B. UNE NÉCESSAIRE SIMPLIFICATION DES CONDITIONS D'ACCÈS

1. Allonger les délais de saisine

Les délais de saisine de la CIVI sur le fondement de l'article 706-3 ou de l'article 706-14 du code de procédure pénale ont été souvent critiqués, lors des auditions, pour leur brièveté , surtout quand les victimes ont subi des dommages importants. Le délai de trois ans à compter de la commission de l'infraction peut être ainsi très court, dans les cas les plus graves.

Le délai d'un an à compter de la décision définitive peut être d'autant plus court que la représentante du Conseil national des barreaux, Me Carine Monzat, entendue par vos rapporteurs, a rappelé qu'il arrive que les délais de signification des jugements soient de l'ordre de plusieurs mois 72 ( * ) .

Par ailleurs, il arrive qu'en pratique les victimes ne soient pas avisées d'un classement sans suite de la procédure ou en soient avisées tardivement 73 ( * ) . Or, un classement sans suite n'étant pas une décision juridictionnelle, le délai de saisine n'est pas prorogé d'un an à compter de la décision de classement sans suite 74 ( * ) .

Ce constat est partagé par le Conseil national de l'aide aux victimes qui relève dans son rapport de février 2005, consacré à la commission d'indemnisation des victimes d'infractions que les délais de saisine de la CIVI ne sont pas adaptés à la situation des victimes de dommages corporels.

Extraits du rapport du Conseil national d'aide aux victimes, consacré aux commissions d'indemnisation d'infractions, février 2005, p. 9-10 :

« Compte tenu des conditions posées par l'article 706-3 du CPP quant à l'existence d'une Incapacité permanente ou à la durée de l'Incapacité totale de travail personnel, il faut laisser à la victime un délai suffisant pour qu'elle puisse mesurer l'étendue de son dommage. En pratique, la victime réalise souvent plusieurs semaines après l'infraction l'ampleur de souffrances, qu'elle avait pu sous-estimer dans un premier temps (par exemple, après avoir d'abord repris son travail, elle s'est avérée être dans l'incapacité de tenir son poste). Par ailleurs, immédiatement après l'infraction, la victime n'est pas toujours prête à s'engager dans une procédure indemnitaire. Elle attend alors davantage que justice soit faite plutôt qu'une indemnisation lui soit versée. »

Enfin, l'incertitude de la forme de l'avis devant être délivré à la victime en cas de condamnation de l'auteur à des dommages et intérêts, prévu à l'article 706-15 du code de procédure pénale, crée une insécurité juridique supplémentaire pour les victimes.

Dans le cadre du SARVI, les délais sont tout aussi contraints : la demande d'aide au recouvrement doit être présentée dans le délai d'un an à compter du jour où la décision condamnant l'auteur à des dommages et intérêts est devenue définitive 75 ( * ) . Si la victime saisit la commission d'indemnisation et que celle-ci déclare la demande irrecevable, ce délai d'un an court à compter de la notification de cette décision au demandeur.

La possibilité pour la CIVI de relever le requérant de la forclusion et la possibilité accordée au FGTI de le faire dans le cadre d'une demande au titre du SARVI entraînent une incertitude supplémentaire pour les victimes.

Afin de remédier à ces difficultés, vos rapporteurs proposent d'envisager un allongement de la durée pendant laquelle les victimes peuvent saisir la CIVI ou le Fonds au titre du SARVI .

Une autre solution pourrait consister, comme l'a suggéré le Conseil national d'aide aux victimes, à supprimer les délais de forclusion d'un an et de trois ans pour les personnes éligibles à l'article 706-3 du code de procédure pénale 76 ( * ) pour aligner ce délai sur celui de droit commun en matière de responsabilité civile, soit dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation . Il peut être noté que c'est le délai actuellement applicable pour les victimes d'actes de terrorisme.

Proposition n°21 : allonger la durée des délais pour saisir la CIVI ou le FGTI, au titre du SARVI.

2. Améliorer à la marge le dispositif de l'article 706-3

Le dispositif de l'article 706-3 est le plus souvent décrit comme étant performant. L'indemnisation est intégrale, elle peut être demandée même en l'absence de poursuites pénales et elle s'effectue sans considération des ressources de la victime.

