EXAMEN EN COMMISSION
Mercredi 23 juillet 2014

Mme Éliane Assassi , rapporteur . - Avec François-Noël Buffet, que je veux ici remercier, nous avons travaillé en bonne intelligence. Nous avons pris le temps d'entendre les associations, de nous rendre au centre de rétention administrative de Marseille ainsi que de visiter un lieu de rétention ouvert, en Belgique. Merci également aux administrateurs qui nous ont utilement épaulés.

Les centres de rétention administrative ont donné lieu à plusieurs rapports importants, parmi lesquels, en 2009, celui de Thierry Mariani, pour l'Assemblée nationale, et celui de Pierre Bernard-Reymond, pour le Sénat.

Si notre commission des lois a décidé de se pencher à nouveau sur le sujet, c'est que la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité a apporté d'importantes modifications au droit en vigueur. On se souvient aussi du décret relatif à la mise en concurrence des associations habilitées à apporter leur assistance aux personnes retenues, qui avait fait débat au sein de notre assemblée. D'une manière générale, les centres de rétention administrative font l'objet de débats récurrents, ne serait-ce que lors de l'examen du budget.

Nous n'avons travaillé que sur les centres de rétention administrative métropolitains, en excluant les zones d'attente et les locaux de rétention administrative, régis par des dispositions différentes, ainsi que les centres de rétention d'outre-mer, dont le cadre juridique est dérogatoire au droit commun et qui font l'objet de travaux spécifiques de notre commission.

La rétention administrative est le dispositif permettant à l'administration de maintenir pour une durée limitée et dans des locaux spécifiques les étrangers en instance d'éloignement du territoire français. Bien que privative de liberté, elle se distingue de la détention : c'est une mesure administrative et non une sanction judiciaire ; elle est exécutée dans des locaux dépendant non pas de l'administration pénitentiaire mais des services placés sous l'autorité du ministre de l'intérieur - les centres de rétention administrative.

La loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité a substantiellement modifié le régime juridique du placement en rétention. C'est ainsi qu'elle a allongé la durée maximale de rétention à 45 jours après une première puis une seconde prolongation de 20 jours maximum chacune, modifié les conditions du recours devant le juge administratif et,  afin de favoriser le contrôle de légalité exercé par le juge administratif, décalé au cinquième jour l'intervention du juge judiciaire qui autorise la prolongation de la rétention décidée par le préfet.

En outre, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Popov de 2012 et d'une circulaire du ministre de l'intérieur en date du 6 juillet 2012, la rétention des familles avec enfants mineurs a été fortement limitée. La direction générale des étrangers en France nous a indiqué qu'en métropole, le placement des mineurs en rétention a été divisé par quatorze entre 2011 et 2013, passant de plusieurs centaines à quelques dizaines. C'est encore trop, mais cela témoigne d'un effort certain.

Enfin, un décret de 2008 a conduit à multiplier le nombre d'associations habilitées à assurer l'assistance juridique des personnes placées en centre de rétention : cinq associations interviennent désormais à ce titre dans les différents centres, la Cimade, l'ASSFAM, Forum Réfugiés, France terre d'asile et l'Ordre de Malte.

Trois ans après la loi de 2011 et à la suite de ces modifications réglementaires, il nous a semblé opportun de dresser un bilan et d'envisager des pistes d'amélioration du dispositif juridique.

Les modifications introduites par la loi du 16 juin 2011 visent à rendre plus efficace la politique de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Pourtant, en 2012, 23,3 % seulement des mesures d'éloignement prononcées ont été exécutées, taux qui ne s'élève qu'à 47 %, cette même année, pour l'éloignement des personnes placées en centre de rétention. Dans la plupart des cas, ce sont des difficultés persistantes dans l'obtention de laissez-passer consulaires qui constituent la pierre d'achoppement. En dépit de l'allongement de la durée maximale de rétention, le taux d'obtention des laissez-passer dans les délais utiles n'était que de 36,9 % en 2012. Ainsi, selon le rapport du député Matthias Fekl, si les éloignements sont plus nombreux durant les cinq premiers jours de rétention, seuls 4 % ont lieu entre le 32 ème et le 45 ème jour.

