B. REPLACER LA RÉTENTION DANS UNE GRADATION DES MESURES D'ÉLOIGNEMENT ET DÉVELOPPER LES ALTERNATIVES À LA RÉTENTION

L'article 15 de la directive « retour » dispose en son paragraphe 1 :

« À moins que d'autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou procéder à l'éloignement, en particulier lorsque :

« a) il existe un risque de fuite, ou

« b) le ressortissant concerné d'un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement. [...] »

Cette disposition encadre donc strictement le recours à la rétention en en faisant explicitement l'ultime modalité d'éloignement en cas d'insuffisance d'autres mesures moins coercitives . Or, de l'avis général , et bien qu'en première analyse la Commission européenne ait considéré la transposition par la France de la directive comme conforme, l'esprit dans lequel la loi du 16 juin 2011 a transposé cette disposition ne correspond pas tout à fait à son objectif visant à faire de la rétention l'exception , en rupture avec la conception actuelle de l'administration qui fait de la rétention une étape obligatoire du parcours d'éloignement, selon l'expression des représentants de l'Ordre de Malte et de France terre d'asile.

C'est pourquoi vos rapporteurs proposent de repenser complétement les mesures d'éloignement afin d'y introduire une véritable gradualité en encourageant les départs volontaires (1), en développant les alternatives à la rétention, assignation à résidence ou placement en centre ouvert (2), et en limitant le recours à cette mesure ultime en cas d'échec d'une mesure coercitive préalable (3).

1. Encourager les départs volontaires
a) Généraliser les OQTF assorties de délai de départ volontaire

Conformément à l'article 7 de la directive « retour », toute « décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire » . Ce délai peut être prolongé « en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée du séjour, l'existence d'enfants scolarisés et d'autres liens familiaux et sociaux ». Il peut y être dérogé ou le délai réduit à une durée inférieure à sept jours dans des cas limitativement énumérés : « s'il existe un risque de fuite, ou si un demande de séjour régulier a été rejetée comme étant manifestement non fondée ou frauduleuse, ou si la personne concernée constitue un danger pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale ».

La loi du 16 juin 2011 a effectivement assorti l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) d'un délai de départ volontaire de 30 jours exceptionnellement prolongeable au-delà de 30 jours. Cependant, elle a également fait une application généreuse de la faculté offerte par la directive de refuser ce délai de départ volontaire . L'article L. 511-1 du CESEDA interprète ainsi le « risque de fuite » très largement en énumérant six hypothèses qui reviennent dans les faits à recouvrir peu ou prou toutes les situations dans lesquelles peuvent se trouver des étrangers en situation irrégulière, donc faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : entrée irrégulière ou maintien irrégulier sur le territoire sans sollicitation de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour, non-exécution d'une précédente mesure d'éloignement, fraude documentaire et défaut de garanties de représentations suffisantes. Or, comme l'indiquait M. Serge Slama, maître de conférences en droit public à l'Université Évry-Val d'Essonne, dans la contribution qu'il a fait parvenir à vos rapporteurs, « un étranger peut très bien être entré illégalement sur le territoire français et ne pas représenter de risque de fuite (par exemple s'il a des problèmes de santé, s'il est hospitalisé, s'il a un travail, s'il a un logement, des enfants scolarisés, un compte bancaire, des biens en France, etc.) ».

Il résulte de la rédaction retenue par la loi du 16 juin 2011 que la part des OQTF sans délai de départ volontaire reste importante malgré une diminution entre 2012 et 2013, puisqu'elle est de l'ordre du tiers du total des OQTF prononcées en 2013 :

2011

2012

2013

au 31 mai 2014

OQTF prononcées

59 998

82 535

88 948

37 779

dont OQTF sans délai de départ

Non connu *

32 667

28 603

12 406

soit un taux de :

-

39,6 %

32,2 %

32,8 %

* Recensement effectué à partir de 2012

Source : commission des lois à partir des données communiquées par la DGEF

Par ailleurs, le paragraphe 3 de l'article 7 de la directive prévoit la possibilité d'assortir le délai de départ volontaire de « certaines obligations visant à éviter le risque de fuite , comme les obligations de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé ».

