Jeudi 9 avril 2015

Audition par visioconférence de MM. Dominique Sorain, préfet de La Réunion, Louis-Olivier Roussel, directeur-adjoint de la DEAL, et Marc Van-Belle, directeur du pôle gestion de la DRFiP

M. Michel Magras , président . - Mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour poursuivre nos auditions sur la gestion du domaine foncier de l'État outre-mer. Nous avons déjà entendu les services ministériels concernés, aussi bien France Domaine que le service de la gestion fiscale et la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature. Les grands opérateurs fonciers en outre-mer que sont l'Office national des forêts et le Conservatoire du littoral ont été aussi entendus pour comprendre leur gestion des espaces naturels.

Nous avons également reçu des experts comme Mme Chamard-Heim, professeur de droit pour une audition générale sur la domanialité outre-mer, et comme Mmes Angel et Baïetto-Beysson, de l'Inspection générale de l'administration et du conseil général du développement durable, qui avaient produit un rapport sur les questions foncières aux Antilles, ciblé sur la zone des cinquante pas géométriques (ZPG).

Avant notre déplacement la semaine prochaine en Guyane, en Martinique et à Saint-Martin, afin de poursuivre notre exploration des situations concrètes dans les territoires ultramarins, nous nous pencherons aujourd'hui sur la gestion du domaine de l'État et les questions foncières à La Réunion en auditionnant par visioconférence M. Dominique Sorain, préfet de La Réunion, accompagné de M. Louis-Olivier Roussel, directeur-adjoint de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), et de M. Marc Van-Belle, directeur du pôle gestion de la direction régionale des finances publiques (DRFiP).

À moins que l'un des rapporteurs souhaite formuler des observations liminaires, je cède la parole au préfet Dominique Sorain.

M. Dominique Sorain, préfet de La Réunion. - Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous prie d'excuser les absences de Mme Geneviève Tréjaut, directrice de la DRFiP, et de M. Daniel Fauvre, directeur de la DEAL, qui n'ont pu être présents aujourd'hui. Je suis cependant entouré de leurs collaborateurs.

Compte tenu de l'étroitesse de son territoire, la problématique du foncier est centrale pour La Réunion. Pour vous permettre de mesurer les enjeux, je souhaiterais rappeler quelques chiffres. Le linéaire de côte de La Réunion mesure environ 250 kilomètres. Comme le coeur de l'île, inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, est sanctuarisé au sein du Parc national, l'essentiel de l'activité économique et de la population est installé sur ce linéaire qui fait l'objet de pressions très importantes. Les 24 communes de La Réunion sont inscrites dans cette zone. Seules quatre communes ne sont pas bordées par la mer et l'importance de la population dans le coeur de l'île est marginale.

La problématique du domaine public maritime est donc essentielle. La ZPG de La Réunion couvre un linéaire de 212 kilomètres sur une largeur variable, entre 80 mètres et 200 mètres. Elle représente une superficie d'environ 20 kilomètres carrés, sous réserve des droits des tiers et de quelques ajustements en cours. À la différence des Antilles, cette zone a été clairement définie par une succession de textes depuis le début du vingtième siècle.

Le domaine public fluvial représente environ 1 800 kilomètres. Ce chiffre, qui peut paraître important, est lié à la géographie de l'île et au fait que les ravines rayonnent sur tout le pourtour à partir de l'intérieur.

Ces dossiers sont suivis par les services de l'État. Les moyens mobilisés, tant à la DEAL qu'à France Domaine, couvrent un ensemble d'activités qui vont de la comptabilité au suivi des actes réglementaires et qui comprennent également les évaluations et la gestion domaniales.

La gestion de la ZPG est bien bordée à La Réunion, avec deux sous-ensembles distincts : les zones urbaines et les zones non urbanisées.

La Réunion est une île de 2 500 kilomètres carrés sur laquelle vivent aujourd'hui 850 000 habitants. Les projections donnent une population d'un million d'habitants à l'horizon 2030. Si vous enlevez le coeur de l'île qui est sauvegardé, l'essentiel de la population se retrouve sur une zone de 1 000 kilomètres carrés. La densité est donc très importante.

Une partie de la ZPG se retrouve inscrite dans la zone urbanisée. Compte tenu de la très forte pression foncière, il est absolument essentiel pour nous de conserver la maîtrise de cette zone. C'est le principal problème que nous avons à traiter. L'État et les élus de la région, des communes et des intercommunalités souhaitent parvenir à organiser cette pression foncière, qui est couplée avec les phénomènes naturels inhérents à l'île que sont les risques d'inondation, de glissement de terrain et de submersion du rivage.

