I. - UN CADRE RÉGLEMENTAIRE PROTECTEUR, QUI DEVRAIT EN PRINCIPE GARANTIR LA PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES

Bien que la stratégie d' open data ne repose à strictement parler sur aucun texte législatif, tous les textes réglementaires et circulaires renvoient à la loi du 17 juillet 1978, dite loi « CADA » 26 ( * ) (A).

Cependant, il apparaît à l'examen que d'autres législations viennent s'articuler avec la loi « CADA » pour définir le cadre juridique dans lequel intervient l' open data , de manière à assurer le plein respect de la protection des données à caractère personnel : la loi du 6 janvier 1978, dite loi « Informatique et liberté s » 27 ( * ) , les dispositions du code du patrimoine organisant le régime d'accès aux archives publiques ainsi que celles du code pénal relatives aux atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques (B).

A. LE FONDEMENT JURIDIQUE DE L'OPEN DATA : LES DROITS D'ACCÈS ET DE RÉUTILISATION CONSACRÉS PAR LA LOI DU 17 JUILLET 1978

Conçue en 1978 pour créer un droit d'accès individuel aux documents administratifs, la loi « CADA » a été profondément remaniée en 2005 afin d'intégrer le droit à réutilisation créé par une directive européenne de 2003 (1). Grâce à cette révision, la loi « CADA » peut aujourd'hui servir de fondement juridique à l' open data dans chacun de ses deux volets de mise à disposition et de réutilisation des informations publiques (2).

1. La loi du 17 juillet 1978, réceptacle de la transposition de la directive sur la réutilisation des informations publiques

Ignoré jusqu'alors de la législation française, le droit à la réutilisation des informations publiques y a été introduit à l'occasion de la transposition, par ordonnance, de la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public.

À l'initiative de la commission des lois du Sénat, le législateur a choisi de transposer cette directive en modifiant et complétant la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 précitée 28 ( * ) . Comme l'indiquait le rapport de notre collègue Bernard Saugey, l'introduction dans le droit français de ce principe de réutilisation nécessitait en effet l'ajustement de certaines dispositions contenues dans la loi « CADA ». Ainsi de son article 10 dans sa rédaction antérieure, qui disposait que le droit à communication « exclu[ai]t, pour ses bénéficiaires ou pour les tiers, la possibilité de reproduire, de diffuser ou d'utiliser à des fins commerciales les documents communiqués », ce qui ne le rendait pas compatible avec le principe de réutilisation des documents, y compris à des fins commerciales, établi par la directive. Le rapport notait également que la transposition de la directive posait le problème de la réutilisation des fichiers contenant des données à caractère personnel dans la mesure où la loi « CADA » permettait l'accès à des informations nominatives. Il proposait alors que « la compétence qui pourrait être confiée à la CADA pour connaître des contentieux relatifs à la réutilisation des documents [prenne] en compte les règles de protection établies par la législation relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (loi du 6 janvier 1978) » 29 ( * ) .

L'ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques a procédé à des ajustements de la loi « CADA ». Comme l'indiquait le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance, publié au Journal officiel du 7 juin 2005, celle-ci a créé un chapitre consacré à la réutilisation des informations publiques sans remettre en cause l'économie générale du régime d'accès aux documents administratifs. Ainsi, deux régimes distincts demeurent juxtaposés : celui de l'accès et celui de la réutilisation. Un pouvoir de sanction est confié à la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) par l'article 18 de la loi pour garantir en particulier le respect du principe de séparation de ces deux régimes.

2. L'articulation entre deux régimes juridiques distincts

Or, d'un point de vue juridique, l' open data s'analyse en deux étapes trouvant leur fondement dans chacun de ces régimes : la mise à disposition par les administrations, en vertu du régime d'accès aux documents administratifs du chapitre I er , d'une information publique d'abord (a), son éventuelle réutilisation par les internautes conformément au chapitre II ensuite (b).

a) La publication des documents administratifs

Lors de son adoption en 1978, et bien que visant pour l'essentiel à instaurer un droit d'accès individuel aux documents administratifs, l'article 9 de la loi « CADA » prévoyait la « publication régulière » des « directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives », ainsi que « la signalisation des documents administratifs » afin de rendre ce nouveau droit effectif.

L'ordonnance de 2005 a déplacé cette disposition à l'article 7 de la loi et introduit la faculté pour les administrations de publier également les autres documents administratifs qu'elles produisent ou reçoivent.

