PRÉSENTATION DU RAPPORT DE LA MISSION D'INFORMATION

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Mercredi 4 juin 2014

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Nous nous étions tous mobilisés sur la loi de refondation de l'école du 8 juillet 2013 qui comportait un volet important consacré à la restauration de la formation professionnelle et pédagogique des enseignants dans le cadre des nouvelles écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) logées au sein des universités qui, elles-mêmes, ont vu le cadre de leur autonomie évoluer avec la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche du 22 juillet 2013. C'est pourquoi nous avons exprimé le souhait de vérifier, dans ce contexte d'autonomie des établissements d'enseignement supérieur, que la volonté du législateur de préciser les contenus fondamentaux de la formation dispensée aux étudiants se destinant aux métiers de l'enseignement et de l'éducation, et les différentes catégories des intervenants au sein des ÉSPÉ, s'était bien matérialisée sur le terrain. C'est donc à l'initiative de notre collègue Corinne Bouchoux que nous avons constitué au sein de notre commission une mission d'information sur le suivi de la mise en place des ÉSPÉ.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur . - Notre mission d'information a été constituée à la mi-novembre 2013, soit un peu moins de deux mois après la création effective des ÉSPÉ à la rentrée universitaire. L'objectif de nos travaux était clair : il s'agissait de suivre pas à pas la première année de mise en oeuvre de la réforme et de faire un bilan d'étape. Nous sommes encore au milieu du gué et ce n'est qu'au cours de l'année prochaine que le nouveau parcours de formation des enseignants sera entièrement installé.

Créées en lieu et place des anciens instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) en application de la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l'école, ces nouvelles structures doivent remplir un double objectif :

- parachever l'« universitarisation » de la formation des enseignants après l'intégration des IUFM aux universités en 2008 et la mastérisation en 2010 ;

- reprofessionnaliser fortement un parcours de formation qui avait pâti de la suppression, sous le précédent gouvernement, de l'année de stage. À cette fin, la seconde année de master sera pleinement consacrée à la formation par alternance, en offrant aux lauréats du concours présenté en fin de M1 une formation théorique et didactique conjuguée à un mi-temps en responsabilité devant des élèves.

La réforme a été mise en oeuvre à marche accélérée, avec des discussions autour du projet d'ÉSPÉ au sein de chaque académie entamées dès décembre 2012, malgré l'absence de cadre législatif et réglementaire définitif. Dans un contexte initial incertain, les différentes parties prenantes ont exprimé des inquiétudes légitimes. Les présidents des universités intégratrices s'interrogeaient sur la capacité de leur établissement à mettre en oeuvre une réforme ambitieuse dans un cadre budgétaire contraint. Un certain nombre d'universitaires se sont montrés sceptiques sur l'universitarisation effective de la formation des enseignants et sur la place accordée à la recherche, compte tenu du poids de l'alternance en M2 et du positionnement du concours en fin de M1. Dans le même temps, les étudiants demandaient en priorité à disposer en M1 d'une préparation solide aux concours, d'où leurs craintes quant à la diminution du nombre d'heures de formation ou au rétrécissement des budgets de fonctionnement des ÉSPÉ par rapport aux anciens IUFM.

La mise en place des ÉSPÉ a fait l'objet d'un pilotage et d'un suivi interministériels assurés par la direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP), la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) et la direction générale des ressources humaines (DGRH). Cette coresponsabilité interministérielle est incontournable : il n'était à l'évidence plus possible de raisonner comme si l'employeur qu'est l'éducation nationale demeurait coupé du suivi et du contrôle de la mise en place des ÉSPÉ et de la cohérence du contenu des formations de master assuré par le ministère de l'enseignement supérieur.

La création des ÉSPÉ coïncide avec une recomposition majeure du paysage universitaire initiée par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Les inquiétudes et les tensions doivent se comprendre sur cette toile de fond.

Les dossiers d'accréditation ont été de qualité inégale : un tiers de projets aboutis, un tiers de projets qui s'inscrivaient dans une situation intermédiaire et qui appelaient des ajustements et un tiers de projets problématiques qui manquaient de maturité avec des ÉSPÉ qui se résumaient bien souvent à des coquilles vides, sans réelle maîtrise du contenu ou de l'organisation des formations.