Au 1 er août 2013, la France métropolitaine disposait d'un parc de vingt-trois centres de rétention d'une capacité totale de 1 633 places. Leur sous-occupation est chronique : le taux moyen d'occupation était de 48,3 % en 2013, avec toutefois de fortes disparités selon les centres. Au plan budgétaire, des efforts de rationalisation de la gestion de ces centres de rétention ont été entrepris depuis plusieurs années et semblent commencer à porter leurs fruits en 2013.

Le bilan mitigé de la loi du 16 juin 2011 appelle à repenser le cadre juridique de l'éloignement pour réaffirmer que la rétention est l'ultime modalité d'éloignement forcé.

Il s'agit, tout d'abord, de rendre à la rétention sa vocation première de préalable à un éloignement certain. La persistance de placements en rétention illégaux ou inutiles - les associations font état de 47,6 % de personnes libérées en 2012 - et des problèmes d'identification des personnes retenues conduisent à douter de la pertinence de l'allongement de la durée de la rétention.

L'étude des cas en amont de la rétention devrait être approfondie, le cas échéant par un dialogue avec les associations, afin d'éviter les placements en rétention illégaux de personnes bénéficiant d'un droit au séjour ou susceptibles d'en bénéficier. Telle est notre première préconisation.

Nous recommandons également de mettre effectivement en mesure l'étranger retenu pour vérification de son droit au séjour de fournir les pièces justifiant ce droit, afin d'éviter le placement en rétention d'étranger en séjour régulier.

Pour mettre le droit français en conformité avec le droit européen, il conviendrait, ensuite, de mettre fin à l'automaticité de l'examen en procédure prioritaire des demandes d'asile en rétention et de limiter le maintien en rétention des demandeurs d'asile aux cas où la demande d'asile est manifestement dilatoire. On sait que deux textes, l'un relatif à l'immigration, l'autre à l'asile, sont présentés ce matin en conseil des ministres, qui nous donneront l'occasion de revenir sur ce point.

Enfin, la coopération avec les autorités judiciaires et pénitentiaires, ainsi qu'avec les autorités consulaires, mériterait d'être améliorée, afin d'éviter le placement en rétention de sortants de prison.

En second lieu, afin de mieux transposer l'esprit de la directive « retour » de 2008, nous vous proposons de repenser les mesures d'éloignement afin de replacer la rétention dans une échelle progressive et de développer les alternatives à la rétention, laquelle devrait n'intervenir qu'en ultime recours, après l'échec de mesures incitatives puis coercitives.

Tout d'abord, les départs volontaires devraient être encouragés. Il conviendrait de généraliser les obligations de quitter le territoire français (OQTF) avec délai de départ volontaire et de les assortir de mesures permettant aux autorités de suivre les préparatifs au départ - dépôt de documents en garantie, pointage, visite de travailleurs sociaux, etc. En outre, les critères d'attribution de l'aide à la réinsertion dans le pays d'origine de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) gagneraient à être révisés, pour plus d'efficacité.

Ensuite, il s'agit de développer les alternatives à la rétention. Afin de favoriser l'assignation à résidence, il serait bon d'élargir l'acception des « garanties de représentation » en introduisant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) une présomption de détention de telles garanties pour les personnes vulnérables et les parents d'enfants scolarisés, ainsi que la notion de « tiers garant ». Il conviendrait également de mettre en place un dispositif d'assistance juridique pour les personnes assignées à résidence.

Enfin, les centres ouverts sur le modèle des « maisons de retour » belges, nous paraissent un modèle à suivre. Ces maisons accueillent, depuis 2008, des familles avec enfants mineurs pour une durée de deux mois renouvelable une fois. L'hébergement se fait dans des maisons, anciens logements de fonction de policiers ou de gendarmes, réparties sur cinq sites. Nous avons pu visiter celui de Beauvechain : pas de présence policière, aucun dispositif de surveillance, aucun agent de l'administration sur site la nuit ou le week-end, d'où un coût moins élevé que pour les centres fermés. En journée, seuls sont présents des « agents de soutien » du ministère de l'intérieur, dont la tâche est avant tout de convaincre les familles de retourner d'elles-mêmes dans leur pays d'origine, ainsi que de les assister au quotidien et dans la préparation de leur départ. C'est là une expérience intéressante. Elle permet de laisser circuler librement les personnes retenues, qui ne sont pas des criminels.

