N° 538

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer (1) sur :

Domaines public et privé de l' État outre-mer ,
30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile ,

Par M. Thani MOHAMED SOILIHI

Rapporteur coordonnateur,

MM. Joël GUERRIAU, Serge LARCHER et Georges PATIENT,

Rapporteurs.

(1) Cette délégation est composée de : M. Michel Magras, président ; Mme Aline Archimbaud, M. Guillaume Arnell, Mmes Éliane Assassi, Karine Claireaux, MM. Éric Doligé, Michel Fontaine, Pierre Frogier, Joël Guerriau, Antoine Karam, Thani Mohamed Soilihi, vice-présidents ; M. Jérôme Bignon, Mme Odette Herviaux, MM. Robert Laufoaulu, Gilbert Roger, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jean Bizet, Mme Agnès Canayer, MM. Joseph Castelli, Jacques Cornano, Félix Desplan, Alain Fouché, Jean-Paul Fournier, Jean-Marc Gabouty, Jacques Gillot, Daniel Gremillet, Jean-Jacques Hyest, Mme Gisèle Jourda, MM. Serge Larcher, Nuihau Laurey, Jean-François Longeot, Vivette Lopez, Jeanny Lorgeoux, Georges Patient, Stéphane Ravier, Charles Revet, Didier Robert, Abdourahamane Soilihi, Mme Lana Tetuani, MM. Hilarion Vendegou, Paul Vergès et Michel Vergoz.

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 9 décembre 2014, la délégation sénatoriale à l'outre-mer, présidée par M. Michel MAGRAS (Saint-Barthélemy - Les Républicains) a inscrit à son programme de travail et retenu la question foncière comme sujet d'étude transversal. Cette problématique, très prégnante dans l'ensemble des outre-mer, constitue en effet l'un des verrous majeurs du développement économique et social des territoires.

Le premier volet de l'étude triennale sur la question foncière est consacré au domaine public et privé de l'État. Le rapport de MM. Thani MOHAMED SOILIHI (Mayotte - Socialiste et républicain), Joël GUERRIAU (Loire-Atlantique - UDI-UC), Serge LARCHER (Martinique - Socialiste et républicain) et Georges PATIENT (Guyane - Socialiste et républicain), adopté le 18 juin 2015, livre la première radiographie transversale de la gestion domaniale dans l'ensemble des outre-mer, de ses failles et des opportunités jusqu'à présent ignorées. Des constats dressés, ils ont tiré une série de recommandations opérationnelles visant à améliorer la protection du domaine, à avancer dans la résolution du dossier de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) et à jeter les bases d'un nouvel équilibre des responsabilités entre l'État et les collectivités territoriales pour transformer le verrou foncier en levier de développement.

I. - Stratégie, organisation et gestion

Le domaine ultramarin de l'État se laisse très difficilement appréhender car il présente une mosaïque de biens très divers, soumis à des régimes juridiques éparpillés, enchevêtrés, exorbitants et illisibles. À titre de repères, le domaine représente environ 13,5 % de la superficie de la Martinique, 37,5 % de celle de La Réunion et jusqu'à 95,2 % de celle de la Guyane. Sa gestion pâtit d'une absence criante de pilotage et de moyens trop restreints.

A - Concevoir une stratégie foncière de l'État en outre-mer

1. Réaliser un inventaire exhaustif à jour des biens appartenant au domaine de l'État.

2. Définir une doctrine au niveau national sur le domaine outre-mer : quels biens de l'État pour servir quelles fins ?

3. Décliner cette doctrine dans des stratégies régionales négociées avec les collectivités territoriales et conformes aux orientations des schémas d'aménagement régionaux (SAR).

B - Consolider les capacités d'action des services de l'État

4. Renforcer les moyens humains et financiers des services de l'État en charge de la gestion du domaine.

5. Après audit, moderniser les systèmes d'information utilisés par les services de l'État et assurer leur interconnexion.

C - Clarifier le droit domanial applicable dans les outre-mer

6. Éliminer certains archaïsmes du droit domanial des outre-mer, notamment à Mayotte.

7. Fondre les dispositifs juridiques régissant la gestion du domaine outre-mer qui doublonnent ou se chevauchent pour gagner en clarté et en lisibilité.

II. - Traitement de la ZPG

La géographie et l'histoire ont conjugué leurs effets pour faire diverger la situation de la zone des cinquante pas géométriques dans les différentes collectivités ultramarines. La sécurisation juridique de la bande littorale passe par le recentrage de l'État sur la protection des espaces naturels et la définition d'un cadre de transfert des espaces urbanisés aux collectivités territoriales. C'est ainsi que la lutte contre le mitage et la privatisation du rivage pourra regagner en efficacité et que les procédures de régularisation des occupations sans titre pourront être régénérées.

A - Assurer un règlement définitif du cas antillais : préparer un transfert ordonné de la ZPG aux collectivités

8. Actualiser la délimitation des zones urbanisées et naturelles dans la ZPG.

9. Achever le transfert de l'ensemble des parties naturelles de la ZPG à des établissements publics spécialisés comme le Conservatoire du littoral.

10. Transférer aux Antilles les zones urbanisées et semi-urbanisées gérées par les agences à la région de Guadeloupe et à la collectivité unique de Martinique, dans un cadre négocié.

11. Recentrer les agences, pendant la période transitoire, sur la régularisation des occupations et le titrement en limitant les opérations d'aménagement à l'achèvement des travaux d'équipement en cours.

B - Prévoir un suivi au cas par cas de la ZPG dans l'ensemble des collectivités concernées

12. Rester vigilant à La Réunion et traiter sans délai le problème émergent de la ZPG en Guyane.

13. Assurer à Mayotte la mise en place opérationnelle de l'établissement public foncier d'État en préservant un équilibre entre ses missions foncières et d'aménagement.