Toutefois, plusieurs personnes entendues par vos rapporteurs ont fait part du caractère très restrictif des conditions d'accès à ce dispositif, en particulier s'agissant de l'exigence d'une ITT de 30 jours.

S'il est difficile de calculer les conséquences financières d'une ouverture plus large du dispositif d'indemnisation pouvant résulter de l'abaissement de cette condition, abaisser à 15 jours d'ITT cette condition de recevabilité serait sans doute bienvenu, sous réserve d'un travail d'évaluation préalable des conséquences et de l'affectation impérative des ressources nécessaires au Fonds pour faire face à cette évolution.

Cette dernière permettrait d'accueillir dans le dispositif un certain nombre de victimes lourdement atteintes, et dont certaines, à l'heure actuelle, ne peuvent obtenir la réparation intégrale de leur préjudice .

Vos rapporteurs estiment par ailleurs nécessaire de conserver le principe d'une liste d'infractions pouvant ouvrir droit à cette indemnisation sans condition d'ITT ou d'incapacité permanente partielle 77 ( * ) (IPP) , sous réserve de quelques modifications à la marge de cette liste. Ainsi, le Sénat a récemment adopté une proposition de loi de notre collègue Claudine Lepage visant à l'indemnisation des personnes victimes de prise d'otages 78 ( * ) , pour ajouter les victimes de prise d'otage à la liste d'infractions visées à l'article 706-3 du code de procédure pénale.

Proposition n°22 : ouvrir l'accès au dispositif de l'article 706-3 du code de procédure pénale à toute victime d'une atteinte à la personne présentant une ITT égale ou supérieure à 15 jours.

3. Évaluer l'opportunité de maintenir le dispositif d'indemnisation prévu par l'article 706-14-1 concernant les incendies de véhicules

L'article 706-14-1 du code de procédure pénale a créé un mécanisme visant à indemniser plus facilement les personnes victimes de l'incendie de leur véhicule.

Dans son rapport sur la loi n° 2008-644 du 1 er juillet 2008 qui a créé ce dispositif, notre collègue François Zochetto avait fait état des réserves formulées par plusieurs personnes entendues 79 ( * ) . Ces réserves portaient, d'une part, sur le risque de déresponsabilisation que pouvait entraîner un tel dispositif et sur le risque de dérive financière qui pouvait en résulter ; d'autre part, sur l'inégalité injustifiée de traitement entre les victimes de dommages matériels.

Le mécanisme de l'article 706-14-1 du code de procédure pénale, qui est en réalité un accès facilité aux dispositions de l'article 706-14 pour une catégorie très limitée de victimes, a été largement contesté , dans son principe même, par les personnes entendues par vos rapporteurs, y compris par les associations d'aide aux victimes elles-mêmes.

Les disparités injustifiées entre victimes , - puisque l'indemnisation sur le fondement de 706-14-1 est beaucoup plus simple que pour d'autres dommages corporels - paraissent d'autant plus injustes que ce dispositif est suspecté de donner lieu à des « effets d'aubaine ».

Il coûte annuellement au FGTI environ 800 000 euros .

Cinq ans après sa création, ce dispositif ne paraît pas avoir fait la preuve de son efficacité. Vos rapporteurs préconisent donc qu'une évaluation soit rapidement menée quant à l'opportunité de le maintenir.

Proposition n°23 : évaluer l'opportunité de conserver l'article 706-14-1 du code de procédure pénale relatif à l'indemnisation des personnes victimes de la destruction par incendie de leur véhicule.

4. Le dispositif de l'article 706-14 et le SARVI : un chevauchement partiel
a) Article 706-14 : un dispositif jugé trop restrictif

L'article 706-14 du code de procédure pénale est contesté par les associations de victimes en raison de son caractère restrictif : seules des victimes d'une liste limitative d'infractions, répondant à des conditions de ressources strictes et devant apporter la preuve d'une situation matérielle ou psychologique grave résultant de l'impossibilité d'être indemnisées bénéficieront d'une indemnisation qui en outre est plafonnée.

Lors de son audition par vos rapporteurs, Mme Anne d'Hauteville représentant l'Institut national d'aide aux victimes (INAVEM), a souligné que ce dispositif nécessitait un investissement important de temps et d'énergie de la part des associations et des victimes, pour des résultats très limités.