Pour mémoire, le master « Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » (MEEF) comporte quatre mentions : premier degré, second degré, encadrement éducatif et pratiques et ingénierie de la formation. Trente ÉSPÉ ont été accréditées par arrêtés ministériels en date du 30 août 2013. L'ensemble des ÉSPÉ ainsi créées a été accrédité à compter du 1 er septembre 2013 pour une durée équivalente au contrat quinquennal en cours d'exécution liant l'université intégratrice à l'État ou bien, si celui-ci arrivait à échéance dans l'année, pour une durée équivalente au prochain contrat en cours de préparation.

Parmi les trente ÉSPÉ accréditées, quatre écoles n'ont été expressément habilitées à ne délivrer les quatre mentions du master MEEF que pour une durée d'un an seulement (jusqu'au 31 août 2014) : il s'agit des ÉSPÉ des académies de Grenoble, Lyon, Toulouse et Versailles. Quant à l'ÉSPÉ de l'académie de Paris, elle a été habilitée pour toute la durée de son accréditation pour les mentions « premier degré » et « encadrement éducatif », mais n'a obtenu qu'une habilitation d'un an pour la mention « second degré ». Les trois ÉSPÉ des académies de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique font, pour leur part, l'objet d'un accompagnement spécifique pendant la première année suivant leur création.

Le début de l'année 2013-2014 a été consacré à l'installation dans chaque ÉSPÉ des trois instances de gouvernance prévues par la loi : le conseil de l'école, le conseil d'orientation scientifique et pédagogique et le directeur. La définition des corps électoraux a été très délicate en raison de conflits d'interprétation des textes. Les modalités d'application pratique de la parité se sont révélées très complexes dans les secteurs où la répartition entre sexes est traditionnellement déséquilibrée. Certains membres élus ont dû céder leur place à des non-élus pour rééquilibrer paritairement la composition des conseils. La représentation des femmes a globalement diminué.

Les conseils d'école, pour la plupart constitués à la fin de l'année dernière, ont ensuite examiné les candidatures au poste de directeur. Ils ont transmis aux ministres de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale leurs propositions de nomination.

À cette date, s'est achevée la mise en place structurelle des ÉSPÉ et de leurs organes de gouvernance, au terme d'un processus rapide et globalement fluide, malgré la complexité des opérations à mener.

L'ÉSPÉ nouvelle n'est pas simplement une construction juridique et administrative chargée de fédérer diverses formations. Elle doit devenir un lieu de dépassement des anciennes contradictions idéologiques entre les IUFM et les universités. Pour cela, il faut travailler à bâtir un esprit d'école que chacun partage au-delà des métiers, des cultures et des pratiques administratives.

Or, l'intégration des ÉSPÉ dans le tissu universitaire est variable selon les académies. Des régimes très différents d'interaction prévalent d'une académie à l'autre selon l'importance de l'IUFM par le passé, selon la force des universités. Même entre des académies assez comparables comme Versailles et Créteil ou Lyon et Toulouse, on retrouve des oppositions très significatives. D'un côté, la mastérisation a définitivement placé les universités dans une situation de force, de l'autre, des IUFM très actifs, bien dotés par le passé et porteurs d'une culture d'autonomie très forte tentent de se perpétuer dans les nouvelles ÉSPÉ. Une certaine inertie historique prolonge les tensions anciennes. À l'inverse, dans certaines universités, les UFR travaillent déjà en bonne intelligence avec les ÉSPÉ au service du projet commun. L'antériorité de la collaboration et du dialogue entre l'IUFM et les universitaires est un facteur important de facilitation de la réforme, comme c'est le cas dans l'académie de Clermont-Ferrand.

Le succès de la réforme dépend de la qualité de la coopération entre les ÉSPÉ et les autres composantes universitaires afin de conjuguer les dimensions professionnelles et académiques et de développer simultanément les compétences pédagogiques, didactiques et disciplinaires. Ce point, qui est devenu en apparence un lieu commun, se heurte à la nature même du système d'enseignement supérieur français, qui privilégie historiquement les cloisonnements et les hiérarchies. Sans apport véritable des travaux de recherche et sans participation suffisante aux modules transversaux à vocation professionnalisante, la contribution des UFR se limite trop souvent à une préparation académique aux concours.

