B. LA FORMATION INITIALE : DES MARGES DE PROGRESSION

1. La place de l'apprentissage dans le dispositif de formation français
a) La perception de l'apprentissage par l'opinion publique reste ambiguë

En dépit des réformes successives, des campagnes d'information, des conseils en orientation des jeunes, la représentation que se font les Français de l'apprentissage demeure mitigée.

Selon un sondage récent 102 ( * ) :

L'appréciation est plutôt favorable sur le principe

Si 76 % des sondés considèrent que le système scolaire actuel ne prépare pas les élèves au monde du travail, ils sont 89 % à penser que le développement de l'apprentissage serait une mesure efficace pour lutter contre le chômage des jeunes, 83 % à considérer que les formations en apprentissage permettent de trouver un premier emploi plus facilement et 72 % à estimer que ce sont des formations comme les autres.

À une écrasante majorité (85 %), ils font davantage confiance à la formation, notamment en apprentissage, pour permettre une insertion durable des jeunes dans l'emploi qu'aux dispositifs de soutien à l'emploi, tels que les emplois d'avenir ou les contrats de génération.

En bonne logique, ils sont donc 93 % à penser que le Gouvernement devrait augmenter son soutien aux entreprises, notamment aux TPE-PME lorsqu'elles recrutent des apprentis.

L'image de marque de l'apprentissage reste négative dans les faits

Pour 63 % des sondés, les formations en apprentissage conservent une mauvaise image, 43 % considérant encore qu'elles s'adressent en priorité aux jeunes qui rencontrent des difficultés scolaires.

Le déficit d'information n'est toujours pas comblé

L'attitude des 15-25 ans n'est pas hostile à ce cursus : à 61 %, ils se déclarent intéressés par le suivi d'une formation en apprentissage et 89 % des parents se disent certainement ou probablement disposés à conseiller ce type de formation à leurs enfants.

En même temps, 69 % des sondés jugent qu'ils sont mal informés sur ces formations et persistent à penser, à 75 %, qu'il est difficile de trouver une place d'apprenti en entreprise .

b) Un bilan médiocre

Alors que l'objectif affiché par le Gouvernement est d'atteindre le seuil de 500 000 jeunes sous contrat d'apprentissage d'ici à 2017, d'une part, et que chaque élève inscrit en centre de formation des apprentis trouve un employeur, d'autre part, l'effectif recensé par cette filière ne s'établissait qu'à 273 094 en 2013, soit un recul préoccupant de 8 % par rapport à l'année précédente.

Les seniors contre les jeunes ?

Le 28 avril dernier, après sa visite dans un centre d'apprentissage, le Président de la République a demandé que les chômeurs de longue durée puissent aussi bénéficier du statut d'apprenti « quel que soit leur âge », avec une rémunération maintenue au niveau de leur indemnisation.

Cette idée figure parmi les cent cinquante propositions du récent rapport « Mobiliser les acteurs économiques en faveur de l'emploi et de l'emploi des jeunes » du président-directeur général de GDF Suez, Gérard Mestrallet, président de la Fondation agir contre l'exclusion.

Sans méconnaître les difficultés liées au chômage de longue durée et à la nécessité de maintenir les seniors plus longtemps en activité, on rappellera toutefois que l'apprentissage est en principe réservé aux jeunes de seize à vingt-cinq ans .

2. Le modèle allemand

En 2014, selon l'OCDE, le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans culmine en France à 23,6 %. En Allemagne, il plafonne à 7,9 %. Du point de vue purement statistique, la comparaison entre les deux pays est cruelle.

Quelles sont les raisons qui expliquent un tel écart ?

Une première réponse tient sans doute à la reconnaissance de l'apprentissage comme une voie d'excellence pour les jeunes Allemands, quand celui-ci ne relève bien souvent, en France, que d'un choix par défaut. Les racines du système de formation professionnelle allemand sont à ce point profondes qu'elles remontent au Moyen Âge. Aujourd'hui, l'Allemagne compte environ 1,6 million d'apprentis, soit plus de la moitié de ses jeunes ressortissants.

Le déplacement effectué par le rapporteur en Allemagne, à Cologne et Bonn, a été l'occasion de découvrir in situ l'organisation du système de formation professionnelle initiale, qui se confond largement, depuis les années soixante, avec l'apprentissage dans le cadre de la formation duale.

a) Organisation et fonctionnement

Comme en France, l'école est obligatoire en Allemagne jusqu'à l'âge de seize ans. À cet âge, deux choix sont possibles : continuer les études jusqu'à l' Abitur , l'équivalent du baccalauréat français, et éventuellement au-delà ; ou entrer en apprentissage dans une entreprise. Selon l'Institut fédéral pour la formation professionnelle (BIBB) 103 ( * ) , environ 55 % des jeunes qui quittent l'école intègrent la formation duale.

Si ce système est qualifié de « dual », c'est parce que la formation y est dispensée en alternance sur deux sites d'apprentissage : en entreprise, pour la partie pratique, et en école professionnelle, pour la partie théorique. Elle concerne l'ensemble des métiers, qu'ils soient manuels, administratifs, commerciaux ou bancaires.