Plutôt que de multiplier les OQTF sans délai de départ volontaire, il conviendrait donc d'accorder davantage d'OQTF avec délai de départ volontaire tout en faisant usage de mesures incitatives ou, en cas d'échec, coercitives. M. Serge Slama, proposait ainsi le dispositif suivant :

« La première étape serait que dès qu'une préfecture envisage de prendre une OQTF de convoquer l'étranger à un entretien à l'OFII pour être auditionné par un travailleur social et envisager l'organisation du retour. Le départ volontaire serait donc la règle. Ce délai de départ volontaire devrait être, comme le prévoit la directive « retour », modulé selon les circonstances et les cas de figure. Un étudiant étranger doit pouvoir achever de suivre ses études ; une famille avec enfants devrait pouvoir achever l'année scolaire ; un étranger malade devrait pouvoir achever son traitement en cours ou se rendre à son rendez-vous médical. Dans le cadre de cette logique de mesures graduées et proportionnées, les préfectures, en liaison avec les travailleurs sociaux, doivent disposer d'une palette de mesures incitatives ou, en cas d'échec, coercitives, pour assurer l'effectivité de l'éloignement. Ces mesures peuvent être de « pointer » auprès d'une association spécialisée ou à l'OFII, d'être susceptible de recevoir la visite de travailleurs sociaux à son domicile, d'être assigné à domicile en pointant au commissariat ou dans des résidences « familiales » avec un système de monitoring social et familial. »

Il conviendrait donc de revoir la rédaction du 3° du II de l'article L. 511-1 du CESEDA, notamment pour supprimer de l'énumération définissant le risque de fuite les mentions renvoyant à l'irrégularité du séjour de l'étranger 51 ( * ) .

Proposition n° 5 : généraliser les obligations de quitter le territoire français (OQTF) avec délai de départ volontaire en les assortissant de mesures permettant aux autorités de suivre les préparatifs de départ (dépôt de documents en garantie, pointage, visite de travailleurs sociaux,...)

b) Mieux cibler le dispositif des aides au retour

Parmi les mesures incitatives développées pour encourager les retours volontaires figurent les aides au retour. Conformément à l'article L. 512-5 du CESEDA en effet, « l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français peut solliciter un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine, sauf s'il a été placé en rétention ». L'article R. 512-1-2 du même code vient en préciser le dispositif.

Réformée par un arrêté du ministre de l'intérieur en date du 16 janvier 2013 52 ( * ) afin de la simplifier 53 ( * ) , l'aide au retour est délivrée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) . Elle est constituée de deux volets.

Le premier volet, l'aide au retour en tant que telle, consiste, conformément aux articles 1 er et 2 de cet arrêté, en une aide administrative et matérielle à la préparation du voyage vers le pays de retour - réservation des billets de transport aérien, aide à l'obtention des documents de voyage, acheminement du lieu de séjour en France jusqu'à l'aéroport de départ en France et assistance lors des formalités de départ à l'aéroport. S'y ajoutent une prise en charge des frais de réacheminement depuis le lieu de départ en France jusqu'à l'arrivée dans le pays de retour couvrant le transport des personnes et des bagages dans la limite de 40 kg par adulte et 20 kg par enfant mineur (20 kg et 10 kg dans le cas de ressortissants communautaires), ainsi qu'une allocation d'un montant forfaitaire de 500 euros par adulte et 250 euros par enfant mineur, ces montants étant réduits à 50 euros et 30 euros dans le cas de ressortissants communautaires. Ces allocations sont versées en une seule fois, au moment du départ. L'ensemble de cette aide ne peut être délivré qu'une seule fois.

