2. Pour une stratégie ambitieuse à la fois locale et nationale
a) Les outre-mer en première ligne de la stratégie ZEE

L'outre-mer joue une part de son avenir dans les ZEE, ce qui explique que des dynamiques locales soient déjà enclenchées . Cruciales pour le développement des territoires, elles accélèrent les prises de conscience dans l'hexagone.

(1) Les territoires ultramarins, des acteurs d'ores et déjà engagés

Les territoires ultramarins , à la recherche d'un modèle de développement plus autonome, ont vocation à jouer un rôle moteur dans la mise en oeuvre d'une stratégie d'exploitation des ZEE .

Certes, leurs situations statutaires diffèrent et toutes les collectivités ne sont pas dans la situation de la Nouvelle-Calédonie ni de la Polynésie française 144 ( * ) , compétentes pour engager de véritables politiques maritimes et minières autonomes. Néanmoins, elles disposent toutes de compétences en matière de développement économique.

Ce cadre normatif pourrait encore être amélioré et précisé, notamment en clarifiant les conditions d'application de la loi de 2000 sur le transfert de la délivrance des permis miniers aux régions d'outre-mer et en veillant à ce que, comme c'est désormais le cas pour les hydrocarbures, les territoires bénéficient de redevances liées à l'exploitation des ressources minérales marines. D'une façon générale, le nouveau code minier devrait prendre en compte les spécificités liées aux ZEE ultramarines.

Dans le respect des compétences statutaires des territoires ultramarins, la Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'inscrire, dans le futur code minier national, le cadre normatif nécessaire à la gestion durable et à la valorisation des ressources des ZEE.

Un besoin de clarifier l'articulation entre ce qui relève des territoires et ce qui relève de l'État existe aussi pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie qui disposent de compétences en principe très larges tandis que l'État dispose souvent des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre tels ceux de la Marine nationale ou l'expertise de l'Ifremer.

(2) Les outre-mer, aiguillon de la prise de conscience nationale

Au-delà de leurs compétences juridiques, les territoires ultramarins ont l'avantage irremplaçable d'être au contact direct des réalités maritimes . Leur situation les prédispose ainsi à mieux percevoir les enjeux de la ZEE française.

Par exemple, l'importance du problème posé au monde de la pêche en Guyane par le pillage des ressources halieutiques est difficile à apprécier à partir de l'hexagone.

En outre, le travail mené par les acteurs de terrain dans le domaine de l'innovation permet de rendre tangibles les opportunités offertes par les ZEE. Le cas de la société Bioalgostral, à la fois au contact des ressources marines, en l'occurrence les algues, et des besoins énergétiques de La Réunion, est particulièrement éloquent. Celle-ci devrait mettre au point en 2015 un biocarburant à base de micro-algues destiné à alimenter une centrale électrique en substitution du fioul. Un contrat a été signé pour alimenter une centrale réunionnaise de la Séchilienne Sidec, spécialisée dans la production d'électricité à partir de biomasse agricole et opérant déjà, outre à La Réunion, à la Martinique, en Guadeloupe et à l'Île Maurice. Ce projet, soutenu par l'Agence régionale de développement, d'investissement et d'innovation de La Réunion (Nexa) est une première mondiale et le président de Bioalgostral table sur la création de 200 emplois à l'horizon 2020.

La connaissance des ressources naturelles locales souvent endémiques, ainsi que des contraintes spécifiques à leurs territoires constituent de même un atout cardinal de structures telles que le pôle de compétitivité réunionnais Qualitropic ou le Pôle d'Innovation Tahiti Fa'ahotu, véritables lieux d'incubation de « l'innovation tropicale » 145 ( * ) , en particulier dans les domaines de l'énergie, des biotechnologies et de la gestion des ressources marines .

En outre, les acteurs intervenant sur un même territoire sont les mieux à même d'intervenir sur la question parfois délicate des conflits d'usages de la mer . Le développement d'activités nouvelles dans la ZEE doit en effet s'articuler avec celles existantes. La sensibilité de ce sujet a été rappelée récemment, en janvier 2014, par les protestations du comité régional des pêches guyanais manifestant contre la perspective d'octroi de permis d'exploration pétroliers dans leurs zones de travail. De même, des équilibres devront être trouvés au plan local afin de faire cohabiter, en mer et près des côtes, les activités touristiques avec le développement de nouvelles activités industrielles et de services, liées à la valorisation des ZEE.