L'émergence d'une culture d'école nécessitera surtout l'effacement de la dichotomie inscrite dans les parcours de formation des enseignants du premier et du second degré. C'est par l'établissement de véritables troncs communs de formation au sein des maquettes que l'on parviendra à développer une culture professionnelle partagée entre le primaire et le secondaire. L'enquête réalisée entre décembre 2013 et janvier 2014 par le bureau de liaison du réseau des ÉSPÉ révèle ainsi que :

- deux tiers des écoles ont mis en place un tronc commun ;

- dans 44 % des cas, le tronc commun permet un mélange des étudiants des mentions « premier degré », « second degré » et « encadrement éducatif » du master MEEF ;

- 17 % en moyenne du temps de formation est consacré au tronc commun, avec une prédominance de travaux dirigés.

Les ÉSPÉ doivent, en outre, relever le défi de la présence effective au sein des équipes pluricatégorielles de formateurs professionnels venus du terrain. L'erreur à ne pas commettre, c'est de recruter des « formateurs de terrain » hors-sol, qui n'auraient plus de liens réels avec les élèves. On peut irriguer les formations de l'ÉSPÉ et leur apporter son expérience sans faire partie de son personnel permanent. La solution déjà pratiquée dans les IUFM, notamment grâce aux professeurs des écoles-maîtres formateurs (PEMF) ou à des dispositifs d'affectation partielle à l'année d'enseignants du second degré, doit être poursuivie et enrichie.

Le ministère de l'éducation a engagé une réflexion sur la constitution d'un vivier renouvelé de « professeurs formateurs académiques » (PFA) pour le second degré, disposant d'un statut et de missions propres calqués sur celui de PEMF.

Par ailleurs, de la même manière qu'enseigner est un métier qui s'apprend, former est également un métier qui s'apprend. Il semble nécessaire de faire accéder au niveau du master davantage de formateurs.

En termes de positionnement de l'ÉSPÉ par rapport à l'offre universitaire territoriale, on distingue principalement les cas de figure suivants :

- trois ÉSPÉ ont d'ores et déjà été constituées en composantes d'une communauté d'universités et d'établissements (COMUE) qui préfigure la fusion des universités qui en sont membres fondateurs (Lille, Montpellier et Rennes) ;

- quatre ÉSPÉ ont été constituées en composantes d'une « grande université » résultant d'une fusion d'établissements et pour lesquelles le transfert de l'ÉSPÉ à une structure de coopération supplémentaire (une COMUE ou une association) ne sera étudié que dans un second temps (Strasbourg, Aix-Marseille, Bordeaux et Lorraine) ;

- neuf ÉSPÉ ont été constituées en composantes de l'université qui accueillait historiquement en son sein l'IUFM mais qui est, d'ores et déjà, partie prenante d'une COMUE académique. Pour un grand nombre de ces universités, l'opportunité d'élever l'ÉSPÉ au rang de composante mutualisée au niveau de la COMUE peut être sérieusement envisagée à moyen terme ;

- dix ÉSPÉ ont été constituées en composantes d'universités parties prenantes à des COMUE inter-académiques ou transfrontalières, pour lesquelles il est difficilement envisageable d'élever l'ÉSPÉ au rang de composante de la COMUE.

L'élévation de l'ÉSPÉ au rang de composante de la COMUE constitue la solution la plus pertinente à terme dans le cas de COMUE rassemblant des universités situées sur un territoire homogène, comme à Toulouse ou Lyon, ou servant de tremplin à une future fusion d'établissements, une fois que le projet pédagogique et scientifique aura été suffisamment mûri et que les coopérations entre établissements auront été consolidées.

D'une façon générale, afin de permettre aux ÉSPÉ de disposer d'une vision consolidée de leurs besoins, pour la construction d'un budget de projet solide et cohérent, il convient, dans un premier temps, de clarifier les conditions d'inscription des étudiants aux parcours de formation des enseignants. À cet égard, une centralisation de l'inscription pédagogique de l'ensemble de ces étudiants au niveau de l'ÉSPÉ, complétée par une inscription administrative à l'UFR partenaire concernée, semble incontournable. C'était, du reste, une de nos demandes lors de l'examen du projet de loi de refondation de l'école.

