C. RENFORCER LE RÔLE DU FGTI

1. Faut-il déjuridictionnaliser davantage la procédure ?

Initialement, le Fonds n'était qu'un simple organisme payeur : les CIVI fixaient le montant de l'indemnisation et le Fonds en assurait le paiement.

Ce rôle du FGTI a évolué avec la loi Perben II du 9 mars 2004 puisqu'une phase préalable de conciliation a été organisée entre la victime et le Fonds.

La procédure applicable actuellement pour que les victimes puissent bénéficier d'une indemnisation de leur préjudice a ainsi fait l'objet d'une déjuridictionnalisation progressive, car la CIVI ne statue sur la demande de la victime qu'en cas de refus de l'indemnisation proposée par le FGTI. Ainsi, le pourcentage de décisions d'homologation d'accords entre la victime et le FGTI par les CIVI a atteint en 2012 un niveau proche de celui de l'année 2011, soit 78,6% 87 ( * ) .

Comme l'ont notamment souligné Mme Martine Lebrun, représentante de l'association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP) et M. Jonas Knetsch, maître de conférences en droit, la plus-value de cette phase d'homologation n'est pas démontrée.

Selon Mme Lebrun, sa suppression permettrait en outre d'économiser une dizaine d'emplois de greffiers, aujourd'hui affectés à la seule gestion des décisions d'homologation.

Vos rapporteurs proposent d'avancer dans cette voie entamée en 2004 et de mener à son terme la logique de déjuridictionnalisation de la procédure d'indemnisation, la CIVI n'étant alors plus saisie qu'en cas de de désaccord entre la victime et le Fonds .

Vos rapporteurs n'ignorent pas que la phase judiciaire devant la CIVI permet aussi de reconnaitre à la victime la place dont elle ne bénéficie pas toujours lors du procès pénal. Lorsque ce procès n'a pas lieu, le passage devant la CIVI est la seule occasion pour la victime d'être écoutée.

Toutefois, plusieurs interlocuteurs ont également souligné la qualité du dialogue entre le Fonds et les victimes. Dans son intervention à l'occasion du colloque organisé à l'occasion des vingt ans du FGTI 88 ( * ) , Me Claude Lienhard, avocat au barreau de Strasbourg et professeur des universités, a insisté sur « l'importance du dialogue direct que l'on peut avoir aujourd'hui avec les juristes du Fonds de garantie dont le nom apparaît systématiquement sur les mémoires avec leurs coordonnées d'accès direct. ».

En 2012, une charte de la victime a été adoptée par le Fonds, dans laquelle ce dernier s'engage par exemple à « f aire un usage modéré des voies de recours judiciaires » , en privilégiant la recherche d'un accord avec la victime.

Proposition n°25 : mener à son terme la logique de déjuridictionnalisation de la procédure d'indemnisation entre le FGTI et la victime - la CIVI n'étant plus saisie qu'en cas de désaccord entre ces derniers.

2. Améliorer le lien entre la procédure pénale et l'instruction de la demande d'indemnisation

Lors du procès pénal, des expertises peuvent être ordonnées, notamment pour évaluer les dommages subis par la victime.

Devant la CIVI, ces expertises ne sont cependant pas opposables au Fonds , en vertu du principe du contradictoire applicable devant cette juridiction puisque le Fonds, qui n'est pas partie au procès pénal, n'a pas été en mesure de les discuter à cette occasion.

De manière plus générale, il arrive qu'il soit nécessaire d'ordonner de nouvelles expertises au stade de la CIVI quand l'expert sollicité lors du procès pénal n'est pas agréé par le FGTI.

Comme l'ont souligné de nombreux interlocuteurs, il importe donc d'identifier, au stade du procès pénal, les dossiers susceptibles de faire l'objet d'une procédure devant la CIVI , pour solliciter dans ce cas des experts agréés par le FGTI et éviter de procéder à de nouvelles expertises, ce qui permettrait d'économiser des frais de justice.