Face au formidable défi que représente la valorisation des ZEE, rien ne doit pouvoir se faire sans une implication forte des acteurs locaux. Cette affirmation peut paraître relever de l'évidence. Pourtant, comme le rappelait M. Gérard Grignon lors de son audition du 4 février 2014, il y a encore quelques années « à Wallis-et-Futuna [les élus] n'avaient même pas été prévenus de la venue du bateau de l'Ifremer pourtant chargé de recherches d'une importance toute particulière. Lorsqu'ils ont voulu en savoir plus et visiter ce bateau, les services de l'État leur auraient même fait quelques difficultés . »

Au-delà des élus en charge des politiques publiques locales, l'ensemble des parties prenantes, publiques et privées, doivent pouvoir échanger, s'informer et coordonner les actions liées à la valorisation des ZEE encore largement dispersées, ce qui complique la définition d'une politique de développement. De la dynamique extrêmement intéressante initiée à la suite du rapport Duthilleul jusqu'aux récentes protestations des pêcheurs non appelés à siéger au sein de la commission régionale des mines, le cas de la Guyane rappelle tout l'intérêt d'entretenir le dialogue le plus large possible. Un développement fondé sur les atouts de la ZEE n'est envisageable que si la société l'accepte et se l'approprie.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande de favoriser la mise en place d'un outil de coordination des actions mises en oeuvre localement. Dans les territoires ne disposant pas d'une compétence statutaire propre, cet outil pourra s'incarner dans un comité territorial de la ZEE animé par la collectivité en charge du développement économique.

L'étendue de la zone maritime sur laquelle la France exerce des droits souverains constitue un enjeu dans les relations avec les pays voisins, comme en témoignent les questions liées aux délimitations des frontières ou aux pillages des ressources halieutiques. Les conditions d'exploitation de la ZEE peuvent influencer les conditions d'insertion des collectivités dans le cadre régional - notamment par le poids économique nouveau que pourraient acquérir les territoires ultramarins français et la nécessité de mieux protéger les milieux des agressions et pollutions extérieures - et, à l'inverse, la conduite de la politique étrangère par l'État peut avoir des effets sur la situation des ZEE et leurs perspectives de valorisation . Pour ces raisons, l'association des collectivités à la coopération régionale relative aux ressources marines apparaît indispensable.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'associer étroitement les collectivités ultramarines aux volets de la coopération régionale relatifs à la gestion des ressources marines.

Cette association s'impose avec encore plus de force partout où les frontières de la ZEE et les conditions d'exploitation des zones maritimes (ex : accords de pêche) sont en discussion. Elle l'est ainsi tout particulièrement dans le dossier de l'extension du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon pour lequel le Président de la République a annoncé le 23 janvier 2014 le dépôt d'une demande française auprès de la CLPC au mois d'avril 146 ( * ) .

Dans un contexte de compétition internationale accrue pour l'accès aux ressources maritimes, les relations des territoires ultramarins avec des acteurs de pays étrangers, en particulier voisins, sont aussi de nature à rappeler aux responsables hexagonaux la nécessité de prendre position. Ainsi en est-il de l'intérêt manifesté par les opérateurs chinois pour les terres rares des fonds marins de la ZEE de Polynésie française. Si le gouvernement polynésien a toute compétence pour s'engager dans des négociations avec ces partenaires, ceci ne devrait toutefois pas laisser indifférentes les autorités nationales ni l'Europe au moment où la nécessité d'accéder à ces types de ressources stratégiques s'impose comme une évidence. Un article récent de la presse économique a même pu avancer que, face à la Chine, « l'Europe possède deux atouts maîtres (...) : le Groenland et la Polynésie française . » 147 ( * ) , deux territoires supposés receler de très importants gisements de terres rares 148 ( * ) .

Cet exemple ne saurait être considéré comme un cas unique, très spécifique à la situation statutaire de la Polynésie. Il pourrait en effet se reproduire dans d'autres zones sous juridiction française puisque le législateur a posé le principe du transfert aux régions d'outre-mer du pouvoir d'octroyer eux aussi les permis miniers. Ceci inclut par exemple les permis pétroliers, domaine dans lequel on connaît l'âpreté de la compétition internationale entre les compagnies. Le dossier des terres rares de Polynésie est en tout cas particulièrement emblématique du rôle d'aiguillon de la prise de conscience nationale que jouent les territoires ultramarins, directement confrontés aux enjeux et aux réalités des ZEE.

