C. LA FORMATION CONTINUE : UNE CONDITION DE LA MOBILITÉ

Depuis la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, les questions de formation continue occupent une place de plus en plus importante dans le débat public. C'est dans ce cadre qu'intervient le Conseil national de la formation professionnelle (CNFPTLV) tout au long de la vie, organisme tripartite qui regroupe des représentants de l'État, des régions et des partenaires sociaux. Le CNFPTLV remplit une triple mission de consultation, de concertation et d'évaluation des politiques publiques menées dans le domaine de la formation 108 ( * ) .

Aux termes de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, le CNFPTLV est appelé à fusionner avec le Conseil national de l'emploi (CNE) pour devenir le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop).

1. Vers une nouvelle approche de la formation continue ?
a) La formation continue est un investissement de développement durable

La question des lourdeurs et des dysfonctionnements des dispositifs de formation continue a fait l'objet, depuis longtemps déjà, d'un grand nombre d'études, rapports, propositions, réformes, sans parvenir vraiment à en infléchir l'image 109 ( * ) . Le sentiment général demeure que la formation professionnelle mobilise beaucoup d'argent, suscite la multiplication d'organismes qui la dispensent, sans réel contrôle de leur utilité ou qualité, et que peu de structures sont performantes et fiables. On considère en outre que leur lien avec le monde professionnel devrait être renforcé pour permettre l'adaptation des contenus pédagogiques aux besoins réels des entreprises.

On signalera toutefois une double évolution récente dans le discours qui mérite d'être signalée, bien qu'on puisse trouver singulier qu'elle n'ait pas été opérée plus tôt :

l'affirmation selon laquelle la formation professionnelle doit être clairement appréciée comme un investissement essentiel à la compétitivité des entreprises et des territoires, et non comme une simple dépense mise à la charge des entreprises.

L'illustre notamment le mandat confié par le ministère de l'économie et des finances à la FFP, fédération de la formation professionnelle, d'élaborer une grille d'indicateurs permettant aux entreprises de mieux rendre compte des impacts économiques et sociétaux de leurs investissements en formation professionnelle. La FFP a conduit , en 2012, une réflexion sur ce thème menée par un groupe de travail multipartite, dans le triple objectif de mesurer les effets de la formation professionnelle, de partager les bonnes pratiques et d'identifier les principaux indicateurs d'évaluation des politiques de formation des entreprises 110 ( * ) ;

le message d'accompagnement du projet de loi, devenu loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, l'emploi et la démocratie sociale, qui se propose, on serait tenté de dire enfin, de « réorienter les fonds de la formation vers ceux qui en ont le plus besoin : les demandeurs d'emploi, les salariés les moins qualifiés, les jeunes en alternance, les salariés des petites entreprises ».

Cette déclaration d'intention, dont on surveillera attentivement l'effectivité de sa mise en application, va dans le sens du diagnostic posé par les professionnels du secteur de la formation professionnelle, au premier rang desquels figure l'Afpa. Bien que fragilisée, notamment sur le plan financier, par la réforme qui lui a été imposée en 2009 111 ( * ) , elle demeure en effet l'opérateur de référence pour la formation des demandeurs d'emploi.

b) Les priorités de l'Afpa

Donner des perspectives d'évolution et de progrès

Acteur majeur de la formation professionnelle, l'Afpa considère que l'impératif absolu est de décloisonner et d'éviter de concentrer la formation sur le début de la vie . Il est en effet prioritaire, à son sens, de développer les aptitudes à la mobilité des personnes 112 ( * ) .

Le modèle scandinave ou allemand offre des possibilités de progresser tout au long de la vie, ce que notre système permet encore trop peu. Les ressources en formation après l'entrée dans la vie active restent mal organisées : si l'on interroge les jeunes en formation professionnelle, leur sentiment est qu'ils seront maintenus dans leur filière pour toujours et qu'il n'existe pas de seconde chance.

Or, l'expérience de travail doit aussi donner des perspectives aux travailleurs, et l'on en sous-estime les atouts. L'un des reproches que l'on peut adresser à Pôle emploi est de se limiter à la formation de base, sans tenir suffisamment compte de l'expérience de travail et de ce que celui qui cherche un emploi sait déjà faire.