Proposition n°26 : dès le stade du procès pénal, identifier les dossiers susceptibles de faire l'objet d'un traitement ultérieur par la CIVI et recourir à des experts agréés par le FGTI pour la réalisation des expertises relatives à l'évaluation du préjudice de la victime.

3. Solliciter l'expertise du FGTI en amont de l'élaboration de directives de politique pénale générales

L'expertise acquise par le FGTI est précieuse ; sa connaissance générale de la problématique de l'indemnisation des victimes d'infractions pénales peut lui permettre de détecter des dysfonctionnements ponctuels, puisque le FGTI est le seul à disposer d'une appréhension de ce contentieux à une échelle nationale (alors qu'il existe une CIVI par TGI). Symétriquement, le Fonds peut aussi faire part de « bonnes pratiques » méritant d'être généralisées.

Il a donc semblé cohérent à vos rapporteurs de préconiser de solliciter systématiquement son expertise avant de définir des directives générales de politique pénale tendant en particulier au traitement de contentieux présentant des problématiques similaires en matière d'indemnisation des victimes, afin d'assurer un traitement homogène de ces demandes sur l'ensemble du territoire.

Proposition n°27 : solliciter l'expertise du FGTI en amont de l'élaboration de directives générales de politique pénale relatives au traitement de contentieux présentant des problématiques similaires en matière d'indemnisation des victimes.

4. Explorer de nouvelles possibilités de financement

Afin de lui permettre d'exercer des missions élargies, il est nécessaire de réfléchir aux moyens de renforcer et de diversifier les ressources financières du FGTI.

a) Attribuer au Fonds une fraction du montant des amendes pénales

Une source de financement pourrait consister à accorder au Fonds une fraction des amendes pénales prononcées. C'est une solution qui est à l'oeuvre dans plusieurs pays étrangers, comme le Canada.

Cette mesure consiste à ce que l'État verse au Fonds une partie du montant des amendes collectées . C'est une solution transparente pour les citoyens, mais elle crée une moindre recette pour l'État.

Ce type de ressources existe cependant déjà pour le FGAO à qui est reversée par le Trésor public une fraction du montant des amendes routières.

En outre, vos rapporteurs estiment légitime de prévoir un abondement du Fonds chargé d'indemniser les victimes par une part des amendes pénales auxquelles ont été condamnés les auteurs d'infractions.

Proposition n°28 : affecter au Fonds une part des amendes pénales collectées.

b) Des pistes de financement innovantes

La loi du 9 juillet 2010 a profondément rénové le régime des saisies et confiscations pénales et confié à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) le soin de gérer les saisies pénales et l'exécution des confiscations portant sur des biens complexes.

Aux termes de l'article 706-164 du code de procédure pénale, les victimes parties civiles peuvent obtenir de l'AGRASC le paiement des dommages et intérêts à partir de la vente des biens du condamné ayant donné lieu à une confiscation définitive (voir supra ).

Vos rapporteurs proposent de poursuivre dans cette logique et préconisent qu'indépendamment des dispositions permettant à une victime d'obtenir le paiement par l'AGRASC des dommages et intérêts qui lui sont dus, une partie du produit des biens confisqués par décision de justice définitive puisse être affectée à l'indemnisation des victimes par le FGTI.

Proposition n°29 : affecter une partie du produit de la vente des biens confisqués par décision de justice définitive à l'indemnisation des victimes par le FGTI.

c) Développer le recours subrogatoire par le FGTI

Lors de la création du dispositif par la loi du 3 janvier 1977, l'État était subrogé dans les droits des victimes. Quand la loi du 6 juillet 1990 a donné mission au Fonds d'indemniser les victimes, elle a subrogé le Fonds dans les droits des victimes indemnisées.

L'article 706-11 du code de procédure pénale dispose que le recours subrogatoire du Fonds s'exerce contre les « personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle ». Cette disposition est plus précise que celle de l'article
L. 422-1 du code des assurances qui dispose simplement que « [le Fonds] est subrogé dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage. »

Le recours subrogatoire poursuit deux objectifs : un objectif financier et un objectif pédagogique, quand il est dirigé contre l'auteur : il conforte l'idée que l'auteur ne doit pas pouvoir se soustraire à son obligation de réparation. À ce titre, notre collègue Michel Mercier, alors garde des sceaux, lors du colloque précité, qualifie ainsi ce recours subrogatoire d'« indispensable corollaire de la mission d'indemnisation » 89 ( * ) .

