B. DES RISQUES NATURELS À MAÎTRISER

1. L'augmentation des risques liés au changement climatique

De manière générale, la recrudescence des risques liés au changement climatique ne fait pas de doute, même si des incertitudes sur leur intensité et leur fréquence demeurent. Nombre d'événements climatiques extrêmes devraient se multiplier : cyclones, tornades, tempêtes et pluies violentes. Or, l'ampleur et l'impact de ces phénomènes violents sont aggravés lorsqu'ils touchent des zones de montagne.

Par ailleurs, il existe des risques liés au changement climatique plus spécifiques à la montagne. En effet, les reliefs pentus favorisent les phénomènes gravitaires à cinétique rapide et de forte intensité.

Ainsi, le réchauffement du climat va entraîner des changements dans l'intensité et la saisonnalité des avalanches (en particulier celles de neige humide, qui ont lieu en général au printemps, mais de plus en plus tôt dans la saison), des crues torrentielles (en particulier des crues de fonte des neiges), des chutes de blocs et des glissements de terrain superficiels.

La haute montagne pourrait voir une recrudescence des risques d'origine glaciaire et périglaciaire : chutes de séracs, voire rupture de glaciers (c'est-à-dire passage brutal d'un régime thermique froid à un régime tempéré), vidanges de lacs ou de poches d'eau glaciaires. Le réchauffement des terrains à pergélisol risque de se traduire par des éboulements sur les parois rocheuses, ou la déstabilisation de glaciers rocheux.

En saison chaude, l'accroissement des sécheresses et canicules impliquerait une augmentation des risques de feux de forêt, qui sont particulièrement difficiles à maîtriser en montagne, car le relief complique l'intervention des secours, voire la rend impossible.

2. La politique de restauration des terrains en montagne

La politique de restauration des terrains en montagne est née au milieu du XIX ème siècle, à une époque où les surfaces cultivées avaient atteint en France leur maximum d'extension, les surfaces boisées étant, par conséquent, réduites à leur minimum historique. Or, la disparition du couvert forestier dans les zones de montagne, qui accélère l'érosion et l'écoulement des eaux, avait fini par rendre plus fréquentes et par amplifier les catastrophes naturelles.

La loi de 1882 sur la restauration des terrains de montagne a fondé le dispositif actuel, en instituant les « périmètres RTM », qui sont des zones expropriables par l'État. Sur les zones effectivement expropriées, dites « séries RTM », des boisements sont alors mis en place, renforcés par des ouvrages de protection. On recense aujourd'hui environ 20 000 ouvrages à entretenir.

Le service RTM a longtemps été exercé directement par l'État, à travers l'administration des Eaux-et-Forêts. Il est confié depuis 1996 à l'Office national des forêts (ONF), qui l'assure pour le compte de l'État.

Le rapport d'information sénatorial de 2002 sur le bilan de la loi Montagne s'inquiétait déjà de l'érosion constante des crédits budgétaires consacrés au RTM, qui avaient atteint en 2001 un niveau de 15,6 millions d'euros en entretien et 3,4 millions d'euros en investissement. La proposition n° 10 de ce rapport consistait donc à « s'engager sur une hausse raisonnable des crédits d'entretien et d'investissement RTM ».

Vos rapporteurs relèvent que ce souhait n'a guère été entendu, puisque les crédits RTM sont tombés, à la fin de 2011, à un très bas niveau de 8 millions d'euros, dont 4,5 millions d'euros apportés par l'État à l'ONF et 3,5 millions d'euros autofinancés par l'Office.

Cette situation n'était pas admissible, s'agissant d'une mission régalienne exercée par l'ONF pour le compte de l'État, qui doit donc, par principe, lui être intégralement compensée. À la suite de de nombreux rapports dénonçant ce fait, le contrat d'objectifs entre l'État et l'ONF pour la période 2012-2016 est venu réaffirmer le principe d'un financement à 100 % budgétaire.

Simultanément, le montant des crédits RTM a été relevé au niveau de 10 millions d'euros dans la loi de finances pour 2012, à raison de 5 millions d'euros imputés sur le budget de l'agriculture et 5 millions d'euros imputés sur le budget de l'écologie.

