B. LA RÉTENTION AUJOURD'HUI

Avant de présenter les moyens mobilisés par la rétention administrative, il est apparu nécessaire à vos rapporteurs de situer celle-ci dans le cadre plus large de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière (1).

Les moyens de la rétention administrative se sont d'abord un parc de centres de rétention caractérisé par sa sous-occupation (2), dont la gestion fait l'objet de réflexions en vue d'une rationalisation (3).

1. La part de la rétention administrative dans l'exécution des mesures d'éloignement

Selon les derniers chiffres communiqués au Parlement par le ministère de l'intérieur 26 ( * ) , le taux d'exécution des mesures d'éloignement prononcées est en amélioration, étant passé de 18,9 % en 2011 à 23,3 % en 2012. Le nombre d'éloignements effectifs d'étrangers depuis la métropole était ainsi en 2012 de 36 822, dont 21 841 hors départs aidés.

Si l'on peut se féliciter de cette progression, vos rapporteurs relèvent toutefois que le taux d'exécution de ces décisions demeure faible, ainsi que le fait apparaître le tableau ci-dessous :

En comparaison, le taux d'exécution des mesures d'éloignement pour les personnes placées en centre de rétention est plus élevé , bien que le pic de 2012 apparaisse comme exceptionnel :

2010

2011

2012

2013

au 31 mai 2014

Personnes admises en CRA

27 370

25 014

23 069

24 173

10 807

Personnes retenues
effectivement éloignées

9 957

10 008

10 843

10 006

4 536

Taux d'éloignement

36,38%

40,01%

47,00%

41,39%

41,97%

Source : commission des lois à partir des données communiquées par la DGEF

2. Un parc de centres de rétention caractérisé par sa sous-occupation

Si le premier centre de rétention ouvert, celui du dépôt du Palais de justice de Paris, remonte à 1981, suivi en 1985 et 1986 par les centres de Lille Lesquin 1 et Nice-Auvare, la plupart des centres a été ouverte à partir de 1991 et plus de la moitié d'entre eux dans les années 2000. Après la fermeture pour vétusté des centres de Lille Lesquin 1 (39 places) en avril 2012 et de Bobigny (39 places) en juillet 2012, entérinée par un arrêté du 7 juin 2013 27 ( * ) , le parc compte aujourd'hui 23 centres de rétention répartis sur l'ensemble du territoire métropolitain pour une capacité d'accueil de 1 633 places au 1 er août 2013 . Le nombre de places est très variable selon les centres.

Capacité d'accueil des centres de rétention métropolitains

Dpt

Centre de rétention

Année
d'ouverture

Capacité d'accueil
(en nombre de places)

Taux d'occupation au 1 er semestre 2013
(en %)

06

Nice-Auvare

1986

38

70

13

Marseille-Le Canet

2006

136

57

30

Nîmes

2007

128

15

31

Toulouse-Cornebarrieu

2006

126

37

33

Bordeaux

2003

20

26

34

Sète

1993

30

35

35

Rennes-St-Jacques-de-la-Lande

2007

70

32

57

Metz

2007

95

29

59

Lille Lesquin 2

1996

86

39

62

Coquelles

2003

79

63

64

Hendaye

2008

30

47

66

Perpignan

2007

48

42

67

Geispolsheim

1991

35

63

69

Lyon-St Exupéry

1995

112

59

75

Paris 1

1995

60

83

75

Paris 2

2006

58

82

75

Paris 3

-

58

81

75

Palais de justice

1981

40

30

76

Rouen-Oissel

2004

72

30

77

Le Mesnil Amelot 2

2011

120

42

77

Le Mesnil Amelot 3

2011

120

40

78

Plaisir

2006

32

50

91

Palaiseau

2005

40

45

Source : commission des lois à partir des données communiquées par la DGEF

Le nombre de personnes retenues est en baisse constante depuis 2009 ; il a connu une diminution de 4,82 % en 2013 par rapport à 2012 28 ( * ) .