Reste que, pour produire tous ses effets, la contribution des acteurs ultramarins doit aussi s'inscrire dans le cadre d'une gouvernance rénovée.

b) Le besoin d'une nouvelle gouvernance
(1) Une gouvernance nationale à la hauteur des enjeux

Au plan national, les questions relatives aux ZEE sont, comme l'ensemble de la politique maritime, traitées de façon parcellaire et éclatée par les administrations de très nombreux ministères (transports et mer, affaires étrangères, défense, intérieur, outre-mer, économie et finances 149 ( * ) , agriculture...) et divers organismes publics (Ifremer, IRD 150 ( * ) , Institut Paul-Émile Victor, INRA 151 ( * ) mais aussi AFD 152 ( * ) , Conservatoire du littoral, France AgriMer, Agence des aires maritimes protégées...). Quant à la coordination interministérielle, elle repose sur le CIMER 153 ( * ) et sur le secrétariat général de la mer (SGMer) placé auprès du Premier ministre et chargé pour l'essentiel de la préparation, du suivi des décisions du CIMER et de la coordination des actions des ministères intervenant dans la surveillance des côtes.

Faisant le constat que cette organisation n'était pas de nature à assurer la mise en oeuvre d'une politique maritime intégrée, le Gouvernement a annoncé le 3 décembre 2013 154 ( * ) de créer une délégation à la mer et au littoral au sein du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) chargée de coordonner l'action des différentes entités du ministère dans le domaine maritime. Celle-ci devrait être créée courant 2014.

Force est toutefois de constater que si elle a le mérite de consacrer le rôle du ministère délégué chargé des transports et de la mer auquel cette délégation sera rattachée, cette modification demeure interne au MEDDE et ne répond en rien à la question de l'animation interministérielle de la politique. Or, qu'il s'agisse de la gestion des ZEE comme des autres dossiers, celle-ci connaît aujourd'hui des carences. Le CIMER se réunit au mieux tous les deux ans 155 ( * ) et le SGMer , outre qu'il dispose de moyens humains extrêmement limités (une quinzaine d'agents) est dépourvu de toute capacité d'impulsion politique . Il prépare les CIMER et assure le suivi de ses décisions comme des textes relatifs à la mer, mais il ne dispose pas de la légitimité pour engager une politique, entraîner les ministères et opérer des arbitrages. Chargé de coordonner la « fonction garde-côte », M. Michel Aymeric nous rappelait par exemple lors de son audition du 4 février qu'il ne lui revenait pas de décider de la répartition des moyens apportés par les différents ministères (défense pour la marine nationale, intérieur pour la gendarmerie maritime, finances pour les douanes...).

Une telle capacité d'impulsion et d'arbitrage interministériel relève en effet d'une autorité politique , d'un ministre et non d'un haut fonctionnaire. Si la nécessité s'en fait sans doute ressentir pour l'ensemble de la politique maritime, elle est particulièrement sensible en ce qui concerne les ZEE ultramarines tant elles renvoient à des domaines variés allant de la recherche et de l'innovation à la défense de la souveraineté de la France et de la diplomatie au développement des territoires. Elle est la condition sine qua non de la mise en oeuvre de la stratégie nationale que nous appelons de nos voeux.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'instituer auprès du Premier ministre un ministre délégué à la mer, autorité d'impulsion et de coordination de la politique de mise en valeur des ZEE et, au-delà, de l'ensemble de l'action maritime de l'État.

Outre un fort besoin d'impulsion et de coordination interministérielle, l'action relative aux ZEE ultramarines a aussi besoin d'une part, d'un suivi particulier que les annonces faites par le Premier ministre fin 2013 156 ( * ) relatives aux ZEE ne restent pas lettre morte, comme ce fut le cas par le passé et, d'autre part, d'une institutionnalisation du dialogue, au niveau national , entre l'État et les principales partie prenantes, à commencer par les collectivités ultramarines.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande l'institution, auprès du ministre délégué à la mer, d'un comité national de suivi de la mise en oeuvre des mesures relatives aux ZEE annoncées par le Premier ministre le 3 décembre 2013, associant l'ensemble des partenaires concernés.