Ne pas laisser se dégrader le niveau d'employabilité

Après quatre ou cinq ans de décrochage du monde du travail, le retour à l'emploi devient très problématique et il est plus que vraisemblable que cette fraction de la population active se trouve alors socialement exclue de toute possibilité de réintégration.

Dans les années soixante-dix, après trois mois de chômage, l'ANPE commençait à s'inquiéter et ce délai, bien qu'empirique, était assez juste. Actuellement, le seuil d'alerte se situe aux alentours d'une année de chômage, ce qui est très long. Il faudrait accélérer l'établissement d'un bilan d'employabilité.

Recruter des experts du monde de l'entreprise pour faciliter l'accompagnement des demandeurs d'emploi

Le niveau élevé des emplois non pourvus devrait inciter à entretenir des liens plus étroits avec les entreprises, pour anticiper leurs besoins, d'une part, et avec les services de placement, pour accroître leur degré d'opérationnalité, d'autre part.

L'exemple des jobs centers britanniques est une bonne illustration des améliorations possibles : leur personnel est largement composé de personnes qui ont été elles-mêmes confrontées au chômage et de professionnels du monde de l'entreprise, ce qui leur permet un fonctionnement plus efficace. À l'inverse, la tendance de Pôle emploi est plutôt de recruter, parmi ses effectifs, des diplômés à Bac + 3, qui ne sont pas familiarisés avec le monde de l'entreprise. La France reste un pays extrêmement sélectif à l'embauche, en fonction de l'âge, du genre ou de la race. Sur ce point du recrutement interne, l'Afpa présente l'avantage que tous ses formateurs proviennent du monde de l'entreprise, mais elle n'a ni la mission, ni le temps de démarcher les entreprises pour placer les stagiaires qu'elle forme. Elle risquerait, de surcroît, d'empiéter sur le champ de compétences de Pôle emploi.

Renforcer les contacts avec les entreprises

Si les effectifs de Pôle emploi sont assez proches de ceux de ses équivalents dans les pays étrangers comparables, son organisation, trop dispersée, nuit à son efficacité : on estime à environ six mille le nombre de prestataires de formations pour les jeunes et/ou chômeurs, niveau considérable qui entraîne une gestion chronophage et brouille le message destiné aux personnes en situation de demande.

Il ne paraîtrait pas illogique que, dans une structure dédiée au placement de chômeurs, 20 % du temps de travail soient consacrés aux contacts avec les entreprises. Or, tel n'est pas le cas actuellement, sans doute aussi en raison des frais que la mise en oeuvre de cet objectif pourrait occasionner, par exemple en déplacements ou en temps de formation perdu.

Un second avantage à tirer d'un renforcement des contacts avec les entreprises serait d'offrir l'opportunité de recueillir des informations sur les métiers, leur évolution, les nouvelles techniques, les matériaux innovants, les formations manquantes, toutes informations qu'il serait utile de rassembler et confronter. L'un des départements de l'Afpa a pour mission de suivre une vingtaine de secteurs professionnels (industrie, BTP...). Son travail serait enrichi si, localement, on trouvait le temps de recenser les informations sur l'évolution des techniques et de les agréger. Or, ces informations existent : on dispose par exemple de cent cinquante pôles de compétitivité très bien documentés sur les nouveautés des secteurs, mais qu'on mobilise trop peu.

• Oser l'innovation

À l'inverse, il est des secteurs où l'on manque d'organisme de formation. C'est par exemple le cas de la robotique, où cette situation s'explique par la faiblesse des débouchés et la lourdeur des investissements techniques à réaliser. De ce fait, ce secteur est majoritairement occupé par l'Allemagne et par la Corée. Il existe une sorte de tropisme français à la frilosité à l'égard de ces nouveaux champs d'innovation qui n'entrent pas dans nos modèles connus.

Garder le contact avec le terrain

On constate, pour le déplorer, un décalage entre les structures institutionnelles et les dynamiques locales, et cette sous-estimation des informations venant du terrain s'est plutôt aggravée depuis les années quatre-vingt-dix.