La question des moyens est cruciale. Aux termes de la loi de refondation de l'école, chaque ÉSPÉ dispose d'un budget propre intégré au budget de l'établissement public dont elle fait partie. Il est précisé que les ministres compétents ont la faculté de flécher au profit de l'ÉSPÉ, au sein de la dotation globale attribuée aux universités, les moyens humains et financiers qu'ils estiment nécessaires pour assurer une politique de formation des enseignants de qualité. Il apparaît que cette faculté de fléchage n'a pas été formellement exercée par les ministres, mais il n'est pas exclu qu'il soit nécessaire d'y recourir dans certains cas.

La DGESIP a confirmé le principe de sanctuarisation des supports budgétaires des postes lors de la transformation de l'IUFM en ÉSPÉ, mais il a été diversement respecté selon les établissements lors de la mise en oeuvre du droit d'option des personnels.

Afin de surmonter ces difficultés et d'assurer un financement soutenable de l'ÉSPÉ, l'établissement d'un contrat d'objectifs et de moyens entre la composante, l'université intégratrice, les établissements partenaires et le rectorat est incontournable. Ce document devrait permettre d'établir les déclarations de charges et les dépenses incompressibles de la composante, afin de pouvoir en déduire le niveau des dotations qui lui sont fléchées et de ses ressources propres. C'est à partir de ce document, fondé sur des données comptables et financières objectives, que peut être déterminé le niveau de la contribution d'équilibre de chacun des partenaires.

Permettez-moi de revenir à l'organisation des maquettes de formation. Seule l'année de M1 est mise en place et les discussions sur l'année de M2 continuent dans chaque ÉSPÉ.

Le positionnement du concours à la fin de la première année de master pose la question de la prise en charge en M2 des candidats non admissibles au concours, qu'on appelle plus communément les « reçus collés ». Dans ces conditions, certains responsables d'ÉSPÉ étudient différentes options à proposer aux étudiants ayant validé leur M1 et qui ne sont pas lauréats du concours :

- soit « redoubler » leur M1 afin de suivre une « prépa concours » intensive pour ceux qui souhaitent présenter de nouveau le concours ;

- soit s'insérer en M2 au prix d'une réorientation vers d'autres métiers du secteur de l'éducation. Le M2 serait alors organisé selon un parcours « en Y » en M2, piste que semble privilégier le ministère de l'éducation nationale, dont les deux branches seraient les suivantes :


• une première « branche » pour les lauréats du concours en M2, qui correspond à la vocation même du master MEEF à travers la mise en oeuvre du principe d'alternance intégrative ;


• une seconde « branche » qui consisterait à offrir une réorientation sur un ou deux semestres à des effectifs réduits de candidats non admissibles vers des métiers autres que l'enseignement, toujours centrés sur la formation et l'éducation : la médiation scientifique, animateur, éducateur et intervenant en activités périscolaires...

S'agissant du contenu des maquettes de formations, la loi pour la refondation de l'école établit un certain nombre de prescriptions concernant les nouveaux champs de formation auxquels les futurs enseignants doivent être solidement préparés, notamment la résolution pacifique des conflits, la sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations et à la scolarisation des élèves en situation de handicap, et la préparation des enseignants à l'entrée dans les apprentissages et à la prise en compte de la difficulté scolaire dans le contenu des enseignements et la démarche d'apprentissage.

Ces thèmes font partie du tronc commun de formation dispensé à l'ensemble des étudiants se destinant aux métiers du professorat et de l'éducation. À cet égard, le collectif des associations partenaires de l'éducation (CAPÉ) rappelle l'apport significatif de l'expérience et du regard particulier des associations culturelles, artistiques et d'éducation populaire dans ces différents domaines.

Sur proposition de la présidente de la mission d'information, Colette Mélot, il me semble également indispensable d'appeler au développement de l'éducation à l'Europe, à son histoire, à sa diversité culturelle et à la notion de citoyenneté européenne. Le renforcement de l'éducation à l'image, au cinéma, à Internet et aux réseaux sociaux est également incontournable. La formation à la laïcité constitue également un des éléments majeurs des nouveaux contenus.

La formation aux outils et ressources numériques constitue l'autre défi majeur des parcours mis en place par les ÉSPÉ. Les ÉSPÉ de l'académie de Clermont-Ferrand et de Créteil sont en pointe sur ce sujet. Rappelons également que les MOOCs (« Massive Open Online Courses ») permettent d'initier les lycéens à la découverte de l'enseignement supérieur, il convient donc de sensibiliser les professeurs de lycée à l'utilisation de cet outil pédagogique innovant. La plateforme « France Université Numérique » propose ainsi un MOOC intitulé « Enseigner et former avec le numérique », que plusieurs ÉSPÉ ont décidé d'exploiter en interne.

