II. LA RÉTENTION, ULTIME MODALITÉ D'ÉLOIGNEMENT FORCÉ

Comme le rappelait le ministre de l'intérieur dans sa circulaire du 11 mars 2013 sur la lutte contre l'immigration irrégulière 33 ( * ) , « la rétention administrative ne doit, en aucune circonstance, constituer une sanction du séjour irrégulier mais une modalité d'éloignement des étrangers qui ne présentent pas de garanties de représentation effectives ». N'ont donc vocation à se trouver dans les centres de rétention que les personnes pour qui il existe une probabilité forte d'éloignement effectif (A).

Ce rappel étant fait, vos rapporteurs se sont attachés à rechercher les moyens pour introduire une gradation dans les modalités d'éloignement en développant les alternatives à la rétention, qui ne doit intervenir qu'en ultime recours (B).

A. RENDRE À LA RÉTENTION SA VOCATION PREMIÈRE DE PRÉALABLE À UN ÉLOIGNEMENT CERTAIN

Pour reprendre les termes de l'article L. 552-7 du CESEDA, la rétention n'a de sens qu'à condition qu'il existe une « perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'éloignement ». À défaut, l'étranger en situation irrégulière devra être libéré. En 2012, selon les associations, tel a été le cas de 47,6 % des personnes placées en rétention 34 ( * ) : 20,9 % ont été libérées par le juge judiciaire, 7,9 % par le juge administratif, 10,5 % par la préfecture ou le ministère de l'intérieur, et 7 % à l'expiration du délai légal de rétention de 45 jours.

Ces chiffres montrent qu'il existe encore trop de placements illégaux, auxquels il faut mettre un terme (1). En outre, les problèmes d'identification des personnes retenues et d'obtention des laissez-passer consulaires demeurent (2), faisant douter de la pertinence du choix opéré par le législateur en 2011 d'allonger la durée maximale de rétention (3). Ce fort taux de personnes libérées démontre la nécessité d'un travail préparatoire qui éviterait dans bien des cas une rétention inutile car sans perspective d'éloignement effectif.

1. En finir avec les placements illégaux

L'article L. 551-1 du CESEDA énumère les cas dans lesquels un étranger « qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative ». Il s'agit :

- de l'étranger devant être remis aux autorités d'un autre État membre de l'Union européenne - « réadmission Schengen » (art. L. 531-1 du CESEDA), « réadmission d'office Schengen » (art. L. 531-3 du CESEDA) ou « réadmission Dublin » pour les demandeurs d'asile ayant formulé une première demande d'asile dans un autre État (art. L. 531-2 du CESEDA) ;

- de l'étranger qui s'est vu notifié soit une interdiction judiciaire du territoire français, soit une mesure administrative d'éloignement : obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai ou à l'expiration du délai imparti depuis moins d'un an, arrêté d'expulsion, arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) depuis moins de trois ans, interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) ;

- de l'étranger ayant fait l'objet d'une décision de placement à raison de l'un de ces motifs et qui « n'a pas déféré à la mesure d'éloignement dont il est l'objet dans un délai de sept jours suivant le terme de son précédent placement en rétention ou, y ayant déféré, est revenu en France alors que cette mesure est toujours exécutoire ».

A contrario , l'article L. 511-4 du CESEDA dresse la liste des personnes ne pouvant faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Ces catégories dites « protégées » ne pouvant faire l'objet d'une mesure d'éloignement sauf expulsion pour des motifs particulièrement graves 35 ( * ) , ne peuvent donc en aucun cas se trouver en centre de rétention. Parmi celles-ci figurent en particulier les parents d'enfant français, les conjoints de Français et les personnes en séjour pour soins. Pourtant, la représentante de l'Ordre de Malte entendue par vos rapporteurs a fait part de la présence de personnes appartenant à ces catégories en centre de rétention. Le rapport des associations précité confirme ce constat ; il fait d'ailleurs état de 223 personnes libérées pour état de santé en 2012.

Les catégories protégées contre l'éloignement selon l'article L. 511-4 du CESEDA

« Art. L. 511-4. - Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français :

« 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ;

« 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ;

« 3° (Abrogé)

« 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " ;

« 5° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

« 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ;

« 7° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;

« 8° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger relevant du 2°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage ;

« 9° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;

« 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé ;

« 11° Le ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ainsi que les membres de sa famille, qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 122-1. »

La circulaire du 11 mars 2013 précitée rappelle également que ne doivent être placées en centre de rétention les personnes répondant aux critères permettant une admission exceptionnelle au séjour , en application de l'article L. 313-14 du CESEDA. Les critères ont notamment été précisés par la circulaire du 28 novembre 2012 36 ( * ) .