Les représentants du FGTI, pour leur part, ont souligné le taux de rejet élevé des demandes formulées sur la base de cet article. Pour eux, ce mécanisme relève « plus d'un secours que d'une indemnisation ».

En effet, dans son rapport précité, le Conseil national d'aide aux victimes constate que plus de 50% des saisines de la commission d'indemnisation sur ce fondement font l'objet d'un rejet 80 ( * ) .

La liste d'infractions pose par ailleurs une difficulté récurrente : certaines infractions sont exclues alors qu'elles sont relativement proches de certaines des infractions entrant dans le champ de l'indemnisation.

Il en est ainsi de l'abus de faiblesse , au regard de sa proximité avec l'escroquerie ou l'abus de confiance 81 ( * ) . Rencontrée par vos rapporteurs lors de leur déplacement au TGI de Lyon, Mme Muriel Guillet, présidente de la commission d'indemnisation des victimes, a également commenté le cas d'une commission d'indemnisation censurée pour avoir assimilé le délit d'émission de chèque sans provision au délit d'escroquerie, afin d'accorder une indemnisation à la victime 82 ( * ) .

Une première solution pourrait consister à supprimer cette liste d'infractions, comme Mme Michèle de Kerckhove, vice-présidente de l'INAVEM l'a suggéré, lors de son intervention au colloque organisé à l'occasion des vingt ans d'existence du FGTI 83 ( * ) , pour laisser à la CIVI le soin d'apprécier la gravité de la situation matérielle ou psychologique de la victime justifiant une indemnisation.

Une solution alternative pourrait consister à maintenir cette liste, tout en l'actualisant, le cas échéant, et à supprimer au contraire la condition d'une situation matérielle ou psychologique grave de la victime .

Cette condition est en effet contestée : il est très difficile pour les victimes d'en apporter la preuve. De plus, le refus de la CIVI de reconnaitre qu'il y a eu un préjudice matériel ou psychologique grave est mal ressenti par la victime, qui y voit une négation de sa souffrance.

Lors de leur déplacement à la Maison de Justice et du droit de Gennevilliers, vos rapporteurs ont été aussi sensibilisés au plafond de ressources particulièrement bas exigé pour être éligible à ce mécanisme.

b) Le SARVI : un dispositif qui fait ses preuves

Le service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions est considéré par les différents interlocuteurs de vos rapporteurs comme une évolution bienvenue, dans la mesure où il prend en charge des préjudices d'ampleur limitée , mais dont la récupération peut être particulièrement difficile à obtenir.

Le nombre de dossiers déposés depuis 2009 témoigne de cet intérêt. En 2012, 68% des dossiers ouverts concernaient ainsi des créances inférieures à 1 000 euros 84 ( * ) : dans ces cas-là, le demandeur a donc bénéficié d'un paiement intégral de la somme due par l'auteur de l'infraction .

Mais les victimes ne sont éligibles au SARVI que si l' auteur de l'infraction pénale a été identifié et condamné , car il s'agit de permettre à la victime de récupérer des dommages et intérêts ainsi que les frais de procédure 85 ( * ) . En outre, la décision doit être définitive : autrement dit, si la décision a été rendue par défaut, il faut que la décision ait été notifiée à l'auteur, et que le délai d'appel soit écoulé.

Ces conditions posent des difficultés récurrentes, surtout si l'auteur est difficilement joignable : une partie des victimes est donc toujours exclue de ce mécanisme de réparation.

Enfin, l'article 706-15 du code de procédure pénale impose à la juridiction d'informer la victime de la possibilité de saisir la CIVI, lorsqu'un auteur est condamné à des dommages et intérêts. Cet article pourrait être utilement complété par la mention de la possibilité de saisir le SARVI.

c) Envisager la fusion de ces deux dispositifs au sein d'un instrument unique, accessible à toutes les victimes d'infractions pénales

Le SARVI et le mécanisme de l'article 706-14 ont en commun d'être subsidiaires par rapport au mécanisme général de l'article 706-3 du code de procédure pénale.

La création du SARVI a eu pour effet de concurrencer le dispositif de l'article 706-14 : ce dernier offre une indemnisation plafonnée - environ 4 000 euros, donc proche du plafond de 3 000 euros du SARVI - pour des démarches beaucoup plus incertaines. Au regard des critères posés, certaines victimes ont intérêt à privilégier le SARVI au détriment de l'article 706-14. Le seul avantage de cet article réside dans la rapidité avec laquelle il peut être mis en oeuvre, aucune décision pénale définitive n'étant exigée.