Conserver la maîtrise du linéaire littoral permet, dans un contexte réglementaire qui n'est pas totalement stabilisé, de disposer d'un moyen de maîtriser l'évolution des aménagements réalisés. Le contexte n'est pas tout à fait stabilisé dans la mesure où, historiquement, les différents documents et notamment ceux qui portent sur la prévention des risques, quels qu'ils soient, n'ont pas été finalisés. En fin d'année dernière, j'ai fixé un objectif de parvenir à une couverture complète de ces zones d'ici trois ans.

La frange littorale a fait l'objet dans les années soixante d'un travail d'inventaire qui est en cours de réactualisation. Une particularité de La Réunion est de posséder très peu d'habitat informel ou insalubre. En dépit de quelques empiètements, il y a une réelle maîtrise de l'occupation des terrains. Nous ne sommes pas dans une logique de régularisation massive. Concernant les cessions de terrain dans cette ZPG, nous avons au maximum deux ou trois dossiers à instruire chaque année.

Il est important que nous gardions la maîtrise de ces zones pour garantir l'application des règles tendant à un aménagement cohérent et sécurisé du littoral. En revanche, il faut aussi évoluer et être ouvert à des cessions d'emprises foncières sur la zone urbanisée. Ainsi, nous avons récemment, sur la commune de Saint-Denis, réalisé des opérations foncières d'échanges, dans l'intérêt de l'État et de la commune. Des aménagements routiers étaient nécessaires pour la traversée de la ville et un réaménagement du front de mer est en cours. De même, sur la commune de Saint-Paul, qui compte plus de 100 000 habitants, nous avons cédé des terrains pour favoriser la réalisation de logements sociaux. Nous sommes là dans une toute autre logique. La ZPG en pleine zone urbaine est une problématique spécifique.

Telle est la logique que nous suivons pour ce qui concerne la ZPG. Les services de France Domaine s'assurent par ailleurs que les échanges sont équilibrés. Je laisse le soin à l'équipe qui m'entoure d'apporter quelques précisions.

M. Louis-Olivier ROUSSEL, directeur-adjoint de la DEAL. - Je souhaiterais apporter quelques précisions sur le devenir de la ZPG et, plus particulièrement, sur notre capacité à céder du terrain du domaine public dans les zones urbanisées.

Au sein de la ZPG, il faut également distinguer non seulement les zones naturelles, avec des enjeux de conservation des paysages et de la biodiversité, mais aussi les zones intermédiaires comme, par exemple, les zones balnéaires situées à l'ouest de l'île, qui représentent de forts enjeux. Dans ces dernières zones, des terrains du domaine ont fait l'objet de cessions dans le passé et le territoire est devenu semi-urbanisé. On peut même utiliser le terme de « gruyère ». L'État ne dispose pas actuellement des moyens financiers pour assurer la protection des espaces qu'il conserve en gestion et nous nous interrogeons sur la façon dont nous pouvons continuer à les gérer. On peut citer en exemple sur ce sujet trois conventions de gestion, qui ont été signées avec les communes de Saint-Paul, de Saint-Pierre et de Saint-Leu. Nous avons une façon assez particulière de gérer ces espaces qui pose des questions mais apporte aussi quelques réponses. Cela mérite réflexion. Dans le cadre d'un diagnostic global, il serait intéressant d'y revenir.

Monsieur le préfet a rappelé l'importance du domaine public maritime, mais je souhaite également souligner celle du domaine privé de l'État qui correspond à des ravines sèches, qui représentent un linéaire de 1 700 kilomètres et qui constituent un enjeu important pour la préservation de la biodiversité.

La DEAL dispose de moyens humains qui représentent environ onze équivalents temps plein en charge des dossiers. Les moyens financiers sont limités. Les moyens attribués à la gestion du domaine public fluvial représentent en moyenne 150 000 € par an. Les moyens financiers affectés au domaine privé de l'État - et notamment les ravines sèches - et au domaine public maritime sont inexistants.

M. Marc Van-Belle, directeur du pôle gestion publique à la DRFiP . - Dans notre direction, le domaine est géré par une équipe de quatorze personnes. Vous nous avez interrogés sur les cessions de terrain. Nous en avons identifié quatre entre 2012 et 2014 dont l'objet était de permettre la construction de logements sociaux. Ces biens avaient été déclarés inutiles pour l'État et étaient susceptibles d'être donnés pour la réalisation de constructions. Une première opération porte, dans la commune de La Possession, sur la reprise d'un projet routier abandonné et permettra la construction de 81 logements sociaux. Actuellement, cette opération est suspendue du fait d'une contestation du permis de construire. Une deuxième opération sur le terrain d'une ancienne gendarmerie de Sainte-Marie est en cours de réalisation. Une troisième est envisagée au Tampon.

