II. LA FORMATION PROFESSIONNELLE SANS CESSE EN CHANTIER

A. UNE VISION D'ENSEMBLE PLUTÔT CONFUSE

1. Une accumulation de textes : cent fois sur le métier remettez votre ouvrage...

Le secteur de la formation professionnelle est vraisemblablement l'un de ceux qui a fait le plus souvent l'objet d'interventions législatives, avec une accélération tout à fait visible au cours de la dernière décennie.

a) Petit historique de la formation professionnelle

Des origines aux années 2000

- Décret-loi du 6 mai 1939 : premier cadre administratif et financier de la formation professionnelle

- 27 octobre 1946 : inscription du droit à la formation professionnelle dans le préambule de la Constitution, à côté du droit à l'instruction et à la culture

- 1949 : après la Seconde Guerre mondiale, création de l'ANIFRMO (association nationale interprofessionnelle pour la formation rationnelle de la main-d'oeuvre) au service de la reconstruction de la France (plus de 80 % des stagiaires sont alors formés rapidement à un métier du bâtiment)

- 1966 : naissance de l'Afpa, association pour la formation professionnelle des adultes, héritière directe de la précédente

- 1959 et 1966 : trois lois Debré (l'une sur la promotion sociale, autorisant l'organisation de cours du soir ; l'autre, sur la formation des militants syndicaux ; puis loi fondatrice du service public de la formation)

- ANI du 9 juillet 1970 : premier accord des partenaires sociaux sur la formation professionnelle concluant les négociations ouvertes à la suite des événements de mai 1968

- Loi Delors du 16 juillet 1971 : principe du financement privé de la formation par une obligation de dépense mise à la charge des entreprises de plus de dix salariés équivalant à 0,8 % de la masse salariale

- 1981 : création d'un ministère de la formation

- Loi Rigout du 24 février 1984 : élargissement du droit au congé individuel de formation ; obligation de négociation sur la formation au service des branches ou des entreprises

- 1989 : mise en place du crédit formation

- Loi du 4 juillet 1990 sur le contrôle et la qualité de la formation dispensée par les organismes afin de moraliser ce secteur peu encadré ; création d'un label de qualité délivré par l'Office professionnel de qualification des organismes de formation continue (OPQFC)

- Loi du 31 décembre 1991 : droit à la formation des salariés en CDD ; extension de l'obligation de financement de la formation aux entreprises de moins de dix salariés et aux professions libérales

- Loi du 17 juillet 1992 : grands principes de l'apprentissage

- Loi quinquennale du 20 décembre 1993 : réforme du financement de la formation professionnelle ; création des OPCA, organismes paritaires collecteurs agréés ; principe d'un capital temps formation pour permettre au salarié de suivre les actions de formation de son entreprise pendant le temps de travail

- Loi Aubry du 19 janvier 2000 : obligation de l'employeur d'adapter ses salariés à l'évolution de leurs emplois

L'inflation législative depuis 2003 93 ( * )

Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004

Loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social

Un droit individuel à la formation est créé pour l'ensemble des salariés (vingt heures par an, cumulable sur six ans).

Une partie de la formation pourra se dérouler en dehors du temps de travail et être rémunérée à hauteur de 50 %.

Création d'un contrat de professionnalisation pour les salariés à qualification insuffisante (ce contrat se substituera aux anciens contrats de qualification, d'orientation et d'adaptation).

Le recours à l'apprentissage est facilité.

La loi vise à clarifier le rapport entre les responsabilités de l'État et celles des partenaires sociaux ainsi qu'à définir les règles de la négociation collective.

Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005

Loi de programmation pour la cohésion sociale

Le volet Emploi prévoit :


• la création ou la labellisation de trois cents « maisons de l'emploi » regroupant les acteurs de l'emploi au niveau local ;


• un accompagnement « renforcé » vers l'emploi pour 800 000 jeunes en difficulté : incitations fiscales pour les employeurs et amélioration de la rémunération et du statut de l'apprenti ;


• la création d'un « contrat d'avenir » destiné aux allocataires des minima sociaux, conjuguant temps de travail et temps de formation ;


• des aides à la création de micro-entreprises par les chômeurs ;


• des mesures portant sur la prévision des mutations économiques et restructurations et sur les garanties de reclassement pour les salariés.

Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006

Loi pour l'égalité des chances

Trois outils : la formation d'apprenti junior, parcours inscrit dans le cadre de la formation en alternance ; le contrat première embauche 94 ( * ) , contrat à durée indéterminée assorti d'une période de consolidation de deux ans, destiné aux jeunes actuellement prisonniers d'un cycle cumulatif de contrats à durée déterminée, stages répétitifs et intérims sans lendemain ; un statut des stages, afin de mettre un terme à des abus qui enferment dans une forme particulière de précarité, voire d'exploitation, une jeunesse souvent très diplômée.

Loi n° 2006-457 du 21 avril 2006

Loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise

Dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise (Seje) et Contrat d'insertion dans la vie sociale (Civis)

Loi n° 2007-148 du 2 février 2007

Loi de modernisa-tion de la fonction publique

Extension du principe de formation tout au long de la vie à la fonction publique

Loi n° 2009-1437 du 24 novembre

2009

Loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie

Création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), destiné en priorité à la formation des salariés peu qualifiés et des demandeurs d'emploi.

Droit à l'information, à l'orientation et à la qualification. Élargissement des missions des OPCA.

Loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011

Loi pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels

Soutien au développement de l'alternance afin d'améliorer la situation et l'insertion des jeunes sur le marché du travail. Création d'une carte « étudiant des métiers » afin que l'apprenti bénéficie des mêmes avantages que les étudiants.

Sécurisation des parcours professionnels tout au long de la vie : développement de groupements d'employeurs pour offrir des emplois à durée indéterminée et à temps plein à des personnes qui, à défaut, auraient un statut précaire ; création d'un contrat de sécurisation professionnelle.

Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013

Loi relative à la sécurisation de l'emploi

Création d'un compte personnel de formation et d'un conseil en évolution professionnelle.

Droits rechargeables à l'assurance chômage pour les demandeurs d'emploi, modification des règles relatives au temps partiel.

Refonte du régime du chômage partiel.

Contenu des accords de maintien de l'emploi ; garanties apportées aux salariés, telle que l'interdiction de porter atteinte à l'ordre public social ou de baisser la rémunération des salariés touchant moins de 1,2 Smic par mois.

Réforme des règles relatives au plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) ou plan social.

Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014

Loi relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale

Mise en place d'un compte personnel de formation, qui suivra chaque travailleur pendant toute sa vie professionnelle.

Évolution du financement de la formation et la simplification des versements des entreprises.

Meilleur accès à la qualification via les contrats en alternance et la période de professionnalisation.

Création d'un conseil en évolution professionnelle.

Développement de la validation des acquis de l'expérience (VAE).

Renforcement des compétences des régions en matière d'apprentissage.

b) Un sentiment diffus d'inefficacité

De cette réglementation sans cesse mouvante, il est fort à parier que l'opinion publique retiendra l'idée que les pouvoirs publics ne parviennent pas à élaborer un dispositif d'ensemble cohérent et efficace.

Il demeure aussi, comme l'indique la Fédération de la formation professionnelle 95 ( * ) , que le système français de formation reste figé sur l'idée que chaque formation conduit vers un secteur spécifique - parfois même un métier précis - et, qu'en miroir, l'exercice d'un métier suppose d'être détenteur de la formation qui lui correspond précisément. Il en résulte des freins à la reconversion professionnelle et aux déroulements non linéaires de carrière, faisant obstacle à la mobilité des travailleurs et, par conséquent, à leurs souhaits d'évolution et à leurs perspectives d'ascension dans l'échelle sociale.

On en revient, une fois encore, à la nécessité de dispenser des compétences générales, transversales, mobilisables, déclinables, pour être en mesure d'occuper des emplois dans différentes branches professionnelles. C'est, en tout cas, l'exemple assez convaincant que donnent notamment l'Allemagne, l'Autriche ou le Royaume-Uni.

