C. MIEUX ARTICULER L'INTERVENTION DES DIFFÉRENTS ACTEURS

Il ressort des nombreuses auditions menées par vos rapporteurs que la question de la qualité des relations entre les différents intervenants, c'est-à-dire essentiellement entre la préfecture, les fonctionnaires de la police aux frontières, les membres de l'association et l'OFII, revêtait une importance toute particulière pour le bon fonctionnement des centres de rétention.

En ce qui concerne les relations entre la préfecture et la PAF d'une part, les associations d'autre part, elles doivent composer avec une difficulté fondamentale : les premières ont pour mission d'expulser des étrangers hors du territoire national, ce qui les conduit parfois à considérer les associations comme des obstacles au bon accomplissement de cette mission, tandis que celles-ci soutiennent les personnes retenues dans leurs divers recours contre les mesures d'éloignement dont ils font l'objet, ce qui les rend souvent réticentes à participer à l'organisation des centres.

Malgré cette difficulté, il existe des « bonnes pratiques » qui permettent d'améliorer la vie quotidienne des centres de rétention. Il semble en être ainsi à Lyon, avec l'organisation de réunions trimestrielles sous l'égide de la préfecture. Dans d'autres départements en revanche, les relations semblent tendues ou quasi-inexistantes.

1. Les fonctionnaires de la police aux frontières

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a recommandé, lors de son audition, l'affectation de davantage de policiers expérimentés au sein des centres de rétention administrative. Il semble en effet que les fonctionnaires de police actuellement présents dans les centres soient souvent jeunes et peu expérimentés, ainsi que le soulignait déjà en 2006 le rapport précité consacré à la garde dans les centres de rétention : les vocations pour servir dans les centres sont rares et la majorité des affectations sont prononcées d'office en sortie d'école, de sorte que la majorité des effectifs de gardiens de la paix dans certains centres, spécialement en région parisienne, sont composés de fonctionnaires débutants et d'adjoints de sécurité. Le rapport souligne toutefois également que les demandes de mutation ne sont pas spécialement élevées, un certain nombre d'agents étant sensibles à la régularité des horaires, à l'absence d'imprévu qui permettent d'organiser plus facilement leur vie personnelle.

Or la mission de surveillance des personnes retenues exige sans doute une pondération et un sang-froid dont des agents expérimentés sont davantage susceptibles de faire preuve.

Par ailleurs, selon le Contrôleur général, ce sont trop souvent les personnels contractuels des titulaires des contrats de gestion des centres (entretien, restauration, etc.) qui sont au contact des personnes retenues, en lieu et place des fonctionnaires de police. Le GISTI suggère à l'inverse que la gestion administrative des centres soit confiée à des fonctionnaires non policiers, par exemple des agents de la préfecture ou de l'OFII, ou à des contractuels, la police se consacrant alors uniquement à sa mission de surveillance et de maintien de l'ordre. Pour l'heure et compte tenu du bouleversement de l'organisation de la rétention que représenterait une telle évolution, vos rapporteurs estiment qu'il est préférable, conformément à la recommandation du Contrôleur général, de renforcer la présence de fonctionnaires de police expérimentés.

Proposition n° 20 : s'efforcer d'affecter des personnels de police plus expérimentés dans les centres de rétention afin notamment d'améliorer les relations avec les personnes retenues

2. L'accès des associations humanitaires aux centres de rétention

Le paragraphe 4 de l'article 16 de la directive « retour » prévoit que « les organisations et instances nationales, internationales et non gouvernementales compétentes ont la possibilité de visiter les centres de rétention visés au paragraphe 1, dans la mesure où ils sont utilisés pour la rétention de ressortissants de pays tiers conformément au présent chapitre. Ces visites peuvent être soumises à une autorisation. »

L'article 67 de la loi du 16 juin 2011 prévoit qu' « un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'exercice du droit d'accès des associations humanitaires aux lieux de rétention ».