Après presque six ans, le bilan de ces centres ouverts est plutôt satisfaisant. Sur 617 familles ayant quitté les « maisons de retour », 43,6 % ont été effectivement éloignées soit volontairement, soit contraintes, 26,9 % se sont évadées et 29,3 % ont été libérées - obtention d'une protection internationale au titre de l'asile pour près de 40 %, défaut de laissez-passer pour 12,2 % et expiration du délai pour 9,9 %.

Enfin, dans le schéma que nous vous soumettons, la rétention n'interviendrait qu'en cas d'échec d'une mesure coercitive préalable.

J'ajouterai quelques remarques à titre personnel - car j'ai bien conscience que tout ne fait pas consensus et que des débats approfondis sont encore nécessaires. J'ai ainsi l'ambition partagée avec plusieurs associations, de voir disparaître, à terme, les centres de rétention administrative : je suis opposée à l'existence de lieux d'enfermement spécifiques pour les étrangers. Je suis également favorable à l'abaissement à trente jours de la durée de rétention, idée partagée par notre collègue député Matthias Fekl mais également par Thierry Mariani, qui préconise 32 jours, par les associations qui interviennent dans les centres et par le précédent Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Avoir porté la durée à 45 jours n'a rien résolu puisque demeure le problème des laissez-passer consulaires, et puisque cette durée prive de liberté des gens qui ne seront pas reconduits. Je partage également le sentiment de Matthias Fekl, qui préconise, puisque l'intervention du juge judiciaire en amont se révèle difficile à mettre en oeuvre, de revenir à la saisine du juge des libertés et de la détention après 48 heures de rétention, pour éviter les expulsions sans décision de justice.

M. François-Noël Buffet , rapporteur . - Notre travail commun nous a en effet permis d'avancer. Nos préoccupations sont également allées aux conditions de vie dans les centres. Sur le territoire métropolitain, les bâtiments, tout d'abord, sont de qualité très diverse. À Marseille, où nous nous sommes rendus, le remplacement des locaux vétustes situés sur le port par un centre nouveau, en 2006, a apporté d'incontestables améliorations, mais de fortes tensions demeurent dans ces lieux qui s'apparentent plus au milieu carcéral qu'à l'idéal de ce que devrait être un centre de rétention.

À cet égard, nous avons pu visiter en Belgique un centre qui comporte des éléments intéressants. Il est fait de bâtiments récents, dont les accès sont certes sécurisés, mais à l'intérieur desquels les personnes retenues circulent librement. Il comporte un grand espace sportif et de nombreux lieux de vie. Les personnes retenues ont librement accès aux consultations médicales et aux permanences des associations. L'organisation du centre et la qualité des bâtiments font que la tension est beaucoup moins forte que dans certains centres en France. C'est, au total, une expérience intéressante. Mme Lipiez, dans son rapport budgétaire, ayant souligné que les centres de rétention existants sont loin d'être remplis, il vaudrait mieux en avoir moins, mais de meilleure qualité.

L'organisation des centres de rétention devrait être fixée par voie réglementaire, et faciliter la visite des familles.

Autre question majeure, celle des anciens détenus en fin de peine, qui ne sont souvent avertis qu'au terme de leur peine, à la dernière minute, qu'ils vont être transférés dans un centre de rétention, lequel n'est, de même, prévenu que tardivement. Or, la cohabitation entre des personnes qui ont exécuté une peine de prison et d'autres qui sont retenues pour des raisons administratives crée des conditions qui ne contribuent pas à l'apaisement.

Il conviendrait enfin, sans la proscrire, de mieux encadrer l'utilisation de la vidéosurveillance.

J'en viens à l'accès aux droits et aux soins. Les associations sont certes présentes, les avocats et les interprètes aussi, mais insuffisamment. La venue des avocats dans les centres de rétention devrait être encouragée. Les associations le souhaitent, car elles estiment qu'elles ne sont pas en capacité d'apporter un conseil juridique solide.