La réforme de l'aide au retour , entrée en vigueur le 1 er février 2013, avait pour objectif de mettre un terme aux « effets pervers connus [de ces aides], incitant les ressortissants européens à s'installer en France pour bénéficier d'une aide lucrative et inédite en Europe », selon le rapport annuel de performance annexé au projet de loi de règlement et d'approbation des comptes pour 2013. C'est pourquoi, elle a distingué deux régimes : l'un, de droit commun, pour les ressortissants des pays tiers, l'autre, dédié aux ressortissants communautaires, qui a connu une plus forte diminution des montants alloués. À la suite de cette réforme, le nombre des retours aidés a fortement diminué , passant de 17 573 étrangers faisant le choix du retour en 2012 à 7 386 en 2013, soit une diminution de 58 %. Cette diminution est plus marquée pour les ressortissants communautaires (- 82 %) que pour les ressortissants extra-communautaires (- 19 %), les premiers représentant désormais 26 % des bénéficiaires contre 74 % pour les extra-communautaires.

En effet, une étude sur l'impact de la nouvelle aide au retour menée au nom de l'OFII a montré que « si la diminution des montants des aides s'est accompagnée d'un recul très fort des retours des ressortissants communautaires, elle a eu un impact très limité sur le retour des ressortissants extra-communautaires, dont la décision de retour n'est pas principalement déterminée par l'incitation financière mais par des facteurs macro et micro, exogènes à l'aide financière et variables, selon les groupes de migrants » 54 ( * ) . Cette étude concluait donc à la nécessité d'améliorer la communication, notamment en direction du secteur associatif.

Le second volet est un « accompagnement financier pour la mise en oeuvre d'un projet de réinsertion » dans le pays de retour, d'un montant maximum de 7 000 euros. L'article 3 de l'arrêté précité précise que « l'examen et la sélection des projets de réinsertion sont assurés par l'OFII en fonction du caractère pérenne des projets, des revenus qu'ils sont susceptibles de procurer ainsi que de l'apport personnel de chaque bénéficiaire ».

Bien que le nombre de projets de réinsertion économique acceptés en financement ait augmenté de près de 50 % entre 2012 et 2013, l'OFII souhaite réformer cet accompagnement financier afin de le rendre plus efficace. Il indique ainsi dans son rapport d'activité pour 2013 vouloir notamment :

- « diversifier la nature des aides afin de réserver l'aide à la création d'entreprise aux projets offrant des gages accrus de viabilité, et offrir d'autres types d'aides aux publics ne présentant pas ces garanties [aides socio-éducatives, aide à la réinsertion par l'emploi ou par la formation] » ;

- « élargir le public éligible [...] pour les jeunes professionnels, étudiants afin qu'ils ne se maintiennent pas illégalement sur le territoire français à l'échéance de leur titre de séjour » ;

- « durcir les conditions d'attribution des aides à la création d'entreprise en augmentant la part d'apport personnel exigée [...] ».

Proposition n° 6 : revoir les critères d'attribution de l'aide à la réinsertion dans le pays d'origine de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) afin de la rendre plus efficace

2. Développer les alternatives à la rétention

À l'expiration du délai de départ volontaire, en cas d'échec des mesures incitatives, l'autorité administrative pourrait avoir recours à une mesure coercitive alternative à la rétention : l'assignation à résidence ou le placement en centre ouvert.

a) Favoriser l'assignation à résidence

L'assignation à résidence est un dispositif déjà ancien dans notre droit. L'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, introduit par la loi du 29 octobre 1981, prévoyait en effet que, saisi à l'issue d'un délai de 24 heures, le juge statue « sur une ou plusieurs des mesures de surveillance et de contrôle nécessaires à son départ ci-après énumérées :

« - remise à un service de police ou de gendarmerie de tous documents justificatifs de l'identité, notamment du passeport, en échange d'un récépissé valant justification de l'identité ;

« - assignation à un lieu de résidence ;

« - à titre exceptionnel, prolongation du maintien dans les locaux [de rétention]. »

L'assignation à résidence était donc le principe et la rétention administrative l'exception.