14. Finaliser le transfert de propriété à Saint-Martin.

15. Dans toutes les collectivités concernées par un transfert massif de propriété domaniale, assurer un accompagnement transitoire par l'État sous forme d'une commission consultative mixte réunissant des représentants de ses services et des collectivités.

C - Prévenir les effets d'aubaine lors des régularisations sur la ZPG

16. Revoir les modalités d'estimation par les services locaux du domaine du prix des cessions-régularisations dans la ZPG, en prévoyant si nécessaire une compensation par la hausse de l'aide aux occupants les plus défavorisés.

17. Introduire un mécanisme de taxation exceptionnelle de la plus-value immobilière en cas de revente de terrains régularisés pour lutter contre la spéculation.

III. - Protection du domaine

Le constat préoccupant de la multiplication des occupations sans droit ni titre du domaine tant public que privé appelle une remobilisation des services de l'État afin de pallier les lacunes manifestes dans la protection d'espaces présentant un intérêt stratégique pour le développement économique des outre-mer.

A - Activer toutes les ressources juridiques de sanction des atteintes au domaine public maritime

18. Assurer la circulation rapide d'information entre les maires et la préfecture en cas d'occupation ou de début de construction.

19. Poursuivre les procédures de contravention de grande voirie jusqu'à leur exécution effective sous astreinte.

20. Exploiter la faculté de saisir et de détruire les matériaux servant à des constructions illégales sur le domaine public maritime, en s'assurant que tous les services préfectoraux disposent des moyens matériels d'y procéder.

21. Cibler la destruction d'immeubles ou d'installations ayant valeur d'exemple pour restaurer la crédibilité entamée des pouvoirs de police de l'État.

B - Renforcer l'arsenal pénal de protection du domaine privé de l'État

22. Étudier l'opportunité de définir un délit spécial d'occupation d'immeubles du domaine privé bâti de l'État calqué sur le régime de sanction des violations de domicile

23. Envisager la création d'une procédure d'expulsion administrative simplifiée sur le modèle de la loi instaurant le droit au logement opposable de 2007

IV. - Refonte du système forestier

La mobilisation du foncier d'État est contrariée par des logiques de conservation stricte des écosystèmes et ne sert pas suffisamment le développement des outre-mer. La définition d'un nouveau partage entre l'État et les collectivités sur les forêts ultramarines doit conduire à la libération de terrains du domaine forestier permanent et à l'accroissement des ressources revenant aux communes.

A- Proposer une nouvelle architecture propre à la Guyane pour libérer du foncier d'État au service du développement local

24. Accélérer les procédures de cession gratuite ou onéreuse de terrains du domaine privé.

25. Repousser vers l'intérieur des terres les limites du domaine forestier permanent et transférer le foncier libéré à la collectivité unique de Guyane, charge à elle de le rétrocéder aux communes, aux acteurs économiques et aux particuliers en fonction des demandes et des orientations du SAR.

26. Préparer la transformation du reste du domaine forestier permanent restant en forêt collectivo-domaniale avec nue-propriété à la collectivité unique et droit d'usage à l'État.

B - Accroître les revenus tirés de la forêt par les communes

27. Faciliter la constitution de forêts communales prises sur le domaine en prévoyant une exonération temporaire des frais de garde dus à l'ONF

28. Fiscaliser les forêts d'État exploitées en Guyane en faisant s'acquitter l'ONF de la taxe foncière sur les propriétés non bâties

C - Trouver un compromis stable et pérenne entre les parcs nationaux, l'ONF et les collectivités territoriales

29. Trouver un schéma équilibré de partage des responsabilités entre l'ONF et les parcs nationaux, notamment à La Réunion.

30. Dans les zones gérées par les parcs nationaux, garantir le maintien d'activités traditionnelles de la population et préserver les capacités de développement des communes en envisageant des modifications des schémas miniers et des schémas de développement des carrières, sans compromettre la vocation même des parcs.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Lors de sa réunion du 9 décembre 2014, la délégation sénatoriale à l'outre-mer a arrêté son programme de travail et retenu la question foncière comme sujet d'étude transversal. Cette problématique concerne en effet l' ensemble des outre-mer et constitue l'un des verrous majeurs du développement économique et social des territoires. Sans avancée sur le traitement de la question foncière, il n'y aura pas de progrès à attendre en matière de logement, de transports, d'équipements collectifs, de soutien à l'agriculture et aux entreprises, puisque toutes ces politiques sont conditionnées par la disponibilité et l'aménagement du foncier.

Ce problème si aigu dans les territoires ultramarins est rendu particulièrement complexe par l'empilement et l'enchevêtrement de règles dérogatoires, la prise en compte de la coutume, les insuffisances du cadastre, les carences du titrement et le poids historique d'un État propriétaire. Les situations pratiques et le droit applicable varient très fortement outre-mer d'une collectivité à une autre, même si les « affaires de terre » les concernent toutes profondément.

Pourtant, malgré l'ancienneté et la prégnance de ces problématiques, il n'existe aucune étude globale prenant en compte l'ensemble des aspects du problème dans la totalité des territoires ultramarins ; les études ponctuelles et les monographies ciblées sont également rares.

Il est temps de démêler l'écheveau normatif, d'apporter de la clarté et de dégager des solutions opérationnelles adaptées aux réalités diverses de l'outre-mer. C'est ce qu'a entrepris la délégation sénatoriale.

