Audition de M. François Bersani, président de la section régulations et ressources du conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies

M. Serge Larcher, président

Mes chers collègues, cette dernière audition porte sur les ressources minérales non énergétiques.

M. François Bersani, président de la section régulations et ressources du conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies

Je suis chargé des questions de sous-sols au sein du conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies. Ce dernier est l'héritier du Conseil général des mines, institution créée il y a plus de deux cent ans pour conseiller le Gouvernement sur la gestion du sous-sol. Le Conseil donne ainsi un avis sur l'institution des titres miniers, sur les textes règlementaires ou encore au cours de l'élaboration des projets de loi portant notamment sur le code minier. Ce code, qui date de 1956, est un peu désuet. Nous travaillons actuellement à sa modernisation : le Sénat aura d'ailleurs à connaître d'une ordonnance, publiée au début de l'année 2011, qui porte sur la partie législative du code.

J'assure par ailleurs le secrétariat général du comité sur les métaux stratégiques, créé au début de l'année dernière, dont la mission est d'assurer une concertation avec les acteurs économiques préoccupés par les conditions d'approvisionnement en certaines substances stratégiques, comme les terres rares ou le lithium par exemple.

À ces deux titres, je m'intéresse donc à ce qui se passe au fond des mers.

On s'intéresse depuis longtemps aux fonds marins, avec notamment certaines exploitations un peu anecdotiques, des prolongements souterrains d'affleurements terrestres exploités en mer. Il existe ainsi un petit gisement de fer au large du département de la Manche. D'autres pays ont procédé de la même façon : le Canada et le Japon ont ainsi exploité des gisements dans leurs prolongements marins.

D'autres gisements marins sont par ailleurs connus depuis le XIX e siècle : il s'agit des gisements de nodules polymétalliques. Il s'agissait initialement de curiosités scientifiques. On s'est rendu compte, dans les années 70, que leur teneur en minerais pouvait présenter de l'intérêt. On a donc engagé des efforts de recherche-développement pour mieux connaître ces gisements, essentiellement dans le Pacifique. Les Américains, les Russes, les Japonais, les Coréens ou encore les Indiens l'ont fait également. La France a été d'autant plus active que ses ressources nationales étaient en voie d'épuisement et ses gisements en perte de compétitivité.

Pour la recherche de ressources minérales dans les fonds marins, la difficulté était qu'il n'existait pas de cadre juridique bien défini. Les négociations internationales ont abouti à la Convention sur le droit de la mer de 1982, dite convention de Montego Bay. Par ailleurs, ces recherches étaient freinées par les difficultés techniques : on n'a pas encore trouvé les moyens de faire de la récupération industrielle par 4 000 mètres d'eau. En outre, les conditions d'exploitation de ces nodules n'ont pas rendu ces gisements économiquement rentables et les efforts ont donc été mis en veille. La France a poursuivi ses discussions avec l'Autorité internationale des fonds marins et a obtenu un contrat d'exploration lorsque le régime juridique a été défini au niveau international, en bénéficiant du statut avantageux de l'investisseur-pionnier. La connaissance du gisement s'est améliorée depuis, mais on n'en est pas encore au stade de l'exploitation.

Au cours des trente dernières années, de nouvelles découvertes scientifiques ont été faites, avec deux nouveaux types de formation : les amas sulfurés ou les sources hydrothermales, des « cheminées » constituées par des dépôts de substances minérales à partir du tréfond, d'une part, et les encroûtements polymétalliques, d'autre part. On a découvert ces formations un peu par hasard, du fait d'anomalies géochimiques dans l'eau de mer et des prélèvements ont révélé la richesse en divers métaux de ces formations.

Ces nouvelles formations font l'objet de beaucoup de spéculations : on est à la charnière entre le scientifique et l'industriel. Les perspectives sont telles que le cadre juridique a progressé assez vite au plan international : le règlement pour l'exploration des amas sulfurés existe depuis deux ans et le règlement pour l'exploration des encroûtements devrait bientôt être rendu public.

On en reste aujourd'hui au stade de l'exploration. Dans les zones dans lesquelles les États exercent des droits souverains, le droit local s'applique. Certains groupements d'opérateurs miniers, tels Nautilus ou Neptune, ont déjà engagé l'aventure industrielle. Nautilus dispose ainsi de plusieurs titres d'exploration et vient d'obtenir le premier titre d'exploitation, pour des amas sulfurés situés au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. L'exploitation n'a cependant pas commencé, car il faut encore obtenir l'autorisation de travaux et mettre au point les techniques industrielles. Parmi les fournisseurs de ces techniques, on trouve d'ailleurs une entreprise française active dans le domaine pétrolier, Technip.