2. Les acteurs de l'orientation professionnelle

Sans entrer dans le détail des organismes, fort nombreux, qui dispensent des formations professionnelles initiales ou continues, ou dans les procédures et circuits de financement, la délégation a interrogé les deux principaux spécialistes de l'orientation pour recueillir leur sentiment sur les orientations souhaitables.

a) L'Onisep, spécialiste de la formation initiale

L'Office national d'information sur les enseignements et les professions est un établissement public sous tutelle du ministère de l'éducation nationale 96 ( * ) .

Éditeur public, spécialiste de la voie professionnelle , l'Onisep élabore et diffuse toute l'information sur les formations et les métiers auprès des élèves, des parents et des équipes éducatives. Il publie par exemple des guides pratiques des « Métiers par ceux qui les exercent », illustrés d'exemples de professionnels en activité qui détaillent leur formation, leur parcours, leur journée de travail-type, le profil de leur emploi et leur salaire.

Ses missions sont :

- d'offrir aux jeunes, à leur famille et aux équipes éducatives, toutes les informations sur les études et les métiers : 15 000 formations, 20 000 adresses d'établissements, 500 métiers... ;

- de recueillir, traiter, produire et diffuser l'information. L'Onisep enregistre environ trente-quatre millions de visites par an sur son site internet.

Son réseau est constitué, outre son siège situé en région parisienne, de vingt-huit délégations régionales et d'une liaison directe et constante avec le monde scolaire et l'environnement professionnel.

Les publics visés sont près de six millions d'élèves, de la 6 e au baccalauréat, deux millions d'étudiants et leurs familles, les professionnels de l'information et de l'orientation, ainsi que les équipes éducatives des collèges et des lycées, les partenaires socioprofessionnels.

Les relations avec d'autres intervenants

L'Onisep utilise aussi son réseau de délégations régionales pour orienter les élèves sortant des bacs professionnels. L'idée est non pas de se substituer à Pôle emploi mais d'aller au-delà des stages pour déboucher sur des emplois, le lien entre ces deux organismes paraissant cohérent en ce qu'il permet d'aller jusqu'à la formation tout au long de la vie.

Il a recours à des référentiels métiers, très développés donc pas forcément simples à manipuler. D'autant que d'autres référentiels sont élaborés par une autre structure, Centre Inffo, plus axée sur la formation continue, avec laquelle existent des problèmes de frontières depuis que, en application de la loi de 2009, le Gouvernement a choisi cette dernière pour être l'opérateur en charge de la formation. L'Onisep considère d'ailleurs que ce choix a rendu plus complexe encore le dispositif car Centre Inffo n'a pas de compétences en ingénierie documentaire, ni d'implantation territoriale et se préoccupe plutôt de la formation des formateurs. À son sens, la loi de 2009 a constitué une avancée mais son dispositif relève davantage de l'incantation que de l'opérationnalité et elle n'a pas su saisir l'occasion historique de réconcilier l'éducation, le territoire et l'insertion dans l'emploi.

Les difficultés pratiques constatées

Fort de son expérience, l'Onisep met en lumière quelques dysfonctionnements pratiques de la formation professionnelle qui mériteraient d'être corrigés :

- il n'existe pas de dispositif de validation française des formations professionnelles suivies à l'étranger ;

- en France, les stages sont réservés aux étudiants en voie professionnelle, et non aux lycéens, ce qui défavorise ces jeunes, notamment par rapport à leurs homologues allemands qui bénéficient d'un dispositif très efficace de plus de dix mille stages par mois spécifiquement dédiés aux lycéens ;

- le problème essentiel du site Internet de l'Onisep est que toutes les fiches métiers n'utilisent pas exactement la même langue dans leur présentation : on y a recours à un jargon technique non harmonisé d'un métier à l'autre, ce qui a d'ailleurs justifié la mise en oeuvre d'un moteur de sémantique pour en faciliter la lecture ;

- il faut poursuivre et renforcer la lutte contre les stéréotypes de genre qui continuent de faire des ravages en France. Les filières restent hyper-sexuées : en sciences, elles comptent 98 % de garçons ; en sanitaire et social, 87 % de filles. Dans ses présentations, le site de l'Onisep a choisi de « ringardiser les stéréotypes », notamment pour ce qui concerne les métiers de l'industrie.

b) Centre Inffo, axé sur la formation permanente

Opérateur historique de l'État, le Centre pour le développement de l'information sur la formation permanente assure une mission publique d'information destinée aux acteurs de la formation professionnelle (institutions publiques, centres d'information, partenaires sociaux, organismes de formation, formateurs, OPCA, entreprises, directions de ressources humaines, élus) et au grand public 97 ( * ) .

