C. OPTIMISER LE RECRUTEMENT ET LA FORMATION DES FORCES SPÉCIALES

1. L'importance du vivier pour le recrutement des unités de forces spéciales

181. Le recrutement, la formation et l'entraînement sont de la compétence respective de chaque armée.

182. Dans l'armée de terre , le recrutement initial des engagés volontaires initiaux (EVI) est ouvert aux trois unités de la BFST. Une première présélection est effectuée par les centres d'information et de recrutement des forces armées (CIRFA) qui proposent deux fois par an une liste de candidats dont les dossiers ont reçu un agrément favorable ou moyen pour intégrer une unité de forces spéciales, y compris le service action de la DGSE. A titre d'illustration, la région Île-de-France a retenu 25 candidats potentiels sur plus de 1 100 candidatures. Les critères de présélection sont à la fois physiologiques, physiques et psychologiques. Ladite liste est ensuite soumise aux régiments qui en retiennent un peu plus de la moitié. Au total, ce sont une cinquantaine de personnes qui intégreront ainsi soit le 1 er RPIMA, soit le 13 ème RDP. Ces deux régiments alternent ensuite la responsabilité de la conduite de la formation initiale des forces spéciales terre. D'une durée de quinze semaines, cette formation est sensiblement similaire à la formation générale en vigueur dans toutes les unités parachutistes. Les EVI poursuivent ensuite leur formation spécifique dans leurs régiments respectifs. Au 1 er RPIMA, ce ne sont en moyenne que dix personnels sur trente présélectionnés qui sont retenus à l'issue de la formation. Le recrutement des EVI est complété par un recrutement dit transverse puisqu'il puise dans le vivier des régiments conventionnels. Cette filière vise à récupérer des personnels déjà formés sur des savoir-faire spécifiques et ayant entre 12 et 48 mois maximum de service. Le recrutement des sous-officiers et des officiers se fait via la direction des ressources humaines de l'armée de terre en puisant dans le vivier d'active.

183. Dans la marine nationale , contrairement à l'armée de terre, il n'y a pas de recrutement initial, mais seulement des recrutements dits « ultérieurs ». Les candidats aux commandos-marine sont issus du corps des fusiliers marins. Seul un civil sur trois qui se présente au stage de fusilier marin est retenu. Il est ensuite formé durant trois mois à Lorient sur les rudiments de sa future spécialité. Un fusilier est ensuite apte à se présenter à un pré-stage commando où le taux d'attrition est de l'ordre de 75%. S'il est retenu, il passe alors le stage commando à l'issue duquel il rejoindra un commando. Les échecs durant le stage seront de l'ordre de 10%. Ainsi sur quatre-vingts fusiliers qui se présentent au pré-stage, vingt seront enjoints à poursuivre avec le stage commando, où deux à trois seront encore éliminés. Il est à noter que réussir à la suite le stage fusilier et la sélection commando est très rare et que les fusiliers qui se présentent à la sélection ont pour la plupart plusieurs années de service.

184. Dans l'armée de l'air , le recrutement des commandos est similaire à celui des commandos-marine, c'est-à-dire que les candidats sont issus de l'active de l'armée de l'air. Majoritairement, ce sont les fusiliers de l'air qui postulent au CPA 10. Après une sélection initiale puis des stages, près d'un quart des postulants accède à l'unité. Pour pallier les difficultés de recrutement interne, un recrutement ab initio est à l'étude. Concernant les équipages d'aéronefs, ils sont issus des unités aériennes où ils ont acquis le plus haut niveau de qualification sur les appareils considérés, d'où l'importance de disposer de la capacité à les former préalablement dans des unités conventionnelles sur les appareils dont est doté l'escadron Poitou.

185. L'état-major du COS est armé par environ 80 militaires d'active des trois armées et par 150 réservistes de haut niveau. Près de 30% des officiers d'active sont brevetés de l'école de guerre. Tous ne sont pas issus d'unités des forces spéciales. Plus de la moitié d'entre eux proviennent des forces conventionnelles, voire de la DGSE et n'ont donc jamais servi dans une unité de forces spéciales. Cette diversité de profils est recherchée du fait que les opérations sont de plus en plus complexes et combinées. A titre d'illustration, l'affectation au COS d'un pilote de chasse permet d'apporter une vision 3D « air » à une opération spéciale où serait employé un appui aérien conventionnel. L'opération ne sera pas conçue de la même façon.

2. Pistes de réflexion envisageables

186. L'état-major du COS travaille en interarmées. Il doit pouvoir travailler dans tous les milieux et avec toutes les armées. Il importe donc que les unités de forces spéciales conservent la compétence et la culture de leurs armées d'appartenance. Ces dernières constituent un vivier de recrutement indispensable au regard des très forts taux d'attrition des personnels. C'est pourquoi la réduction en cours du format des armées est, de ce point de vue, préoccupante. A terme le risque est d'avoir à faire face soit à une sollicitation accrue des opérateurs, soit à un abaissement des critères de sélection des forces spéciales. Enfin, il est nécessaire que les unités de forces spéciales sachent « immédiatement » travailler en interarmées.