La question des audiences délocalisées - sur laquelle nous avons, avec Éliane Assassi, qui voudrait les voir supprimer, une divergence de vues - reste posée. Certains avocats au barreau ont décidé de ne pas plaider sur place, d'autres le font. J'estime que la représentation physique de l'institution judiciaire est importante dans le contentieux mais qu'en certaines circonstances, ne serait-ce que pour éviter la lourdeur des transports avec escorte, il faut, tout en respectant les principes, trouver des solutions sur place.

La question des demandes d'asile en rétention est un vrai sujet. Les associations préfèreraient que les dossiers soient transférés à l'OFRA par elles-mêmes, plutôt que par le greffe.

L'accès aux soins, très peu satisfaisant, en particulier pour les personnes affectées de troubles mentaux, mérite d'être largement amélioré. J'ajoute que la vie collective ne s'en porterait que mieux. Même chose pour les personnes atteintes de maladies graves.

La plupart des centres disposent de chambres d'isolement sous vidéosurveillance, faites pour confiner les personnes jugées dangereuses pour elles-mêmes et pour les autres. Les conditions de leur usage devraient être définies par décret.

Les activités sportives ou ludiques, qui contribuent à l'apaisement, mériteraient d'être développées. L'oisiveté n'est jamais bonne conseillère.

Si l'on constate une certaine cohésion entre les acteurs, bien que les uns aient mission de surveiller et d'éloigner, quand celle des autres est d'aider à former des recours, il ne serait pas inutile de mettre en place un référentiel de bonnes pratiques, comme cela se fait déjà dans certains centres. J'ajoute que les fonctionnaires de la police aux frontières présents dans les centres sont souvent en début de carrière. Il serait préférable d'y affecter des personnels disposant d'une certaine expérience, sans doute plus aptes à désamorcer les tensions.

Le décret de 2014 améliore ce qui devait l'être pour l'accès des associations humanitaires aux centres. Même chose pour l'accueil des familles et la présence de ministres des cultes. L'OFII, qui joue un rôle important, mériterait davantage de moyens, notamment en personnel.

Un mot sur le délai de rétention. J'ai été rapporteur du texte qui l'a fait passer de 32 à 45 jours, disposition que j'avais soutenue, estimant qu'elle était propre à faciliter l'obtention des laissez-passer consulaires. Objectivement, tel n'a pas été le cas. La discussion reste donc ouverte.

Sur la question de l'intervention du juge, enfin, il y a matière à travailler. Il n'y a pas de système parfait sauf à instaurer une juridiction unique. Au cours des auditions, nous avons pu constater que si cette proposition n'emporte pas l'enthousiasme, elle ne suscite pas non plus l'hostilité ni des avocats ni des magistrats.

Mme Esther Benbassa . - Je remercie nos rapporteurs pour le travail très concret qu'ils ont mené. J'ai visité le centre de rétention administrative de Vincennes et fait les mêmes constats qu'eux. Les personnes retenues sont désoeuvrées, moroses. Les centres seraient sous occupés ? J'ai vu à Vincennes des chambres de quatre lits surpeuplées, dans lesquelles cohabitaient avec d'autres des personnes atteintes de troubles mentaux. Chacun vit dans la crainte.

M. Jean-Jacques Hyest . - Comme dans les prisons.

Mme Esther Benbassa . - Un épisode, en particulier, m'a choquée. Deux personnes qui devaient être reconduites en Italie, par où elles étaient entrées, n'avaient pas même été prévenues qu'on allait incessamment les mettre dans l'avion. J'ai dû insister auprès de l'administration pour qu'elles le soient.

Les personnes qui ne sont pas renvoyées ne reçoivent pas d'information exacte sur les modalités de régularisation. J'ai écrit à M. Cazeneuve à ce sujet. Dans chaque chambre, une note en plusieurs langues expliquant comment se conduire dans les centres est placardée, mais rien sur les demandes de régularisation. Informer serait pourtant une exigence minime.

J'espère que l'on s'acheminera un jour vers un système plus humaniste. D'autant que nos centres de rétention n'étant pas mixtes, les familles se trouvent séparées.

M. André Reichardt . - Je remercie à mon tour nos rapporteurs. Il me semble que la durée de rétention est à l'origine de bien des problèmes. Il faut y travailler, ne serait-ce que pour éviter les cas de demande d'asile manifestement dilatoires ou la rétention de personnes dont on ne peut pas raisonnablement attendre qu'une mesure d'éloignement pourra être prononcée à leur encontre.