Il me semble également indispensable d'examiner la possibilité de rationaliser la préparation au certificat d'aptitude au professorat des lycées professionnels (CAPLP) afin d'éviter un éparpillement des masters à très faibles effectifs. À cet effet, on peut imaginer l'émergence de grands pôles permettant de coordonner la formation au CAPLP par des coopérations inter-académiques.

Les conclusions et les préconisations du groupe de travail sur le prérecrutement des enseignants que nous avons présentées en février 2013 me semblent toujours d'actualité. Nous l'indiquions dans le rapport qui résumait notre mission sur le prérecrutement des enseignants : la formation des enseignants demande du temps et de la continuité, si bien qu'il faut engager le processus d'acculturation en licence en prenant soin d'articuler dès l'origine l'académique et le professionnel. Il faut mettre à profit les cinq années d'études supérieures jusqu'à l'obtention du master et non plus seulement les deux années suivant la licence. La L1 peut servir d'année de découverte et d'orientation. En L2 et L3, il faut viser une sensibilisation par l'observation et commencer une préprofessionnalisation progressive grâce à de la pratique accompagnée. Les années de master complètent la professionnalisation par l'approfondissement des savoirs et des compétences et par l'élargissement des terrains de stages.

Des formes de prérecrutement peuvent contribuer à diversifier le vivier des futurs enseignants en touchant les milieux populaires. C'est le cas des emplois d'avenir professeur (EAP). Sur les 10 000 emplois offerts entre janvier 2013 et mars 2014, 8 000 ont été pourvus. Derrière ce résultat global se cachent d'importantes disparités régionales. Des académies attractives comme Bordeaux et Nice ont dépassé le nombre de contrats qui leur étaient initialement assignés, alors que des académies très déficitaires comme Versailles et Créteil ne sont pas parvenues à pourvoir tous les postes : un quart seulement pour Versailles, la moitié pour Créteil.

Certes, il reste dans plusieurs endroits des progrès à faire pour améliorer la valorisation en crédits des stages effectués et pour ajuster les calendriers entre les cours et le travail en établissement. Les ÉSPÉ doivent également être mieux associées à la gestion du dispositif qui, établi en licence, relève plutôt des seuls UFR actuellement.

Voici le bilan que je souhaitais vous présenter de la première année d'installation des ÉSPÉ, qui sont au coeur d'une réforme très ambitieuse et tellement nécessaire mais qui prendra du temps pour prendre toute son ampleur et produire tous ses effets. L'année 2014-2015 s'annonce cruciale pour résoudre les dernières tensions budgétaires, organiser les temps d'alternance, diversifier les équipes de formateurs et renforcer les troncs communs.

Sous la présidence de Colette Mélot, nous avons conduit des travaux d'une densité exceptionnelle. En moins de six mois, nous avons entendu plus de 120 personnes occupant diverses fonctions ou responsabilités : académiciens, historiens, universitaires, recteurs, inspecteurs, enseignants, chercheurs, personnels d'administration, personnels techniques, contrôleurs de gestion, responsables associatifs et de l'éducation populaire, parents d'élèves, étudiants des ÉSPÉ, étudiants en EAP, représentants des organisations syndicales et étudiantes... Nous avons aussi effectué cinq déplacements : à Lausanne en Suisse afin d'étudier le mode de formation des enseignants dans le canton de Vaud et de visiter la Haute école pédagogique de Lausanne, à Lyon, à Toulouse, à Clermont-Ferrand et à Créteil.

Notre rapport a été adopté hier à l'unanimité des membres de la mission d'information et nous aurons l'occasion de poursuivre le débat avec le ministre, en séance plénière, le 11 juin prochain.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - En effet, notre commission s'est assurée qu'un espace serait réservé, au sein de l'ordre du jour du Sénat, pour débattre de ce sujet en séance publique le 11 juin au soir.