Devant la complexité et l'ampleur de la tâche, il a été fait le choix de la segmenter en trois volets, qui seront présentés au cours des trois années de la mandature. Le premier volet, couvert par le présent rapport, est consacré à la gestion du domaine public et privé de l'État. Le deuxième portera sur les maux de la propriété foncière privée, et en particulier les problématiques de titrement, d'indivision successorale, de cadastre et de publicité foncière. Le troisième traitera des politiques d'aménagement en évoquant les conflits d'usage, les outils fonciers, les instruments de planification et les documents d'urbanisme. La question foncière sera ainsi examinée successivement à travers le prisme de chacune des parties prenantes : l'État, les personnes individuelles et les collectivités territoriales.

Commencer par l'étude de la gestion du domaine s'imposait parce qu'elle couvre les espaces à la fois très vastes et très stratégiques pour les outre-mer que sont le littoral et les forêts . Or, la légitimité comme l'efficacité de l'action de l'État sont contestées localement.

L'épineuse question des régularisations dans la zone des cinquante pas géométriques, vestige archaïque de la période coloniale, attend toujours sa solution définitive. Les occupations sans droit ni titre des espaces naturels et des immeubles désaffectés se poursuivent inlassablement. La mobilisation du foncier d'État pour le logement, les grands équipements et l'agriculture tarde à produire des effets. Le point d'équilibre entre le développement économique et la protection de l'environnement, les deux objectifs auxquels la gestion du domaine de l'État doit tendre, n'est pas encore atteint.

Tous ces problèmes sont connus, parfois rebattus, toujours irrésolus. Ils n'ont jamais été analysés simultanément sur l'ensemble des collectivités ultramarines afin d'en discerner les causes profondes communes et de sérier les facteurs de différenciation propres à chaque territoire. C'est l'ambition du présent rapport de livrer la première radiographie transversale et synthétique de la gestion domaniale dans les outre-mer .

À l'appui de son diagnostic, la délégation sénatoriale a bénéficié de la compétence et de la disponibilité des nombreux experts et services de l'État qu'elle a auditionnés à Paris et lors de son déplacement en Guyane, en Martinique et à Saint-Martin. Elle a également pris le soin de recueillir des contributions écrites auprès des juridictions civiles et administratives, des préfectures et des directions des finances publiques dans tous les outre-mer. Ces données sont d'autant plus précieuses qu'elles n'avaient, pour l'essentiel, jamais été mises à la disposition du public. Elles nourriront également les prochains volets de l'enquête triennale sur la question foncière.

Les carences manifestes et les tensions persistantes qui affectent la gestion du domaine de l'État outre-mer proviennent d'une conjonction de facteurs défavorables : l'hétérogénéité matérielle des biens, la complexité redoutable du droit domanial, l'éparpillement et le chevauchement des opérateurs, l'empilement des dispositifs dérogatoires, le manque de moyens et l'extrême sensibilité des populations sur le sujet.

Constat encore plus grave, le mal s'enracine dans l'absence de pilotage et de stratégie cohérente de long terme , d'où découlent toutes les solutions temporaires, les atermoiements et les oscillations qui paralysent la gestion domaniale. Sans stratégie, il est impossible de repenser la gouvernance et les modes de gestion, d'affecter des moyens adéquats, de procéder à une libération encadrée et rationalisée du foncier. L'État sait-il lui-même dans quel but il continue de garder tant de biens fonciers dans les outre-mer, au risque de maintenir une forme de tutelle sur les collectivités territoriales ?

Des constats qu'ils ont dressés, vos rapporteurs ont tiré une série de recommandations opérationnelles pour améliorer la protection du domaine, avancer dans la résolution du dossier de la ZPG et jeter les bases d'un nouvel équilibre des responsabilités entre l'État et les collectivités. Pour qu'elles ne restent pas lettre morte et pour sortir l'État de son immobilisme, peut-être de son indifférence, ils ne peuvent que reprendre les exhortations de Démosthène aux Athéniens qui renvoyaient indéfiniment les problèmes au lendemain :

« Si vous persistez dans l'inaction et bornez votre ardeur à des cris et des applaudissements, si vous vous dérobez quand il faut agir, je ne vois pas de discours qui pourrait, sans que vous fassiez votre devoir, sauver la ville. » 1 ( * )

I. UN DOMAINE VASTE ET HÉTÉROGÈNE, RÉGI PAR UN DROIT PLURIEL ET DÉLAISSÉ PAR L'ÉTAT CENTRAL

Le domaine ultramarin de l'État se laisse très difficilement appréhender car il présente une mosaïque de biens très divers, soumis à des régimes juridiques exorbitants du droit commun. Sa gestion pâtit d'une absence de pilotage et de moyens trop restreints .

A. LE KALÉIDOSCOPE DES PROPRIÉTÉS DE L'ÉTAT OUTRE-MER

Manque encore un inventaire exhaustif des propriétés incorporées aux domaines public et privé de l'État dans les outre-mer. Un principe général se dégage néanmoins : l'État conserve un patrimoine immobilier considérable dans les départements d'outre-mer, alors qu'il en a transféré la plus grande partie dans les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution.

1. L'impossible « tour du propriétaire »

Toute évaluation de la gestion du domaine de l'État outre-mer inévitablement se heurte à la difficulté d'établir un diagnostic global, tant les types de propriétés et les régimes juridiques paraissent nombreux et disparates . La complexité de l'étude du domaine, déjà patente en métropole, est décuplée outre-mer par un effet de diffraction, reflet de l'hétérogénéité géographique des territoires et de leurs trajectoires historiques.

Une présentation agrégée, globale et synthétique se révèle trop schématique et peu éclairante, tant elle masque les enjeux pour chaque collectivité et biaise l'appréhension des situations. C'est pourquoi vos rapporteurs ont eu comme première tâche d'inventorier les données existantes et de collecter des informations précises sur le foncier d'État dans chacune des collectivités ultramarines auprès des multiples services et opérateurs compétents.