Hélas, vos rapporteurs doivent constater que la lente érosion des crédits RTM a repris son cours dès l'année suivante, puisque, si la loi de finances pour 2013 maintient la dotation à l'ONF en provenance du budget de l'agriculture au niveau de 5 millions d'euros, elle réduit celle en provenance de l'écologie à 3,5 millions d'euros.

Toutefois, tenant compte d'un contexte budgétaire plus tendu aujourd'hui qu'il y a dix ans, vos rapporteurs ne plaideront pas pour une « hausse raisonnable » des crédits RTM, comme leurs prédécesseurs de 2002, mais du moins pour leur maintien.

Proposition n°1 : compte tenu des baisses récurrentes enregistrées, maintenir les crédits alloués à l'ONF pour la restauration des terrains en montagne (RTM), a minima, au niveau de ceux déjà alloués.

3. La nécessité d'optimiser les plans de prévention des risques naturels en montagne
a) Le contenu et les limites des PPRN

Créé par la loi n° 87-565 du 22 juillet 1987 relative à l'organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l'incendie et à la prévention des risques majeurs, le plan de prévention des risques naturels (PPRN) a pour objet de délimiter les zones directement exposées à des risques, et d'autres zones qui ne sont pas directement exposées, mais où certaines occupations ou certains usages du sol pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux.

Les documents d'urbanisme étant tenus de prendre en compte les risques naturels, les PPRN constituent autant de servitudes d'utilité publique, s'imposant à tous. En conséquence, ils doivent être annexés aux plans locaux d'urbanisme.

En ce qui concerne le contenu et la portée du PPRN, le préfet peut délimiter les zones exposées ou non directement exposées aux risques naturels, comme les couloirs d'avalanche, et y définir les interdictions ou surtout les conditions de réalisation, d'utilisation ou d'exploitation de nouvelles constructions (renforcement des constructions, obstruction d'ouvertures exposées, renforcement de toiture, interdiction de dépôts de matériaux, occupations temporaires). Il peut également définir des mesures de prévention (maintien du couvert forestier), de protection (réalisation d'un ouvrage), et de sauvegarde (dispositif d'alerte et d'évacuation) à prendre par les particuliers et les collectivités territoriales.

Lors de la parution du rapport sénatorial de 2002 sur le bilan de la loi Montagne, la couverture des zones de montagne était encore insuffisante, puisque, sur les 3 300 PPRN approuvés et les 5 000 autres en cours d'élaboration au plan national à l'époque, seules 600 PPRN approuvés et 500 autres en cours d'élaboration concernaient des communes de montagne. Aujourd'hui, la situation s'est un peu améliorée, puisque les chiffres correspondants sont, parmi l'ensemble des communes classées de montagne ou de haute-montagne (dans 48 départements différents) : 1 687 PPR approuvés et 437 PPR en cours (rapportés à des chiffres nationaux pour 2013 de 9 575 PPRN approuvés et 3 616 PPRN en cours d'élaboration au 1 er août 2013). Mais la couverture des zones de montagne est encore loin d'être aussi complète que l'importance et la multiplicité des risques en altitude le justifieraient.

À la différence de pays voisins comme la Suisse et l'Italie, où la décision d'établir des documents analogues aux PPRN relève le plus souvent du niveau communal, cantonal ou parfois régional, la France a fait le choix d'une procédure de définition des PPRN contrôlée par l'État. C'est ce dernier qui conserve la responsabilité première de « dire le risque » et d'en déterminer le niveau acceptable, puis d'en déduire les zonages et les préconisations qui en découlent. Contrairement à son homologue suisse ou italien, le maire français d'une commune de montagne n'est pas en situation d'arbitrer lui-même le risque acceptable pour son territoire.

Certes, la procédure d'élaboration des documents techniques associés aux PPRN doit respecter les règles de concertation de droit commun en matière d'urbanisme : enquête publique, consultation des collectivités et d'autres organismes. La circulaire Borloo du 3 juillet 2007 « relative à la consultation des acteurs, la concertation avec la population et l'association des collectivités territoriales dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles », demande bien aux services de l'État davantage de concertation à toutes les étapes de l'élaboration du PPRN, mais elle n'a pas valeur législative et demeure susceptible d'une application différente d'une commune à l'autre.