(2) Tenir son rang dans la mise en place de la gouvernance mondiale

La nécessité d'une gouvernance à la hauteur des enjeux se fait aussi ressentir au niveau international , vis-à-vis de l'AIFM ou de la CLPC. La France doit user de tout son poids de deuxième puissance maritime à la fois pour faire valoir ses intérêts et promouvoir un modèle raisonné de développement fondé sur la valorisation des ressources marines .

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande que la France joue un rôle moteur dans la mise en place d'une gouvernance internationale encore balbutiante.

Ceci suppose bien entendu que notre pays se conforme lui-même pleinement aux règles de la convention de Montego Bay en ce qui concerne la délimitation et la reconnaissance de ses espaces maritimes et qu'il ne fasse plus figure d'acteur a minima dans la mise en oeuvre des permis d'exploration internationaux. On ne peut prétendre à un rôle de premier plan sans s'en donner les moyens.

c) Les moyens : l'heure de la mobilisation générale

Le discours du Premier ministre du 3 décembre 2013 contenait un certain nombre d'annonces dont la délégation se félicite : l'acquisition de trois bâtiments multi-missions pour les Antilles, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, l'inscription d'actions en faveur des énergies marines renouvelables dans les plans d'investissement d'avenir (PIA) et l'engagement sur les cinq prochaines années d'un programme national d'accès aux grands fonds marins, ce qui « permettra d'engager de nouvelles campagnes de valorisation des ressources minérales, ainsi que le développement des technologies qui y sont associées ».

Toutefois, le projet de loi de finances pour 2014 ne présente aucune traduction de ces annonces . Le programme 187 « Recherches dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources » voit son montant strictement identique à celui demandé pour 2013 157 ( * ) et il en est de même de l'action n°1 « Recherches scientifiques et technologiques sur les ressources, les milieux et leur biodiversité » qui est, au sein du programme, celle qui concerne le plus directement les explorations de ressources des ZEE. Quant à la subvention versée à l'Ifremer, elle devrait même connaître une légère baisse, s'établissant à 151,1 millions d'euros en 2014 contre 151,4 en 2013. Rien d'étonnant dans ce contexte qu'interrogé sur les moyens nouveaux attendus suite au discours du 3 décembre le secrétaire général de la mer ait surtout fait état de la question qui se pose à l'Ifremer de parvenir à trouver les premiers millions d'euros nécessaires à la mise en oeuvre du second permis international obtenu auprès de l'AIFM. Quant au programme d'exploration de Wallis-et-Futuna, pourtant le plus avancé, il est aujourd'hui à l'arrêt faute de bouclage du tour de table entre les différents opérateurs.

Les programmes d'investissements d'avenir affectés aux énergies marines renouvelables devraient en principe se concentrer sur l'hexagone. L'appel à manifestation d'intérêt clôturé le 31 octobre 2013 et portant sur la mise en place de démonstrateurs à l'horizon 2016 concernait en effet la zone de Paimpol-Bréhat pour l'énergie hydrolienne marine, les secteurs du Croisic s'agissant de houlomoteurs et des secteurs du Croisic, de Fos et de Groix pour l'éolien flottant. En ce qui concerne le quatrième projet, par sa nature particulièrement adapté aux eaux tropicales puisqu'il porte sur les énergies thermiques marines, aucun secteur n'est a priori prévu mais l'on peut espérer qu'un projet ultramarin sera sélectionné.

C'est aussi des investissements d'avenir que pourraient provenir les ressources supplémentaires annoncées en matière d'accès aux ressources des grands fonds. La procédure retenue pourrait être celle du concours mondial d'innovation (CMI) lancé le 2 décembre 2013, ce qui peut expliquer l'impossibilité de les identifier dans les crédits du ministère de l'écologie inscrits au projet de loi de finances.

Ce concours devrait donner lieu à la mobilisation de 300 millions des PIA cofinançant, à travers BPIFrance, des projets répondant aux sept ambitions définies par le rapport de la commission Innovation 2030 présidée par Mme Anne Lauvergeon 158 ( * ) . Parmi les domaines retenus, la valorisation des richesses marines figure en effet en troisième position .