Il emploie une centaine de collaborateurs venant de tous horizons (journalistes, juristes, documentalistes, experts, formateurs...).

Centre Inffo est opérateur pour le portail Internet de l'orientation, créé par la loi du 24 novembre 2009, il anime le portail de formation professionnelle tout au long de la vie, ainsi qu'un nouveau système d'information dédié spécifiquement aux demandeurs d'emploi.

Principales mesures de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009
relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie

Composée de soixante-deux articles répartis en huit titres, cette loi retranscrit, pour une grande part, l'ANI - accord national interprofessionnel - conclu entre les partenaires sociaux le 7 janvier 2009 sur le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle, la professionnalisation et la sécurisation des parcours professionnels.

Outre la sécurisation des parcours professionnels, la simplification et l'amélioration des outils de formation et le renforcement de la coordination des actions de l'État, des conseils régionaux et des partenaires sociaux, la loi a prévu l'affirmation d'un droit à l'information, à l'orientation et à la qualification professionnelle :

- nouvelle définition des missions et de la composition du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) 98 ( * ) ;

- création d'un délégué à l'information et à l'orientation sous l'autorité de ce délégué, création d'un service dématérialisé gratuit permettant à toute personne de disposer d'une première information et d'un premier conseil personnalisé en matière d'orientation et de formation professionnelle.

Source : informations diffusées sur le site web du ministère du travail et de l'emploi

Le conseil d'administration de Centre Inffo est tripartite : les partenaires sociaux disposent de la moitié des sièges, les deux quarts restants étant respectivement attribués au groupe État-régions et à des personnalités qualifiées.

Spécialisé dans la formation professionnelle, cet organisme travaille sur l'évolution des emplois - et non sur les emplois proprement dits ou sur les compétences, lesquelles relèvent davantage d'autres structures. À la lumière de son expérience, Centre Inffo a constaté les évolutions suivantes :

la formation, autrefois centrée sur l'adaptation au poste de travail, vise désormais davantage l'employabilité : on cherche à construire un équilibre entre les intérêts de l'entreprise et ceux de l'individu - sur cette base se conçoit le principe de droits à la formation qu'on capitalise et que l'on conserve même après avoir quitté l'entreprise au sein de laquelle on les a constitués 99 ( * ) .

La formation n'est pas seulement initiale, elle vise tous les publics, tout au long de la vie. Elle doit inclure les modifications de parcours et anticiper l'évolution des métiers. En ce sens, il ne faut pas se limiter à l'adaptation aux métiers en tension mais intégrer dans les formations les débouchés à venir ;

le secteur de la formation comporte une grande quantité d'intervenants , dont Pôle emploi. Actuellement, la dépense en formations s'établit à environ un milliard d'euros.

Le problème de la certification des organismes de formation est donc fondamental, car celle-ci ouvre des droits : elle sert de base à des négociations collectives - notamment celles portant sur les augmentations de salaire - et elle permet des possibilités de reconnaissance de qualité. Certes, il existe un organisme de certification nationale des formations, la CNCP (Commission nationale de la certification professionnelle). Mais un grand nombre de structures interviennent aussi en la matière, et notamment celles accordant des « habilitations métiers », par exemple pour qu'un électricien puisse exercer. On aura besoin de références de certification opposables à l'avenir : il faut donc construire un dispositif souple, qui soit en mesure d'évoluer dans le temps, en même temps qu'évoluent les compétences. La tâche est complexe et n'en est qu'à ses prémices ;