La loi du 24 août 1993 a inversé ce principe, la prolongation de la rétention administrative devenant la règle tandis que le juge peut prononcer, « à titre exceptionnel, lorsque l'étranger dispose de garanties de représentation effectives, l'assignation à résidence après la remise à un service de police ou de gendarmerie du passeport et de tout document justificatif de l'identité en échange d'un récépissé valant justification de l'identité et sur lequel est portée la mention de la mesure d'éloignement en instance d'exécution ». La loi du 26 novembre 2003 a encore durci le dispositif puisqu'elle a précisé en outre que « l'assignation à résidence concernant un étranger qui s'est préalablement soustrait à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière en vigueur, d'une interdiction du territoire dont il n'a pas été relevé, ou d'une mesure d'expulsion en vigueur doit faire l'objet d'une motivation spéciale » 55 ( * ) .

Sous l'influence de l'article 15 de la directive « retour », la loi du 16 juin 2011 a cependant profondément modifié l'assignation à résidence. À côté de la mesure d'assignation à résidence de l'article L. 552-4 du CESEDA, prononcée par le juge des libertés et de la détention saisi en vue de prolonger la rétention, une nouvelle mesure d'assignation à résidence a été créée, prononcée par l'autorité administrative, devenant ainsi une véritable alternative à la rétention . L'article L. 551-1 du CESEDA prévoit donc désormais qu'« à moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ».

Cette nouvelle assignation à résidence figure à l'article L. 561-2 du CESEDA qui dispose, de manière symétrique, que « dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque [...] qu'il se soustraie à cette obligation. » 56 ( * ) L'étranger astreint à résidence doit se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. L'autorité administrative peut également lui prescrire la remise de son passeport ou de tout document justificatif de son identité. Contrairement à la rétention, l'assignation à résidence est prononcée pour une durée maximale de 45 jours, renouvelable une fois.

À la suite de la circulaire du 6 juillet 2012, l'assignation à résidence a été systématiquement privilégiée dans le cas de familles avec enfants mineurs ( cf. supra ).

Au-delà du cas des familles cependant, il est nécessaire de développer l'assignation à résidence. Le ministre de l'intérieur, dans sa circulaire du 11 mars 2013, rappelait certes « que le principe de subsidiarité qui inspire la directive « retour » doit, pour les étrangers qui disposent de garanties de représentation propres à prévenir le risque de fuite, [...] conduire à privilégier l'assignation à résidence par rapport à la rétention ». Toutefois, les chiffres montrent combien cette mesure reste utilisée avec une extrême parcimonie.

Nombre de mesures d'assignation à résidence prononcées
au titre des articles L. 561-1 et L. 561-2 du CESEDA

2011

2012

2013

au 31 mai 2014

assignations à résidence

248

866

1 595

1 103

placements en rétention

25 014

23 069

24 173

10 807

Source : commission des lois à partir des données communiquées par la DGEF

Si l'on constate une réelle progression du nombre d'assignations à résidence prononcées par l'autorité administrative, ce dispositif reste cependant encore négligeable au regard du nombre de placements en rétention .

Pour développer l'assignation à résidence, il nous faut compléter et clarifier un régime juridique pour le moment « lapidaire voire lacunaire », selon les termes de M. Luc Derepas, directeur général des étrangers en France.

Les « garanties de représentation » pourraient ainsi être élargies conformément à la jurisprudence et inclure, outre les documents d'identité et de voyage, une adresse stable ou la perception de revenus. Une présomption de détention de garanties de représentation pourrait également être mise en place pour les personnes vulnérables en raison de leur âge, d'un handicap ou d'une maladie rendant nécessaire des soins, de même que pour les familles dont les enfants sont scolarisés, comme l'a proposé la représentante de l'Ordre de Malte lors de son audition. France terre d'asile a par ailleurs suggéré l'introduction dans la loi de la notion de « tiers garant », qui pourrait être un membre de la famille ou une association, ce qui permettrait en outre de responsabiliser l'ensemble des parties.

Proposition n° 7 : élargir l'acception des « garanties de représentation », introduire dans le CESEDA une présomption de détention de telles garanties pour les personnes vulnérables et les parents d'enfants scolarisés, ainsi que la notion de « tiers garant »

Cependant, il ressort des auditions que l'assignation à résidence comporte certaines limites.