Les sept priorités sectorielles retenues par la Commission Innovation 2030

1. Le stockage de l'énergie

2. Le recyclage des métaux lourds

3. La valorisation des richesses marines

4. Les protéines végétales et la chimie du végétal

5. La médecine individualisée

6. La silver économie

7. La valorisation des données massives (le Big data )

Le concours comprendra trois phases :

- La phase 1 dite d'amorçage qui s'achèvera à l'été 2014 lorsque 100 projets auront été sélectionnés. Ces projets pourront recevoir une première aide financière sous forme de subventions jusqu'à 200 000 euros,

- La phase 2 dite d'accompagnement, débutant le 1 er septembre 2014, permettra d'aider le développement d'une trentaine de projets prometteurs. Les projets retenus bénéficieront d'une somme pouvant atteindre 2 millions d'euros chacun,

- et une phase 3 de développement, qui consistera à compter de 2016 à soutenir l'industrialisation d'un ou deux projets dans chacune des 7 ambitions. Ils recevront jusqu'à 20 millions d'euros chacun.

Si les perspectives offertes par ce concours apparaissent intéressantes, force est de constater cependant qu'elles ne répondent pas à la nécessité de faire repartir au plus vite les projets actuellement arrêtés faute de financement, comme l'exploration des ressources minérales à Wallis-et-Futuna, en Polynésie (programme ZEPOLYF) et dans le cadre des permis de l'AIFM .

En outre, il est à craindre que le ou les projets retenus in fine ne portent davantage sur la mise au point de technologies d'exploitation des fonds marins que sur le financement de la recherche consistant à connaître les particularités des ressources minérales 159 ( * ) . Or, cette expertise scientifique dans laquelle la France s'est illustrée est indispensable à la conduite de toute opération de valorisation. C'est en laboratoire que s'effectuent les recherches permettant de déterminer la formation des concentrations de métaux dans les nodules, les encroûtements cobaltifères ou les amas sulfurés. Cette connaissance est un préalable stratégique à l'engagement d'importants moyens d'exploitation .

Ce risque d'une absence de financement des recherches sur les ressources est d'autant plus fort que seuls un ou deux projets seront retenus par priorité et que, s'agissant de la valorisation des ressources marines, le règlement du concours mentionne déjà deux axes : la valorisation des métaux sous-marins d'une part, mais aussi les projets favorisant des solutions de dessalement moins onéreux ou plus faiblement consommateur d'énergie de l'eau de mer, d'autre part. De plus, même si le rapport de la commission Innovation 2030 évoque la nécessité d'un inventaire et de recherches sur le caractère exploitable des ressources sous-marines, elle recommande en particulier une participation au projet européen Seabed Mining 2020 visant à la réalisation d'un pilote industriel pour l'extraction des métaux à partir des minerais océaniques. La vocation du CMI à privilégier ce type d'innovation est d'ailleurs en cohérence avec l'objectif affiché d'accompagner des projets débouchant sur une phase d'industrialisation.

Il faut espérer que le « programme national d'accès aux grands fonds marins » annoncé par le Premier ministre le 3 décembre 2013 ne se résume pas à cette initiative. Car l'accès au sens strict n'a de sens que si la ressource et son environnement sont connus, c'est-à-dire non seulement localisés mais analysés dans leurs modes de fonctionnement.

Cela dit, aucun autre moyen supplémentaire pour la recherche ou pour les campagnes d'exploration n'est hélas dégagé à ce stade alors que les besoins sont urgents.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'inclure dans le plan national d'accès aux ressources marines annoncé le renforcement des moyens de la recherche sur les ressources minérales dans la ZEE française, ainsi que dans la zone internationale pour les permis attribués à la France.

Compte tenu des enjeux et des montants financiers en cause, l'implication de l'Europe est aussi indispensable . Dans le prolongement de la communication de la Commission européenne du 13 septembre 2012 sur la « croissance bleue » 160 ( * ) , l'Union européenne semble s'être clairement engagée dans le soutien aux activités maritimes y compris les plus émergentes. Horizon 2020 , le nouveau programme-cadre européen pour la recherche et l'innovation qui couvre la période 2014-2020 en donne l'illustration, prévoyant le cofinancement de projets sur l'ensemble des sujets : technologies d'exploration, évaluation des ressources, respect de la biodiversité, surveillance de l'environnement, exploitation et traitement des minéraux, mais aussi recherche appliquée sur les algues et énergies marines renouvelables.

L'objectif le plus emblématique du programme est sans doute la réalisation du pilote d'extraction des métaux dans les fonds marins évoqué plus haut. Horizon 2020 vient à peine d'entrer en vigueur mais deux observations peuvent d'ores et déjà être formulées.

D'une part, si la société Technip est extrêmement bien placée pour participer à ce projet, ce dernier exige la constitution de partenariats industriels avec d'autres acteurs européens, ce qui n'est aujourd'hui pas acquis.

