D. ACCÉLÉRER L'OUVERTURE DES DONNÉES ET CONTENUS CULTURELS NUMÉRISÉS LIBRES DE DROITS

Le secteur culturel produit un grand nombre de données publiques, dont la directive 2003/98/CE de 2003 n'a pas encadré la réutilisation 349 ( * ) . La directive modificative 2013/37/UE du 26 juin 2013 inclut dorénavant dans son champ le « matériel culturel » numérique et sa réutilisation « à des fins éducatives, professionnelles et de loisirs » 350 ( * ) , dans les limites de la spécificité du cadre juridique de la propriété intellectuelle et de la propriété des oeuvres originales. Il est donc essentiel d'avancer dans l'ouverture de ces données dont la particularité réside dans la part qu'y tiennent les contenus numérisés.

Il convient en effet de distinguer entre les données culturelles informatives, qui sont sricto sensu des données, et les contenus culturels numérisés. Les premières comprennent des statistiques , - par exemple la fréquentation des musées -, des éléments descriptifs, - en particulier les catalogues des ouvrages établis par les bibliothèques publiques et les notices biographiques, les instruments de recherche inventoriant les fonds d'archives publiques ou encore les métadonnées de description des oeuvres picturales ou photographiques. Les contenus culturels, quant à eux, sont les oeuvres elles-mêmes, livres, enregistrements sonores, images, vidéos notamment, que la numérisation permet dorénavant de diffuser très largement.

Une part croissante de ces données et contenus culturels est d'ores et déjà accessible sur les portails du ministère de la culture ou les sites des établissements publics culturels nationaux ou locaux et, pour certains jeux de données, sur la plateforme Etalab , ce qui permet au plus grand nombre de les consulter et assure la diffusion des oeuvres, de la langue et des collections françaises bien au-delà de leurs lieux matériels de conservation ou d'exposition.

L'ouverture aux fins de réutilisation est en revanche plus limitée. En effet, si les difficultés juridiques et techniques paraissent pouvoir être aisément surmontées en ce qui concerne les données, la situation est de toute évidence plus complexe s'agissant des contenus culturels.

• Ouvrir gratuitement les "données culturelles"

L'ouverture des données statistiques et économiques des institutions culturelles ne soulève pas de difficulté autre que celle de leur qualité intrinsèque et de la structuration des séries de données.

L'ouverture des métadonnées culturelles , quant à elle, est un enjeu important en matière de rayonnement du patrimoine national. L'exemple de JocondeLab 351 ( * ) et les potentialités offertes par les formats sémantiques standards pour connecter ces données entre elles montrent qu'il est possible de progresser rapidement, à partir d'une matière première déjà très structurée en raison de l'existence de normes de description précises dans les domaines concernés.

Afin de prévenir toute difficulté juridique tenant aux droits d'auteur des agents publics sur les données culturelles, - métadonnées, catalogues ou inventaires -, qu'ils produisent 352 ( * ) , le législateur pourrait envisager de préciser, dans le code de la propriété intellectuelle, que les données collectées par les agents publics relèvent en principe de leur mission de service public et que leurs modifications sont réputées intervenir pour l'intérêt du service 353 ( * ) .

Il conviendra ensuite de susciter la réutilisation de ces données dans le cadre de services et produits innovants, notamment pour développer le tourisme comme le font d'ores et déjà un certain nombre de collectivités locales et d'opérateurs privés, en mettant, par exemple, en relation des données culturelles et des données géographiques.

• Ouvrir à la réutilisation les contenus culturels numérisés entrés dans le domaine public

Seules les oeuvres entrées dans le domaine public sont susceptibles de réutilisation 354 ( * ) , sauf si leur numérisation ouvre des droits nouveaux 355 ( * ) .

Les modalités d'ouverture de ces contenus numérisés sont actuellement très disparates, de l'interdiction de toute réutilisation à l'ouverture la plus large sous réserve de respecter l'intégrité du document, en passant par la distinction entre la copie gratuite à des fins privées et la réutilisation tarifée de grandes quantités ou à des fins commerciales.

Ces conditions étaient jusqu'alors définies par les établissements culturels eux-mêmes, dans le cadre du régime dérogatoire défini à l'article 11 de la loi de 1978 356 ( * ) . La tarification retenue dans certains cas est justifiée par le caractère spécifique de la demande, en particulier le niveau de qualité de la reproduction, ou encore la nécessité de financer le programme de numérisation et les coûts de conservation, notamment la restauration des documents anciens.

La transposition de la directive du 26 juin 2013 n'oblige pas une révision fondamentale de ces pratiques. Pour autant, face aux enjeux, au premier rang desquels le rayonnement de la culture et de la langue françaises, et au vu des potentialités de réutilisation dans l'intérêt général, l'ouverture générale et gratuite des contenus entrés dans le domaine public et numérisés par les institutions culturelles publiques devrait être posée en principe, au moins pour toute réutilisation non commerciale .

Cette approche freemium permettrait de conserver en tant que de besoin, la tarification de la réutilisation commerciale massive de fichiers (appréciée en fonction de l'ampleur de la diffusion ou du nombre de documents téléchargés) ainsi que les services fournis à la demande, notamment des tirages de haute qualité ou des développements techniques sur mesure.

Enfin, la recherche de financements privés à titre gracieux, notamment dans le cadre du mécénat ou d'opérations de parrainage, peut être par ailleurs poursuivie afin de trouver des sources de financement alternatives.

• Généraliser les licences de réutilisation ouvertes

Le 14 mai dernier, la ministre de la culture et de la communication a annoncé la modification des conditions générales de réutilisation des données et documents des sites du ministère et leur placement sous licences ouvertes ( licences Creative Commons CC-BY-SA 357 ( * ) et licences Etalab ), conformément aux recommandations du rapport Ouverture et partage des données publiques culturelles 358 ( * ) .

Il convient de définir la ou les licences les mieux adaptées. Elles assurent toutes le respect de la propriété intellectuelle, la non dénaturation des données et la non exclusivité.

À cet égard, il apparaît souhaitable de ne pas autoriser des partenariats de numérisation comportant des clauses d'exclusivité quand bien même la directive modifiée l'autorise dans son article 11. Il en résulte en effet une appropriation temporaire des contenus, créatrice d'un nouveau droit sur des oeuvres appartenant au domaine public.

Quant aux clauses dites de share alike , elles sont à première vue très attractives dans la mesure où elles permettent de mettre à la disposition de tous les réutilisations conçues par des initiatives privées. Ces clauses peuvent toutefois être dissuasives à l'égard de certaines initiatives dont l'objet est commercial.


* 349 Voir chapitre III de la première partie.

* 350 Considérant 19 de la directive 2013/37/UE.

* 351 Voir le compte rendu de l'audition du 20 mars 2014, reproduit dans le tome II.

* 352 Voir supra II, C.

* 353 Suggestion formulée par M. William Gilles lors de son audition le 20 mars dont le compte rendu est reproduit dans le tome II.

* 354 La délimitation du domaine public pourrait être affinée. Voir par exemple en ce sens la proposition de loi AN (1573 - XIV e législature) visant à consacrer le domaine public, à élargir son périmètre et à garantir son intégrité, déposée à l'Assemblée nationale par Mme Isabelle Attard et plusieurs de ses collègues.

* 355 Notamment en cas de conception de photographies d'oeuvre en deux dimensions.

* 356 Voir chapitre liminaire, C.

* 357 Licence ouverte avec mention de l'auteur et nécessité de garder les adaptations ouvertes ( share alike ). Voir l'encadré sur les licences dans la première partie, II.

* 358 Voir première partie, II.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page