Nombre d'arrivées en rétention

Nombre de mineurs accompagnants*

2009

31 608

2010

27 450

2011

24 544

478

2012

23 492

98

1 er semestre 2013

11 843

17

* Le suivi statistique des placements de mineurs accompagnant un adulte a été mis en place en 2011.

Source : DGEF, réponse au questionnaire budgétaire

Quant aux mineurs, la Direction générale des étrangers en France (DGEF) indiquait en réponse au questionnaire budgétaire : « La circulaire du 6 juillet 2012 a eu pour effet de diminuer drastiquement le placement des mineurs en rétention en métropole qui a été divisé par 14 par rapport à l'année 2011 . Ces cas de placement en rétention de mineurs sont en outre effectués lorsque le placement en rétention est indispensable pour assurer l'éloignement, après l'échec d'autres mesures moins coercitives, et pour la durée la plus brève possible, souvent inférieure à 24 heures. »

Après avoir baissé régulièrement 29 ( * ) , le taux d'occupation moyen est en revanche en légère augmentation, passant de 43 % en 2012 à 48,3 % en 2013 , selon les chiffres de la DGEF. Cette progression est toutefois à mettre en parallèle avec la réduction du nombre de places. Ce taux moyen masque en outre de fortes disparités entre centres de rétention : supérieur à 80 % dans les centres de Paris-Vincennes, de 70 % à Nice et aux alentours de 60 % à Marseille, Lyon, Coquelles et Geispolsheim, il tombe à 15 % à Nîmes, 26 % à Bordeaux et se situe aux alentours de 30 % à Metz, Rouen et Rennes.

Cette sous-occupation chronique des centres de rétention a conduit notre ancienne collègue Hélène Lipietz, dans ses deux avis budgétaires successifs présentés au nom de votre commission 30 ( * ) , à préconiser une rationalisation du maillage territorial et la fermeture des centres de rétention les moins utilisés . Elle soulignait d'ailleurs « que la nouvelle politique d'assignation à résidence des familles avec enfants devrait contribuer à diminuer encore le taux d'occupation ». Lors de son audition, la Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), gestionnaire de la majorité des centres de rétention, a cependant fait valoir qu'il fallait tenir compte, dans un schéma de rationalisation des centres de rétention, d'une part, du fait que le remplacement des centres par des escortes n'était pas forcément économiquement rentable, et d'autre part, et surtout, que la réduction du nombre de centres signifierait un éloignement des personnes retenues de leur région d'origine, donc de leur famille, rendant plus difficile encore le maintien des liens familiaux.

3. Des efforts de rationalisation de la gestion des centres de rétention à poursuivre

Comme le rappelait notre ancienne collègue Hélène Lipietz dans ses rapports précités, le coût de la politique d'éloignement des étrangers en situation irrégulière fait l'objet d'une polémique, en particulier au regard de son manque d'efficacité ( cf. supra ).

La difficulté d'estimer avec précision son coût global à la seule lecture des différents documents budgétaires avait d'ailleurs conduit notre collègue André Ferrand, en sa qualité de rapporteur spécial de la commission des finances de la mission « Immigration, asile et intégration », à demander une enquête à la Cour des comptes sur la gestion des centres de rétention administrative, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances. Le résultat de cette enquête avait donné lieu à la parution du rapport précité de notre collègue Pierre Bernard-Reymond, en juin 2009 31 ( * ) . En réponse, le ministre de l'intérieur avait diligenté une enquête de l'inspection générale de l'administration. Chacune de ces enquêtes avait donc dû se pencher sur le budget et la gestion des centres de rétention. Depuis ces études, les conditions de la rétention administrative et, par ricochet, son coût, ont évolué, en particulier du fait de l'allongement de la durée maximale de rétention. Il serait donc nécessaire de se livrer de nouveau à une évaluation du coût de la rétention.