Néanmoins, quelques constats généraux méritent d'être relevés avant d'être affinés selon les collectivités, selon la nature des espaces incorporés au domaine, leur statut juridique et les modalités de leur gestion administrative. Il convient, en particulier, de distinguer au sein du domaine de l'État les biens bâtis et le foncier non bâti, étant entendu que ce dernier n'est pas toujours libre de constructions ou d'occupations illégales.

En superficie, le parc immobilier bâti occupé par l'État et ses opérateurs outre-mer représente 3,7 millions de m 2 de surface utile brute (SUB), soit environ 3 % du parc global , en tenant compte des propriétés situées en France et à l'étranger. Les propriétés bâties de l'État , dont le détail par collectivités ultramarines est présenté dans le tableau ci-après 2 ( * ) , sont dans l'ensemble correctement inventoriées et identifiées, malgré quelques imperfections. Ces immeubles sont essentiellement affectés à l'activité des services de l'État. Ils comprennent des logements pour les magistrats et fonctionnaires de l'État en poste dans les territoires d'outre-mer et dont la résidence habituelle est située hors du territoire dans lequel ils servent. 3 ( * )

En revanche, dans le cas du foncier non bâti , qui représente des surfaces bien plus étendues, les données ne sont pas complètes, ainsi que le reconnaît France Domaine : « la qualité du cadastre outre-mer rendant plus difficile la délimitation des parcelles, base de l'identification physique d'un site immobilier et donc son inscription dans le système d'information immobilier, l'information n'est pas aussi fiable que pour le bâti. » 4 ( * )

Cette carence dans l'inventaire et l'identification des parcelles appartenant à l'État en raison du défaut de fiabilité du cadastre se retrouve dans tous les outre-mer à des degrés divers et tend à croître avec la taille du patrimoine foncier de l'État. De ce point de vue, l'État est un propriétaire comme les autres, puisque les particuliers pâtissent également des fragilités du cadastre et de la conservation des hypothèques, ainsi que l'ont souligné les juridictions civiles et administratives que vos rapporteurs ont consultées.

Le foncier non bâti appartenant outre-mer à l'État est essentiellement constitué d'espaces naturels, notamment de forêts, placés sous différents régimes juridiques, et de la bande littorale . C'est la partie du domaine qui a retenu l'attention de vos rapporteurs puisqu'elle concentre à la fois les enjeux sociaux et économiques les plus importants pour les populations d'outre-mer et les lacunes les plus marquantes dans la réglementation et dans la gestion domaniale.

Répartition du parc immobilier global par département/territoire et par type de composant (SUB par propriétaire en m²) au 31.12.2014

Présenter plus précisément les biens incorporés au domaine de l'État outre-mer demande, pour la clarté de l'exposé et avant même d'entrer dans le détail des règles juridiques particulières qui le régissent, de procéder successivement à plusieurs distinctions :

- entre les collectivités selon qu'elles relèvent de l'article 73 ou de l'article 74 de la Constitution et les autres, ces dernières bénéficiant d'un statut plus autonome ;

- entre le domaine public et le domaine privé ;

- entre les biens qui appartiennent au domaine de l'État en vertu du droit commun, aussi bien dans l'hexagone qu'outre-mer et les biens qui n'appartiennent au domaine de l'État qu'outre-mer par dérogation.

2. Un domaine de l'État aux contours variables avec le degré d'autonomie des collectivités
a) L'État, un acteur pivot de la politique foncière dans les départements et régions d'outre-mer grâce à la possession du littoral et des forêts

Au moment d'examiner la composition matérielle, le régime juridique et les modalités de la gestion administrative des propriétés foncières de l'État outre-mer, il convient de garder à l'esprit que la question domaniale est d'ordre fondamentalement politique, au sens le plus élevé du terme, puisqu'elle touche les conditions d'exercice de la souveraineté, l'usage des prérogatives propres de la puissance publique et l'organisation du service public.

Dans les départements et régions d'outre-mer, aucune politique d'aménagement ou d'urbanisme, de développement économique ou environnementale ne peut se faire sans l'État, considéré non seulement comme la puissance publique régulatrice, mais aussi comme un propriétaire foncier majeur au titre de son domaine public comme de son domaine privé.

Le premier trait frappant du domaine de l'État dans les départements et régions d' outre-mer est son étendue , sans commune mesure avec celle du patrimoine des autres personnes publiques. Selon les territoires, la répartition de la propriété foncière varie toutefois grandement. Pour prendre des points de repère dans trois départements nettement différents, le domaine de l'État représente environ, sous réserve des carences cadastrales et en considérant l'ensemble des régimes juridiques, 13,5 % de la superficie de la Martinique, 37,5 % de celle de La Réunion et jusqu'à 95,2 % de celle de la Guyane . Les biens de l'État ne sont toutefois pas répartis de façon homogène : au sein d'une même collectivité, certaines communes ou intercommunalités sont nettement plus marquées que d'autres par la gestion domaniale. Ainsi, en Martinique, le Nord de l'île au relief montagneux et moins peuplé comprend presque quatre fois plus de terrains appartenant à l'État que le Sud.

