA, cette force a aujourd'hui achevé sa mission principale. Cette intervention a sans doute évité une profonde déstabilisation que la chute de la capitale malienne aurait provoquée dans toute l'Afrique de l'Ouest.

Le territoire est repassé dans sa plus grande partie sous le contrôle de l'État malien. Plus de 200 tonnes d'armes ont été confisquées, l'administration a pu retourner dans le Nord et les éléments terroristes résiduels continuent à y être traqués. La transformation de la MISMA dans une force sous mandat onusien, la MINUSMA, forte de 12 600 casques bleus, s'est déroulée dans des conditions satisfaisantes. La France maintient au Mali des capacités de lutte contre les terroristes et continue à participer à l'opération EUTM de formation de l'armée malienne. L'accompagnement politique de l'intervention a permis la tenue des élections à la présidence du Mali dont Ibrahim Boubacar Keita est sorti vainqueur avec 77,62% des voix. Le calendrier électoral devrait permettre des élections législatives en octobre et novembre 2013. L'accord de Ouagadougou ("Accord préliminaire à l'élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix") devrait permettre un difficile processus de réconciliation entre le Sud et le Nord. Au final la France est intervenue militairement sans s'immiscer trop avant dans les affaires maliennes sauf pour organiser des élections.

Un sans faute ? Disons une intervention en cohérence avec le discours où, tout en assumant le leadership, la France est intervenue dans le cadre de la légalité internationale et du chapitre 7 de la Charte des Nations unies, à la demande des autorités maliennes, pour préserver l'intégrité territoriale du pays au sein d'une coalition européenne et africaine.

Un succès ? Cela dépendra de la suite. Comme l'ont souligné les sénateurs Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher 59 ( * ) , « le plus difficile sera de gagner la Paix ».

Le succès ne sera véritable que quand la réconciliation entre le Nord et le Sud sera effective, que la vie politique et institutionnelle aura repris un cours normal et que le pays sortira du sous-développement qui nourrit les extrémismes et les trafics en tous genres.

Le plus difficile : gagner la paix

50 ans de coopération ont montré que ces objectifs étaient difficiles à atteindre et doivent nous inciter à réfléchir sur nos méthodes de coopération.

Si la situation ne s'améliorait pas malgré les engagements financiers substantiels de 3,2 milliards promis à Bruxelles le 15 mai dernier, par la France et l'Europe, le consensus qui s'est dégagé dans la communauté africaine pour saluer l'intervention française deviendrait sans doute moins unanime et la présence militaire française plus discutée.

En outre, en cas d'enlisement ou de bavures, le retournement de l'opinion publique africaine pourrait être rapide. La France, en prenant la responsabilité de cette intervention, s'est engagée durablement au Mali.

L'insistance avec laquelle les autorités françaises ont souligné que les forces françaises n'ont pas vocation à rester sur son sol cache en réalité la crainte de devoir y laisser encore longtemps plusieurs centaines de soldats. Il est d'ores et déjà acquis que la France maintiendra 1000 hommes début 2014 sur le sol Malien.

La « reconstruction » des structures étatiques prendra du temps, qu'il s'agisse de l'armée, de l'administration ou des services à la population.

Des doutes sérieux existent sur notre faculté à accélérer des processus politiques et économiques nécessairement lents et toujours endogènes. L'ampleur des difficultés rencontrées à dépasser, de part et d'autre, les rancoeurs entretenues depuis des décennies entre les Touaregs et les populations du sud du Mali laissent présager un processus politique long et laborieux pour reconstituer le contrat politique qui doit être au fondement de l'Etat Malien. La responsabilité de faire vivre ce contrat incombe aux élites maliennes du Nord comme du Sud.

Pour notre part, l'absence de réflexion approfondie sur l'évaluation des échecs passés en matière de coopération, la faible capacité d'absorption de l'aide par les administrations maliennes, l'absence de coordination autre qu'« informelle » des différents bailleurs de fonds militent pour une certaine prudence.

Quant aux aspects sécuritaires, chacun sait que les groupes terroristes implantés au Sahel depuis la fin des années 90 restent mobiles et circulent librement dans ces vastes espaces sahariens aux immenses frontières si difficiles à contrôler, le long d'une route qui reliait leur forteresse dans l'Adrar des Ifoghas, au Nord Niger, à la Libye et jusqu'à la Tunisie. Avec Serval, une partie importante de leurs capacités a été détruite, mais ils ont cherché à se constituer un nouvel abri, dans le sud-ouest libyen, avec peut être une prolongation dans le massif de l'Aïr au Niger.

On compterait jusqu'à 300 000 miliciens en armes en Libye entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine tandis que le Fezzan, au sud, avec ses Toubous et ses Touaregs jugés « pro-kadhafistes », est déjà considéré comme un sanctuaire pour les « djihadistes ».