Mme Colette Mélot, présidente de la mission d'information sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation . - Je m'associe aux propos du rapporteur pour souligner l'ambiance très positive et consensuelle dans laquelle se sont déroulés les travaux de la mission, chacun ayant eu l'opportunité d'exprimer ses convictions et de faire partager ses pistes d'amélioration. Le résultat de nos travaux est selon moi très satisfaisant, en prenant la forme d'un bilan d'étape qui se veut objectif et équilibré, après avoir entendu l'ensemble des acteurs impliqués dans ce dispositif nouveau. Nous avons pu constater, dans le cadre de nos déplacements, une véritable prise de conscience de l'importance de cette réforme chez l'ensemble des parties prenantes, et une forte volonté des responsables de trouver des solutions.

J'aimerais revenir sur trois sujets sur lesquels nous devrons, selon moi, rester vigilants :

- il faut veiller à ce que le vivier de formateurs soit continuellement renouvelé en organisant des retours périodiques sur le terrain, afin d'éviter que les formateurs restent trop longtemps éloignés de la pratique professionnelle et de prévenir ainsi la promotion d'un seul type de pédagogie ;

- il faut distinguer les MOOCs ou les CLOT (« cours en ligne ouverts à tous »), dont on parle de plus en plus, des formations à distance et en ligne proposées par certaines académies - Clermont-Ferrand et Créteil étant en pointe dans ce domaine - en complément de l'enseignement présentiel. Sur ses sites de Seine-et-Marne, l'ÉSPÉ de l'académie de Créteil met ainsi à disposition de ses étudiants et de ses autres usagers, qu'ils soient salariés ou non, des ressources en ligne et des formations en semi-présentiel (il ne s'agit donc pas de cours ouverts à tous comme un MOOC). Ces modalités d'enseignement à distance pourraient également être exploitées pour la formation continue ;

- l'ouverture à l'Europe vaut aussi bien pour les échanges de savoir-faire professionnels que pour la diversification des savoirs à transmettre, en histoire, en littérature...

Mme Dominique Gillot . - Les ÉSPÉ sont le point d'orgue de deux lois importantes adoptées l'an dernier, la loi de refondation de l'école et la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Il s'agit d'une structure nouvelle au carrefour de deux cultures jusqu'ici bien distinctes : d'une part, l'enseignement supérieur classique dont l'emprise sur la formation des maîtres a été renforcée par la mastérisation et, d'autre part, l'éducation nationale qui accorde traditionnellement une place importante à la formation par les pairs, principe qui n'a pas encore pénétré suffisamment le monde universitaire.

L'ÉSPÉ doit s'imposer, à terme, comme une composante forte des COMUE, afin d'assurer la jonction de ces deux cultures, la mixité des équipes pédagogiques et l'émergence d'une culture professionnelle partagée. La définition de nouvelles qualifications professionnelles pour les enseignants-chercheurs des universités a donné lieu à une demande forte de recherche en pédagogie. On ne peut plus maintenir, d'un côté, des universitaires dont la gratification et l'avancement professionnels ne sont assis que sur leurs publications scientifiques et, de l'autre, des enseignants-chercheurs qui s'investissent considérablement dans la pédagogie et qui ne sont pas valorisés à ce titre.

Alors que l'ÉSPÉ de l'académie de Strasbourg affiche une proportion de professionnels en milieu scolaire dans les équipes pluricatégorielles de l'ordre de 40 %, l'ÉSPÉ de l'académie de Versailles s'est fixée comme objectif, présenté comme ambitieux, 10 %. Notons cependant que l'université de Cergy-Pontoise, qui abrite cette ÉSPÉ, a créé une unité de formation et de recherche (UFR) spécialisée dans la pédagogie de l'enseignement et de la formation.

L'exploitation des nouvelles technologies de l'information et de la communication devrait permettre d'élargir le cercle des apprenants. C'est à ce titre d'ailleurs que je milite fortement pour le développement de l'enseignement à distance et en ligne dans l'académie de la Guyane dont l'ÉSPÉ doit composer avec des contraintes matérielles et géographiques lourdes pour l'accès du plus grand nombre à ses formations. D'une façon générale, la capacité d'innovation des ÉSPÉ dépendra de l'ampleur des efforts conduits en matière de développement de l'interdisciplinarité, de mutualisation et de renforcement du travail d'équipe.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Ce bilan d'étape bien documenté devrait nous permettre d'accompagner les acteurs dans la restauration et l'amélioration de la formation initiale comme de la formation continue. Le disciplinaire doit être articulé efficacement avec la diffusion de pratiques professionnelles innovantes. La reconstitution du vivier est cruciale car le milieu enseignant a été profondément déstabilisé par les réformes successives et personne n'était d'avis de rester dans le statu quo . Les débuts de la mise en place des ÉSPÉ ont été pour le moins chaotiques, voire conflictuels. L'autonomie des universités nous oblige à rester attentifs à l'égalité territoriale en matière de formation des enseignants.