Vous faites des centres ouverts un exemple. Il est certain que plus la rétention est longue, plus la question des conditions de détention se pose avec acuité. On ne peut maintenir trop longtemps des personnes en centre fermé. Vous proposez de limiter la rétention aux cas d'échec d'une mesure coercitive préalable. Or, vous avez indiqué qu'en Belgique, le taux d'évasion des centres de rétention est d'une personne sur quatre. Comment les retrouver pour les placer en centre fermé ?

Vous recommandez d'assurer une meilleure garantie d'accès aux droits et aux soins. Le fait est que lorsque la durée de rétention est longue, il faut mettre en place des dispositifs qui s'apparentent à ceux des établissements pénitentiaires. Qu'un régime d'isolement existe dans les centres de rétention me stupéfie. Le rapporteur nous a indiqué qu'y sont placées les personnes jugées dangereuses pour elles-mêmes et pour les autres. Qu'est-ce que cela signifie ?

M. Jean-Jacques Hyest . - On le sait bien.

M. André Reichardt . - S'agit-il de personnes dont la dangerosité supposerait qu'elles ne se trouvent pas dans ces centres, mais ailleurs ? De personnes gravement malades qui relèvent de soins psychiatriques ?

M. Jean-René Lecerf . - Je remercie nos rapporteurs, dont les propos sont utilement complémentaires.

Combien de déboutés du droit d'asile compte-t-on dans ces centres ? S'ils sont nombreux, ramener la procédure de demande d'asile de deux ans à neuf mois, comme le prévoit le projet de loi en cours de préparation, se justifie. Cela dit, j'ai été rapporteur, sous la présidence de Jacques Chirac, Dominique de Villepin étant ministre des affaires étrangères, d'un texte qui visait le même objectif... dont on est encore loin.

S'agissant de l'assistance juridique, quel bilan tirez-vous de la suppression du monopole associatif ? Alors que l'ouverture à de nouvelles associations a été beaucoup critiquée, au motif que cela battait en brèche leur spécialisation, donc leur compétence, j'aimerais connaître votre avis.

Je suis dubitatif sur la question des avocats. L'avant-projet de loi prévoit que le ministère d'avocat sera obligatoire dès le stade de la procédure devant l'OFPRA. Vu ce qu'il en est aujourd'hui de l'aide juridictionnelle, on peut douter du résultat...

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Il est clair qu'il faut prendre des décisions sur l'aide juridictionnelle.

M. Jean-Yves Leconte . - Je remercie les rapporteurs, qui ont fait la preuve qu'avec des sensibilités différentes, on n'en peut pas moins faire des propositions communes. Je suis frappé par le défaut de normalisation des règles qui de surcroît, quand elles sont normées, sont souvent plus sévères qu'en prison. Dans certains centres, même les livres sont interdits, au motif d'éviter les incendies. L'accès des familles laisse souvent à désirer, de même que l'accès au culte.

Les taux d'expulsion sont très variables selon les départements. Sans doute conviendrait-il de mieux former, en amont, les personnels qui décident de l'envoi en rétention.

Les demandes d'asile en centre de rétention sont souvent dilatoires, mais pas toujours. Or, l'intervention de l'OFPRA, en procédure prioritaire, se solde le plus souvent par un refus, et l'appel n'est pas suspensif. J'ai aussi constaté que les personnes expulsées dans les cinq jours étaient souvent des ressortissants de l'Union européenne...

Les centres de petite taille, enfin, ont certes un coût important, mais ils assurent la proximité aux familles.

Mme Cécile Cukierman . - Plus la sévérité des critères de régularisation est aggravée, plus le nombre de personnes en situation irrégulière augmente, ce qui n'est pas sans effet sur les centres de rétention. En l'attente de la suppression de ces centres, que nous appelons de nos voeux, nous plaidons en faveur d'une réduction du délai de rétention.

Les droits fondamentaux des personnes retenues doivent être respectés et des conditions de vie dignes doivent leur être assurées. Il est important, également, de séparer les personnes retenues en fin de peine des autres, dont une bonne part n'est pas renvoyée, in fine .

Les deux textes à venir à l'automne seront l'occasion de revenir sur tous ces points.