187. Les réservistes aussi bien ceux de la réserve opérationnelle que de la réserve citoyenne jouent un rôle important dans le système de forces spéciales. Les premiers apportent un facteur appréciable de souplesse, notamment, en période de surchauffe. Les seconds apportent des capacités et des savoir-faire rares (analyse, linguiste, etc...) fort appréciés par les états-majors.

188. Dans ce cadre, plusieurs propositions ont été évoquées devant vos rapporteurs et méritent d'être étudiées :

- Mutualiser une partie de la sélection initiale et certains modules de formation pour s'assurer d'une meilleure interopérabilité ; développer les entraînements communs ;

- Le recrutement des commandos de l'air - trop peu nombreux -mérite une réflexion en soi. Cette réflexion semble engagée ;

- Identifier des parcours RH préparant les officiers des forces spéciales au travail en état-major d'opérations spéciales. Une formation commune aux officiers servant en état-major des forces spéciales pourrait même être envisagée ;

- Professionnaliser davantage le parcours des officiers-clefs de l'état-major du COS, en liaison avec les DRH d'armée en instaurant un passage préalable en état-major central ;

- Sensibiliser les officiers dès leur formation en école sur les carrières des forces spéciales, ce qui suppose que celles-ci soient attractives.

3. Valoriser les carrières dans les forces spéciales

189. Pour les officiers, si le passage dans les forces spéciales n'est plus un handicap dans une carrière, ce n'est pas encore un avantage. On peut néanmoins différencier selon les différentes armées. La marine a toujours valorisé ses commandos. A l'opposé l'armée de l'air range les commandos parmi les « basiers », c'est-à-dire le personnel non naviguant et du coup les commandos du CPA 10 ne se sentent pas aussi bien considérés que leurs homologues des autres armées. L'armée de terre est dans un entre-deux. Il est donc rare qu'un officier fasse toute sa carrière dans les forces spéciales. Toutefois, la situation semble avoir beaucoup évolué dans le bon sens depuis la mise en place des états-majors de forces spéciales.

190. Pour les sous-officiers et les militaires du rang , la situation est différente. La grande majorité d'entre eux font toute leur carrière aux forces spéciales et le plus souvent dans une même unité.

191. S'ils ne sont pas avantagés dans leur carrière, les membres des forces spéciales n'ont pas non plus d'avantages particuliers découlant de celles-ci . Sur le plan des soldes, ils sont payés comme les autres , avec le bénéfice de la solde à l'air pour les parachutistes et une prime de plongée pour les nageurs de combats. On peut néanmoins considérer que les contraintes du métier, la sévérité des entraînements, la fréquence des absences, les risques encourus justifieraient largement une compensation financière soit directe, soit sous forme de primes, soit par un avancement plus rapide. Mais les intéressés sont bien conscients que cela soulèverait des difficultés.

192. Dans son livre précité sur l'histoire des forces spéciales (p. 175) Jean-Dominique Merchet posait au Général Poncet la question : « pour des opérations spéciales, il faut des hommes spéciaux. Mais comment ces "spéciaux" peuvent-ils s'épanouir dans l'univers militaire traditionnel ? » ce qui lui valut la réponse suivante :

« Toute l'intelligence d'une haute hiérarchie militaire doit être d'accepter les fous du roi. De se dire : qu'est-ce que ce type peut m'apporter ? Il faut donc prévoir des carrières pour eux, afin qu'ils puissent s'épanouir. Ce sont d'ailleurs rarement des gens carriéristes. Dans le système actuel - c'est surtout vrai pour les officiers - après un temps leur armée les reprend et les remet dans le moule. Il vaudrait mieux les garder plus longtemps, puis lorsqu'ils sont fatigués, les envoyer se « reposer » quelques années dans des postes pour lesquels ils sont parfaitement calibrés, où leur curiosité naturelle et leur non-conformisme pourraient s'exprimer pour le plus grand profit du pays. Je pense par exemple aux postes d'attaché de défense dans les ambassades. Le constat que j'ai fait est que ces hommes existent bien dans le milieu militaire, mais qu'il faut les protéger de leurs armées d'origine. »

193. Le problème de la valorisation des carrières effectuées dans les forces spéciales a longtemps été un problème récurrent. Déjà en 2008, la Cour des comptes soulignait cum grano salis que :

« Les risques qu'ils (les hommes des forces spéciales) courent ne sont pas récompensés, pas plus qu'un passage chez eux n'est valorisant dans la carrière. Les arguments les plus spécieux sont mis en avant pour cela ; il faut éviter une armée à deux vitesses, le concept n'est pas encore arrivé à maturité, ils doivent rester à leur place pour éviter d'être jalousés. Tout se passe comme s'ils devaient se faire pardonner d'être ce qu'ils sont. »

194. Aujourd'hui, la situation semble avoir évolué dans le bon sens et nombre d'anciens officiers ayant servi à la tête des forces spéciales ont effectué de belles carrières. Verra-t-on un jour un ancien des forces spéciales occuper les fonctions de CEMA ?

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