Source : Préfecture de la Martinique

Répartition de la propriété foncière en Martinique

Type de propriétaire

Martinique (ha)

%

CCNM 5 ( * )
(ha)

%

CACEM 6 ( * )
(ha)

%

CAESM 7 ( * )
(ha)

%

Personne physique

54 484,4

59,9

25 754,3

51,5

9 351,7

57,2

27 586,5

71,9

Commune

1 867,6

2,1

1 102,0

2,2

622,7

3,8

756,9

2,0

Personne morale privée

16 886,7

18,6

10 222,3

20,5

2 468,8

15,1

6 069,2

15,8

État

12 256,6

13,5

9 580,8

19,2

2 746,3

16,8

1 968,1

5,1

Organisme HLM

393,6

0,4

151,3

0,3

302,4

1,9

159,1

0,4

Propriétaire inconnu

26,5

0,0

19,3

0,0

4,5

0,0

10,3

0,0

Copropriétaire

984,1

1,1

434,4

0,9

308,5

1,9

491,4

1,3

Département

1 743,9

1,9

1 360,5

2,7

293,4

1,8

324,2

0,8

Établissement public

1 729,7

1,9

1 042,9

2,1

90,3

0,6

716,2

1,9

EPCI

146,4

0,2

82,8

0,2

60,3

0,4

42,4

0,1

Région

417,2

0,5

187,1

0,4

32,3

0,2

227,1

0,6

SEM

55,7

0,1

30,1

0,1

55,9

0,3

4,0

0,0

90 992

100,0

49 968

100,0

16 337

100,0

38 355

100,0

Source : Cadastre DGI 2011

Comme en témoigne la carte du foncier en Martinique insérée ci-dessus, l'hypertrophie du domaine de l'État résulte de l'incorporation de deux zones cruciales pour les collectivités ultramarines :

- les forêts qui couvrent l'intérieur des terres, d'une part ;

- la bande littorale, où se concentrent la population, les activités économiques et des équipements structurants, d'autre part.

(1) Le poids particulier des forêts du domaine privé

Une grande partie du foncier de l'État dans les outre-mer est couvert de forêts. Ainsi, à La Réunion , 97 % du domaine de l'État est situé dans l'intérieur montagneux de l'île et constitué de terrains forestiers obéissant à différents régimes.

C'est d'ailleurs l'importance du massif forestier dans ces territoires qui y explique largement l'étendue hors norme du domaine et la répartition des biens de l'État d'une commune à l'autre est corrélée à l'intensité de la couverture forestière.

Par exemple, selon les données de l'ONF, la forêt couvre plus de 8 millions d'hectares soit 96 % du territoire de la Guyane , ce qui correspond à la quasi-intégralité du domaine de l'État. Les collectivités territoriales ne possèdent en moyenne qu'environ 0,3 % de la surface foncière et les personnes privées guère plus de 1,3 %.

Répartition comparée de la propriété foncière
dans plusieurs communes de Guyane 8 ( * )

État
(%)

Collectivités

(%)

Privés
(%)

Total cadastre (ha)

Apatou

93,46

3,78

0,03

215 916

Cayenne

8,86

18,51

42,94

2 874

Mana

93,74

0,07

1,48

659 407

Maripasoula

99,67

0,01

0,03

1 866 502

Matoury

18,86

11,61

60,56

14 342

Saint-Élie

100,00

0,00

0,00

583 119

Saint-Laurent

93,70

0,09

1,26

430 706

GUYANE

95,21

0,29

1,42

8 428 421

Source : Audeg 9 ( * ) , 2015 (données DRFIP 2014)

Les communes de Cayenne et de Matoury dans l'agglomération du Centre littoral se distinguent par une superficie nettement plus faible que les autres communes de Guyane, mais aussi par une forte part de propriétaires privés et un patrimoine des collectivités important. Corrélativement, le foncier d'État y est nettement moins abondant.

En revanche, dans des communes de l'intérieur de la Guyane, comme Saint-Élie ou Maripasoula, le domaine de l'État essentiellement constitué de forêts absorbe quasiment la totalité du foncier, les collectivités comme les personnes privées ne disposant que de surfaces marginales. De même, des communes du Nord-Ouest comme Apatou, Mana ou Saint-Laurent-du-Maroni, soumises à une très forte pression démographique, ne disposent pas de réserve foncière et dépendent d'une libération de foncier au compte-goutte, sur demande adressée aux services de l'État.

Il paraît difficile de mener des politiques d'urbanisme, d'équipements et de développement économique cohérentes sur le moyen et le long terme dans de telles conditions. Desserrer l'étreinte domaniale pour libérer le développement des territoires semble indispensable.

(2) Des composants spécifiques du domaine public ultramarin
(a) La zone des cinquante pas géométriques (ZPG)

Le domaine public maritime naturel appartient à l'État en métropole comme dans les départements d'outre-mer. Défini à l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) qui synthétise les règles élaborées progressivement par la jurisprudence et les textes, il comprend les rivages, les lais et relais, ainsi que le sol et le sous-sol de la mer territoriale.

Toutefois dans les départements d'outre-mer, le domaine public maritime s'étend au-delà du rivage pour englober une bande littorale s'enfonçant vers l'intérieur des terres. La composition du domaine de l'État outre-mer porte, en effet, la marque de la colonisation, dont la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) constitue un vestige que la départementalisation n'a pas aboli.

Initialement dénommée réserve domaniale des cinquante pas du Roi, cette zone a été définie au XVII e siècle et intégrée aux biens de la Couronne afin d'assurer la défense des colonies contre toute attaque, en facilitant les fortifications et le passage des troupes, ainsi que leur approvisionnement et l'entretien des navires. Contiguë à la mer, elle présente une largeur de 81,20 mètres à compter de la limite haute du rivage. Cette règle ancienne encore applicable à Mayotte 10 ( * ) et en Guyane rend le tracé de la limite supérieure de la ZPG sensible à l'évolution du trait de côte. Elle est remplacée par une délimitation fixée par l'autorité administrative à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique. 11 ( * )

D'une importance stratégique essentielle aux Antilles et à Mayotte , tant pour la politique de l'habitat que pour le développement touristique et la préservation de la biodiversité, la ZPG est dotée d'un régime juridique morcelé, complexe et fluctuant qui reflète les difficultés que rencontre l'État depuis des décennies pour assurer le règlement des nombreuses occupations sans titre qui grèvent son domaine.