Or le décret d'application n° 2011-820 du 8 juillet 2011 est assez restrictif dans sa formulation : il prévoit notamment une double procédure d'habilitation et d'agrément pour les associations, limite l'habilitation à cinq personnes par association, limite le droit d'accès par centre à une seule association à la fois, oblige à avertir 24 heures avant la visite, prévoit que le refus d'habilitation peut être motivé par le nombre d'associations déjà habilitées, etc.

Postérieurement à l'entrée en vigueur de ce décret, la quasi-totalité des associations potentiellement concernées par le droit de visite ont refusé de solliciter l'habilitation, considérant que l'esprit de la directive était de permettre l'exercice d'un regard extérieur et d'une forme de contre-pouvoir, ce que la rigueur de la sélection des associations prévue par le décret rendait impossible.

Toutefois, le décret n° 2014-676 du 24 juin 2014 relatif à l'accès des associations humanitaires aux lieux de rétention a modifié cette situation en prévoyant que :

- l'habilitation est désormais ouverte « à toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq années, ayant pour objet la défense des étrangers, la défense des droits de l'homme, l'assistance médicale et sociale ou l'assistance aux personnes privées de liberté », ce qui n'exclut plus les associations déjà titulaires du marché d'assistance des étrangers dans les centres ;

- l'habilitation vaut pour cinq ans (et non plus trois ans) et l'agrément individuel est supprimé ;

- il n'y a plus de limitation du nombre d'associations habilitées ;

- le nombre de personnes autorisées à visiter les centres n'est plus de cinq par association pour tout le territoire mais de cinq par association au niveau national auxquelles s'ajoutent cinq personnes désignées par chaque association pour chaque lieu de rétention (centres ou locaux de rétention administrative) ;

- les refus d'accès ne peuvent être motivés que par des risques d'atteinte à l'ordre public ;

- un même lieu de rétention peut recevoir, au plus, la visite de cinq représentants d'associations habilitées par période de 24 heures (et non plus les représentants d'une seule association par jour).

En revanche, la visite doit toujours être annoncée 24 heures à l'avance.

Vos rapporteurs considèrent que l'ensemble de ces modifications permettent une transposition satisfaisante du paragraphe 4 de l'article 16 de la directive « retour ».

3. Le régime de visite des familles

Outre les aspects matériels évoqués ci-dessus, vos rapporteurs sont convaincus de la nécessité de réserver un meilleur accueil aux familles des personnes retenues, tant le soutien qu'elles leur apportent contribue à faire baisser les tensions dans les centres de rétention.

Selon les termes de l'article 20 du règlement intérieur fixé en application de l'article R. 553-4 du CESEDA : « les étrangers retenus peuvent recevoir la visite de toute personne de leur choix... », les visiteurs devant se soumettre au contrôle de sécurité prévu. Des instructions ministérielles en date du 1 er décembre 2009 ont prévu un temps minimal de visite, sauf nécessité de service, de trente minutes. Selon le Contrôleur général, ce temps n'est pas toujours respecté. Il pourrait d'ailleurs souvent être dépassé (ce qui arrive fréquemment dans certains centres), sans dommage pour le fonctionnement des centres de rétention.

Par ailleurs, le Contrôleur général souligne que le droit de visite des familles et des proches ne doit pas être conditionné à la régularité de leur séjour : « la venue de proches de la personne retenue doit être garantie, sans naturellement exiger de ces proches quelque condition que ce soit au regard de la régularité du séjour. Le droit fondamental des liens familiaux transcende les obligations nées des lois françaises. Les visites ne doivent avoir aucune conséquence sur la présence des membres de la famille sur le territoire. »

Le Contrôleur général souligne toutefois que la plupart des responsables des centres de rétention ont compris cette nécessité.

4. Le rôle de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)

L'article R. 553-13 du CESEDA définit les missions de l'OFII de la manière suivante : « les étrangers placés ou maintenus dans un centre de rétention administrative bénéficient d'actions d'accueil, d'information, de soutien moral et psychologique et d'aide pour préparer les conditions matérielles de leur départ, qui portent notamment sur la récupération des bagages des personnes retenues, la réalisation de formalités administratives, l'achat de produits de vie courante et, le cas échéant, les liens avec le pays d'origine, notamment la famille. Pour la conduite de ces actions, l'État a recours à l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Une convention détermine les conditions d'affectation et d'intervention des agents de cet établissement public . »

En application de cet article, une convention a été signée par l'OFII et le ministère de l'intérieur le 27 juin 2012, prévoyant les modalités selon lesquelles les « médiateurs » de l'OFII (40 médiateurs environ sur le territoire national) accomplissent leurs missions dans les centres de rétention.