Sans solution politique, les résultats des interventions militaires sont fragiles

Cette intervention militairement réussie, contenue dans le temps, débouchant sur une solution politique accompagnée par des forces régionales, conforte le poids politique de la France sur le continent.

Si nous avions un doute, nous voilà rassurés : si la France ne fait plus l'Afrique, elle compte encore. L'approbation de l'Union Africaine, celle de l'Afrique du Sud ou de l'Algérie, les drapeaux français à Bamako et Tombouctou n'auront peut-être qu'un temps, mais ils confortent l'idée que la France peut ici retrouver son rang et légitimer son rôle de puissance régionale.

La France sait et peut intervenir en premier, l'avenir dira si elle sait aussi transférer la gestion de la situation post-crise à des forces légitimes africaines ou onusiennes. Avec la réduction du format des armées, il est à craindre que nous ne puissions plus longtemps financer le maintien de plusieurs centaines d'hommes dans chaque pays où nous intervenons.

La France a néanmoins pris le risque que, sur le long terme, un fossé ne se creuse pas avec la partie de l'opinion publique africaine prompte à dénoncer « l'impérialisme occidental » et le néocolonialisme français. La facilité avec laquelle M. Laurent Gbagbo a instrumentalisé le sentiment anti-français montre que le ressentiment anticolonial est encore très présent et ne demande qu'à être ravivé.

C'est bien ce risque qui retient la France d'intervenir unilatéralement en Centrafrique malgré les massacres.

Au moment où, dans les relations avec l'Afrique, notamment avec l'Afrique du Sud, reviennent en force les thématiques du legs colonial, de l'anti-impérialisme et de la souveraineté aliénée, une approche uniquement sécuritaire peut contribuer à nourrir des tensions et des résistances croissantes pendant que, dans le même temps, les pays émergents approfondissent une coopération économique et politique avec, à la clef, de nouveaux marchés.

C'est précisément pour échapper à ce risque que la France doit continuer en dépit de tout à mettre en avant la voie de la multilatéralisation, de la régionalisation et de l'« africanisation » des dispositifs de sécurité. C'est pour cela qu'elle doit accompagner son effort militaire d'une plus grande implication en matière de coopération économique et institutionnelle.

Dans ce contexte de lutte internationale contre le terrorisme, en effet, la tentation est grande de ne voir le continent africain qu'à travers le seul spectre de l'insécurité.

Pour éviter que le fossé ne se creuse avec des opinions publiques africaines qui refuseront de plus en plus les ingérences extérieures, il convient que la France se départisse de cette tentation sécuritaire et martiale dans ses rapports avec le continent en veillant à un bon équilibre entre la coopération militaire et une politique africaine tournée vers la coopération politique, culturelle et économique.

De ce point de vue, la prévention des conflits doit figurer parmi les objectifs prioritaires de notre politique dans l'accompagnement des sociétés africaines en mutation.

La prévention des conflits : un axe stratégique à concrétiser

Elle est identifiée comme l'une des cinq fonctions stratégiques dans le Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale : « l'une des meilleures façons de garantir notre sécurité face aux risques de conflit ou de crise est de prévenir leur avènement, en agissant au plus tôt sur leurs causes. La sécurité nationale doit donc s'appuyer sur une stratégie de prévention qui repose sur des moyens diplomatiques, économiques, financiers, militaires, juridiques et culturels. ».

Or la prévention semble demeurer le parent pauvre de la réflexion sur les liens entre sécurité et développement. Elle fait encore l'objet de peu d'investissements intellectuels et opérationnels.

C'est avant tout le sous-développement qui fait le terreau du djihadisme et des trafics en tout genre, c'est le désoeuvrement et l'absence de perspectives qui ont jeté la jeunesse touarègue dans les bras des salafistes, c'est le non-développement qui a fait du Nord Mali, une zone de non-droit.

C'est pourquoi notre effort doit aussi porter massivement sur le développement et le renforcement des capacités des Etats à assurer les services publics essentiels.

Face à ces défis, l'aide au développement et le renforcement de nos partenariats économiques en Afrique ne peuvent pas tout, mais ils peuvent créer des opportunités, favoriser des processus vertueux et participer à la création d'emploi et à la reconstruction de services publics essentiels au fonctionnement normal du pays.

Le succès de l'opération du Mali ne doit pas donc nous donner l'illusion de l'efficacité de la solution militaire. La guerre reste un échec et l'intervention de militaires français en Afrique une exception.

Au-delà des atrocités de la guerre, les coûts financiers des opérations de stabilisation, de maintien de la paix et des interventions de reconstruction post-conflit sont extrêmement élevés, pour des résultats qui restent fragiles.

C'est pourquoi l'intérêt mutuel de la France et des pays africains est avant tout de créer les conditions d'un développement économique durable.


* 54 idem

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page