L'article 7 de la loi « CADA » distingue ainsi clairement deux catégories de documents : ceux dont la publication est impérative et ceux dont la publication est facultative. Dans les deux cas, le respect de la confidentialité des données à caractère personnel s'impose.

La mise à disposition de données dont la publication n'est pas prévue par une disposition légale ou réglementaire dans le cadre de l' open data repose sur cette faculté.

Article 7 de la loi du 17 juillet 1978, dite loi « CADA »

« Font l'objet d'une publication les directives, les instructions, les circulaires, ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives.

« Les administrations mentionnées à l'article 1 er peuvent en outre rendre publics les autres documents administratifs qu'elles produisent ou reçoivent 30 ( * ) .

« Toutefois, sauf dispositions législatives contraires, les documents administratifs qui comportent des mentions entrant dans le champ d'application de l'article 6 ou, sans préjudice de l'article 13, des données à caractère personnel ne peuvent être rendus publics qu'après avoir fait l'objet d'un traitement afin d'occulter ces mentions ou de rendre impossible l'identification des personnes qui y sont nommées.

« Un décret en Conseil d'État pris après avis de la commission mentionnée au chapitre III précise les modalités d'application du premier alinéa du présent article . »

b) La réutilisation des informations publiques

La principale novation de l'ordonnance de 2005 sous l'influence du droit européen demeure toutefois l'inversion de la règle d'interdiction de réutilisation à des fins commerciales qui valait jusqu'alors.

L'article 10 de la loi « CADA » pose en effet le principe selon lequel les informations publiques, c'est-à-dire les informations figurant dans des documents produits ou reçus par les administrations, peuvent être utilisées par toute personne à d'autres fins que celles de la mission de service public pour laquelle elle avait été produite ou reçue. Ce même article 10, ainsi que le suivant, viennent toutefois immédiatement tempérer ce principe.

Il résulte ainsi de la combinaison des articles 10 et 11 que sont exclues du champ de la réutilisation telle que prévue par le chapitre II de la loi « CADA » certaines informations publiques à raison soit de leur nature, soit de leur auteur, soit enfin d'un droit entrant en concurrence avec le droit à réutilisation.

Le premier motif conduit à écarter les informations considérées comme n'étant pas des informations publiques car figurant dans des documents dont la communication ne constitue pas un droit en application du régime d'accès aux documents administratifs, à moins qu'ils ne fassent l'objet d'une diffusion publique.

Cette exception renvoie en premier lieu aux documents préparatoires puisque l'article 2 de la loi « CADA » précise : « le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés. Il ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration ».

Cette exception fait, en second lieu, référence à l'article 6 de cette même loi qui énumère, d'une part, les documents qui ne sont pas communicables en raison soit de leur nature, soit de l'atteinte que cette communication porterait par exemple à un secret, et d'autre part, les documents qui ne sont communicables qu'à l'intéressé, ces derniers visant en particulier les documents administratifs dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée. Dans son avis Maire de Chelles du 31 juillet 2008, la CADA a précisé ce point en indiquant que n'entrent dans le champ de la réutilisation que les documents communicables à tous 31 ( * ) .

Article 6 de la loi du 17 juillet 1978, dite loi « CADA »

« I. - Ne sont pas communicables :

« 1° Les avis du Conseil d'État et des juridictions administratives, les documents de la Cour des comptes mentionnés à l'article L. 141-10 du code des juridictions financières et les documents des chambres régionales des comptes mentionnés à l'article L. 241-6 du même code, les documents élaborés ou détenus par l'Autorité de la concurrence dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs d'enquête, d'instruction et de décision, les documents élaborés ou détenus par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique dans le cadre des missions prévues à l'article 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les documents préalables à l'élaboration du rapport d'accréditation des établissements de santé prévu à l'article L. 6113-6 du code de la santé publique, les documents préalables à l'accréditation des personnels de santé prévue à l'article L. 1414-3-3 du code de la santé publique, les rapports d'audit des établissements de santé mentionnés à l'article 40 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 et les documents réalisés en exécution d'un contrat de prestation de services exécuté pour le compte d'une ou de plusieurs personnes déterminées ;

« 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte :

« a) Au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ;

« b) Au secret de la défense nationale ;

« c) A la conduite de la politique extérieure de la France ;

« d) A la sûreté de l'État, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes ;

« e) A la monnaie et au crédit public ;

« f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ;

« g) A la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales et douanières ;

« h) Ou, sous réserve de l'article L. 124-4 du code de l'environnement, aux autres secrets protégés par la loi ;

« II. - Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs :

« - dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée , au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle ;

« - portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ;

« - faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.

