B. LA POURSUITE DE LA NORMALISATION DES RELATIONS AVEC LE KOSOVO

1. L'indispensable coexistence

L'accord du 19 avril a représenté une avancée indéniable en ce qui concerne les relations entre gouvernements kosovar et serbe. Un comité de mise en oeuvre de l'accord est mis en place avec l'aide de l'Union européenne. Un fonds de développement économique régional pour le Nord a également été créé par le Parlement kosovar le 12 juillet dernier. Il reste à définir les modalités pour que les municipalités à dominante serbe, situées au sud de l'Ibar, comme Graèanica, trpce ou Ranilug, puissent bénéficier de ce fonds. L'Union européenne a également mis en place un fonds destiné aux municipalités du Nord, abondé à hauteur de 15 millions d'euros d'ici à la fin 2013. Cette somme a été portée à 38,5 millions d'euros en 2014, compte tenu de la réallocation de fonds non-utilisés pour la Turquie et la Bosnie-Herzégovine. Ce fonds s'inscrit dans le cadre de l'Instrument de pré-adhésion (IPA). Ses priorités de financement en 2014 seront au nombre de 3 :

- 31 millions d'euros seront affectés au développement économique local : infrastructures municipales, investissements dans les secteurs de l'eau et des déchets ; aide au développement des structures éducatives et subventions aux petites et moyennes entreprises et aux agriculteurs ;

- 5 millions d'euros seront consacrés à la mise en oeuvre des dispositions de l'accord de Bruxelles concernant la justice et la police ;

- 2,5 millions serviront au renforcement des capacités d l'Association des municipalités serbes.

Reste désormais à convaincre sur le terrain la minorité serbe au Kosovo, soit 110 000 personnes, du bien-fondé de cette normalisation.

Il convient, à cet égard, de distinguer les communautés du Sud de l'Ibar (70 000 personnes) et le Nord du pays (40 000 personnes).

Les élections législatives de l'automne 2010 ont montré que les Serbes résidant dans le Sud acceptaient de faire partie du nouveau pays. La décentralisation prévue par le plan de supervision internationale du Kosovo (2007), dit plan Ahtisaari , annexé à la Constitution, paraît y fonctionner convenablement, en dépit de la permanence de problèmes : retours empêchés, mauvaise perception de l'action des autorités kosovares jugée partiale, relations difficiles avec les autres communautés.

Le plan Ahtissari

Les autorités kosovares ont, à l'occasion de l'accession à l'indépendance, indiqué qu'elles entendaient appliquer le plan de l'envoyé spécial des Nations unies pour le Kosovo, M. Marti Ahtisaari. Ce plan, présenté le 26 mars 2007 au Conseil de sécurité, préconisait l'accession à l'indépendance sous supervision internationale, accompagné d'un statut protecteur pour les minorités.

Aux termes de celui-ci, leur représentation est renforcée au sein des institutions. Les minorités disposent ainsi d'un quota de 20 % de représentants au Parlement. Le plan insiste également sur l'ouverture du système judiciaire à toutes les communautés. La composition de la magistrature (debout et assise) doit, par ailleurs, incarner le caractère multiethnique du Kosovo.

Le plan des Nations unies prévoit en outre la création de municipalités à majorité non-albanaise dans le cadre de nouvelles lois de décentralisation. Six municipalités serbes ont ainsi été créées ou élargies. Le texte prévoit en outre le renforcement de l'autonomie des municipalités en matière financière, qui pourront notamment recevoir, en toute transparence, des financements provenant de Serbie.

Le plan Ahtisaari prévoit que l'albanais et le serbe seront les deux langues officielles du Kosovo, tandis que les langues des autres communautés - à l'instar du turc, du bosnien et du romani - auront le statut de langue d'usage officiel.

Le texte détermine enfin des mesures de protection du patrimoine religieux de l'Église orthodoxe de Serbie dont le Kosovo devra reconnaître l'existence et les propriétés. Le texte prévoit ainsi la délimitation de zones protégées autour de plus de 40 sites religieux et culturels importants. Sans préjudice du droit de propriété des biens immeubles situés à l'intérieur de ces zones, les activités qui s'y déroulent doivent être soumises à des restrictions particulières destinées à garantir l'existence et le fonctionnement dans la tranquillité des grands sites religieux et culturels.

La supervision internationale de l'indépendance a pris fin le 10 septembre 2012, quatre ans et demi après la proclamation de l'indépendance. Le bureau civil international nommé à cet effet était chargé de veiller à la mise en place du plan Ahtisaari par le gouvernement kosovar.

A l'inverse, le Nord symbolise les difficultés passées de Belgrade à tenter de solder le conflit. Jusqu'à l'accord de Bruxelles, l'administration et les services y étaient encore intégralement financés par la Serbie. La population a vécu dans cette forme de « bulle » pendant près de quinze ans, l'appartenance à la Serbie n'était pas, jusqu'alors, réellement remise en cause. Cet entre-deux pouvait préfigurer une sécession avec Pristina. Cette option n'est pourtant pas envisageable puisqu'elle menacerait directement la présence des communautés serbes du Sud de l'Ibar. Il existe également un risque de remise en cause des équilibres régionaux en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine, voire en Serbie elle-même (Sandjak, vallée du Preevo).