D'autre part, la remarque faite pour les financements nationaux vaut aussi pour l'Europe. L'engagement dans la course aux technologies sous-marines ne saurait se traduire par un oubli de la connaissance scientifique des ressources . Or, par exemple, lorsque l'Ifremer mène une campagne d'exploration des ressources sous-marines, le budget européen ne participe qu'aux dépenses liées au travail d'analyse en laboratoire mais non à la campagne en mer (dépenses liées au bateau ou à l'équipage). Les cofinancements annoncés de 50 % finissent ainsi par ne couvrir en fait que 10 à 15 % des dépenses d'une campagne. Compte tenu de l'immensité des parties qui restent à explorer, la France a un intérêt direct à faire évoluer ces règles notamment pour les actions menées dans le cadre de Remina (Ressources minérales marines), étude prospective sur les ressources minérales marines profondes lancée à l'initiative de l'Ifremer fin 2009 et qui associe plusieurs acteurs européens.

D'une façon plus générale, la France doit saisir l'opportunité de la prise de conscience réelle des institutions européennes pour plaider, chaque fois que possible, en faveur d'une meilleure valorisation des ressources des ZEE. Ceci vaut aussi bien pour la prise en compte des spécificités des outremer dans la politique commune de la pêche que pour la mise en oeuvre d'une stratégie offensive en matière de sécurisation des approvisionnements en terres rares . Il convient aussi de veiller à ce que la non-appartenance au territoire de l'Union européenne au sens strict des zones les plus prometteuses (Wallis-et-Futuna ou la Polynésie, mais aussi le Groenland pour les terres rares) ne soit pas un obstacle au plein engagement de la stratégie européenne.

Au niveau européen, la France doit promouvoir et dynamiser le soutien de l'Union européenne à la valorisation des ZEE.

Au plan national (comme d'ailleurs au niveau européen) est affiché le souhait d'associer le secteur privé à la conquête des nouvelles frontières maritimes de nos économies . Mais encore faut-il qu'il soit incité à prendre les risques liés à des activités émergentes. Les projets d'exploration et d'exploitation des ressources minérales marines s'inscrivent dans un calendrier de long terme et correspondent à des investissements lourds aux résultats parfois aléatoires. Attirer des partenaires industriels suppose donc de leur offrir un cadre suffisamment attractif, à la fois en termes de cofinancement, de régime juridique applicable et de stabilité. À défaut, dans un contexte de compétition internationale de plus en plus vive, le risque existe que les quelques partenaires en capacité de mener de tels projets ne préfèrent se tourner vers des zones maritimes proches mais situées à l'extérieur de la juridiction française.

La délégation a déjà recommandé la prise en compte des spécificités de ces activités dans le code minier. Celle-ci aura notamment pour intérêt de présenter aux opérateurs de façon claire et prévisible l'équilibre entre activités économiques et protection de l'environnement 161 ( * ) . La nécessité de garantir cet équilibre de façon prévisible sera ainsi l'un des éléments d'acceptation sociale des projets liés aux ZEE 162 ( * ) .

Outre la sécurité juridique , les opérateurs ont aussi besoin de bénéficier d'un cadre financier (notamment fiscal) suffisamment incitatif . La France y a d'autant plus intérêt qu'elle dispose d'entreprises privées (DCNS, Technip, Eramet...) techniquement capables de faire la course en tête.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande d'aménager un cadre normatif et financier attractif pour des partenaires privés disposant de l'expertise technique leur permettant de contribuer à l'exploration et à l'exploitation des ressources des ZEE.

D'une façon plus générale, la France doit réunir ses forces et les structurer en véritables filières intégrées, allant de la recherche fondamentale jusqu'aux activités marchandes . Si elle s'explique surtout par les difficultés de la puissance publique à jouer pleinement son rôle, force est de constater que l'association des partenaires industriels au projet mené à Wallis-et-Futuna indique la voie à suivre au-delà du seul domaine des ressources minérales marines. Sous des formes propres à chaque secteur, il pourrait aussi être appliqué à l'économie des algues, à la pêche ou aux énergies marines renouvelables, domaines dans lesquels les ZEE ultramarines se distinguent à la fois par leur environnement (essentiellement tropical) et les opportunités qu'offrent leurs étendues.