Ces cas de placement illégaux ou contraires aux directives ministérielles résultent du défaut ou de l'insuffisance des démarches opérées en amont du placement en rétention par les autorités administratives, auxquels il pourrait être remédié par une étude préalable plus approfondie.

Proposition n° 1 : approfondir l'étude des cas en amont de la rétention, le cas échéant par un dialogue avec les associations, afin d'éviter les placements en rétention illégaux de personnes bénéficiant d'un droit au séjour ou susceptibles d'en bénéficier

Ces situations sont d'autant moins acceptables dans le cas des personnes interpelées en situation irrégulière sur la voie publique depuis que le législateur a, en décembre 2012, créé un dispositif spécifique devant éviter que des personnes bénéficiant d'un droit au séjour se trouvent placées en rétention : la retenue pour vérification du droit au séjour.

La retenue pour vérification du droit au séjour

Adoptée à la suite de trois arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2012 37 ( * ) qui tiraient les conséquences de deux décisions de la Cour de justice de l'Union européenne 38 ( * ) , la loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour 39 ( * ) a abrogé le délit de séjour irrégulier et introduit une disposition pénale sanctionnant le fait, pour un étranger en situation irrégulière, de se maintenir sur le territoire alors que des mesures propres à permettre son éloignement ont été effectivement mises en oeuvre 40 ( * ) . L'article L. 624-1 du CESEDA prévoit donc désormais que « tout étranger qui, faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion, d'une mesure de reconduite à la frontière, d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une interdiction judiciaire du territoire, se sera maintenu irrégulièrement sur le territoire français sans motif légitime, après avoir fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation à résidence ayant pris fin sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement, sera puni d'un an d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende ».

Cette loi a en conséquence substitué à la garde à vue une procédure spécifique de retenue d'un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français . L'article L. 611-1-1 du CESEDA prévoit que cette retenue ne peut excéder une durée de 16 heures à compter du début du contrôle.

L'article L. 611-1-1 du CESEDA prévoit en effet désormais que si, à l'occasion d'un contrôle d'identité sur la voie publique, « il apparaît qu'un étranger n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France, il peut être conduit dans un local de police ou de gendarmerie et y être retenu par un officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français. Dans ce cas, l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, un agent de police judiciaire met l'étranger en mesure de fournir par tout moyen les pièces et documents requis et procède, s'il y a lieu, aux opérations de vérification nécessaires . »

Il résulte de ces dispositions qu'en théorie, plus aucun bénéficiaire d'un droit de circulation ou de séjour ne devrait se trouver en rétention. Pourtant, l'ASSFAM a signalé à vos rapporteurs, lors de son audition, avoir constaté la présence en centre de rétention de personnes déplorant n'avoir pas été mises en capacité de prouver leur statut d'étranger en situation régulière. Le GISTI a également appelé à une plus grande diligence des officiers de police judiciaire pour aider la personne à justifier de son identité et de sa domiciliation, conformément à la loi.

Proposition n° 2 : mettre effectivement en mesure l'étranger retenu pour vérification de son droit au séjour de fournir les pièces justifiant de son droit au séjour afin d'éviter le placement en rétention d'étrangers en séjour régulier

Enfin, il convient de rappeler, à la suite du ministre de l'intérieur dans sa circulaire du 11 mars 2013, que le droit d'asile étant un droit fondamental, « un étranger dont la demande d'asile, même présentée en rétention, est pendante devant l'OFPRA, ne saurait en toute hypothèse faire l'objet d'une mesure d'éloignement ». Il en va de même lorsque la décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) d'une demande d'asile a fait l'objet d'un recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), à l'exception des demandes examinées dans le cadre de la procédure prioritaire.

Demande d'asile en rétention et procédure prioritaire

À son arrivée en centre de rétention, l'étranger reçoit notification de son droit à demander l'asile, en vertu de l'article L. 551-3 du CESEDA. Par dérogation au droit commun, la demande d'asile n'est plus recevable au-delà d'un délai de 5 jours suivant cette notification.

Une demande d'asile formulée en rétention ne présente pas en soi d'autre spécificité. Cependant, à la suite de la circulaire du 1 er avril 2011 41 ( * ) , les autorités administratives considéraient qu'une demande d'asile présentée après l'intervention de la mesure d'éloignement était nécessairement abusive et toute demande d'asile formulée en rétention était donc traitée selon la procédure prioritaire. Il était ainsi fait application de manière quasi-systématique de l'article L. 723-1 du CESEDA qui dispose qu'une demande d'asile peut être examinée en procédure prioritaire lorsqu'elle relève de l'un des cas prévus à l'article L. 741-4, en particulier du 4° de cet article qui vise les demandes dilatoires présentées dans le seul but « de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente ».