M. Alain Richard . - Si l'on estime légitime qu'un État démocratique définisse la portée du droit de séjour sur son territoire - et toutes les juridictions internationales le reconnaissent -, cela se traduit nécessairement par des refus de séjour, légaux, et des procédures de contrainte destinées à les rendre applicables. Or, certaines associations et certains politiques sont hostiles à tout refus de séjour. Si bien que les moyens de contrainte sont, les uns après les autres, contestés. Pourtant, le Conseil constitutionnel et les juridictions internationales ont constaté que les conditions dans lesquelles la France procède à ces mesures de contrainte sont régulières et conformes aux droits de la personne.

Autant chercher à être plus respectueux des droits de la personne pour rendre effectif le droit au séjour est souhaitable, autant c'est tout autre chose que de tirer argument du fait que les deux tiers des refus de séjour ne sont pas appliqués pour préconiser la suppression des mesures de contrainte, aussi respectable qu'en soit l'inspiration.

M. François-Noël Buffet , rapporteur . - Notre pays a le droit et le devoir d'organiser les conditions d'accès à son territoire et d'assurer le respect des conventions internationales. En revanche, on ne peut détourner le regard de ce qui se passe dans certains centres, où les conditions de vie posent problème.

L'allotissement des associations tel qu'organisé par le décret de 2008, Monsieur Lecerf, fonctionne plutôt bien. Même si certaines n'ont pas le même niveau de compétences juridiques que d'autres, l'expérience viendra. Les associations se réunissent régulièrement pour échanger, et les conflits de 2008 sont derrière nous.

Sans mettre en cause le régime de l'isolement, Monsieur Reichardt, je constate que les chambres d'isolement sont aussi utilisées à des fins disciplinaires. Il faut régler ce problème, en précisant quel doit être leur usage.

Il est vrai, Madame Benbassa, que le circuit administratif entre les centres et les préfectures laisse à désirer. Les personnes atteintes de maladies graves ne restent pas en centre de rétention administrative, mais il est difficile d'obtenir de la préfecture des titres de séjour, fussent-ils provisoires. Il faudra y remédier.

Les personnes retenues ont cinq jours pour formuler une demande d'asile, et l'OFPRA 96 heures pour y répondre. En cas de rejet, le recours devant la Cour nationale du droit d'asile n'est pas suspensif. Les demandes, dans la majorité des cas, ne prospèrent pas. Selon les associations, neuf cas seulement, en 2012, ont fait l'objet d'un accord.

Le taux d'occupation est variable. Il est, sur l'année, supérieur à 80 % à Vincennes, de 70 % à Nice, de 60 % à Marseille, Lyon, Coquelles ou Geispolsheim ; mais il n'est que de 15 % à Nîmes, de 26 % à Bordeaux, de quelque 30 % à Metz, Rouen et Rennes.

Le taux d'éloignement effectif à partir des centres de rétention français a été de 47 % en 2012, de 41,39 % en 2013. Celui des centres ouverts de Belgique a été, sur six ans, de 43,6 % en moyenne. Il faut toutefois savoir que ces centres choisissent leurs pensionnaires, souvent des familles, qui font l'objet d'un suivi quotidien.

Mme Éliane Assassi , rapporteur . - Il ne faut pas se tromper de débat, Monsieur Richard. Nous ne contestons pas le fait que des personnes illégalement présentes sur le territoire soient expulsées...

M. Alain Richard . - Reconduites !

Mme Éliane Assassi , rapporteur . - ... mais nous nous interrogeons sur les conditions de rétention. Nos propositions sont largement inspirées des remarques formulées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont les recommandations, en particulier quant au régime de l'isolement, sont très claires. Ce régime n'est nullement réglementé à ce jour. On ne sait pas qui décide du placement en chambre d'isolement et il n'existe, de surcroît, aucun registre. J'ajoute que les mesures les plus coercitives ne sont pas les mesures les plus efficaces. L'assignation à résidence, par exemple, fonctionne bien.

La fin du monopole associatif, contre lequel il est vrai que j'avais milité, semble donner satisfaction. Se pose néanmoins le problème de la formation des intervenants. C'est là un vrai sujet, auquel il convient de travailler pour éviter une déperdition des compétences.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je rappelle que le rapport témoignera de vos interventions.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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