CONCLUSION

En choisissant de s'intéresser aux emplois de l'avenir, la délégation avait l'idée, peut-être un peu naïve, de dresser une sorte de panorama des secteurs d'activités qui embaucheront demain, dans notre pays, les enfants qui sont actuellement en cours de formation.

Dans le contexte actuel d'un taux de chômage élevé, qui affecte tout particulièrement les jeunes, elle espérait y trouver des signaux plus optimistes à l'intention des générations qui se présenteront, d'ici à dix ou quinze ans, sur le marché du travail.

Son objectif était d'essayer de dégager quelques grandes tendances et de s'assurer que le système de formation, initiale ou continue, se mettait déjà en phase avec les futurs besoins de recrutement.

Depuis mars 2013, elle a procédé à trente et une auditions, entendu cinquante-neuf spécialistes, conduit des entretiens dans la Vienne, effectué un déplacement auprès des institutions européennes à Bruxelles et une visite en Allemagne à Cologne et Bonn, notamment auprès de l'institut fédéral allemand de la formation professionnelle.

Sa première conclusion est que ce n'est pas d'un manque de documentation sur les emplois de l'avenir que nous souffrons. Ce serait même plutôt de l'excès inverse : nous disposons d'une masse considérable de données, de notes, de rapports, d'études en tous genres provenant des innombrables acteurs qui interviennent, à des titres divers, dans le secteur de l'emploi ou de la formation.

D'où une interrogation : est-il vraiment utile de mobiliser autant d'énergie pour enrichir encore ce volume considérable, et néanmoins difficilement exploitable pour les jeunes ou leurs familles, d'informations ?

Deuxième constatation : tous ces interlocuteurs, chacun dans leur sphère respective de compétences, extrapolent en effet le potentiel de tel ou tel secteur d'emploi. Leur raisonnement est parfois étayé de manière très scientifique, sur la base de statistiques par exemple, ou bien il procède de manière plus empirique, en fonction des activités qui sont dans « l'air du temps ». Mais quelles que soient leurs modalités de réflexion, ce ne sont jamais tout à fait les mêmes secteurs qui se détachent comme prometteurs . Se dégagent toutefois deux tendances lourdes qu'on retrouve dans toutes les analyses :

- en faveur des nouvelles technologies - l'informatique notamment - d'une part ;

- et de tout ce qui relève, au sens large, de l'aide à la personne, en raison du vieillissement attendu de la population française, d'autre part.

Mais pour le reste, qu'il s'agisse par exemple des emplois industriels, des professions intermédiaires, des métiers verts liés au développement durable, les appréciations sont contrastées et parfois divergentes. Ce qui ne simplifie pas la tâche de l'observateur, ni d'ailleurs celle des parents qui voudraient aider à la future orientation professionnelle de leurs enfants.

La troisième observation, et elle conduit à faire preuve d'humilité, c'est qu'en dépit de toutes ces analyses détaillées parfois à l'unité près, on ignore en fait largement quels seront les métiers de demain . Avec l'évolution des techniques, des technologies, du numérique, de la robotique et d'autres encore, entre un tiers et 70 % de ces métiers d'avenir - là de nouveau, les chiffres divergent - sont encore inconnus aujourd'hui . Ils consisteront soit en des emplois tout à fait nouveaux, soit en des évolutions du contenu des emplois existants qui en modifieront profondément l'exercice.

D'où la question du candide : comment peut-on se former aujourd'hui à des emplois dont on ignore à peu près tout ? Surtout si l'on ajoute que, avec l'accélération de la société et de la mondialisation, il est à peu près certain qu'une grande part de ce que l'on apprend aujourd'hui sera déjà obsolète deux ans plus tard.

La conclusion à en tirer est double :

- d'abord, il faut s'attendre, et ces tendances sont déjà à l'oeuvre, à une modification profonde des conditions dans lesquelles on travaillera demain : horaires, environnement de et dans l'entreprise, localisation des emplois, fractionnement des carrières, tout est en train de changer et il convient absolument d' intégrer cette dimension de mobilité à toute réflexion prospective en matière d'emplois ;

- ensuite, il faut remettre en question la nature des savoirs à enseigner aux enfants en cours de formation, pour qu'ils acquièrent ce concept barbare d'« employabilité » qui leur permettra, demain, d'entrer sur le marché du travail.