Mais en pratique, les différents acteurs s'enferment trop souvent dans un jeu de rôles stérile entre un État soucieux de faire prévaloir une conception extensive du risque assortie de zonages intangibles, au nom du souci de la sécurité publique et du principe de précaution, et des collectivités et des acteurs locaux soucieux de réalisme et de souplesse, au nom de la conservation d'une possibilité d'aménagement et de développement territoriaux. Les positions des uns et des autres se crispent rapidement, et les divergences de vues sont parfois renvoyées devant les juridictions administratives pour être tranchées.

L'exemple des « zones jaunes » liées au risque d'avalanche tricentennal

Un débat emblématique de ce jeu de rôles, et des crispations qu'il induit, est relatif aux « zones jaunes » : il s'agit des périmètres, déterminés en fonction du risque tricentennal d'avalanche, que l'administration a souhaité définir dans une logique de protection civile. Ces nouvelles « zones jaunes » sont intégrées à la cartographie des PPRN et viennent, ainsi, se surimposer à la distinction classique entre « zones bleues », à faible niveau de risques et librement constructibles, et « zones rouges », à niveau de risques plus élevé, qui sont assorties d'interdictions ou de limitations de constructibilité.

Bien que l'administration ait pris la précaution de préciser que ces nouvelles « zones jaunes » demeureraient sans incidence sur la constructibilité et la délivrance des permis de construire, l'incertitude juridique liée aux contentieux potentiels semble majeure : le juge pourra toujours reprocher au maire de ne pas avoir pris en compte cet aléa, dès lors qu'il est signalé par l'administration.

Les élus de montagne sont opposés au principe même de ces « zones jaunes », qui leur semblent à la fois surprotectrices et irréalistes, en ce qu'elles prennent en compte un risque tricentennal aussi exceptionnel qu'imprévisible, tandis que l'État demeure campé sur sa position d'unique autorité chargée de « dire le risque ».

Proposition n° 2 : Réexaminer le principe des « zones jaunes » (déterminées en fonction du risque tricentennal d'avalanche) en conservant l'aléa centennal de référence actuel.

b) L'encouragement à une approche collective, participative et partenariale pour la définition des risques acceptables

Compte tenu à la fois de la multiplicité et de la dangerosité des phénomènes naturels en montagne, susceptibles d'effets cumulés, mais aussi des besoins inhérents au maintien de la possibilité d'un développement local durable, il apparaît nécessaire d'encourager l'émergence de nouvelles stratégies territoriales de prévention des risques.

Ces stratégies devraient s'inscrire dans des processus davantage participatifs, associant les différents acteurs : élus, services de l'État, société civile. Elles devraient aussi recourir à des approches « objectivables », reposant sur une analyse multicritères et socioéconomique des risques, qui croiserait l'état des connaissances scientifiques relatives aux aléas et à la vulnérabilité d'un territoire, avec une vision politique et stratégique du développement territorial. C'est au regard de l'ensemble de ces éléments, présentés de manière transparente, que pourra naître un processus de définition du risque acceptable par tous les acteurs.

Par ailleurs, si elle est suffisamment ouverte à la société civile, cette réflexion sur l'acceptabilité des risques en montagne, forcément plus grande qu'en zone de plaine, pourra alimenter la culture locale du risque et sensibiliser davantage les populations. Ce dialogue local devrait être engagé dès les premières phases d'élaboration des PPRN, ou des documents d'urbanisme.

Proposition n°3 : encourager, par le dialogue local, une définition davantage collective, participative et partenariale des risques acceptables sur les territoires de montagne, dans une approche soutenable à la fois pour l'État et pour les collectivités.

c) L'explicitation des scénarios de risques sous-jacents aux PPRN

La loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile rend obligatoire l'élaboration d'un plan communal de sauvegarde (PCS) pour toutes les communes soumises à un PPRN, l'analyse des risques contenues dans le premier étant faite sur la base des informations fournies par le second.

Or, dans la plupart des cas, les informations contenues dans les notes de présentation des PPRN ne permettent pas de préconiser directement des mesures opérationnelles pouvant être inscrites dans les PCS, car les scenarios de risques pris en compte pour déterminer les zonages et les prescriptions du PPRN ne sont pas suffisamment décrits.