Si la France exerce des droits souverains sur de vastes zones économiques, c'est l'outre-mer qui dispose, sur le plan prospectif, les cibles potentiellement les plus intéressantes, en l'état actuel des connaissances. En 2010, la France s'est ainsi intéressée à la zone économique au large de Wallis-et-Futuna, où les scientifiques suspectaient la présence d'amas sulfurés. Une campagne d'exploration a donc été lancée, associant l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), les opérateurs français - Eramet et AREVA - ainsi que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l'Agence des aires marines protégées et Technip. Cette première campagne a confirmé les hypothèses scientifiques et permis la découverte d'ensembles volcaniques éteints et de sources hydrothermales en activité. Cette campagne a été suivie par une seconde en 2011, visant à reconnaître, autour des sources hydrothermales actives, non susceptibles d'exploitation, des sources hydrothermales inactives. Une troisième campagne est en cours, avec le même objet mais sur une autre zone.

On ne peut pas encore dire aujourd'hui que ces ressources constituent une richesse qui pourra être valorisée. Pour l'heure, on en est au stade de la vérification des hypothèses scientifiques. On attend avec intérêt le retour, au courant du mois de juin, du bilan des campagnes, afin de proposer le cas échéant au Gouvernement de poursuivre les opérations selon des modalités qu'il conviendra de déterminer. On pourrait devoir passer à l'octroi d'un véritable titre minier entraînant des dépenses plus importantes, alors que pour l'heure seule une autorisation d'exploration préalable a été accordée, ne donnant pas de droits à ceux qui investissent sur la zone, ce qui limite l'attrait pour les opérateurs.

Les autres zones économiques ne sont pas aussi intéressantes sur la base des connaissances actuelles.

S'agissant des zones internationales, le Comité interministériel de la mer a décidé l'année dernière de déposer une demande de contrat d'exploration pour les amas sulfurés, cette demande intervenant après celles formulées par la Chine et la Russie qui ont obtenu des contrats l'année dernière.

Les enjeux économiques représentés par ces ressources sont en voie d'approfondissement. Nous avons publié l'année dernière une étude prospective, en lien avec l'IFREMER, sur les ressources minérales des grands fonds marins. Des conjectures ont été faites sur la richesse des dépôts existant : les fourchettes sont très variables d'une zone à l'autre. On sait aujourd'hui que le gisement de Papouasie est probablement économiquement exploitable. Mais sans exploration complète de la zone et de très nombreux prélèvements, on en reste au stade des conjectures. Si les teneurs sont intéressantes, le procédé d'extraction peut être coûteux, réduisant d'autant l'intérêt de l'exploitation minière. Si le cours du minerai ne continue pas d'augmenter, les perspectives d'exploitation seront uniquement futuristes.

S'agissant de la connaissance environnementale, on a constaté qu'une vie intense se développait autour des amas sulfurés actifs. Les amas inactifs pourraient en revanche être exploités sans nuisance grave pour les écosystèmes.

À la différence des hydrocarbures, on en est donc aujourd'hui au stade de la recherche scientifique ou de l'exploration préalable. Le coût pour l'État est, dans ces conditions, difficile à évaluer. En 2010, l'État est intervenu à hauteur d'un peu plus de 2 millions d'euros pour la campagne lancée à Wallis-et-Futuna et l'IFREMER intervient à hauteur d'1 million d'euros par an. S'agissant de la campagne dans les grands fonds marins dans les eaux internationales, le dépôt de dossier a nécessité un financement de 500 000 dollars et le projet est programmé sur une quinzaine d'années.

Au niveau international, la Russie et la Chine disposent d'énormes moyens et cette dernière avance à marche forcée dans la recherche de ressources minérales non énergétiques. Les Français viennent ensuite, avec une avance scientifique liée aux travaux de l'IFREMER et la capacité de concourir dans les eaux internationales et dans des eaux où nous exerçons des droits souverains. Par ailleurs, l'Allemagne a obtenu une autorisation d'exploration sur les nodules dans une zone voisine de la nôtre ; le Japon et l'Inde s'intéressent également à ces questions. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Qu'en est-il du Brésil ?

M. François Bersani

Le Brésil s'intéresse essentiellement au pétrole. Les équipes brésiliennes ne sont pas aussi avancées que les françaises. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

Et le rocher de Clipperton ? Ne dispose-t-il pas d'un gisement important de nodules ?

M. François Bersani

Les nodules sont situés au large de Clipperton, pas dans la zone des 200 milles où il n'y a pas eu de découverte à ce jour.

Par ailleurs, au large de la Polynésie, ont été découvert des encroûtements polymétalliques. Des investigations approfondies n'ont cependant pas encore été conduites. http://www.senat.fr/senfic/larcher_serge04094q.html

M. Serge Larcher

La Polynésie est aussi vaste que l'Europe. Disposez-vous de précisions à propos de ce gisement ?

M. François Bersani

On ne peut encore tracer de perspectives d'exploitation. Je rappelle cependant que certains gisements de nickel de Nouvelle-Calédonie ne paraissaient pas exploitables et rentables il y a quelques années. L'évolution des cours du nickel et les progrès de la science ont changé la donne. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava, co-rapporteur

Merci pour cet exposé. S'agissant du Pacifique, une étude a été réalisée par le gouvernement local de Polynésie française, afin d'inventorier les ressources minérales situées dans la zone économique exclusive. Par ailleurs, l'université de Tokyo a annoncé avoir recensé 78 gisements de terres rares. Les interrogations portant sur les méthodes ayant conduit à cette annonce semblent sur le point d'être levées.

