C. LA DÉFINITION DU CADRE DE NÉGOCIATION

1. Les priorités de la Commission européenne

Le gouvernement serbe espère un processus d'adhésion relativement court, entre quatre à cinq ans, pouvant aboutir à une adhésion à l'horizon 2020. Elle compte, à cet effet, quelques relais au sein du Conseil. Les « amis de la Serbie » réunissent ainsi la Slovaquie, la République tchèque, la Pologne et la Hongrie. Ces quatre pays s'étaient opposés fin juin à ce que l'ouverture des négociations soit de nouveau soumise à un rapport de progrès.

La date d'ouverture effective des négociations n'a pour autant pas été fixée précisément par le Conseil européen des 27 et 28 juin derniers. Ses conclusions font état d'une première conférence intergouvernementale prévue au plus tard le 1 er janvier 2014 .

Le préalable à l'ouverture des négociations consiste en l'adoption par le Conseil d'un cadre pour celles-ci. La proposition de cadre de négociations présentée par la Commission du 22 juillet dernier insiste sur deux points : les chapitres 23 (pouvoir judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (justice, liberté, sécurité) d'un côté et le Kosovo de l'autre.

La priorité accordée aux questions ayant trait à l'État de droit rejoint la nouvelle approche des négociations d'adhésion validée en décembre 2011 par le Conseil et déjà mise en oeuvre pour le Monténégro. Des critères devraient également être définis en vue de surveiller l'adoption d'un dispositif institutionnel destiné à encadrer les négociations techniques sur ces chapitres. Le texte prévoit en outre la possibilité de stopper le travail technique sur d'autres chapitres de négociation si des retards venaient à être enregistrés dans ce domaine. Le Conseil statuerait alors à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission ou d'un tiers des États membres. Cette option peut s'accompagner d'une suspension de certains fonds de préadhésion.

La question du Kosovo est, quant à elle, plus épineuse, faute d'unanimité au sein de l'Union européenne sur son statut. Intégrée au sein du chapitre 35 (questions diverses), elle fait cependant figure de priorité. La Commission européenne répond ainsi à certains États, à l'image de l'Allemagne, qui souhaitent maintenir une forme de pression sur la Serbie pour qu'elle mène à bien le processus de normalisation des relations avec le Kosovo. Le traitement réservé à cette question sera identique à celui des chapitres 23 et 24 : tout retard enregistré dans ce dossier entraînant la suspension des négociations dans d'autres domaines. La Commission entend fixer des objectifs d'amélioration visible et durable des relations avec le Kosovo, l'ambition affichée consistant en une normalisation complète des rapports entre les deux États.

L'analogie entre les chapitres 23 et 24 d'un côté et 35 de l'autre demeure cependant limitée dans les faits. Les négociations par chapitres s'ouvrent habituellement par la définition par l'Union européenne de sa position et par le pays candidat de la sienne . Il semble délicat de demander à la Serbie d'avancer une position précise et consignée par écrit sur l'évolution de ses relations avec le Kosovo, compte tenu de la sensibilité politique, historique et culturelle du dossier dans le pays et de son refus réitéré de reconnaître officiellement l'indépendance de son ancienne province. Le pragmatisme qui a présidé à la conclusion de l'accord de Bruxelles du 19 avril devra, à cet égard, être respecté dans l'intérêt de toutes les parties. La Commission européenne semble avoir fait sienne cette option en envisageant une position de négociation assez générale pour la Serbie, dans le cadre de laquelle elle s'engagerait à mettre en oeuvre intégralement les accords obtenus à l'occasion de la procédure de dialogue entre l'Union européenne, Belgrade et Pritina, initiée en mars 2011.

L'indépendance du Kosovo et l'Union européenne

Le Kosovo a déclaré de façon unilatérale son indépendance le 17 février 2008, neuf ans après la fin du conflit entre les combattants de l'armée de libération du Kosovo (UCK) et l'armée serbe. L'accession à l'indépendance vient sanctionner l'échec des négociations menées avec les autorités serbes. Celles-ci militaient, en effet, pour une autonomie renforcée, en s'appuyant sur les termes de la résolution 1244 adoptée par les Nations unies le 10 juin 1999, selon laquelle la province administrée par une mission internationale - la MINUK - demeurait de jure serbe.

Les négociations sur le statut du Kosovo entamées en 2006 à Vienne sous l'égide de l'envoyé spécial des Nations unies, Marti Ahtisaari, et du groupe de contact réunissant les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l'Italie et la Russie, excluaient d'emblée trois options : la partition du pays, la division puis le rattachement aux pays voisins - Serbie et Albanie -, et le maintien du statu quo.