En premier lieu, l'assignation à résidence demeure une mesure privative de liberté au même titre que la rétention. L'on se trouve toutefois confronté à ce paradoxe d'une rétention qui garantit davantage l'accès au droit du fait de la présence des associations dans les centres de rétention que l'assignation à résidence qui laisse les personnes livrées à elles-mêmes. Il est donc indispensable, parallèlement à l'essor de l'assignation à résidence, d'instaurer un dispositif pour pallier cette difficulté, en s'appuyant notamment sur les points d'accès au droit ou les maisons de la justice, par exemple en incluant cette prestation dans la convention qui lie le ministère de l'intérieur avec les cinq associations en charge de l'assistance juridique en rétention, ainsi que le recommandait l'ASSFAM.

Proposition n° 8 : mettre en place un dispositif d'assistance juridique pour les personnes assignées à résidence

Par ailleurs, en réponse au questionnaire budgétaire, la Direction générale des étrangers en France a signalé à notre ancienne collègue Hélène  Lipietz deux difficultés :

- la première concerne l'acheminement à l'aéroport en vue de l'éloignement et l'obligation de pointage, notamment pour les familles visées par une mesure de « réadmission Dublin » pour lesquelles les contraintes opérationnelles de la réadmission - heures de prise en charge fixées par le pays d'accueil, nécessité de réserver la navette aérienne - imposent un rapprochement de l'aéroport la veille du départ, n'offrant à la PAF d'alternative qu'entre un changement de lieu d'assignation à résidence et un placement en centre de rétention de courte durée ;

- la seconde a trait à l'absence de dispositions normatives incitant les familles à se rendre volontairement à leur rendez-vous consulaire ou à produire les photos nécessaires à l'établissement de leur laissez-passer, entraînant des difficultés pour réaliser les démarches nécessaires à l'établissement de la nationalité des familles et des laissez-passer consulaires.

b) Développer les centres ouverts

Une voie médiane pourrait donc prendre la forme d'un placement des personnes en instance d'éloignement dans des lieux de résidence désignés et pris en charge par les autorités. L' exemple belge des « maisons tortues », du nom de la ministre fédérale de la politique d'asile et de migration, qui les a mises en place, Mme Annemie Turtelboom, a souvent été cité par les personnes entendues par vos rapporteurs en audition. C'est pourquoi vos rapporteurs ont souhaité se rendre en Belgique afin de mieux cerner le dispositif mis en oeuvre.

Avant même la condamnation de la Belgique par la Cour européenne des droits de l'homme à raison de l'inadaptation des centres de rétention pour l'accueil d'enfants mineurs ( cf. supra ), les critiques adressées à l'encontre de la présence d'enfants en centre de rétention ont conduit dès 2006 le gouvernement belge à étudier une alternative à la rétention des familles avec mineurs. À partir de 2008 a débuté l'expérimentation des « lieux d'hébergement » ou « maisons de retour », d'abord pour les familles présentes sur le territoire puis, à partir de 2009, pour les familles arrivant à la frontière également.

Les « maisons de retour » accueillent des familles avec mineurs pour une durée de deux mois renouvelable une fois, la prolongation jusqu'à cinq mois devant être autorisée par décision du ministre. Le placement en centre ouvert équivaut formellement à un placement en centre de rétention, s'appuyant sur une motivation similaire ; les familles sont donc « écrouées ». L'hébergement se fait dans des maisons, anciens logements de fonction de policiers ou de gendarmes, réparties sur cinq sites : Zulte, Tubize, Sint-Gillis-Waas, Tielt ainsi que Beauvechain que vos rapporteurs ont visité. Il s'agit de communes de taille moyenne - Beauvechain compte par exemple environ 10 000 habitants - afin de faciliter l'insertion et l'acceptation par les populations. Il n'y a pas de présence policière, aucun dispositif de surveillance, aucun agent de l'administration ne reste sur site la nuit ou le week-end. Le seul personnel présent en journée est constitué d'« agents de soutien » du ministère de l'intérieur en charge de trois familles chacun, dont la tâche est avant tout de convaincre les familles de retourner d'elles-mêmes dans leur pays d'origine, mais également de les assister au quotidien et dans la préparation de leur départ.