Dans cet esprit, le déménagement à Brest du siège de l'Ifremer - acteur incontournable de la valorisation des ZEE - 163 ( * ) peut constituer un atout puisque la cité du Ponant regroupe déjà une grande partie de la R&D française 164 ( * ) en matière maritime, notamment au travers du pôle de compétitivité Mer Bretagne ou de la Technopole Brest Iroise qui rassemble des grands groupes et une centaine de PME innovantes du secteur.

De même, constitue une excellente nouvelle la signature le 7 mars 2014 d'un accord-cadre de coopération entre l'Ifremer et DCNS portant notamment sur le développement de solutions innovantes dans les domaines de la connaissance des contraintes du milieu maritime et sous-marin.

Reste que, pour que la structuration des filières maritimes produise tous ses effets en faveur de la valorisation des ZEE, une intégration des acteurs ultramarins dans ces réseaux pourrait s'avérer particulièrement profitable. Or, si l'on ne peut que se féliciter des nombreuses coopérations existant entre les pôles compétitivité « à vocation mondiale » Pôle Mer Bretagne et Pôle Mer Méditerranée, qui font même site internet commun 165 ( * ) , l'outre-mer semble encore très peu associé à ces démarches. Le comité national proposé par votre délégation aura vocation à veiller à la mise en cohérence de l'effort des acteurs publics 166 ( * ) au sein de ces filières avec l'objectif de valorisation des ZEE.

La Délégation sénatoriale à l'outre-mer recommande de promouvoir la structuration des activités marines en filières intégrées, de la recherche jusqu'aux activités marchandes, en prenant en compte l'objectif de valorisation des ZEE ultramarines.


* 144 Ces deux territoires qui jouissent, par leurs statuts, de vastes compétences propres et d'une autonomie très poussée, se caractérisent aussi par leur inscription sur la « liste des territoires sous tutelle et des territoires non autonomes » de l'Organisation des Nations unies.

* 145 Le pôle Tahiti Fa'ahotu intervient dans quatre domaines : l'exploitation des ressources naturelles marines, la biodiversité, biomolécules et biotechnologies, les énergies renouvelables, et la préservation durable des milieux et l'exploitation des ressources naturelles terrestres. Quant à Qualitropic, il abrite des projets dans les secteurs des biotechnologies, de la production agricole et halieutique, de l'alimentation - santé-bien-être ainsi que de l'environnement et du développement durable.

* 146 Cette démarche ayant été appuyée par le dépôt le même jour à l'Assemblée nationale de la proposition de résolution n° 1727 appelant à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon.

* 147 Marc Mered « La France, leader mondial des terres rares ? C'est possible en s'inspirant du Groenland ! », in La Tribune, 13 mai 2013.

* 148 L'article se fondait sur les recherches de l'université de Tokyo concernant la Polynésie française et sur la découverte du dépôt terrestre de Kvanefjeld (Sud-Groenland) réalisée par les Danois en 2008.

* 149 Au titre des douanes.

* 150 L'Institut de recherche pour le développement.

* 151 Institut national de la recherche agronomique.

* 152 Agence française de développement.

* 153 Par exemple, le CIMER s'est réuni cinq fois depuis 2000, soit en l'espace de 13 ans.

* 154 Discours de M. Frédéric Cuvillier aux assistes de l'économie maritime et du littoral.

* 155 Seules cinq réunions depuis 2000.

* 156 Cf. annexe 7.

* 157 Soit 1, 281 milliard d'euros.

* 158 Rapport « Un principe et sept ambitions » remis au Président de la République le 18 avril 2013.

* 159 Par exemple, la compréhension du fonctionnement des écosystèmes volcaniques sous-marins ou du cycle des métaux.

* 160 La croissance bleue : des possibilités de croissance durable dans les secteurs marin et maritime COM(2012) 494 final.

* 161 Outre l'encadrement des techniques d'exploration et d'`exploitation, l'une des questions les plus sensibles est sans doute la façon dont seront délimitées les zones (parcs marins, aires maritimes protégées..) dont certaines activités seront exclues.

* 162 Tout comme la mise en place, proposée par la Délégation, des comités territoriaux des ZEE.

* 163 Annoncé par le Premier ministre le 13 décembre 2013.

* 164 M. François Cuillandre, maire de Brest et président de Brest Métropole océane évaluait, en décembre dernier, cette part à plus de 60 %.

* 165 http://pole-mer.fr

* 166 Ministères, acteurs de la recherche et du financement.

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