Or cette procédure prioritaire implique un examen par l'OFPRA de la demande dans un délai de 96 heures si l'étranger est placé en rétention (art. R. 723-3 du CESEDA). Le demandeur ne bénéficie pas du caractère suspensif du recours devant la CNDA (art. L. 742-6 du CESEDA).

Après avoir connu une baisse continue depuis 2010, le nombre de procédures prioritaires en rétention a connu une augmentation en 2013 : 1 096 en 2010, 970 en 2011, 963 en 2012 et 1 078 en 2013. Le délai médian de traitement des premières demandes s'est élevé à 5 jours en 2013 pour les demandeurs placés en centre de rétention tandis qu'il restait à 2 jours pour les demandes de réexamen 42 ( * ) .

Si toutes les demandes d'asile formées en rétention jusqu'à une date récente étaient examinées selon la procédure prioritaire, ce systématisme est appelé à évoluer du fait de la jurisprudence des juges européens. Par plusieurs décisions 43 ( * ) , la Cour européenne des droits de l'homme a, en effet, condamné le caractère « automatique » de la mise en oeuvre de la procédure accélérée d'examen d'une demande d'asile présentée en rétention « sans relation ni avec les circonstances de l'espèce, ni avec la teneur de la demande et son fondement ». Un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne a par ailleurs remis en cause l'automaticité du maintien en rétention d'un étranger ayant formé une demande d'asile postérieurement à son placement en rétention 44 ( * ) . La Cour a ainsi fait application de la directive « accueil » 45 ( * ) qui proscrit l'automaticité du maintien en rétention du demandeur d'asile mais l'autorise lorsqu'il existe « des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour ».

Pour tirer les conséquences de ces diverses décisions, le ministre de l'intérieur, dans une note d'information en date du 5 décembre 2013 46 ( * ) , a instauré un dispositif transitoire, dans l'attente de la transposition en droit français de la directive « accueil ». Il a ainsi invité les préfets à mettre fin au placement en rétention des étrangers dont le directeur général de l'OFPRA aura signalé que leur demande d'asile ne paraît pas manifestement infondée, nécessitant un examen plus approfondi. Le préfet doit en conséquence leur délivrer un sauf-conduit leur permettant de se rendre à la préfecture pour y accomplir les formalités qui leur incombent en leur qualité de demandeur d'asile. La demande d'asile est instruite en procédure normale ou en procédure prioritaire selon ses caractéristiques.

Ces évolutions vont dans le sens de la proposition formulée dans leur rapport fait au nom de votre commission par nos collègues Christophe-André Frassa et Jean-Yves Leconte qui appelaient à une redéfinition, à partir de critères objectifs et non équivoques, de la notion de demande dilatoire, frauduleuse ou abusive 47 ( * ) .

Vos rapporteurs estiment, quant à eux, qu'il est urgent de transposer la directive « accueil », dont la date limite de transposition a été fixée au 20 juillet 2015, de manière notamment à intégrer dans le droit positif ces instructions ministérielles.

Proposition n° 3 : mettre le droit français en conformité avec le droit européen en supprimant l'automaticité de l'examen en procédure prioritaire des demandes d'asile en rétention et en limitant le maintien en rétention des demandeurs d'asile aux cas où la demande d'asile est manifestement dilatoire

2. La question persistante des anciens détenus

Comme on l'a vu précédemment, la rétention ne doit pas être la prolongation de la retenue pour suppléer aux carences des officiers de police judiciaire. De même, elle ne doit pas être la prolongation de la détention pour remédier aux difficultés d'identification ou d'obtention des laissez-passer consulaires .

C'est pourtant encore trop souvent le cas : l'ASSFAM a ainsi dénoncé le placement systématique en centre de rétention à leur sortie de prison des personnes sous le coup d'une interdiction judiciaire du territoire français. C'est la raison pour laquelle, à l'issue de leurs auditions, vos rapporteurs ont choisi de visiter le centre de rétention du Canet, à Marseille, qui leur avait été signalé comme particulièrement représentatif des difficultés nées de la prolongation de la détention par la rétention. Le centre de Marseille accueille en effet un peu plus de 10 % de sortants de prison sur l'année (10,9 % en 2011 et 12 % en 2012 selon Forum réfugiés-Cosi), cette population pouvant représenter ponctuellement jusqu'à un tiers des retenus. Il en résulte une situation de grande tension.