Les maires des communes de montagne sont donc demandeurs des connaissances et des outils d'aide à la décision qui leur permettraient d'anticiper ou de gérer l'événement redouté, et de prendre les décisions pertinentes en situation de crise. En effet, les PPRN sont précis dans leurs zonages et leurs préconisations en matière d'urbanisme, mais n'offrent qu'une vision statique des phénomènes de référence, le plus souvent centennaux. Les conditions de survenue possible de ces phénomènes (pluviométrie, nivologie) ne sont pas explicitées.

Pourtant, le fait de préciser les scenarios pris en compte permettrait un dialogue plus constructif entre l'État et les collectivités, sur la base d'éléments d'une expertise enfin partagée de manière pédagogique, enfin susceptible d'être appréhendée et bien acceptée par les acteurs du territoire. Cette amélioration du lien entre PPRN et PCS contribuerait à la qualité du dialogue et est souhaitable pour parvenir à une définition collective des risques acceptables. De surcroît, cette mesure permettrait d'apporter des éléments pratiques d'aide à la décision pour les maires dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs de police en cas de crise.

Proposition n° 4 : compléter la carte d'aléas des PPRN par des scenarios de risques plus explicites et détaillés, associés à des seuils d'alerte ainsi qu'à des mesures concrètes à prendre pour la mise en sécurité des personnes.

d) L'élargissement du périmètre des PPRN à l'échelon intercommunal

Actuellement, les PPRN multirisques, seuls outils réellement pertinents en zone de montagne, sont réalisés dans les limites du périmètre communal, à la différence des PPRN inondations, qui sont réalisés à une échelle intercommunale correspondant de manière mieux adaptée à la notion de bassin versant. De ce fait, dans le cadre de l'élaboration des SCoT ou de toute autre démarche d'aménagement à l'échelle intercommunale, les élus sont confrontés à une mosaïque hétérogène de PPRN, dont la réalisation a été confiée à des bureaux d'études différents et à des périodes diverses.

Cette situation entraîne des difficultés, voire une impossibilité dans certains cas, d'utiliser les zonages existants à une échelle intercommunale, car ils ne permettent pas de comparer l'exposition au risque de sites à cheval sur des communes limitrophes.

Par ailleurs, cette absence de vision intercommunale ne permet pas de faire des choix d'aménagement intercommunaux, au regard des risques, en planifiant l'affectation des installations non pas en fonction de la seule disponibilité foncière, mais aussi en fonction de la sensibilité des installations ou aménagements à tel ou tel phénomène naturel susceptible de survenir sur ce même territoire intercommunal.

Proposition n° 5 : permettre des choix d'aménagement intercommunaux à partir d'une définition élargie des périmètres d'étude des PPRN mieux adaptée pour une utilisation à l'échelle intercommunale.

e) Le renforcement du lien entre connaissance scientifique et gestion opérationnelle des risques

Enfin, vos rapporteurs estiment qu'il conviendrait de renforcer les liens entre les activités de recherche sur les risques en montagne, impliquant les compétences pluridisciplinaires des laboratoires, et les activités opérationnelles et décisionnelles de prévention et de gestion de ces risques.

Dans le domaine de la connaissance des phénomènes générateurs de risques, il s'agirait de développer des dispositifs hybrides scientifiques et opérationnels permettant de multiplier les sites d'observation et d'acquisition des données. Au travers de modalités communes d'instrumentation bénéficiant de financements mutualisés, certains dispositifs pourraient associer une démarche de développement des connaissances portée par les scientifiques (acquisition de données, observations, modélisations) et une action préventive portée par les opérateurs techniques, experts et gestionnaires (surveillance et alerte).

Dans le domaine de l'analyse de la gestion publique et collective des risques, il s'agirait de développer des projets de recherche et des actions visant à améliorer les processus et les modes de gouvernance des risques par l'apport de nouvelles méthodes d'analyse, d'évaluation et de diagnostic (approches multicritères, évaluations socio-économiques, outils d'aide à la décision).

Le caractère hybride de ce type de dispositifs permettrait de favoriser un transfert de connaissances scientifiques et techniques de l'amont vers l'aval, de renforcer les collaborations et de multiplier les opportunités d'observations.

Proposition n° 6 : favoriser le transfert de connaissances, de méthodes et d'outils, de la recherche scientifique vers la gestion opérationnelle des risques.

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