(b) Les eaux ultramarines

Depuis la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, le régime de propriété des cours d'eau et lacs naturels est identique dans les départements d'outremer et dans l'Hexagone : ils ne font plus partie nécessairement du domaine public de l'État comme par le passé mais ils sont intégrés au domaine public fluvial au sens large, ce qui implique une possibilité de transfert de propriété aux départements qui en font la demande.

En revanche, aux termes de l'article L. 5121-1 du CG3P qui consacre une solution datant de la conquête même des territoires, les sources et les eaux souterraines appartiennent au domaine public de l'État pour des raisons essentiellement liées à la rareté, à la sécheresse des sols et au caractère irrégulier des cours d'eau. C'est ce qui permet d'assujettir les prélèvements d'eau non domestiques à autorisation administrative et au versement d'une redevance. L'abondance de la ressource en Guyane explique une dérogation à cette règle : l'usage à des fins d'irrigation n'y est pas soumis à autorisation. 12 ( * )

La portée de cette particularité des eaux ultramarines ne doit pas être sous-estimée. Dans le droit commun, c'est le lit des rivières et non l'eau elle-même qui fait l'objet d'une propriété publique. En outre, l'incorporation des eaux souterraines au domaine de l'État, quel que soit le propriétaire du foncier, constitue une dérogation à une règle fondamentale du droit civil qui veut que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous » (art. 552 du code civil).

Certains juristes comme Mme Caroline Chamard-Heim, professeur de droit public à l'Université Lyon III - Jean Moulin, estiment que « c e type de mécanisme devrait même être transposé en France métropolitaine, dès lors que l'eau y deviendra de plus en plus une ressource rare. [...] nous devons protéger les eaux souterraines et les sources pour contrôler les prélèvements. Dans ce cas, le régime strict de la domanialité publique cadre bien avec la rareté de la ressource. L'outre-mer peut ici faire office de précurseur. » 13 ( * )

Il convient toutefois de noter que ce régime des eaux ultramarines ne s'applique pas de la même façon à Mayotte, où les eaux stagnantes et courantes - à l'exception des eaux pluviales même accumulées artificiellement -, les cours d'eau navigables 14 ( * ) , les sources et les eaux naturelles appartiennent non à l'État mais à la collectivité départementale. 15 ( * ) C'est là un exemple non seulement de la complexité systématique du droit domanial ultramarin, pétri de dérogations et d'exceptions , y compris pour la simple définition de la composition du domaine et de la désignation de la personne publique propriétaire, mais aussi plus spécialement du caractère très exorbitant des règles applicables à Mayotte.

La composition hétérogène du domaine de l'État
dans les départements d'outre-mer :

L'exemple de La Réunion

À La Réunion, l'État exerce des droits de propriété sur environ 940 km 2 pour une superficie globale de l'île de 2 510 km 2 . Les estimations de surface doivent être considérées avec prudence et sans prétention à une excessive précision en raison de l'imprécision et des lacunes du cadastre pour les biens non bâtis.

Dans le domaine public de l'État sont identifiés, outre les domaines aéronautique, portuaire et militaire :

- le domaine public maritime, divisé en deux parties : le domaine public maritime naturel de l'État d'environ 250 km de côtes et la bande littorale appelée zone des cinquante pas géométriques (ZPG) d'une largeur allant de 81,20 à 600 m selon l'endroit du rivage et d'une superficie de 20 km² hors forêt ;

- le domaine public fluvial (environ 1800 km de linéaire).

Le domaine privé de l'État comprend :

- les ravines sèches, qui représentent environ 1700 km de linéaire ;

- le domaine forestier littoral situé dans la ZPG (4 km²) ;

- les forêts départemento-domaniales (915 km 2 ) ;

- les bâtiments tertiaires occupés par les services (surface occupée de 154 000 m²) ;

- les logements (surface occupée de 159 000 m²).

Source : préfecture de La Réunion - ONF, 2015

b) Une domanialité résiduelle dans les collectivités à statut d'autonomie
(1) Un indicateur du degré d'autonomie des collectivités

L'étendue et la nature propre des biens du domaine constituent des indices éminents du niveau de maîtrise par l'État du territoire de la collectivité où ils sont situés. Il s'agit au moins d'une maîtrise formelle de jure qui peut être considérablement atténuée en pratique, lorsque l'État se révèle de facto incapable de faire respecter son domaine et de mettre sa gestion au service de l'intérêt général. N'en demeure pas moins le fait que le degré d'autonomie d'une collectivité ultramarine peut se lire directement dans la description des biens restant propriété de l'État.

Ainsi, à Saint-Pierre-et-Miquelon, le domaine public maritime reste propriété de l'État comme dans les cinq départements d'outre-mer, ce qui est cohérent avec le fait qu'il s'agit de la collectivité relevant de l'article 74 qui dispose du plus faible degré d'autonomie. En revanche, à la différence des départements, jamais n'y a été délimitée une zone des cinquante pas géométriques. Les terrains qui y correspondraient relèvent de propriétaires privés ou de la collectivité territoriale. De même, les sources et eaux souterraines à Saint-Pierre-et-Miquelon font partie du domaine public de l'État comme dans les DOM. 16 ( * )

Le domaine de l'État à Saint-Pierre-et-Miquelon

« Les immeubles de l'État, en surface insuffisantes pour les besoins, sont principalement utilisés pour l'installation des différents services ministériels sous le régime des conventions d'utilisation, assorties ou non de loyers budgétaires. L'État prend à bail des bâtiments à usage de bureaux ou de logements.