Vos rapporteurs observent que cette problématique est loin d'être nouvelle puisque déjà en 2009, dans le rapport fait par la Cour des comptes à la demande de la commission des finances du Sénat ( cf. supra ), il était relevé que « l'éloignement des sortants de prison est une question lancinante et toujours pas réglée ». Et de constater : « L'administration devrait avoir tous les moyens de l'éviter en utilisant la période de prison pour préparer l'éloignement. Ce n'est pourtant pas toujours le cas. »

Le cas des détenus en fin de peine soulève deux questions distinctes.

En premier lieu, se pose la question de la coopération avec les autorités judiciaires et pénitentiaires . Dès 2004, un protocole a été conclu entre le ministère de l'intérieur et celui de la justice pour tenter d'améliorer l'identification des détenus avant leur sortie de prison, protocole qui se décline au niveau départemental. Cependant, comme le faisaient valoir les interlocuteurs de vos rapporteurs à la préfecture de Marseille, les anciens détenus placés au Canet sont originaires des prisons du département mais également d'autres départements limitrophes, avec lesquels il n'existe pas de tels protocoles.

Le rapport de la Cour des comptes faisait toutefois état d'autres initiatives relevant de la police aux frontières et citait deux exemples : celui de la direction départementale de la PAF de l'Essonne qui avait mis en place l'unité d'identification des sortants de prison ayant vocation, en liaison avec l'administration de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, de rechercher l'identité des étrangers en détention, d'entrer en contact avec les consulats pour obtenir les laissez-passer et de préparer les départs des étrangers en situation irrégulière ; un exemple similaire était relevé à Lyon.

En second lieu est posée la question de la coopération avec les autorités consulaires pour l'obtention des laissez-passer . Certains consulats refusent de se déplacer en établissement pénitentiaire alors qu'ils acceptent plus facilement de se rendre dans les centres de rétention, celui du Canet à Marseille étant au surplus équipé d'une salle de visioconférence.

Au-delà du cas spécifique de la rétention des anciens détenus cependant, vos rapporteurs notent que les difficultés d'obtention des laissez-passer consulaires restent le point d'achoppement de beaucoup d'éloignements, comme le montrent les chiffres publiés par la DGEF dans son rapport précité sur les étrangers en France.

Si l'on constate une amélioration du taux de délivrance des laissez-passer consulaires depuis 2008, le taux de 39,6 % en 2012 confirme que le défaut de laissez-passer demeure l'une des causes principales d'échec à l'éloignement . C'est pourquoi la circulaire du 11 mars 2013 précitée, dans son annexe 1, évoque la mise en place d'une stratégie d'action, fondée sur un dialogue bilatéral avec les États de provenance des étrangers en situation irrégulière, en cours d'élaboration avec le ministère des affaires étrangères pour faciliter la délivrance des laissez-passer. Ces conventions bilatérales devraient aborder la question spécifique des anciens détenus.

Proposition n° 4 : améliorer la coopération avec les autorités judiciaires et pénitentiaires, ainsi qu'avec les autorités consulaires afin d'éviter le placement en rétention de sortants de prison

3. Cantonner la prolongation de la rétention aux cas pour lesquels l'éloignement effectif reste probable

Les taux de délivrance des laissez-passer consulaires montrent par ailleurs que la part des laissez-passer délivrés hors délais reste constante, de l'ordre de 3 % depuis 2009 48 ( * ) alors même que, d'une part, le nombre de laissez-passer demandés a été divisé quasiment par deux et, d'autre part, la durée du délai utile a été prolongée de 32 à 45 jours, essentiellement pour répondre aux difficultés d'obtention de ces laissez-passer ( cf. supra ).

Le bilan de l'allongement de la durée maximale de rétention apparaît donc mitigé , la prolongation de la rétention n'améliorant que rarement les chances d'identification ou d'obtention de laissez-passer consulaires, ainsi que l'a montré le rapport de notre collègue député Matthias Fekl 49 ( * ) .

Répartition des éloignements d'étrangers en situation irrégulière placés en rétention effectués en 2011 et 2012, en fonction de la durée de rétention

Analysant ces données, Matthias Fekl souligne le faible nombre d'éloignements réalisés après la fin du 32 ème jour puisque ceux-ci représentent seulement 4 % des éloignements réalisés en 2012. Il en déduit que « la possibilité de prolonger la rétention au-delà d'un mois n'apparaît donc pas déterminante en matière de lutte contre l'immigration irrégulière » alors même que « son existence, en revanche, crée un risque que des étrangers qui ne pourront de toute façon être reconduits soient inutilement privés de liberté ».