on constate une évolution dans la demande des modes de formation : désaffection - peut-être liée au contexte économique - pour « l'offre-catalogue » des entreprises, c'est-à-dire celle fournie par des prestataires extérieurs ; augmentation des formations consistant à faire venir le formateur à l'intérieur de l'entreprise, ainsi que des mutualisations au sein d'un collectif d'entreprises pour limiter la dépense ; engouement pour la formation à distance ;

l ' articulation entre formation initiale et formation permanente est encore imparfaite. La notion fondamentale de parcours tout au long de la vie est en cours de construction : la formule que l'on voit apparaître désormais, notamment dans les accords nationaux interprofessionnels conclus par les partenaires sociaux, est celle de « formation différée ».

3. Une articulation perfectible

On l'a vu, les besoins de recrutement sont fonction de trois facteurs :

- le vieillissement de la population, qui conditionne les embauches remplaçant les départs en retraite ;

- les restructurations de l'appareil de production, qui modifient les profils de qualifications recherchés ;

- la croissance économique, qui influe sur la création d'emplois.

Les dispositifs de formation professionnelle ont donc pour mission d'anticiper les évolutions attendues sur le niveau et le profil des emplois à pourvoir et de mobiliser les différents circuits de qualifications : formation initiale, formation continue et validation des acquis de l'expérience.

Pour faire face aux besoins à venir, l'Afpa 100 ( * ) soutient l'idée d'une meilleure répartition entre formation initiale et formation continue , considérant que la tendance, particulièrement lourde en France, de confier à la formation initiale la charge essentielle de répondre aux besoins de recrutement n'est plus tenable aujourd'hui : « L'accélération des transformations des contenus de qualification suppose une meilleure répartition entre la formation initiale, l'effort de formation continue et les processus de développement professionnel par l'expérience (formation informelle). En fait, les transformations des emplois pénalisent une grande partie des jeunes mal préparés à un marché du travail qui favorise de plus en plus les compétences "transverses" et les profils "polycompétents" (employables dans des contextes différents) qui se construisent par l'expérience mais aussi par la formation continue. »

4. La situation de la formation en Europe

Depuis deux ou trois ans, la réflexion éducative européenne est focalisée sur l'objectif, un peu réducteur, de l'emploi et de l'employabilité.

Tout au long du fonctionnement de la dernière Commission européenne en exercice, des progrès ont été enregistrés : les grands indicateurs se sont améliorés en matière d'éducation, contrairement à ceux mesurant le taux d'emploi ou le niveau de pauvreté qui se sont dégradés.

La DG Éducation 101 ( * ) fixe des objectifs européens : lutter contre le décrochage scolaire, agir sur le niveau de diplôme, veiller à l'apprentissage de la lecture, etc. Elle essaie de se caler sur les États membres les plus performants pour éviter un nivellement par le bas. Par exemple, à partir des chiffres d'il y a dix ans qui dénombraient 20 % de décrocheurs scolaires à l'âge de seize ans, elle s'est assignée pour objectif de ramener ce taux à 10 % en 2020 (la France est à 11,5 %). Elle surveille aussi les enquêtes internationales comme Pisa.

Cela étant, on ne peut que constater l'ampleur de la tâche : si l'on se réfère à l'enquête Piaac - l'équivalent de l'enquête Pisa pour les adultes -, on observe des différences de niveaux considérables entre les vingt-huit États membres. Les combler ne pourra qu'être positif pour l'emploi futur.

Sur le plan politique, et même philosophique, il faut bien sûr raisonner à court terme mais plus encore à long terme, c'est-à-dire s'entendre sur le type de croissance que l'on souhaite pour demain afin que la population soit suffisamment innovante face à la concurrence des pays émergents. C'est aussi ainsi que l'on luttera contre la fuite des cerveaux ou la surqualification, c'est-à-dire le fait que des surdiplômés acceptent des emplois de niveau inférieur à ceux auxquels ils peuvent prétendre.

Pour ce qui est des emplois du futur, la DG Éducation dispose d'une analyse de prospective européenne sur les métiers de l'avenir et les formations à prévoir qui prend la forme d'un panorama des emplois et des compétences nécessaires.