Le Fonds récupère ces sommes aussi également auprès de l'État et de toute personne morale ou physique « tenues d'assurer la réparation du dommage », comme un arrêt du 9 décembre 2010 de la Cour de cassation l'a encore rappelé 90 ( * ) .

Quand il exerce son action en subrogation des droits de la victime, le FGTI peut se prévaloir des droits dont bénéficiait la victime, en vertu de son contrat par exemple, sans qu'il soit nécessaire au Fonds de redémontrer que le fait ayant justifié l'indemnisation avait le caractère d'une infraction 91 ( * ) .

Enfin, l'article 706-11 a été modifié par la loi du 1 er juillet 2008 pour faciliter les possibilités d'action du Fonds .

En premier lieu, lorsque l'auteur de l'infraction a fait l'objet d'une obligation d'indemnisation de la victime dans le cadre d'une peine de sanction-réparation, d'un sursis avec mise à l'épreuve, d'une décision d'aménagement de peine ou d'une libération conditionnelle et que la victime a été déjà indemnisée par le FGTI, au titre d'un des articles 706-3, 706-14 ou 706-14-1 ou au titre du SARVI, les auteurs sont tenus de verser les sommes dues au Fonds .

La loi du 1 er juillet 2008 a également permis à ce dernier d'obtenir directement auprès de certains organismes les informations relatives à la situation financière du débiteur 92 ( * ) . Cette modification est venue compléter la possibilité dont dispose le Fonds de consulter le fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA), qui recense les comptes bancaires de toute nature ouverts en France par une personne physique ou morale.

Enfin, dans le cadre du SARVI, la loi du 1 er juillet 2008 a institué un mécanisme prévoyant qu'une majoration des dommages et intérêts et des frais de procédure dus à la victime par l'auteur 93 ( * ) pourra être perçue par le Fonds, au titre des frais de gestion exposés par lui, quand il aura indemnisé une victime. L'auteur de l'infraction est donc systématiquement informé, à l'audience, qu'en l'absence de paiement dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision sera devenue définitive, il s'expose à cette majoration 94 ( * ) .

Le Fonds a développé un savoir-faire indéniable en matière de recouvrement, lui permettant de récupérer environ 25% à 30% des sommes versées , majoritairement par voie amiable 95 ( * ) .

Sommes recouvrées par le FGTI

Encaissements (M€)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Recours contre Auteurs

32,5

36,9

43,1

44,5

44,8

49,8

49,4

48,6

Recours contre Sociétés / État

9,4

10,6

9,4

12,3

12,2

19,1

14,6

16,1

Recours au titre du SARVI

X

X

X

X

0,1

1,2

5

8,8

TOTAL

41,9

47,5

52,5

56,7

57

70,1

69

73,5

Source : FGTI

Cependant, le Fonds ne peut exercer son action subrogatoire qu'après avoir saisi une juridiction civile pour obtenir un titre exécutoire à l'égard de la personne condamnée, car celle-ci n'est pas partie à l'instance se déroulant devant la commission d'indemnisation.

Sans modifier les dispositifs actuels, sensibiliser les juridictions à l'intérêt pour le Fonds d'obtenir rapidement ce titre exécutoire, serait une mesure simple pour accroître l'efficacité de son action : cette proposition avait été faite par le Conseil national d'aide aux victimes dans son rapport de février 2005.

Lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 29 février 2012 96 ( * ) , M. François Werner, directeur général du Fonds, a également précisé que son action en matière de recouvrement pouvait être rendue beaucoup plus efficace par la possibilité d'avoir accès à certaines informations du fichier APPI (application des peines, probation et insertion). Ce fichier permet d'identifier le service pénitentiaire de probation et d'insertion (SPIP) dont relèvent les auteurs d'infraction. Tout en donnant au Fonds un instrument très efficace pour recouvrer les sommes dues, l'effet pédagogique pourrait être accru, grâce à un dialogue du Fonds avec les SPIP.