Si la présence de groupes paramilitaires ou de milices permet de réguler certains trafics, la criminalité organisée demeure dans cette région très forte et n'a aucun avantage à tirer d'une normalisation des relations entre Belgrade et Pristina. La connexion de fait entre mafieux et éléments radicaux s'inscrit dans ce contexte. Le désengagement policier de Belgrade depuis quelques mois contribue à mettre en lumière ces individus, sans doute responsables de la mort d'un chauffeur lituanien d'EULEX, la mission civile de l'Union européenne sur place, le 19 septembre 2013. Si Belgrade a pu contrôler et intimider certains gros trafiquants de la région, à l'image de Zvonko Veselinoviæ, elle a moins de prise sur des éléments plus modestes, certains désespérés.

2. Les élections municipales et leurs conséquences

La poursuite des pourparlers entre les deux pays a débouché, le 24 juillet 2013, sur un accord concernant l'organisation des élections municipales au Nord et dans les enclaves, prévues les 3 novembre et 1 er décembre. Les Kosovars d'origine serbe étaient autorisés à voter sur la base des documents personnels dont ils disposent. Des mesures en faveur du vote des personnes déplacées à l'intérieur ou des personnes nées au Kosovo mais résidant en Serbie ou au Monténégro ont également été adoptées. La Commission électorale centrale kosovare, qui bénéficiait pour l'occasion de l'aide de l'OSCE, a ainsi accepté l'inscription de 11 400 électeurs résidant hors du pays (sur 45 000 électeurs potentiels vivant actuellement en Serbie et au Monténégro). 3 042 Kosovars d'origine albanaise ont pu, quant à eux, voter à Mitrovica-nord. Aux termes d'un accord signé entre les deux gouvernements le 7 octobre, le matériel de vote ne comportait pas, par ailleurs, le logo de la République du Kosovo, à la seule exception des contrats des membres des commissions électorales municipales et des formulaires pour le décompte des votes, ce qui n'a pas été sans susciter une certaine tension côté serbe. En contrepartie, les drapeaux serbes devaient être retirés des édifices servant de bureaux de vote, principalement des écoles.

Une mission d'observation de l'Union européenne a, par ailleurs, été envoyée sur place, ce qui constituait une première.

L'ambition affichée par Belgrade était d'obtenir, au Nord, un taux de participation des Kosovars d'origine serbe satisfaisant, soit entre 15 et 20 %, compte tenu des appels au boycott du scrutin d'un certain nombre de dirigeants locaux. Un certain nombre de représentants des Serbes du Nord du Kosovo ont en effet refusé de reconnaître la validité de l'accord du 19 avril et se sont constitués en « Assemblée provisoire de la province autonome du Nord du Kosovo ». Les maires de Zubin Potok et Zveèan (DSS) ainsi que ceux de Mitrovica et Leposaviæ (membres du SNS et du SPS) sont les principaux leaders de cette Assemblée. Le gouvernement serbe a rapidement condamné cette opposition, en menaçant de révocation les fonctionnaires de l'État serbe résidant au Kosovo et les maires contestataires. Des équipes provisoires ont ainsi été mises en place à Mitrovica et Leposaviæ à la veille des élections, les édiles nommés par Belgrade il y a quelques années étant limogés. Des évictions semblables ont eu lieu au Sud du pays, à Graèanica et à trpce.

Face à cette fronde, le gouvernement serbe s'est énormément investi dans la campagne locale, doublant ses appels à participer d'une incitation à choisir la liste Initiative civique serbe - Srpska (CIZ). Le Premier ministre et le vice Premier ministre ont ainsi participé à un meeting à Graèanica, au Sud de l'Ibar, le 1 er novembre 2013. Des ministres de moindre envergure (Sport, Culture) se sont, quant à eux, rendus dans le Nord. Au terme de cette élection, les autorités serbes souhaitent que puisse être mise en place une Association des municipalités serbes, communauté de communes prévue par l'accord de Bruxelles. Sa création implique la réunion d'au moins six municipalités et une proximité politique entre elles, d'où la promotion des listes CIZ. Celles-ci étaient en concurrence avec les listes menées par des formations proches du gouvernement kosovar (SLS et SKS). La participation était également indispensable, une abstention favorisant mécaniquement le risque d'élection de maires issus de la minorité albanaise résidant dans ces enclaves, en particulier dans la région de Mitrovica.

En dépit de ces efforts, c'est dans un climat tendu que s'est déroulé le premier tour des élections. Les violences constatées à Mitrovica-nord n'ont pas constitué, à cet égard, de réelle surprise. Attaqués par des commandos armés dans l'après-midi, trois centres de vote ont ainsi dû fermer conduisant à l'annulation de l'élection dans cette municipalité et son report au 17 novembre. Krstimir Pantiæ, candidat à la mairie de Mitrovica-nord sur la liste CIZ, avait été quant à lui agressé le 1 er novembre.