La prospective en matière d'emploi se fonde essentiellement sur la statistique et peu sur l'expérience et le ressenti professionnels, ce qui occasionne des erreurs d'estimation. Ainsi, dans des études passées, la Dares prévoyait pour 2015 sept millions d'ouvriers (et les chiffres montrent que ce devrait être beaucoup moins en fait) et quatre millions d'employés dans les professions intermédiaires (on anticipe plutôt un effectif d'environ six millions) ; or, bien qu'on ait perçu que ces données étaient erronées, elles n'ont pas été rectifiées. Dans le même ordre d'idées, il est prévu 5,5 millions d'emplois non qualifiés à terme ; l'Afpa les estime à quatre millions au maximum.

Toutes ces approximations faussent l'image professionnelle de la France et influence - parfois dans une mauvaise direction - le pilotage de son appareil de formation.

Simplifier les cadres de formation

Ne serait-il pas utile de recadrer le suivi des métiers et des qualifications ? On observe en effet que chaque micro-branche professionnelle revendique la création d'un CAP ou d'un Bac pro alors que certaines de ces formations, très proches, pourraient être valablement jointes.

2. S'inspirer des meilleurs pratiques européennes

Confirmant le mouvement à la hausse du taux de formation des salariés européens au cours des années 2000, une étude récente du Céreq 113 ( * ) présente un panorama quantitatif des dispositifs de formation continue au sein de l'Union européenne en distinguant les différentes modalités mises en oeuvre : en gros, celles qui relèvent de procédés classiques (cours et stages conçus pour des groupes de stagiaires et inspirés de l'école) et celles, moins structurées et plus individualisées, qui privilégient l'autoformation accompagnée, les échanges d'expériences et les applications sur le lieu de travail.

Sur cette base, les pays se classent en trois groupes :

- les « peu formateurs », caractérisés par une intensité de la formation encore faible mais en voie de renforcement : Croatie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Pologne, Lettonie et Lituanie ;

- les « poly-formateurs », qui forment à la fois par cours et stages et par les autres types de formation : Royaume-Uni, Suède, République tchèque, Slovénie et Allemagne, bien sûr, où le système d'apprentissage dual favorise les formations en situation de travail ;

- les « mono-formateurs », qui continuent de privilégier les formations classiques par cours et stages : Benelux, Espagne, Italie et France.

L'analyse du modèle français de formation continue

La France est emblématique de ce groupe de pays « mono-formateurs » : la formation continue s'est construite sur un modèle scolaire valorisant les cours et stages. L'obligation légale de financement de la formation continue par les entreprises les conduit à privilégier cette modalité, qui leur permet de s'acquitter au mieux de leur obligation de financement.

Dans cet environnement européen, la France présente deux caractéristiques saillantes. Tout d'abord, les salariés français ont une espérance de formation par cours et stages supérieure de 20 % à la moyenne européenne. En d'autres termes, les salariés français sont parmi les salariés européens qui se forment le plus souvent, et sur les durées les plus longues. En revanche, leur taux d'accès aux autres types de formation est fortement inférieur à la moyenne.

Source : Céreq

L'Afpa complète ce tableau par une analyse qualitative du dispositif français et considère que « le recours aux formules traditionnelles de formation ne permet pas de remédier au sous-emploi des jeunes et aux transformation de l'économie qui nécessitent des dispositifs plus intégrés dans le système de travail mais aussi des apports en matière d'élargissement des profils de compétences des ouvriers, employés et techniciens en emploi ou au chômage. Si les entreprises savent former à leurs techniques spécifiques, elles sont moins contributives à l'employabilité de leurs salariés. Par ailleurs l'organisation d'ensemble du système de formation français privilégie les premiers niveaux de qualification (dans une logique de spécialisation précoce obsolète) et les niveaux supérieurs au détriment des qualifications intermédiaires : les BTS et DUT sont devenus des marchepieds pour la poursuite d'études des jeunes et n'assurent plus l'alimentation des qualifications intermédiaires ; de plus, ils sont inaccessibles (en termes de contenu) aux ouvriers et techniciens expérimentés souhaitant progresser professionnellement ».