En gros, plutôt que de continuer à les former à des métiers très précis - qui peut-être n'existeront plus le moment venu -, ne faut-il pas leur inculquer des compétences transversales qu'ils sauront mobiliser quel que soit leur futur secteur d'exercice professionnel ? On pense par exemple à la maîtrise des langues étrangères et de l'informatique, à l'appréhension des enjeux de développement durable ou à la capacité à s'exprimer en public, à défendre un projet, à travailler en équipe. Il reviendrait ensuite à l'entreprise d'assurer la formation correspondant précisément aux compétences attendues.

La question se pose alors de l' adéquation de notre système éducatif à effectuer cette mutation, au moment où plusieurs enquêtes, et notamment Pisa qui compare, au sein des pays de l`OCDE, les compétences des jeunes parvenus en fin de période d'obligation scolaire, mettent en lumière une dramatique dégradation du niveau des jeunes Français.

De la même manière, il est apparu que le dispositif de formation professionnelle initiale des jeunes, comme celui de formation des demandeurs d'emploi, restait trop ignorant des besoins réels des entreprises et pouvait encore orienter les uns et les autres dans des voies professionnelles sans débouchés ou non opérationnelles. L'enseignement dual, mis en oeuvre par exemple en Allemagne, est un bon exemple des liens à tisser entre le monde du travail et celui de la formation. De la même manière, les grandes entreprises - Deutsche Telekom, Nestlé... - qui assurent elles-mêmes la formation d'apprentis contribuent à l'adéquation de l'offre aux besoins.

Enfin, quatrième préoccupation, ce qui est inquiétant c'est que bon nombre des difficultés soulevées par la délégation ne sont pas nouvelles . Que l'on parle de l'image de marque des cursus professionnels dans l'opinion publique, l'apprentissage notamment qui reste trop souvent un choix par défaut, que l'on évoque la pénurie de ressources dans les secteurs scientifiques ou de l'ingénierie, que l'on déplore la place trop restreinte des femmes dans certaines carrières, l'expatriation des jeunes diplômés, le taux élevé de décrochage scolaire ou les inégalités devant la formation tout au long de la vie, tous ces sujets et d'autres encore, bien qu'évoqués depuis longtemps, ne paraissent pas en voie d'amélioration. Que faut-il faire pour instituer un dispositif plus réactif et davantage en phase avec une société en pleine mutation ?

*

Sur la base de ce constat, la délégation préconise :

pour rendre plus lisibles les perspectives immédiates :

- de demander aux nombreuses structures publiques qui réalisent des projections en matière d'emploi d'établir des documents moins complexes, plus maniables et d'une lecture plus accessible ;

- d'accroître la capacité d'accueil et l'orientation des effectifs dans les formations dédiées aux domaines déjà identifiés comme prometteurs, tels ceux de l'informatique ou l'ingénierie et ceux liés aux soins, y compris le secteur médical et médico-social ;

- de renforcer les liens entre le monde du travail et les étudiants, d'une part, et avec les structures en charge de la formation et du placement des demandeurs d'emploi, d'autre part, afin de mieux tenir compte des besoins en qualification des entreprises et des perspectives réelles d'embauche.

pour favoriser la réindustrialisation :

- d'anticiper les tendances à la réindustrialisation en encourageant le suivi de formations scientifiques non seulement dans les niveaux de qualification élevés mais aussi dans les professions intermédiaires ;

- de continuer à promouvoir la féminisation des emplois en élargissant le spectre des secteurs d'activités susceptibles d'accueillir les femmes, sans exclure les carrières scientifiques où leur taux de présence ne correspond pas à leur niveau de réussite scolaire.

pour préparer l'employabilité des générations futures :

- de généraliser le recours aux nouvelles technologies pédagogiques par l'éducation nationale en faisant porter l'effort dès les classes primaires ;

- d'ajouter aux savoirs à transmettre l'acquisition de compétences transversales et mobilisables dans plusieurs domaines futurs d'activité, en s'inspirant le cas échéant des modèles d'éducation étrangers plus performants ;

- de conforter la politique en faveur de la formation professionnelle duale et de créer des dispositifs efficaces permettant, par ce biais, de réintégrer dans des cursus opérationnels les décrocheurs scolaires.

pour promouvoir des carrières plus évolutives :

- de veiller à l'efficacité du dispositif législatif dédié à la formation tout au long de la vie dans le sens de l'adaptabilité des carrières et d'en permettre l'accès effectif au plus grand nombre ;

- d'encourager la mobilité, tant professionnelle, sociale que géographique, des travailleurs.

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