Ces incidents ne sauraient pourtant masquer une participation relativement forte des électeurs d'origine serbe au Sud de l'Ibar et satisfaisante au Nord. Au Sud, le taux de participation a ainsi atteint 57,87 %, soit 18 points de plus qu'en 2009 (39,17 %). Il est supérieur à la moyenne nationale, établie à 48,9 % des suffrages. Au Nord, les communes de Leposaviæ et Zubin Potok ont ainsi enregistré des taux de participation encourageants : plus de 25 % dans la première et 22 % dans la seconde. Le scrutin organisé à Mitrovica-nord le 17 novembre a confirmé cette tendance avec une participation des électeurs estimée à plus de 22 %.

Le second tour, organisé le 1 er décembre, a confirmé le succès des listes CIZ dans l'ensemble des enclaves, emportant ainsi la victoire dans 9 des 10 municipalités à dominante serbe (Leposaviæ, Mitrovica-nord, Zubin Potok et Zveæan au Nord de l'Ibar et Graèanica, Klokot, Novo Brdo, Parte, Pasjane et Ranilug au Sud de l'Ibar). À l'exception de trpce, les équipes en place dans les mairies du Sud depuis 2009 et proches du gouvernement kosovar devraient ainsi être remplacées par des formations liées à Belgrade. L'assurance de continuer à bénéficier d'une aide financière serbe pour les services publics municipaux a pu contribuer à mobiliser les électeurs en faveur des listes CIZ.

L'attention médiatique portée sur les incidents de Mitrovica ne doit donc pas faire oublier le bon déroulement du scrutin en général. OEuvre d'une minorité politique tant en Serbie qu'au Kosovo, ils ne peuvent servir de justification à un report des négociations d'adhésion avec l'Union européenne. L'investissement du gouvernement serbe en faveur de la participation aux élections a témoigné, au contraire, d'une réelle volonté de concrétiser l'accord de Bruxelles.

3. La mise en oeuvre de l'accord de Bruxelles

La question de la sécurité et de l'État de droit font partie des priorités des négociations en cours entre Belgrade et Pristina.

L'accord de Bruxelles prévoit ainsi l'intégration de membres de la communauté serbe au sein des effectifs la police du Kosovo (KP). Ceux-ci ne seront plus tenus de prendre des documents d'identification kosovars. Ils sont également dispensés de prolonger le serment d'allégeance. Leurs contrats sont à durée indéterminée. La Serbie souhaite désormais que ces contrats de travail ne fassent pas référence à la République du Kosovo. Une loi d'amnistie visant les policiers d'origine serbe a, par ailleurs, été adoptée le 11 juillet dernier par le Parlement kosovar, condition préalable à leur intégration au sein de la KP. Un commandement régional serbe a également été institué. Aucune coopération policière entre la Serbie et le Kosovo n'est cependant envisagée, Belgrade estimant que les forces serbes collaborent déjà avec la mission civile de l'Union européenne au Kosovo, EULEX.

Des divergences entre les deux parties restent également notables en ce qui concerne les tribunaux de première instance et les bureaux du Procureur. La compétence territoriale de la Cour de Mitrovica demeure ainsi au coeur des débats. Pristina souhaite une seule cour compétente pour toute la région, qui comprendrait à la fois pour les quatre communes nord de l'Ibar et les trois situées au sud. La présence des kosovars d'origine serbe serait ainsi diluée. A l'inverse, Belgrade souhaite deux cours séparées. Le gouvernement serbe entend mettre ainsi en place trois tribunaux de première instance à dominante serbe dans tout le pays : Mitrovica-nord, Graèanica et trpce. Les deux gouvernements souhaitent néanmoins parvenir à un accord sur ce sujet au plus tard le 10 décembre 2013. La réforme de la justice débattue début novembre au Parlement serbe, qui prévoit la réorganisation du maillage judiciaire local, devrait faciliter les négociations.

Un accord plus technique est intervenu le 8 septembre 2013 au sujet des télécommunications et de l'énergie. Au niveau des télécommunications, les appels du Kosovo vers la Serbie resteront des appels locaux et non internationaux. Le Kosovo devrait, quant à lui, disposer d'un code international en 2015 (383). Les opérateurs serbes pourront, par ailleurs travailler au Kosovo. Dans le domaine de l'énergie, les questions de propriété ont été mises de côté. Les principales difficultés tiennent à la gestion de la centrale hydraulique du lac de Gazivode, dont les eaux sont partagées entre la Serbie et le Kosovo ainsi qu'à la station électrique de Valac. L'accord permet néanmoins de sécuriser la fourniture. Enfin, en ce qui concerne les douanes, un accord trouvé le 5 novembre 2013 prévoit l'entrée en vigueur d'un mécanisme de collecte des taxes à la mi-décembre .

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