Proposition n°30 : donner la possibilité au FGTI d'accéder à certaines informations figurant dans le fichier APPI (application des peines, probation et insertion).

5. Étudier la possibilité de faire du FGTI la « porte d'entrée » vers l'ensemble des fonds d'indemnisation

Actuellement, divers fonds indemnisent plusieurs catégories de victimes : les victimes d'accident de la circulation routière et les victimes d'accidents de chasse sont indemnisées par le FGAO, les victimes d'actes de terrorisme et les victimes d'infractions pénales le sont par le FGTI, les personnes exposées à l'amiante le sont par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), etc.

Plusieurs personnes entendues par vos rapporteurs ont évoqué la nécessité de rapprocher les différents fonds existants , voire de créer un fonds national unique, comme l'a suggéré Jacques Degrandi, premier président de la cour d'appel de Paris, lors de son audition par vos rapporteurs.

Les représentants du FGTI eux-mêmes, ont proposé d'avancer dans cette voie.

Ces fonds remplissent en effet des fonctions similaires et utilisent des instruments, des référentiels ou des techniques identiques pour le calcul des préjudices ou l'activité de recouvrement, par exemple. Or, ces deux domaines nécessitent un savoir-faire, une expérience qui s'acquiert progressivement. On peut légitimement s'interroger sur l'opportunité de maintenir plusieurs équipes travaillant en « tuyaux d'orgue ».

D'autre part, les fonds nécessitent des services techniques qui peuvent être facilement mutualisés.

Une fusion pure et simple des fonds est sans doute difficile à effectuer ; elle pose en outre une question au regard de la volonté du législateur d'indemniser spécifiquement certaines victimes d'infractions.

Il semble en revanche préférable de rapprocher les fonds .

Ce rapprochement pourrait s'effectuer sur le modèle actuel du système de gestion par le FGAO du FGTI. Ces deux fonds ont mutualisé leurs différents services, y compris leurs services juridiques, avec succès, par le biais d'un instrument souple et courant, une convention de gestion .

Sur ce modèle, il pourrait être envisagé de créer une structure de travail unique , travaillant pour différents commanditaires que seraient chacun des fonds.

Ces derniers seraient toujours financièrement distincts ; ils continueraient d'être administrés par un conseil d'administration indépendant.

Proposition n°31 : rapprocher les fonds existants sur un modèle proche de celui existant entre le FGAO et le FGTI, par la voie de conventions de gestion.


* 87 Rapport annuel 2012 du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, p. 14.

* 88 Colloque du 20 janvier 2012, 20 ans d'indemnisation des victimes d'infractions, L'Harmattan, 2013.

* 89 Colloque du 20 janvier 2012, 20 ans d'indemnisation des victimes d'infractions, L'Harmattan, 2013. p. 20.

* 90 Civ., 2 ème , 9 décembre 2010, n° 10-17.884. En l'occurrence, la SNCF contestait le recours du Fonds à son encontre, au titre de l'article 706-11.

* 91 Civ., 2 ème , 7 février 2013, n° 11-26.519.

* 92 Il s'agit des administrations ou services de l'État et des collectivités publiques, les organismes de sécurité sociale, les organismes qui assurent la gestion des prestations sociales, les établissements financiers et les entreprises d'assurance.

* 93 Cette majoration, fixée par l'arrêté du 28 novembre 2008 relatif à l'aide au recouvrement des dommages et intérêts pour les victimes d'infractions assuré par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions est de 30%.

* 94 Art. 474-1 du code de procédure pénale. Ce dispositif n'est pas une source de revenus pour le Fonds mais plutôt un moyen de pression sur les auteurs.

* 95 71% des recours encaissés par le Fonds en 2012 l'ont été par voie amiable.

* 96 http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cloi/11-12/c1112045.asp

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