La situation des « reçus collés » est ubuesque, avec des étudiants qui décident de ne pas valider leur M1 afin de repasser le concours. Cela pose plus largement la question du prérecrutement et, à mon sens, les EAP ne suffiront pas à faire le joint. La question du déficit de recrutements pour certaines matières se reposera l'année prochaine.

On a rattrapé des années de déconstruction, de découragement et de négation sociale dans le milieu enseignant. Mais les difficultés sur le terrain demeurent et ne sont pas négligeables.

Mme Corinne Bouchoux . - L'un de nos principaux défis est d'abord de s'interroger sur la meilleure manière de transmettre à nos jeunes. Une étude publiée la semaine dernière faisait état d'une capacité d'attention active, chez les enfants, de seulement sept minutes sur une heure. Comment transmettre et mettre en oeuvre des méthodes d'apprentissage dans un contexte d'attention aussi sélective. L'apprentissage ne doit pas être seulement centré sur le disciplinaire, il doit faire toute sa place aux projets collectifs et aux mises en situation.

D'autre part, pour l'installation de la gouvernance des ÉSPÉ, certains responsables se sont révélés être de véritables magiciens ! À l'évidence, le développement d'une ÉSPÉ nécessite de fortes capacités managériales au sein de son équipe dirigeante, ce qui suppose une amélioration de la formation des directeurs, via l'organisation de séminaires par exemple.

Enfin, quid de l'articulation entre le formateur d'ÉSPÉ, la réforme annoncée des collectivités territoriales et la mise en place des nouveaux rythmes scolaires ? Attention à ne pas favoriser la cacophonie entre les solutions apportées à ces différents problèmes, qui s'imbriquent nécessairement.

M. Jacques Legendre . - Le climat au sein de notre mission d'information a été excellent et studieux et le travail riche, si bien que nous en avons tous approuvé les conclusions.

Je demande cependant à ce qu'on ait non seulement le développement de l'interdisciplinarité et du travail en équipe, mais aussi du travail disciplinaire qui doit être respecté pour lui-même. Le principe de la liberté pédagogique des enseignants doit être garanti. Si les enseignants doivent se coordonner avec leurs collègues, cela ne doit pas conduire à diluer leur responsabilité personnelle.

M. Jean-Pierre Leleux . - Avec ma collègue députée Maud Olivier, nous avons produit au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) un rapport sur le partage de la culture scientifique. Une partie de nos 80 propositions concerne les ÉSPÉ afin de sensibiliser les enseignants et de faire ainsi pénétrer la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI) dans le milieu scolaire.

C'est d'autant plus important qu'un climat de défiance vis-à-vis des sciences règne et que nous souffrons d'une baisse des vocations dans les disciplines scientifiques.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Dans deux semaines, vous serez d'ailleurs entendus pour décliner devant la commission les recommandations de votre rapport. Il n'y a rien de pire qu'un enseignant de physique, de chimie ou de sciences naturelles dont les expériences patiemment montées ratent en cours, suscitant l'hilarité des élèves...

Mme Françoise Cartron . - C'est un rapport technique qui montre la complexité des enjeux. Au bout d'un an de reconstruction totale de la formation des enseignants, le chantier n'est bien entendu pas achevé et mérite d'être progressivement ajusté.

Je demanderai simplement quelques précisions sur l'application de la parité dans les instances de gouvernance des ÉSPÉ, sur la réforme de la formation des cadres de l'éducation nationale - quid de l'ÉSÉN ? - et, enfin, sur le ressenti des étudiants dans les nouveaux masters MEEF.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur . - Il est effectivement indispensable de s'assurer des retours périodiques des formateurs sur le terrain afin que ceux-ci ne deviennent pas « hors sol ». Les MOOCs et l'enseignement à distance constituent bien deux modalités distinctes de formation qui peuvent être l'une et l'autre exploitées par les ÉSPÉ, les premiers permettant par exemple à quelques ÉSPÉ de partager avec leurs homologues un certain nombre d'initiatives et d'expérimentations sur des aspects bien précis de la formation des enseignants, comme c'est le cas de l'ÉSPÉ de l'académie de Clermont-Ferrand dans le domaine de la santé scolaire.