La Cour internationale de justice, saisie par l'Assemblée générale des Nations unies à la demande de la Serbie a néanmoins émis, le 22 juillet 2010, un avis consultatif estimant la déclaration d'indépendance du Kosovo conforme au droit international. L'avis de la Cour est cependant extrêmement prudent puisqu'il ne concerne pas le droit du Kosovo à accéder à l'indépendance mais uniquement la déclaration elle-même.

La France et 22 autres États membres de l'Union européenne ont reconnu l'indépendance du Kosovo. La République de Chypre, l'Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie y sont toujours hostiles, craignant qu'une telle reconnaissance puisse apparaître comme une incitation à la sécession. La Grèce comme la Slovaquie montrent cependant des signes d'assouplissement avec l'ouverture de bureaux commerciaux bilatéraux. 99 États sur les 193 membres des Nations unies ont, par ailleurs, reconnu l'indépendance du Kosovo.

Le cadre de négociation doit être désormais confirmé par le Conseil des ministres, avant transmission au Conseil européen prévu les 19 et 20 décembre 2013. Celui-ci déterminera alors la date effective d'ouverture des négociations.

Cette relative imprécision sur la date d'ouverture effective des négociations est souvent analysée par les observateurs locaux comme la volonté de faire in fine accepter à la Serbie l'adhésion du Kosovo aux Nations unies.

2. L'accord de Bruxelles du 19 avril 2013 et ses incidences sur l'ouverture des négociations

L'accord de Bruxelles du 19 avril 2013 vient couronner un rapprochement entre le Kosovo et la Serbie entamé en mars 2011 sous l'égide de l'Union européenne. Il convient, à cet égard, de saluer l'action de la Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Des accords « techniques » ont pu ainsi être conclus le 2 juillet 2011 sur la liberté de circulation, la reconnaissance mutuelle des diplômes et l'état civil), le 2 septembre 2011 sur le cadastre et les tampons douaniers, le 2 décembre 2011 sur la gestion intégrée des frontières et le 24 février 2012 sur la participation du Kosovo aux forums régionaux. Les deux pays ont par ailleurs rétabli leurs échanges commerciaux. Les discussions ont pris un tour plus politique le 19 octobre 2012, suite à une rencontre entre les Premiers ministres serbe et kosovar, MM. Ivica Daèiæ et Hashim Thaçi, lançant véritablement un processus de normalisation des relations entre les deux États. Une vingtaine de réunions entre chefs de gouvernement ont, depuis, été organisées.

L'accord de Bruxelles traduit cette évolution positive. Il prévoit la dissolution de structures municipales parallèles serbes (municipalités, écoles, hôpitaux) financées par Belgrade et leur remplacement par des municipalités élues selon la loi électorale kosovare, un scrutin devant être organisé les 3 novembre et 1 er décembre 2013. Le texte insiste également sur l'intégration de la police du Nord Kosovo majoritairement serbe au sein de la police du Kosovo. Il en va de même pour les autorités judiciaires du Nord Kosovo désormais appelées à fonctionner dans le cadre juridique du Kosovo. Le point 14 stipule en outre qu'aucune des deux parties ne bloquera, ou n'encouragera les autres à bloquer, le progrès de l'autre partie sur son chemin vers l'Union européenne.

Belgrade refuse pour autant de voir dans cet accord une remise en question du rattachement du Kosovo, qui reste à ses yeux une province de jure serbe. Pas en avant indéniable en vue de la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina, l'accord de Bruxelles maintient donc une forme d'ambiguïté sur le statut du Kosovo, une ambiguïté constructive selon la formule retenue par un certain nombre d'observateurs.

Certains États - l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Finlande et les Pays-Bas - souhaitent que cet accord, et plus particulièrement le point 14, devienne désormais juridiquement contraignant. Cette position s'appuie sur le fait que le statut juridique de l'accord peut apparaître flou : le texte a été examiné par le Parlement serbe comme une annexe d'un rapport du gouvernement, document néanmoins approuvé à une majorité de plus des deux tiers.

L'ambition affichée notamment par le Royaume-Uni est de parvenir à la signature d'un accord semblable à celui du traité fondamental entre les deux Allemagnes, signé le 21 décembre 1972. Le texte prévoyait alors le développement de relations normales de bon voisinage fondées sur l'égalité des droits, l'inviolabilité des frontières communes et le respect de l'intégrité territoriale, et la renonciation réciproque à représenter l'autre État sur le plan international. Les deux pays s'engageaient, par ailleurs, à respecter l'indépendance et l'autonomie de chacun des deux États dans ses affaires intérieures et extérieures. C'est cette normalisation des relations entre les deux Allemagnes qui a d'ailleurs permis aux deux États d'être admis conjointement au sein de l'Organisation des Nations unies (ONU) le 18 septembre 1973. Ce faisant, la Grande-Bretagne souhaite éviter une situation de type chypriote, où un État membre bloque l'adhésion d'un autre.