Le bilan des activités assurées en centre de rétention en 2013 par l'OFII

Actions d'accueil, d'information, de soutien moral et psychologique :

- 18 434 entretiens de premier accueil ont été réalisés par les médiateurs pour évaluer les besoins des retenus en termes d'aide matérielle au départ (16 692 en 2012, soit + 10,4 %) ;

- 30 832 entretiens complémentaires ont eu lieu, visant à apporter un soutien moral et psychologique aux retenus et à assurer le suivi des démarches en leur faveur (26 767 en 2012, soit + 15 %).

Achats de première nécessité (tabac, cartes de téléphone...) :

- 46 457 achats (38 744 en 2012, soit + 19,9 %).

Aide à la préparation du retour :

- 2 079 remboursements de mandats (1 438 en 2012, soit + 44,5 %) ;

- 542 démarches de clôture de comptes bancaires (464 en 2012, soit + 16,8 %) ;

- 1 234 démarches de récupération de bagages (1 185) et 357 récupérations (244, soit + 46,3 %) ;

- 442 démarches de récupération de salaires dont 106 ont abouti (108), soit - 1,8 %).

Source : OFII, rapport annuel 2013

Malgré les efforts récemment accomplis ( cf . l'encadré ci-dessus) par l'OFII pour remplir ses missions dans le cadre de la convention qui lie l'Office au ministère de l'intérieur, plusieurs associations regrettent une présence insuffisante dans certains centres en termes de plages horaires.

L'OFII, interrogé par vos rapporteurs sur ce point, a indiqué que son intervention variait en fonction du taux d'occupation des centres et des demandes des responsables de centre. Sont ainsi prévues des permanences du lundi au vendredi avec amplitude horaire variable, et, le week-end, soit le samedi, soit le samedi et le dimanche, soit sous forme d'astreinte.

En tout état de cause, le Contrôleur général, dans son rapport d'activité pour 2013, suggère de permettre la récupération par l'OFII d'un poids d'affaires personnelles supérieur à vingt kilogrammes, les étrangers éloignés prenant éventuellement à leur compte le paiement d'un supplément de bagages. Il demande également une meilleure mise en oeuvre de la récupération des salaires impayés auprès des employeurs des personnes retenues en application de l'article L. 8252-4 du code du travail.

Vos rapporteurs estiment ainsi qu'il est nécessaire de renforcer encore les moyens de l'OFII ou de modifier son organisation afin de lui permettre d'assurer l'ensemble des missions qui lui sont confiées par les textes.

Proposition n° 21 : renforcer les moyens humains de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour les mettre en adéquation avec l'ensemble des missions de l'Office

5. La présence des ministres des cultes en rétention

Actuellement, la possibilité pour les ministres des cultes de se rendre dans les centres de rétention n'est pas prévue par les textes. En effet, le ministère chargé de l'immigration a longtemps considéré que, notamment du fait de la brièveté de la rétention, la situation n'était pas comparable à cet égard avec celle des établissements pénitentiaires. Toutefois, des expérimentations ont été menées localement pour permettre cet accès des représentants des cultes et le ministère de l'intérieur a lui-même lancé des expérimentations.

Or, comme le Contrôleur général l'a fait valoir lors de son audition, le fait que la durée maximale de la rétention ait été portée à 45 jours par la loi du 16 juin 2011 renforce la nécessité que les personnes qui le souhaitent puissent entrer en contact avec des ministres des cultes. L'ASSFAM s'est également montrée favorable à la mise en oeuvre de cette possibilité. Il convient donc que le ministère chargé de l'immigration généralise ses expérimentations de manière à permettre un accès régulier des ministres de cultes aux centres de rétention.

Proposition n° 22 : ouvrir l'accès des centres de rétention administrative aux ministres des cultes

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