En gros, ce qui est ici souligné, c'est le paradoxe des licences pro : conçues à l'origine comme un circuit court et opérationnel pour l'emploi destiné aux jeunes en demande de formations de courte durée, elles ont été détournées de leur objectif premier. En constituant des passerelles vers les formations d'ingénieurs, elles absorbent les bons élèves, allongent les temps d'étude et privent l'industrie de personnels formés au niveau des qualifications intermédiaires.

3. Quelques comparaisons internationales : le regard de l'OCDE

Selon l'OCDE, en dépit des réformes successives, la formation professionnelle en France demeure le lieu de nombreuses inégalités, ne serait-ce qu'en termes d'âge ou de niveau de formation 114 ( * ) :

les jeunes, qui ne parviennent pas à accéder à l'emploi, sont mieux formés que les seniors ; or, si l'on veut que ces derniers prolongent leur période d'activité, il faut impérativement qu'ils aient davantage accès aux dispositifs de formation tout au long de la vie. Ce qui conduit l'OCDE à poser la question candide de savoir s'il est vraiment utile de former les travailleurs lorsqu'on constate qu'en France, les jeunes diplômés n'entrent pas sur le marché du travail et que les plus âgés en sont exclus trop tôt ;

en France, on se forme moins qu'ailleurs après l'école : un grand nombre de jeunes quittent le système scolaire sans aucun diplôme ni qualification, y compris dans les filières d'apprentissage, et ne seront que très rarement formés par la suite en entreprise, s'ils parviennent à être embauchés. Les lois récentes ont favorisé les éléments les plus performants et non ceux le plus en difficulté : la formation continue de profiter en pratique aux personnes déjà formées 115 ( * ) .

Les préconisations de l'OCDE s'appuient notamment sur le modèle allemand pour considérer que, s'il n'est pas totalement importable, il demeure très performant, ne serait-ce que pour le dispositif de remise à niveau des jeunes décrocheurs grâce au pré-apprentissage dont la France pourrait valablement s'inspirer ;

• elles tablent sur un engagement plus fort des employeurs dans la relation nouée avec les systèmes éducatif et de formation . Cette situation existe de manière efficace en Allemagne, dans les pays nordiques ou encore en Australie, où l'on organise des consultations sectorielles entre les syndicats, les employeurs et le dispositif de formation. Il faudrait inventer un système de qualification reconnu par les entreprises et cibler spécifiquement les très petites entreprises (TPE) dont les besoins sont particuliers : en impliquant davantage les grosses entreprises, on pourrait aussi aider les plus petites.

Sur ce point, quelques exemples encore : celui du réseau constitué entre les PME italiennes, qui mutualisent ainsi leur formation ; celui de l'expérience conduite au Danemark, où l'on constate parfois aussi des situations de chômage de jeunes très qualifiés : le service public de l'emploi a décidé de placer ces jeunes diplômés auprès de PME, ce à quoi elles sont en général réfractaires car elles craignent les difficultés inhérentes à ce phénomène de disqualification.

Or, les résultats ont été très positifs, d'abord pour les jeunes qui sont ainsi entrés en activité, ensuite pour les PME qui ont accru leurs performances grâce à des qualifications et des compétences dont elles ne disposaient pas auparavant.


* 108 Audition du 21 mars 2013.

* 109 Voir notamment le rapport de Bernard Seillier pour la mission commune d'information sénatoriale n° 365 (2006-2007) « Formation professionnelle : le droit de savoir » du 4 juillet 2007.

* 110 La présentation de ces travaux a eu lieu au cours d'un colloque tenu le 18 février 2013, en présence d'Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, et Thierry Repentin, alors ministre en charge de la formation professionnelle et de l'apprentissage.

* 111 Voir sur ce point le rapport d'information Sénat n° 298 (2013-2014) de Claude Jeannerot, au nom de la commission des affaires sociales, « L'Afpa : quel avenir pour un acteur majeur de la formation professionnelle ? », janvier 2014.

* 112 Audition du 16 avril 2013.

* 113 Bref du Céreq n° 312, « Formation continue des salariés en Europe : les écarts entre pays se réduisent encore », Jean-François Mignot, juillet 2013.

* 114 Audition du 28 mars 2013.

* 115 Il faut espérer que la mise en oeuvre de la loi récente du 5 mars 2014 rectifiera cet état de fait.

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