Il rejoint en cela les représentants de l'Ordre de Malte, de France terre d'asile et du GISTI entendus par vos rapporteurs, qui ont dénoncé l'allongement à 45 jours de la durée maximale de rétention comme « punitive ». À l'instar du Contrôleur général des lieux de privation de liberté 50 ( * ) , ils préconisent donc un retour à une durée de rétention de 32 jours pour éviter en particulier les conséquences néfastes sur l'intégration sociale d'une rétention plus longue . La PAF a toutefois fait valoir devant vos rapporteurs une rupture d'égalité selon les nationalités, certains pays à structure fédérative ne pouvant délivrer de laissez-passer avant un certain délai.

Matthias Fekl propose donc, quant à lui, de prévoir, « en cohérence avec le principe énoncé par la directive du 18 juin 2008 et repris par le CESEDA (article L. 551-1), selon lequel le placement en rétention ne doit être envisagé que si celui-ci est strictement nécessaire », que « la durée maximale de la rétention est fixée à 30 jours, sauf pour les ressortissants des pays avec lesquels des accords bilatéraux prévoyant un temps de mise en oeuvre des procédures d'éloignement plus important ont été signés, vis-à-vis desquels elle pourrait atteindre jusqu'à quarante-cinq jours . »

Enfin, comme la représentante de l'Ordre de Malte le faisait observer à vos rapporteurs lors de son audition, parmi les placements en centre de rétention qui devraient être absolument évités en raison de leur inutilité, figurent ceux de personnes s'apprêtant à quitter d'elles-mêmes le territoire.


* 33 Circulaire n° NOR INTK1300190C du 11 mars 2013.

* 34 Ces données sont issues de Centres et locaux de rétention administrative, rapport 2012, réalisé par ASSFAM, Forum Réfugiés-Cosi, France terre d'asile, La Cimade et Ordre de Malte France. Elles correspondent donc aux données recueillies par les associations auprès des personnes retenues dans l'ensemble des centres de métropole ainsi qu'en Guyane.

* 35 Les articles L. 521-2 et L. 521-3 du CESEDA aménagent pour ces catégories protégées un régime d'expulsion complexe qui ne permet dans la plupart des cas l'expulsion « qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

* 36 Circulaire n° NOR INTK1229185C du 28 novembre 2012 sur les conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 37 Cour cass., 1 ère chambre civile, 5 juillet 2012, pourvois n os 11-30371, 11-19250 et 11-30530.

* 38 CJUE, gr. chambre, 28 avril 2011, Hassen El Dridi, alias Soufi Karim , et CJUE, gr. chambre, 6 décembre 2011, Alexandre Achughbabian .

* 39 Loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.

* 40 Cf . le rapport n° 85 (2012-2013) de M. Gaëtan Gorce, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l12-085/l12-085.html .

* 41 Circulaire n° NOR IOCL1107084C du 1 er avril 2011 : Droit d'asile. Application du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 dit «règlement Dublin«. Mise en oeuvre des procédures d'examen prioritaire de certaines demandes d'asile mentionnées à l'article L.741-4 du CESEDA.

* 42 Cf . OFPRA, rapports annuels 2012 et 2013.

* 43 CEDH, 20 septembre 2007, Sultani c. France , n° 45223/05, CEDH, 2 février 2012, I.M. c. France , n° 9152/09 et CEDH, 6 juin 2013, M.E. c. France , n° 50094/10.

* 44 CJUE, 30 mai 2013, Arslan , C-534/11.

* 45 Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte).

* 46 Note d'information du 5 décembre 2013 relative aux demandes d'asile présentées par des étrangers placés en rétention administrative en vue de leur éloignement. Suites à donner à la jurisprudence de la CEDH et de la CJUE (NOR INTV1327286N).

* 47 Droit d'asile : conjuguer efficacité et respect des droits , rapport d'information n° 130 (2012-2013) de MM. Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa, fait au nom de la commission des lois, disponible en suivant le lien : http://www.senat.fr/notice-rapport/2012/r12-130-notice.html .

* 48 De 2,3 % en 2008, elle est passée à 3,3 % en 2009, puis à 3 % en 2010, 2,7 % en 2011 et 2012.

* 49 Matthias Fekl, Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France , rapport remis au Premier ministre le 14 mai 2013, pp. 53-54.

* 50 Après avoir recommandé le raccourcissement à 32 jours de la durée maximale de la rétention administrative dès son rapport annuel pour 2012, le Contrôleur général a renouvelé cette recommandation dans son rapport annuel pour 2013 en la faisant figurer parmi les vingt mesures dont il demande la mise en oeuvre rapide (rapport annuel pour 2013, p. 91).

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