La réforme marche assurément sur ses deux jambes lorsqu'elle est conduite sous l'impulsion de recteurs volontaristes. L'implication forte des cadres est également un élément moteur important. L'ensemble des parties prenantes doit bien avoir conscience de l'objectif fondamental de cette réforme, à savoir renforcer la professionnalisation de la formation des enseignants, en s'efforçant de valoriser les meilleures pratiques et de ne pas reproduire les anciens schémas inspirés des écoles normales ou encore des instituts de préparation aux enseignements du second degré (IPES).

La preuve que la création des ÉSPÉ suscite un regain d'intérêt pour le métier d'enseignant : + 30 % d'inscriptions d'étudiants en moyenne dans ces nouvelles structures, y compris dans des académies traditionnellement déficitaires, comme Créteil. Le vivier demeure étroit pour certaines disciplines, mais les choses s'améliorent progressivement.

L'audition de Pierre Léna, membre de l'Académie des sciences et l'un des fondateurs de l'opération « Main à la pâte », a permis de mettre en avant un dispositif innovant dans le domaine de la formation des enseignants aux sciences et au partage de la culture scientifique : les maisons pour la science, désormais au nombre de neuf.

L'École supérieure de l'éducation nationale (ÉSÉN) est censée assurer la formation de nos cadres dans l'éducation nationale. La quatrième mention du master MEEF est, du reste, consacrée à la formation des formateurs.

Mme Françoise Cartron . - Oui, mais pas des cadres...

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur . - Il faut certainement s'atteler à réformer ce qui ne nous paraît pas satisfaisant...

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Atterrant, même ! J'en veux pour preuve les réponses des responsables de l'ÉSÉN lors de notre déplacement à Poitiers, à des questions sur la formation des cadres et leur capacité, au vu de la réforme, à dialoguer avec les élus territoriaux sur des enjeux tels que les rythmes scolaires : « nous faisons cela depuis toujours et nous continuons comme avant » !

Mme Françoise Cartron . - Les inspecteurs stagiaires parlaient même d'une catastrophe...

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur . - Notre commission a évoqué des pistes de réforme sur ce sujet, il appartient désormais au ministère de réagir.

En ce qui concerne les jeunes, hors EAP, ils sont pour l'instant principalement focalisés sur la préparation du concours, ce qui ne permet pas encore de faire la part belle à la professionnalisation. C'est désormais le concours qui doit être refondu dans ses contenus pour valoriser de façon plus substantielle les acquis de la formation sur le terrain.

La liberté pédagogique de chaque enseignant n'est pas incompatible avec le travail en équipe qui fait dorénavant l'objet d'incitations très fortes. Le déficit d'attention des élèves dans les classes, qui n'est pas sans rappeler le déficit d'attention des étudiants en cours magistraux dans les amphithéâtres, est généralement compensé lorsqu'on s'adresse à eux de manière active dans le cadre de travaux de groupes.

Pour ce qui est des effets de la mise en oeuvre de la parité dans les instances de gouvernance, je vous renvoie à l'analyse du rapport qui explique que la présence globale des femmes a diminué en raison du triple mécanisme prévu par l'article D. 721-4 du code de l'éducation pour assurer la représentation paritaire des sexes :

- l'établissement de listes alternées par sexe pour chacun des onze collèges de représentants élus ;

- des corrections sur les derniers sièges pourvus en faveur du sexe le moins représenté. Par exemple, si les femmes sont majoritaires parmi les premiers élus de la liste et si le dernier élu de la liste est aussi une femme, alors ce dernier siège est automatiquement attribué à l'homme suivant sur la liste...

Mme Françoise Cartron . - Dommage qu'on ne l'ait pas fait en politique !

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur . - Et, enfin, un rétablissement de la parité globale au sein du conseil d'école grâce aux nominations de personnalités extérieures si les mesures précédentes ne suffisent pas.

La commission autorise la publication du rapport d'information à l'unanimité .

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