CHAPITRE II : LES ENJEUX ET LE DROIT APPLICABLE

I. ENJEUX ALIMENTAIRE, ENVIRONNEMENTAL ET MACROÉCONOMIQUE

Les biocarburants ont commencé par être parés d'à peu près toutes les vertus : contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mieux préserver les ressources naturelles en réduisant l'extraction de carburants fossiles, réduire la dépendance énergétique envers des zones souvent soumises à de fortes tensions, contribuer à l'équilibre de la balance des paiements et créer des emplois. Mais la balance « avantages/inconvénients » s'est avérée beaucoup moins favorable que prévu.

A. L'ENJEU ALIMENTAIRE : NOURRIR UNE POPULATION CROISSANTE

Utilisant une surface agricole susceptible d'être affectée à des productions vivrières, les biocarburants de première génération attirent ipso facto sur eux l'accusation de placer le genre humain devant le dilemme « manger ou conduire ».

Formulée en ces termes, l'alternative est insupportable, même si tout dépend de l'ampleur prise par les cultures destinées aux biocarburants.

À l'heure actuelle, la surface brute utilisée en vue de produire des biocarburants est estimée à 0,9 % de la surface agricole utile à l'échelle mondiale. Si l'on prend en compte la production destinée à l'alimentation animale, l'emprise sur la surface agricole utile tombait en 2011 à 0,6 % au plan mondial, pour s'établir à 2,44  % sur le territoire européen.

En comparaison, le gaspillage alimentaire correspond à un tiers de la surface agricole utile. Selon la FAO, la production, les récoltes et le stockage occasionnent presque 55 % des pertes enregistrées à l'échelle de la planète, soit la production assurée par 18 % de la surface agricole utile mondiale. Pour l'essentiel, ce type de perte est observé dans les pays en développement.

Ces menaces deviendraient bien plus grandes en cas d'essor massif des biocarburants de première génération, ce qui justifie de contingenter leur usage en attendant leur substitution par la deuxième génération, qui échappe au conflit entre alimentation des hommes et remplissage des réservoirs de véhicules.

B. ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX : PROTECTION DES RÉSERVES D'ÉNERGIE FOSSILE ; LUTTE CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

1. La réduction des émissions de GES semble aller de soi

Évitant un lourd processus industriel fortement consommateur d'énergie du puits de pétrole à la station-service, la mise en oeuvre de biocarburants issus de l'activité agricole ne peut avoir qu'un effet bénéfique sur les émissions de gaz à effet de serre.

Il ne faut sans doute pas aller chercher plus loin la raison ayant conduit la Commission européenne à placer la contribution à une économie décarbonée en première place des vertus attribuées aux biocarburants. Il reste que les estimations portant sur le cycle de vie des produits sont extrêmement variables selon la matière première et les procédés de mise en oeuvre, avec des extrêmes allant de quelques pour cent à 98 % grand maximum. La fourchette habituelle se situe entre 50 % et 60 % d'économie en termes d'émissions de gaz à effet de serre, hors effet indirect lié à l'affectation des sols, dont il sera question ultérieurement.

2. L'utilisation de ressources renouvelables

C'est à la fois l'origine des ingrédients et la technique de transformation utilisée qui expliquent la classification des biocarburants. Le vocabulaire n'est pas totalement fixé, sauf pour les biocarburants de première génération, les seuls actuellement utilisés à plus ou moins grande échelle. La première génération désigne les productions issues de cultures : principalement la betterave à sucre, la canne à sucre, le blé et le maïs pour le bioéthanol ; le colza et l'huile de palme pour le biodiesel.

De leur côté, les professionnels du secteur distinguent habituellement la « deuxième génération » et la « troisième génération» : la deuxième génération permet d'obtenir du bioéthanol ou du biodiesel à partir des parties actuellement non valorisées du bois, ainsi que du biodiesel en partant de graisses animales, des déchets de poissons, même de simples déchets alimentaires ; enfin, la troisième génération permettra d'utiliser des algues. Le classement en première ou deuxième génération ne correspond pas nécessairement à des procédés totalement distincts, puisqu'une usine produisant du bioéthanol de première génération peut également fabriquer du bioéthanol de deuxième génération, sous réserve de lui adjoindre une unité assurant la première transformation de la matière lignocellulosique. Rien de tel, hélas, pour le biodiesel, mais les installations utilisées pour fabriquer de la pâte à papier peuvent servir aux premières étapes des traitements.

À ce jour, les biocarburants de première génération existent à une échelle industrielle. Ce sont les seuls. Les biocarburants de deuxième génération ne sont produits que dans des usines expérimentales où l'on s'efforce de réduire leur prix de revient, mais dont l'activité se justifie par la mise en oeuvre de nouveaux procédés techniques, non par la rentabilité de gestion dans les conditions présentes. Les biocarburants de troisième génération en sont encore à un stade de recherche en laboratoire.

3. La contribution indirecte aux émissions de gaz à effet de serre

Il s'agit principalement de la déforestation, qui réduit mécaniquement les « puits de carbone » tels que la forêt amazonienne ou celles de Sumatra et Bornéo pour se limiter à ces exemples emblématiques.

En Indonésie, 90 % des forêts ont été déboisées à cause du commerce du bois, puis de la conversion en palmeraies. À Bornéo, la forêt qui couvrait complètement l'île en 1950 est sur le point de disparaître si le rythme de déforestation ne ralentit pas. Selon la Banque Mondiale, 1,8 million d'hectares de forêt vierge  d'Indonésie sont rasés chaque année.

Les palmiers à huile étant des plantes herbacées, ils capturent 3 fois moins de CO2 que les arbres. L'effet de la déforestation sur les émissions de gaz à effet de serre est incontestable. Or, 20 % de l'huile de palme produite sert à obtenir du biodiesel, ce qui apporte une raison supplémentaire de contingenter les produits de première génération.

La part des biocarburants proprement dits dans le phénomène de déforestation reste difficile à évaluer au Brésil. Il reste que la seule observation des terres mises en culture après déforestation peut conduire à une conclusion erronée, puisque la transformation de surfaces agricoles alimentaires en surface à finalité énergétique en Europe ou en Amérique du Nord peut induire un accroissement des importations alimentaires provenant de pays tropicaux, où la déforestation semble directement répondre un besoin alimentaire, alors qu'indirectement elle compense l'essor de cultures destinées aux biocarburants de première génération.

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