« Les informations à caractère médical sont communiquées à l'intéressé, selon son choix, directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'il désigne à cet effet, dans le respect des dispositions de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique.

« III. - Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application du présent article mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions.

« Les documents administratifs non communicables au sens du présent chapitre deviennent consultables au terme des délais et dans les conditions fixés par les articles L. 213-1 et L. 213-2 du code du patrimoine. Avant l'expiration de ces délais et par dérogation aux dispositions du présent article, la consultation de ces documents peut être autorisée dans les conditions prévues par l'article L. 213-3 du même code. »

Sont ensuite exclues du champ du droit à réutilisation tel qu'autorisé par la loi « CADA » les informations produites ou reçues par deux types d'administrations : celles intervenant dans le cadre d'une mission de service public à caractère industriel ou commercial, ainsi que les établissements culturels : organismes d'enseignement et de recherche - écoles, universités et instituts de recherche - et établissements, organismes ou services culturels
- musées, bibliothèques, orchestres, opéras, ballets et théâtres. Cette exclusion conduit à ne pas appliquer à ces administrations et organismes le régime de réutilisation de la loi « CADA », mais n'interdit pas la réutilisation de l'ensemble des informations produites ou reçues par ceux-ci à moins qu'ils ne s'y opposent ou l'encadrent, sous le contrôle du juge 32 ( * ) .

Enfin, ne peuvent non plus faire l'objet d'une réutilisation les informations sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.

Articles 10 et 11 de la loi du 17 juillet 1978, dite loi « CADA »

« Art. 10. - Les informations figurant dans des documents produits ou reçus par les administrations mentionnées à l'article 1 er , quel que soit le support, peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus . Les limites et conditions de cette réutilisation sont régies par le présent chapitre, même si ces informations ont été obtenues dans le cadre de l'exercice du droit d'accès aux documents administratifs régi par le chapitre I er .

« Ne sont pas considérées comme des informations publiques, pour l'application du présent chapitre, les informations contenues dans des documents :

« a) Dont la communication ne constitue pas un droit en application du chapitre I er ou d'autres dispositions législatives, sauf si ces informations font l'objet d'une diffusion publique ;

« b) Ou produits ou reçus par les administrations mentionnées à l'article 1er dans l'exercice d'une mission de service public à caractère industriel ou commercial ;

« c) Ou sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.

« L'échange d'informations publiques entre les autorités mentionnées à l'article 1er, aux fins de l'exercice de leur mission de service public, ne constitue pas une réutilisation au sens du présent chapitre. »

« Art. 11. - Par dérogation au présent chapitre, les conditions dans lesquelles les informations peuvent être réutilisées sont fixées, le cas échéant, par les administrations mentionnées aux a et b du présent article lorsqu'elles figurent dans des documents produits ou reçus par :

« a) Des établissements et institutions d'enseignement et de recherche ;

« b) Des établissements, organismes ou services culturels.


* 26 Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal

* 27 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés

* 28 Cf. l'article 1 er de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit.

* 29 Rapport de M. Bernard SAUGEY, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (n° 5, 2004-2005) http://www.senat.fr/rap/l04-005/l04-005.html#toc130 .

* 30 Ces administrations sont : l'État, les collectivités territoriales et les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une mission de service public.

* 31 CADA, avis n° 20082716 du 31 juillet 2008, Maire de Chelles. La CADA note d'abord que la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 précitée, dont la loi « CADA » assure la transposition, exclut de son champ d'application non seulement les « documents qui, conformément aux règles d'accès en vigueur dans les États membres, ne sont pas accessibles », mais également les « cas, dans lesquels, conformément aux règles d'accès, les citoyens ou les entreprises doivent démontrer un intérêt particulier pour obtenir l'accès aux documents ». Elle en déduit donc « que les règles prévues au chapitre II du titre I er de [la] loi ne s'appliquent qu'aux informations dont la communication constitue un droit pour toute personne, en application d'une disposition législative, et non à celles qui ne sont accessibles qu'à certaines personnes à raison de leur qualité ou de leur intérêt ».

* 32 Cf. conseil de la CADA, n° 20062674 du 29 juin 2006, Président du conseil général de l'Isère et CAA Lyon, 3 ème chambre, 4 juillet 2012, Département du Cantal .

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