Le domaine public est surtout constitué par le domaine public maritime et la présence du port de Saint-Pierre qui demeure le dernier port d'État. Les occupations du domaine public maritime sans titre sont assez fréquentes et résultent de coutumes ancestrales.

Les redevances d'occupation, désormais calculées à partir des bases nationales, sont toutefois divisées par environ 5 pour tenir compte des coutumes et de la faible activité économique de l'archipel.

La principale préoccupation domaniale demeure la gestion du Port de Saint-Pierre, sur lequel se trouve d'anciens bâtiments industriels partiellement inutilisés et des constructions nouvelles initiées par la collectivité territoriale, sans parfois que les conditions économiques et juridiques d'utilisation de ces ouvrages aient été fixées suffisamment à l'avance. »

Source : Direction des finances publiques de Saint-Pierre-et-Miquelon, Réponse transmise aux questions de la délégation, mars 2015

(2) Les réserves de souveraineté encadrant le transfert du domaine public de l'État

Ailleurs, le domaine public maritime , très associé à la capacité de l'État à maîtriser un territoire, a été transféré aux collectivités par les différentes lois organiques leur conférant un statut d'autonomie propre. C'est le cas en Nouvelle-Calédonie au profit des trois provinces 17 ( * ) , à Saint-Barthélemy 18 ( * ) et à Saint-Martin 19 ( * ) . De même, la Polynésie française est propriétaire du domaine public maritime. 20 ( * )

Le transfert du domaine ne s'est pas accompagné par un transfert de la compétence d'incorporation de nouvelles dépendances au sein du domaine public maritime naturel. En d'autres termes, contrairement au domaine public artificiel, la constitution du domaine public maritime naturel de chacune de ces collectivités résulte nécessairement d'un transfert de propriété de la part de l'État. De plus, dans la mesure où ce type de transfert peut affecter la souveraineté nationale, il doit être décidé expressément, ainsi que l'a rappelé le Conseil d'État dans son arrêt Province Sud du 19 mai 2000.

Dans le même élan, l'État a transféré aux collectivités la ZPG de Saint-Martin, de Nouvelle-Calédonie et celle des îles Marquises en Polynésie française . Les autres archipels polynésiens (Société, Tuamotu-Gambier et Australes) et Saint-Barthélemy ne connaissaient pas, en revanche, cette institution.

En revanche, certains espaces naturels protégés ont parfois été exclus du transfert du domaine public maritime. Par exemple, la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 n'a pas attribué à la collectivité de Saint-Martin les zones classées en réserve naturelle, le domaine relevant du Conservatoire du littoral, ni la forêt domaniale littorale qui a au contraire été transférée à titre gratuit au Conservatoire.

Dans sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 sur le statut de la Polynésie française, le Conseil constitutionnel a toutefois posé des limites à ces transferts : les transferts de compétence et de biens aux collectivités ultramarines ne peuvent pas « affecter l'exercice de sa souveraineté par l'État ». En outre, les différentes lois organiques portant statut d'autonomie disposent à titre général que le transfert de propriété se fait à l'exception des emprises affectées, à la date de publication de la loi, à l'exercice des compétences de l'État. C'est sur cette base que, par exemple, des terrains portant des casernes de gendarmerie et inclus dans la ZPG des îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie n'ont pas été transférés à la province et sont restés incluses dans le domaine public de l'État.

Ainsi, même dans les collectivités les plus autonomes, régies par l'article 74 de la Constitution, l'État conserve des propriétés abritant ses services publics tels que palais de justice, bases militaires, ports autonomes ou encore les aéroports internationaux de Nouméa-La Tontouta et de Tahiti-Faa'a.

(3) La persistance de revendications ponctuelles

Des revendications sur certaines parties du domaine de l'État demeurent formulées par les collectivités pour prolonger et finaliser les premiers transferts.

Il convient de souligner que tout nouveau transfert de compétences entraîne les transferts de biens domaniaux qui sont nécessaires à leur exercice. L'article 57 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 2009 prévoit ainsi pour la Nouvelle-Calédonie que les transferts de compétences prévus par les Accords de Nouméa s'accompagnent automatiquement du transfert gratuit des immeubles. Le dernier acte de transfert de propriété gratuit porte sur l'aérodrome de Magenta suite au transfert de compétence de la circulation aérienne intérieure.

Par ailleurs, le gouvernement de la Polynésie française demande la rétrocession des atolls de Mururoa et Fangataufa sur lesquels se sont déroulés des essais nucléaires et qui demeurent propriétés de l'État.

En sa qualité de juridiction d'appel des tribunaux administratifs de la Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie et de Mata-Utu, la Cour administrative d'appel de Paris a également été saisie de trois affaires concernant l'aéroport de Tahiti - Faa'a. Le maire de la commune de Faa'a, M. Oscar Temaru, ancien président de la Polynésie française, contestait notamment la compétence des autorités de l'État en matière aéroportuaire en Polynésie française et l'appartenance de l'aéroport concerné au domaine public de l'État. La Cour a rejeté deux des requêtes en cause pour défaut d'intérêt à agir et la troisième au fond (CAA Paris, Commune de Faa'a , 31 juillet 2013). 21 ( * )

Outre la Polynésie française, on peut citer le cas de Saint-Barthélemy qui demande le transfert du fort Karl et de l'îlet Coco pour la réalisation d'un projet éolien. L'État s'y refuse car le premier est occupé par la gendarmerie et le second constitue une réserve paléontologique majeure 22 ( * ) .

Vos rapporteurs estiment que ces demandes de transfert doivent être examinées au cas par cas et négociées dans la sérénité entre l'État et la collectivité autonome, dans le respect des réserves de souveraineté posées par le Conseil Constitutionnel.