Aux yeux de Londres et de ses partenaires, la pleine normalisation des relations et le caractère contraignant de l'accord doivent donc figurer parmi les critères de clôture du chapitre 35. Ces États insistent également pour que la question de la normalisation des relations avec le Kosovo soit intégrée à la totalité des chapitres de négociations. Ils estiment enfin que le non-respect des engagements pris par la Serbie aux termes de l'accord de Bruxelles doit conduire à la suspension totale des négociations.

Il est regrettable que ces pays considèrent avec défiance la Serbie au travers d'un prisme hérité de la guerre. Rappelons que celle-ci a éclaté au début des années quatre-vingt-dix, soit il y a plus de vingt ans. Le personnel politique serbe a depuis changé et la rhétorique nationaliste semble désormais confinée à des formations politiques minoritaires sur la scène politique locale. Seul le DSS, le parti de l'ancien Premier ministre Vojislav Kotunica, tombeur de Slobodan Miloeviæ lors des élections présidentielles yougoslaves d'octobre 2000, rejette le processus de normalisation. Elle représente aujourd'hui moins de 8 % des intentions de vote. Un consensus s'est véritablement dégagé pour tourner la page. Même l'Église orthodoxe serbe qui avait, dans un premier temps, regretté publiquement l'abandon du territoire serbe « le plus important en termes spirituels et historiques », a réaffirmé sa loyauté à l'égard de l'État le 31 mai 2013.

Il convient, par ailleurs, de rappeler que l'adhésion du Kosovo paraît une option beaucoup plus lointaine que celle de la Serbie, le pays venant seulement d'ouvrir, le 28 octobre 2013, des négociations en vue de la signature d'un accord de stabilisation et d'association. Subordonner le lancement des négociations d'adhésion avec la Serbie à un engagement contraignant de celle-ci à réitérer son refus de bloquer l'adhésion du Kosovo apparaît donc largement prématuré. A l'inverse, cette conditionnalité peut donner le sentiment à Belgrade de voir son adhésion à l'Union européenne dépendre du bon vouloir de Pristina.

Les cinq États membres qui n'ont pas reconnu le Kosovo refusent, quant à eux, que l'accord de Bruxelles devienne contraignant, ce qui serait assimilé à une reconnaissance de l'indépendance de l'ancienne province serbe. La Suède soutient également cette position.

Le cadre de négociation présenté par la Commission, qui prend à la fois en compte les nouvelles orientations de la politique d'élargissement concernant l'État de droit et la spécificité de la question kosovare, paraît relativement bien équilibré. Faire de la normalisation des relations avec le Kosovo l'élément déterminant des négociations d'adhésion paraît de fait exagéré. Cette vision mésestime les efforts déjà accomplis par les formations politiques au pouvoir à Belgrade et introduit une forme de surenchère permanente, difficilement acceptable par l'opinion publique serbe et susceptible de fragiliser la position du gouvernement. Il existe dans le pays une réelle envie d'Europe qu'il convient avant tout d'encourager. Le pragmatisme observé au sein du gouvernement serbe doit être respecté. La position de l'Allemagne et de ces alliés ignore de surcroît la position réservée de certains États membres sur le statut du Kosovo. Il convient en outre de rappeler, comme le fait le gouvernement français, que le cadre de négociation ne peut fixer les critères de clôture d'un chapitre, celle-ci étant décidée par le Conseil à l'unanimité.

L'Allemagne attend, en tout état de cause, un nouveau rapport de la Commission sur l'application de l'accord du 19 avril avant de se prononcer sur l'ouverture des négociations. Le Royaume-Uni milite également pour qu'un point soit effectué à l'occasion de l'adoption du cadre de négociation par le Conseil des ministres. De son côté, la Commission européenne semblait initialement encline à présenter un rapport de « criblage » sur cette question en mars-avril prochain, à l'instar de celui qu'elle prépare pour les chapitres 23 et 24. Ce document devrait permettre de vérifier si l'accord est bien mis en oeuvre et conclure à l'ouverture des négociations sur le chapitre 35. À l'inverse, les retards et les difficultés constatés pourraient devenir des obstacles à l'ouverture du chapitre.

Dans ce contexte délicat, tout conduit à penser que l'ouverture des négociations ne sera pas effective avant le mois de janvier 2014.

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