J'ai déposé une proposition de loi organique visant à rétrocéder la compétence en matière de métaux stratégiques à la Polynésie pour ce qui concerne sa zone économique exclusive. Première question : a-t-on clarifié la définition des métaux stratégiques ? Deuxième question : la France a formulé une demande au niveau international pour obtenir une autorisation de prospection préalable dans la zone internationale. Pourquoi avoir fait ce type de demande, alors que la France n'exploite pas le potentiel des eaux qui sont sous sa souveraineté ?

M. François Bersani

L'étude de l'université de Tokyo ne repose pas sur des campagnes de prospection intenses mais sur l'exploitation de résultats issus de quelques prélèvements. Nous avons beaucoup d'interrogations sur le caractère scientifique de la méthode utilisée.

Les terres rares sont un des composants du sous-sol marin. Leur dispersion pose la question de leur exploitabilité. Je vous rappelle que les encroûtements polymétalliques et les amas sulfurés constituent deux formations très différentes. Au large de Wallis-et-Futuna et dans la zone internationale, nous cherchons des amas sulfurés : nous pensons être prêts à passer assez rapidement de la recherche scientifique vers la recherche minière. On est donc déjà devant des réalités industrielles potentielles, et même au stade de la prospection préalable au large de Wallis-et-Futuna. On verra ensuite si on passe à la phase d'exploitation minière. S'agissant des encroûtements polymétalliques, nous sommes moins avancés et encore au stade de la recherche scientifique : leur exploitation sera également plus complexe car ils sont assez difficiles à broyer, surtout à grande profondeur. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava

J'ai bien compris la différence entre les deux formations. L'étude japonaise porte cependant sur un troisième type de formation géologique, qui concerne notamment le large des Marquises.

M. François Bersani

Il s'agit des terres rares. La mise en valeur de ces « boues » pose problème du fait de la variabilité de leur teneur sur une zone et des méthodes d'extraction. Certains projets d'extraction ont été envisagés au début des années 1960 pour des boues métallifères en Mer Rouge. La teneur en terres rares est généralement faible.

La Chine dispose de l'essentiel de la production mondiale. Depuis plusieurs années, la recherche de terres rares a été relancée. Une mine entre aujourd'hui en production en Australie, les Américains remettent en production une mine... certains pays européens, les pays scandinaves, disposent de gisements un peu marginaux qui pourraient redevenir rentables si les cours restent élevés.

La France ne se désintéresse pas de la Polynésie et de son sous-sol. Pour les matières situées au large de ce territoire, on en est encore à la phase scientifique. En fonction des nouvelles découvertes ou de l'amélioration des connaissances, on pourrait passer à une phase pré-minière puis minière. http://www.senat.fr/senfic/tuheiava_richard08071a.html

M. Richard Tuheiava

Qu'en est-il de la définition des métaux stratégiques ?

M. François Bersani

Il ne m'est pas possible de répondre de façon définitive à cette question. Une liste existe aujourd'hui, datant de 1959, qui porte sur les substances utiles à l'énergie atomique. Par ailleurs, le comité pour les métaux stratégiques, que j'ai évoqué tout à l'heure, mène une réflexion pour évaluer l'importance des divers métaux pour l'économie française. Le comité étudie l'intérêt économique mais aussi la problématique des sources d'approvisionnement. Au terme de ces études, une liste sera établie. http://www.senat.fr/senfic/antiste_maurice11109j.html

M. Maurice Antiste

Nous connaissons les dégâts causés par les chalutiers. La méthode de collecte des nodules polymétalliques procède également du dragage. A-t-on mesuré par anticipation les dégâts potentiels et a-t-on déjà inventé une autre méthode de récolte ?

M. François Bersani

On n'a pas inventé de nouvelle méthode de récolte. Le dragage à 4 000 mètres de fond est compliqué, du fait des problèmes liés à la résistance des matériaux. Des recherches sont menées aujourd'hui sur ce sujet. Des prélèvements sont réalisés afin d'identifier et d'inventorier la vie présente au fond. Le but est d'amasser des connaissances qui seront présentées à l'Autorité internationale des fonds marins, comme justification de notre activité sur la zone, puisqu'il nous faudra démontrer que l'exploitation se fait dans le respect de l'environnement.

Des réflexions sont en cours sur des méthodes moins destructives : l'une consisterait à ne pas ramasser systématiquement, mais par sillons alternés. La question posée à l'IFREMER est donc la suivante : quelle largeur entre deux sillons permet la recolonisation des zones dévastées ? D'autres techniques, comme des robots broyeurs mobiles, sont également à l'étude afin d'éclairer au mieux les choix industriels à venir.

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