(4) Un transfert inachevé à Saint-Martin, conséquence de la défaillance du cadastre

Si la collectivité de Saint-Martin porte encore des demandes sur le foncier restant à l'État et sur la délimitation du domaine, il est surtout essentiel pour elle de finaliser le transfert effectif qui, huit ans après, n'est pas encore achevé. De nombreuses parcelles sont encore inscrites comme appartenant à l'État en raison d'un retard manifeste dans la mise à jour du cadastre 23 ( * ) , des défaillances d'enregistrement à la conservation des hypothèques et des interprétations divergentes des dispositions de la loi organique. L'affaire de l'ancienne gendarmerie de Concordia illustre une autre facette du problème : voilà un terrain disputé entre l'État et la collectivité, dont on ne parvient pas à savoir avec certitude s'il appartient à l'un ou à l'autre, si les actes anciens retrouvés sont valides et s'il faut le classer dans le domaine public ou le domaine privé.

La situation actuelle est probablement due à la sous-administration chronique dont a longtemps souffert ce territoire et qu'a reconnue le préfet délégué devant vos rapporteurs. La responsable du pôle domanial à la direction des finances publiques de Guadeloupe qui gère aussi Saint-Martin a confirmé le manque cruel de fiabilité qui affecte les fichiers fonciers de l'État et de la collectivité. Elle estime que le lourd travail de mise à jour afin d'assurer une sécurité juridique nécessaire à toute opération ou transaction prendra au moins deux à trois ans.

La cause profonde des difficultés du transfert réside dans l'absence d'un inventaire exhaustif, fiable et à jour des biens de l'État.

Les départements d'outre-mer sont aussi touchés et, au premier rang, Mayotte. Ainsi que l'a indiqué M. Olivier James, directeur régional de l'ONF à La Réunion et responsable des opérations sur l'île de Mayotte : « un état des lieux de la propriété foncière, pour clarifier la situation, est en cours. Nous devons savoir précisément ce qui relève de la propriété domaniale de l'État, du Département et des communes . » 24 ( * ) Sur cette base, des actes d'échanges permettront de clarifier les relations de propriété entre l'État et le conseil général. Pour de nombreux biens, il y a en effet lieu de procéder à une reconstitution de propriété, à cause du grave incendie qui, en 2004 a détruit une partie des archives de la propriété immobilière. Vos rapporteurs appellent à la résorption rapide de toutes les carences d'inventaire du domaine, qui se révèlent très préjudiciables dans toutes les collectivités ultramarines.


* 1 « Å? ì?íôïé êáèåäå?óèå, ?÷ñé ôï? èïñõâ?óáé êá? ?ðáéí?óáé óðïõä?æïíôåò, ??í ä? ä?? ôé ðïéå?í ?íáäõ?ìåíïé, ï?÷ ?ñ? ë?ãïí ?óôéò ?íåõ ôï? ðïéå?í ?ì?ò ? ðñïó?êåé äõí?óåôáé ô?í ð?ëéí ó?óáé. » Démosthène, Sur les affaires de Chersonèse, - 341 av. JC (notre traduction).

* 2 Source : France Domaine, 2015.

* 3 Ces logements de fonction sont prévus par le décret n°67-1039 du 29 novembre 1967 portant réglementation des magistrats et des fonctionnaires de l'État en service dans les territoires d'outre-mer. Le logement et l'ameublement incombent au service qui emploie les magistrats et fonctionnaires concernés. Faute de logement ou d'ameublement administratif mis à leur disposition, un remboursement des frais engagés par ces personnels est prévu.

* 4 Réponse écrite au questionnaire de la délégation en vue de l'audition de France Domaine le 20 janvier 2015.

* 5 Communauté de communes du Nord de la Martinique

* 6 Communauté d'agglomération Centre Martinique

* 7 Communauté d'agglomération Espace Sud Martinique

* 8 Pour être exhaustif, il faudrait également tenir compte du foncier détenu par les bailleurs/aménageurs, l'EPAG, le CNES et le Conservatoire du littoral.

* 9 Agence d'urbanisme et de développement de la Guyane

* 10 Article L. 5331-4 CG3P

* 11 Article L. 5111-2 CG3P. Les remblais le long des côtes qui ont permis au fil du temps de gagner sur la mer ont aussi accru la surface de la ZPG. En Martinique, dans la commune du Robert, l'arrêté de délimitation fixe une limite supérieure à plus de 200 m du rivage vers l'intérieur des terres.

* 12 Article L. 5121-2 CG3P

* 13 Audition de Caroline Chamard-Heim du 20 janvier 2015.

* 14 Le critère de navigabilité des cours d'eau pour le classement dans le domaine public n'existe plus que pour Mayotte.

* 15 Art. L. 5331-8 CG3P

* 16 Art. L. 5261-1 CG3P

* 17 Art. 45 de la loi organique du 19 mars 1999

* 18 Art. LO. 6214-6 du code général des collectivités territoriales (CGCT)

* 19 Art. LO 6314-6 CGCT

* 20 Art. 7 de la loi organique du 12 avril 1996, confirmé par les articles 46 et 47 de la loi organique du 27 février 2004.

* 21 Réponse écrite de M. Patrick Frydman, président de la CAA, aux questions de la délégation du 26 février 2015.

* 22 D'après la direction régionale des affaires culturelles, la présence avérée d'ossements de rats géants, rongeur endémique de l'ancien banc d'Anguille, et de nombreux fossiles datant du pléistocène ou de l'holocène, c'est-à-dire, de l'arrivée de l'espèce humaine, en fait un site de premier plan.

* 23 Le cadastre qui relève de la compétence de la collectivité de Saint-Martin a été confié par convention à la direction des finances publiques de Guadeloupe.

* 24 Audition de l'ONF du 14 janvier 2015.

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