Vos rapporteurs observent toutefois qu'une réforme attendue semble enfin avoir été mise en oeuvre et commencé de produire des effets : l' optimisation de la gestion des centres de rétention administrative . Une première mutualisation était résultée du transfert de la gestion de l'ensemble des sites de la gendarmerie à la police aux frontières (PAF), achevée depuis fin 2011, conformément à une décision du conseil de modernisation des politiques publiques en date du 4 avril 2008 32 ( * ) . Cependant, les marchés d'entretien, de maintenance et de restauration restaient jusqu'à présent conclus au niveau local. Les services du ministère de l'intérieur avaient fait part à Mme Hélène Lipietz de leurs réflexions en vue d'une mutualisation de ces marchés et de l'élaboration de cahiers des charges nationaux, afin de réduire les frais de fonctionnement des centres de rétention. Dans cette perspective, les crédits affectés au fonctionnement hôtelier des centres de rétention étaient donc inscrits en baisse dans la loi de finances pour 2013.

Malgré les inquiétudes exprimées par notre collègue dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2014, le rapport annuel de performance annexé au projet de loi de règlement de l'année 2013 indique que « la réflexion lancée pour rechercher des économies grâce à la rédaction de cahiers des charges nationaux (critères uniformisés de passation des marchés sur certains postes et qui sera utilisé comme référentiel par les SGAP, mutualisation des marchés) sur les domaines de la blanchisserie, du nettoyage et de la restauration, a porté ses fruits ». Il constate ainsi une diminution des crédits de fonctionnement hôtelier consommés en 2013 par rapport à 2012 (26,30 millions d'euros inscrits en loi de finances pour 23,92 millions d'euros consommés en autorisation d'engagement (AE), soit - 16,94 %, et 25,01 millions d'euros en crédit de paiement (CP), soit - 13,94 %) qui résulterait d'une moindre consommation des crédits.

Il convient toutefois de noter que cette moindre consommation est également le résultat de plusieurs autres facteurs : fermeture du centre de Bobigny, diminution du nombre de retenus et transfert des dépenses liées aux moyens de transport terrestre, maritime et aérien vers la ligne « éloignement » (2,83 millions d'euros en AE et 2,81 millions d'euros en CP). La part d'économie relevant de la rationalisation de la gestion des centres de rétention est donc à relativiser, même si cet effort doit être poursuivi.

À l'issue de ce bref tableau de la rétention administrative aujourd'hui, vos rapporteurs ont souhaité réexaminer la place qu'occupe la rétention dans le dispositif d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.


* 26 Les graphique et tableau reproduits ici sont issus de Les étrangers en France, année 2012, dixième rapport établi en application de l'article L. 111-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile .

* 27 Arrêté n° NOR INTV1307620A du 7 juin 2013 modifiant l'arrêté du 30 mars 2011 pris en application de l'article R. 553-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 28 Cf . le rapport annuel de performance, annexe au projet de loi de règlement et d'approbation des comptes pour 2013.

* 29 Ce taux d'occupation moyen était de 68 % en 2008, 60%  en 2009, 55 % en 2010, 46,7 % en 2011 et 43 % en 2012, selon les chiffres communiqués par la DGEF.

* 30 Cf . ses deux avis budgétaires :

- Projet de loi de finances pour 2013 : Immigration, intégration et nationalité , avis n° 154 (2012-2013) de Mme Hélène Lipietz, fait au nom de la commission des lois, disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a12-154-11/a12-154-11.html

- Projet de loi de finances de finances pour 2014 : Immigration, intégration et nationalité , avis n° 162 (2013-2014) de Mme Hélène Lipietz, fait au nom de la commission des lois, consultable en suivant le lien : http://www.senat.fr/rap/a13-162-11/a13-162-11.html

* 31 Immigration : la gestion des centres de rétention administrative peut encore être améliorée , rapport d'information n° 516 (2008-2009) de M. Pierre Bernard-Reymond , fait au nom de la commission des finances sur l'enquête de la Cour des comptes relative à la gestion des centres de rétention administrative.

* 32 Tous les centres de rétention sont gérés par la PAF à l'exception des quatre centres parisiens qui dépendent pour leur gestion de la préfecture de police.

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