Lieu d'hébergement de Beauvechain

Source : service public fédéral intérieur de Belgique

Après presque six ans, le bilan apparaît relativement satisfaisant. 633 familles comptant en tout 1 224 mineurs accompagnés ont séjourné d'octobre 2008 à mars 2014 dans les maisons individuelles des cinq sites, pour une durée moyenne de 24,1 jours. Sur 617 familles ayant quitté les « maisons de retour », 43,6 % ont été effectivement éloignées soit volontairement, soit contraintes, 26,9 % se sont évadées et 29,3 % ont été libérées - obtention d'une protection internationale au titre de l'asile pour près de 40 %, défaut de laissez-passer pour 12,2 % et expiration du délai pour 9,9 %.

L'administration belge souhaite cependant instaurer un dispositif gradué afin de faire diminuer le taux de disparition. Les familles seraient d'abord assignées à résidence et en contact avec des agents de soutien au service social de la commune de résidence. Passé le délai de retour volontaire, elles seraient placées en centre ouvert puis, en cas de fuite et s'il existe de véritables perspectives d'éloignement, elles seraient placées en centre fermé. Il n'existe cependant pas de consensus politique pour le moment pour mettre en oeuvre une telle réforme.

Vos rapporteurs ont été convaincus par l'intérêt des centres ouverts comme alternative aux centres de rétention fermés, à condition qu'ils s'inscrivent effectivement dans un parcours gradué d'éloignement.

Proposition n° 9 : mettre en place des centres ouverts sur le modèle des « maisons de retour » belges

3. Limiter la rétention aux cas d'échec d'une mesure coercitive préalable

Dans ce schéma, la rétention n'intervient donc qu'en ultime recours, après échec de mesures incitatives puis coercitives.

a) Préciser la notion de « risque de fuite »

C'est en ce sens qu'il convient d'interpréter les deux critères posés par l'article 15 de la directive « retour » pour autoriser le placement en rétention : l'existence d'un « risque de fuite » et le fait que « le ressortissant concerné d'un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement ».

Comme on l'a vu précédemment, la notion de « risque de fuite » est la pierre angulaire de l'ensemble du dispositif d'éloignement puisqu'elle commande à la fois la faculté pour l'administration de refuser un délai de départ volontaire et de privilégier la rétention sur l'assignation à résidence 57 ( * ) . Outre les modifications de l'article L. 511-1 suggérées ci-dessus 58 ( * ) , la mention « si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement » pourrait être remplacée par la référence à l'échec d'une mesure coercitive préalable, comme le proposait la représentante de l'Ordre de Malte à vos rapporteurs et à l'instar de ce qu'a prévu la circulaire du 6 juillet 2012 relative à l'assignation à résidence des familles avec enfant mineur. Une telle mesure permettrait d'introduire dans le CESEDA une véritable gradation dans les mesures d'éloignement.

Proposition n° 10 : ne permettre la rétention qu'en cas d'échec d'une mesure coercitive préalable (assignation à résidence ou placement en centre ouvert)

b) Permettre un contrôle judiciaire effectif du placement en rétention

Tirant le bilan de l'inversion des interventions des juges administratif et judiciaire par la loi du 16 juin 2011 à la lumière des chiffres de l'éloignement jour par jour ( cf. supra ), le député Matthias Fekl indiquait : « la comparaison complète des données statistiques 2011 et 2012 fait ressortir que le taux global de mise à exécution des mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière placés en rétention n'a que faiblement progressé entre les deux années, passant de 43 % en 2011 (8 969 sur 21 055) à 49 % en 2012 (9 636 sur 19 671) ; la forte progression du nombre d'éloignements réalisés avant la fin du cinquième jour de la rétention a en effet été compensée par une baisse pratiquement équivalente du nombre des éloignements opérés entre le sixième et le trente-deuxième jour de la rétention ».

Ce constat vient confirmer les craintes des associations qui déplorent, au surplus, l'accroissement du nombre de personnes éloignées sans qu'aucun contrôle du respect de leurs droits entre l'interpellation et leur arrivée en rétention n'ait été effectué.

Dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre, Matthias Fekl a donc conclu à la nécessité de réintroduire un contrôle juridictionnel effectif des conditions de privation de la liberté individuelle dans un délai très bref après le début de la rétention. Pour ce faire, il a étudié trois scénarios :

- l'extension des pouvoirs du juge administratif à la régularité de la procédure ayant conduit au placement en rétention - écartée au motif que le juge administratif ne pourrait, en vertu de la séparation des pouvoirs, assurer le contrôle des conditions d'interpellation réalisées sur réquisition de l'autorité judiciaire ou celui des placements en rétention postérieurs à des gardes à vue ;

- l'intervention du juge de la liberté et de la détention (JLD) dès le placement en rétention soit en maintenant une décision administrative, soit en la transférant au juge judiciaire à l'instar de ce qui existe pour la détention provisoire ;

- le retour à une saisine du JLD après 48 heures de rétention conformément au droit en vigueur avant la loi du 16 juin 2011.

Matthias Fekl a ainsi formulé la proposition suivante (n° 19) : « Si une intervention du juge judiciaire en amont ou dès le début de la rétention s'avère matériellement impossible à mettre en oeuvre, revenir à l'organisation qui prévalait avant l'entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2011, à savoir une saisine du JLD après 48 heures de rétention ».

Vos rapporteurs estiment effectivement nécessaire de poursuivre la réflexion sur l'articulation entre les deux juridictions, d'autant qu'ils s'interrogent sur les conséquences à tirer pour les pouvoirs du JLD à la suite de l'arrêt Mahdi rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 5 juin dernier. La Cour a en effet jugé que « le contrôle que doit effectuer l'autorité judiciaire saisie d'une demande de prolongation de la rétention d'un ressortissant d'un pays tiers doit permettre à cette autorité de statuer sur le fond, au cas par cas, sur la prolongation de la rétention du ressortissant concerné, sur la possibilité de substituer à la rétention une mesure moins coercitive ou sur la remise en liberté du ressortissant » 59 ( * ) . Il convient donc de réexaminer la conformité des dispositions du CESEDA à l'aune de cette décision, en particulier le fait que le JLD ne peut qu'à titre exceptionnel, ordonner l'assignation à résidence, conformément à l'article L. 552-4.

Si les évolutions proposées permettent de replacer la rétention comme ultime modalité d'éloignement forcé, votre rapporteur souhaite néanmoins que soit envisagée, à terme, la suppression pure et simple de la rétention administrative.

Proposition de Mme Éliane Assassi : envisager la suppression, à terme, de la rétention administrative


* 51 Le 3° du II de l'article L. 511-1 du CESEDA précise que le « risque que l'étranger se soustraie à [l']obligation [de quitter le territoire] [...] est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :

« a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;

« b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;

« c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; (...) »

* 52 Arrêté n° NOR INTV1300844A du 16 janvier 2013 relatif à l'aide au retour.

* 53 Précédemment, trois régimes étaient distingués : aide au retour volontaire (ARV), aide au retour humanitaire (ARH) et aide au retour sans pécule (AR).

* 54 Office français de l'immigration et de l'intégration, rapport d'activité 2013 .

* 55 Après codification de l'ordonnance de 1945 dans le CESEDA, cette disposition figure à l'article L. 552-4.

* 56 La loi du 16 juin 2011 a également mis en place une assignation à résidence pour l'étranger qui est dans l'impossibilité de quitter immédiatement le territoire français (art. L. 561-1) ; en outre, une assignation à résidence avec surveillance électronique est désormais prévue pour les parents d'enfants mineurs aux articles L. 562-1 et L. 562-3 du CESEDA.

* 57 On remarque d'ailleurs que l'article L. 561-2 relatif à l'assignation à résidence renvoie pour la définition du risque de fuite au II de l'article L. 511-1 sur les OQTF sans délai de départ volontaire.

* 58 Cf . II, B, 1, a, p. 39.

* 59 CJUE, 5 juin 2014, Bashir Mohamed Ali Mahdi , aff. C-146/14 PPU (§ 64).

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