Avant de pouvoir entamer sa formation, le futur apprenti doit lui-même trouver l'entreprise prête à le former, avec laquelle il conclut un contrat d'apprentissage de droit privé qui lui ouvre le droit de recevoir une rémunération au titre de sa formation.

La formation duale dure en moyenne entre trois ans et trois ans et demi. En général, l'apprenti passe 60 % de son temps en entreprise, 40 % à l'école, mais ce ratio peut différer non seulement d'un Land à l'autre, mais également d'une entreprise à l'autre. Chez Deutsche Telekom 104 ( * ) , le temps est réparti entre 80 % en entreprise et 20 % à l'école.

La réussite à l'examen final confère le droit d'exercer une activité professionnelle qualifiée dans l'une des quelque trois cent quarante professions réglementées, au sens non pas français du terme mais valant métier reconnu et répertorié.

Le financement du système repose sur le secteur privé. Dans l'une des dernières notes publiées sous son timbre, le CAS relève ainsi que, en Allemagne, « 92,7 % des nouveaux contrats d'apprentissage étaient financés par les entreprises et seulement 7,3 % l'étaient sur fonds publics » 105 ( * ) .

Les petites et moyennes entreprises représentent 80 % du tissu entrepreneurial allemand. Parce que celles-ci se trouvent souvent dans l'impossibilité de transmettre tous les contenus de la formation, soit par manque de personnel formateur approprié, soit en raison d'une spécialisation toute particulière, des centres de formation interentreprises ont été mis en place en vue de compléter la formation des apprentis.

Il est à noter que la formation duale ne se limite plus à l'apprentissage en Allemagne, elle s'est également développée dans le cadre des études supérieures , au travers des académies professionnelles et des universités de sciences appliquées. La compagnie Deutsche Telekom fait ainsi remarquer qu'elle est la seule à avoir développé toute la chaîne de formation. Considérant, comme le font d'ailleurs en général les chefs d'entreprises allemands, que la formation des jeunes est un devoir, elle s'est engagée devant les partenaires sociaux à former plus d'apprentis que nécessaire pour ses besoins propres, ceux qu'elle ne recruterait pas elle-même par la suite étant, en quelque sorte, formés par elle pour répondre aux besoins de ses concurrents 106 ( * ) .

En Allemagne, l'apprentissage fait depuis longtemps partie intégrante de la stratégie de développement à long terme des entreprises. Il leur permet de planifier les recrutements à venir en lien direct à leurs besoins en main-d'oeuvre et de disposer, à l'issue de la période de formation, de collaborateurs parfaitement adaptés et immédiatement opérationnels.

b) De nouveaux défis

Si le caractère exemplaire de la formation duale à l'allemande n'est plus à démontrer, celle-ci est aujourd'hui confrontée à d'importants défis, liés aux mutations du système éducatif et aux évolutions démographiques.

Tout d'abord, le système éducatif allemand se caractérise principalement par une orientation très précoce puisque celle-ci a lieu à l'issue du cycle primaire, lorsque l'enfant a environ dix ans. Or le recrutement dans le cadre du système dual s'est modifié au cours des dernières décennies au détriment des jeunes les moins favorisés , ce qui a nécessité la mise en place d'un système de transition professionnelle.

Ensuite, les jeunes filles sont toujours sous-représentées dans le système dual (elles n'en constituent que 40 % environ des effectifs) et concentrées dans un petit nombre de spécialisations qui offrent moins de perspectives de promotion que celles des garçons.

En outre, de plus en plus de jeunes se tournent désormais vers l'université , au détriment de la formation professionnelle : aujourd'hui, 20 % des jeunes décident de poursuivre leurs études. Ce phénomène est décrit en Allemagne comme « une folie universitaire » par les représentants de l'Institut pour la recherche économique 107 ( * ) , lequel pointe le manque de personnels déjà patent dans les secteurs de l'informatique et de l'ingénierie. Comme le souligne le BIBB, il importe de rappeler, encore plus qu'hier, et de « prouver que l'on peut faire carrière grâce à la formation professionnelle ».

Enfin, avec un taux de natalité particulièrement faible de 1,5 enfant par femme, l'Allemagne se prépare déjà à affronter un important défi démographique et anticipe, avec une angoisse palpable, des pertes sèches d'effectifs de jeunes disposés à suivre des cursus professionnels, leur préférant des parcours d'études généralistes.


* 102 CSA pour l'Institut Montaigne, 18 mars 2014.

* 103 Auditions du 11 mars 2014 au BIBB.

* 104 Auditions du 11 mars 2014 à Deutsche Telekom.

* 105 « Formation professionnelle initiale : l'Allemagne est-elle un modèle pour la France ? ». Centre d'analyse stratégique, note d'analyse n° 322, février 2013.

* 106 Auditions du 11 mars 2014.

* 107 Auditions du 12 mars 2014 à l'Institut pour la recherche économique.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page