Dans le cadre posé par la Commission européenne des trois branches identifiées comme prometteuses pour l'emploi - l'informatique, le secteur vert et le secteur blanc - la mission difficile de la DG Éducation est d'anticiper les vacances d'emplois et les compétences à détenir pour pouvoir les occuper. Et parce que cette tâche est délicate, la tendance actuelle est à la généralisation : on se réfère de plus en plus à l'acquisition de compétences transversales, à la faculté d'apprendre à apprendre.

Ce qui n'empêche pas de regretter qu'il n'ait pas été anticipé, voilà dix ans et en dépit des alertes lancées par certains, que l'on manquera d'au moins 700 000 informaticiens en Europe à l'horizon 2015.

a) Les grandes tendances

La formation initiale : des cursus trop longs

En matière éducative, on observe en Europe un tropisme lourd en faveur des formations longues . Certes, il existe en France un cursus de deux ans en IUT, formule pertinente mais qui n'est pas perçue comme une formation très attractive. La France compte 43 % de diplômés universitaires, soit un niveau élevé ; par comparaison, ce taux n'est que de 25 % en Italie. De son côté, l'Allemagne a mis en place un modèle dual au niveau de l'enseignement supérieur, qui fonctionne bien et qu'il faut distinguer de l'apprentissage ou de la formation en alternance.

Au niveau européen, après un investissement massif sur l'université, notamment grâce au programme Erasmus, la tendance actuelle est de favoriser l'apprentissage pour des périodes de deux ou trois ans, assuré essentiellement par les grandes entreprises.

Un exemple d'apprentissage engagé directement par une entreprise :
le programme Nestlé needs YOUth

Partant du constat qu'aujourd'hui, en Europe, un jeune de moins de vingt-cinq ans sur quatre est sans emploi, l'entreprise Nestlé, a lancé, le 15 novembre 2013, par la voix de Laurent Freixe, directeur général de la zone Europe, accompagné de la commissaire européenne à l'éducation Androulla Vassiliou et du ministre grec du travail Giannis Vroutsis, un vaste programme de lutte contre le chômage des jeunes en Europe, baptisé Nestlé needs YOUth .

Nestlé s'engage ainsi à créer, entre 2014 et 2016, 10 000 emplois et 10 000 contrats de formation ou d'apprentissage pour les jeunes de moins de trente ans, dans un large éventail de professions et de postes, de la fabrication et l'administration, à la vente et au marketing, en passant par la finance, l'ingénierie et la recherche et le développement.

L'initiative de Nestlé comporte également un programme « prêt à l'emploi ». L'objectif est de soutenir les jeunes en leur proposant notamment des ateliers de rédaction pour CV, des préparations aux entretiens, des conseils pratiques, ainsi que des forums dans les écoles et les universités.

Une vingtaine de pays sont concernés, du Portugal à l'Ukraine. Les contingents de postes les plus importants iront à la Russie (3 700), la France (3 000), l'Allemagne et la Suisse. Laurent Freixe souligne que ces embauches se feront essentiellement sous la forme de contrats à durée indéterminée.

Androulla Vassiliou s'est réjouie d'une telle initiative : « Je suis heureuse que Nestlé lance cette initiative dans toute l'Europe pour renforcer les compétences des jeunes et améliorer leur employabilité. Cette initiative soutient nos efforts pour donner de l'espoir et une chance aux jeunes. 20 000 jeunes auront ainsi la chance d'entrer sur le marché de l'emploi. Cela montre que le secteur privé peut lutter contre le problème du chômage des jeunes. Nous espérons que d'autres entreprises lanceront des initiatives similaires . »

Afin de créer d'autres postes, Nestlé va motiver ses fournisseurs à participer à cette initiative et à créer des postes d'employé, d'apprenti ou de stagiaire dans le cadre du programme européen « Alliance pour la jeunesse ».

Le programme Nestlé needs YOUth constitue la première manifestation concrète et chiffrée des engagements pris à l'été 2013, à Leipzig, par une douzaine de grandes entreprises.