Cette tendance pourrait être d'autant plus forte que, comme le souligne Mme Nathalie Faussat, responsable du FGTI, lors du colloque organisé à l'occasion des vingt ans du FGTI 86 ( * ) , ce dernier joue un rôle d'aiguillage des dossiers , en conseillant certaines victimes de recourir au SARVI plutôt que de saisir une CIVI sur le fondement de l'article 706-14 du code de procédure pénale en raison de la difficulté à apporter la preuve d'une situation matérielle ou psychologique grave.

Au terme de leurs travaux, deux voies d'évolution paraissent donc possibles : une première approche consisterait à améliorer séparément chacun des deux mécanismes.

Une autre solution, plus ambitieuse, consisterait à fondre ces deux mécanismes en un seul , et à élargir les missions du FGTI dans un dispositif plus global, empruntant à chacun d'entre eux ses atouts et s'adressant à l'ensemble des victimes.

Vos rapporteurs proposent en effet de mettre en place un organisme collecteur chargé de jouer le rôle d'interface entre l'auteur de l'infraction et la victime (voir supra ). Ce rôle pourrait être confié au FGTI, à partir d'un élargissement des dispositifs de l'article 706-14 et du SARVI :

- aucune condition de ressources ne serait exigée ;

- l'indemnité allouée ne serait pas plafonnée mais correspondrait au montant des dommages et intérêts alloués par la juridiction pénale ;

- toutefois, afin de ne pas risquer de laisser de côté certaines victimes particulièrement fragilisées par l'infraction sans être pour autant éligibles à l'article 706-3 du code de procédure pénale, il conviendrait de ménager la possibilité d'octroyer à ces dernières une indemnisation à partir de critères précisément définis, y compris en l'absence de décision pénale .

En tout état de cause, il appartiendrait au Fonds de se retourner contre l'auteur de l'infraction pour récupérer les sommes versées.

Proposition n°24 : fondre les dispositifs de l'article 706-14 et du SARVI au sein d'un dispositif unique plus large jouant le rôle d'interface entre l'auteur et la victime. Ce dispositif resterait toutefois accessible, en l'absence de décision pénale, à certaines victimes particulièrement fragiles, selon des critères qu'il conviendrait de clarifier.

L'exercice d'une telle mission rendrait indispensable un renforcement des moyens et des pouvoirs du FGTI.


* 72 Dans son rapport précité, rendu en février 2005, le Conseil national d'aide aux victimes fait état d'un délai moyen de 8 mois. (p. 26).

* 73 Comme indiqué précédemment, ce n'est pas une « cause légitime » pouvant justifier un relevé de forclusion : Civ., 2 ème , 13 juin 2013, n° 12-19.451.

* 74 Civ., 2 ème , 30 septembre 1981, n° 81-13.015

* 75 Art. 706-15-2 alinéa 2.

* 76 Proposition n° 12.

* 77 L'incapacité permanente partielle mesure une atteinte définitive à l'intégrité physiologique de la personne. Cette notion n'est plus utilisée en droit civil pour l'indemnisation des victimes depuis que la nomenclature Dinthillac l'a remplacée en 2005 par la notion de « déficit fonctionnel permanent ».

* 78 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl12-657.html

* 79 http://www.senat.fr/rap/l07-266/l07-2661.pdf p. 14.

* 80 Rapport février 2005 précité, p. 23.

* 81 Civ., 2 ème , 26 septembre 2002, n° 01-02.767 : « l'infraction d'abus de faiblesse au préjudice d'une personne vulnérable, même si elle est voisine de l'escroquerie, n'est pas visée par ce texte [706-14] »

* 82 Civ., 2 ème , 6 novembre 1991, n° 90-16.040.

* 83 Colloque du 20 janvier 2012, 20 ans d'indemnisation des victimes d'infractions, L'Harmattan, 2013.

* 84 Rapport annuel 2012 du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, p. 18.

* 85 Alloués, le cas échéant, au titre des articles 375 ou 475-1 du code de procédure pénale.

* 86 Colloque du 20 janvier 2012, 20 ans d'indemnisation des victimes d'infractions, L'Harmattan, 2013.

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