La formation continue : encore trop peu performante

Dans un contexte général d'allongement du temps de travail et des carrières, rendu plus aigu par la survenance de la crise, la formation continue constitue un enjeu essentiel. Or, ce processus fonctionne assez mal, en France comme dans d'autres pays européens, tandis que l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, qui affichent des taux d'emploi élevés, en ont fait une priorité depuis un siècle ou davantage.

b) Mieux intégrer les nouvelles technologies dans le dispositif de formation

Selon les services de la Commission européenne, il est urgent que le monde de l'éducation prenne conscience de l'évolution des technologies et des mutations qui doivent s'opérer dans le rôle de l'enseignant, ce qui ne signifie pas, bien sûr, que l'on doive basculer vers un système uniquement constitué de cours en ligne et se passer des professeurs.

L'action principale est à opérer sur les sciences et les mathématiques, en incitant massivement les filles à intégrer ces filières où elles restent minoritaires. Cette différenciation par genre existe dans tous les pays, la France se situant dans la moyenne.

Il est impératif de former davantage les jeunes générations à ces matières, de promouvoir les cycles courts et de favoriser la qualification de techniciens et pas seulement de cadres. Telles sont les recommandations de la Commission européenne dans sa stratégie « Repenser l'éducation » du 20 novembre 2012 et dans son programme « Ouvrir l'éducation pour stimuler l'innovation et les compétences numériques dans les écoles et les universités » rendu public il y a dix mois.

Appliquer ces recommandations pourrait avoir pour effet de modifier la stratégie des quatre mille universités existant en Europe, et qui se trouvent en situation de forte rivalité. Un recours accru au numérique permettrait à chacune d'elles de choisir entre un positionnement local ou une mise en concurrence internationale, comme le font par exemple Harvard ou la Sorbonne, d'attirer des étudiants en stage d'été ou d'ouvrir des cours en ligne pour toucher des publics plus larges.

La DG Éducation espère la création de plateformes nationales sur les disciplines scientifiques, en liaison avec des enseignants et des entreprises dans chacun des vingt-huit États membres. Certes, il n'est pas de son ressort de fixer la définition des programmes d'enseignement nationaux mais elle a la capacité de constituer des sites d'information.

Elle est également favorable aux échanges entre professeurs sur le modèle du « eTwinning », qui soutient le jumelage entre écoles d'électronique et que cent mille enseignants utilisent déjà.

c) Les moyens financiers mobilisables au service de la formation

Le programme Erasmus +

Depuis 1987, le programme Erasmus finance des échanges d'étudiants et d'enseignants entre les universités et les grandes écoles européennes. Sa version Erasmus +, couvrant la période 2014-2020, se veut plus efficace pour l'emploi des jeunes, plus simple d'utilisation et plus innovante. Erasmus + se consacre à deux types d'actions :

- favoriser la mobilité des étudiants ou des apprentis ;

- nouer des partenariats stratégiques au niveau de la formation initiale professionnelle.

Ce programme emblématique de la construction du sentiment d'appartenance européenne n'a pas été affecté par les contraintes budgétaires : doté de 15 milliards d'euros sur sept ans, c'est le seul programme qui s'affiche en hausse même si, en 2013, les contributions des États membres ont été versées trop tard pour pouvoir boucler le budget dans les délais escomptés, ce qui a alimenté un temps la rumeur de sa disparition.

Les fonds structurels européens

Il est également possible de mobiliser le fonds social européen (FSE) au bénéfice d'un pays qui serait confronté à de grosses difficultés liées au décrochage scolaire ou au manque de qualifications.


* 93 Liste peut-être non exhaustive.

* 94 Qui a aussitôt disparu sous la pression de la rue...

* 95 Audition du 17 avril 2013.

* 96 Audition du 26 mars 2013.

* 97 Audition du 24 avril 2013.

* 98 Audition du 21 mars 2013.

* 99 C'est précisément la philosophie qui sous-tend la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale.

* 100 Note Afpa du 22 août 2013 « La relation emploi-formation en Europe et en France », Paul Santelmann. Veille « Emploi & Qualifications ».

* 101 Rencontre le 4 mars 2014 à Bruxelles avec la direction générale Éducation et culture de la Commission européenne.

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