M. Dominique Sorain. - Compte tenu du questionnaire que vous nous avez adressé, je vous propose de rester pour l'instant sur la problématique du domaine public maritime, de passer ensuite au sujet des biens immobiliers de l'État cédés pour les opérations de logement et de terminer sur les questions forestières.

M. Michel Magras , président . - J'ai bien compris que, au sein de la ZPG, il y a des zones urbanisées et des zones qui ne le sont pas et que vous souhaitez garder à l'état naturel. Quelles sont les proportions de ces deux zones ? Dans la partie urbanisée, pourriez-vous nous dire à qui appartiennent les terrains ? Sont-ils tous publics ou des personnes privées possèdent-elles des titres de propriété, votre intervention se réduisant à veiller au respect des règles d'urbanisme ?

M. Dominique Sorain. - Je ne connais pas précisément les proportions mais, très approximativement, on peut estimer que les terrains non urbanisés représentent les deux tiers de la surface totale et les terrains urbanisés le tiers restant. Les données varient selon les communes. Les parties nord et ouest de l'île sont très urbanisées, le littoral y est très occupé, et c'est là que se fait l'essentiel des cessions de terrains. La partie sud de l'île est en grande partie naturelle. J'insiste sur le fait que les occupations sans titre ne constituent pas du tout un phénomène massif.

Les opérations qui ont été évoquées précédemment dans le cadre d'aménagements urbains sont réalisées avec des opérateurs publics, et notamment les communes dans le cadre de l'aménagement de leur centre-ville, dans le cadre de l'évolution de leurs documents d'urbanisme.

M. Michel Magras , président . - Vous avez dit que l'intérieur des terres est entièrement protégé. La bande littorale l'est en partie et doit rester à l'état naturel. Comment conciliez-vous la protection des espaces protégés et l'augmentation de la population ? Y aura-t-il de la place pour tout le monde ?

M. Dominique Sorain. - Il s'agit là d'une problématique d'aménagement du territoire que connaissent bien les élus. Notre objectif est de réaménager les centres-villes afin de les densifier, soit en termes d'habitations, soit en termes d'aménagements économiques pour développer l'emploi. Or, la population augmente et, dans le même temps, les habitudes de vie évoluent. La décohabitation s'accélère. Nous devons faire face à l'augmentation de la population, aux risques naturels, tout en préservant l'environnement et en favorisant les opérations menées par les communes.

M. Charles Revet . - Merci pour toutes les informations très intéressantes que vous nous avez apportées.

Nous serons amenés à nous prononcer sur le projet de loi relatif à la biodiversité. Un inventaire de la biodiversité existe-t-il pour le département de La Réunion ?

En 2008, à la suite de la loi portant réforme portuaire dont j'avais été le rapporteur, il avait été prévu que tout le long du littoral soit établi, dans tous les départements et territoires, un schéma déterminant les zones à protéger strictement compte tenu de la l'intérêt de la faune et de la flore, et celles qui seraient ouvertes à l'économie et à l'habitat. Disposez-vous de ce type de document à La Réunion ?

Mme Vivette Lopez . - Le Conservatoire du littoral intervient-il chez vous ? Si c'est le cas, de quelle manière ?

M. Dominique Sorain . - L'aménagement du territoire se fait dans le cadre d'un schéma d'aménagement régional (SAR), élaboré par le conseil régional, qui permet d'encadrer les utilisations du territoire en prenant acte des aspects de protection de l'environnement.

J'ai évoqué le rôle du Parc national. Une partie de l'île est inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, mais nous avons également différentes réserves biologiques qui ont pour objectif de préserver des habitats ou des espèces représentatives d'un certain nombre de milieux forestiers, d'espaces vulnérables. Nous disposons également de réserves naturelles.

Il y a des arrêtés de protection des biotopes. À l'ouest, nous avons une réserve naturelle marine qui s'étend sur 40 kilomètres de côte. Le Conservatoire du littoral a dans son portefeuille une surface de 1 500 hectares, ce qui permet également de mettre en place une politique foncière de protection du littoral. Il a la volonté d'acquérir de nouvelles parcelles. Nous utilisons toute une panoplie d'outils pour préserver l'environnement dans les espaces les plus sensibles.

Il faut également tenir compte du risque d'étalement de l'habitat, que ce soit sur le littoral ou sur les pentes de l'île. Les Réunionnais privilégient l'habitat individuel et préfèrent les « cases à terre » aux « cases en l'air ».

M. Michel Magras , président . - Pour répondre précisément à la question de notre collègue Charles Revet, il existe bien formellement une schématisation de la protection de l'environnement.

M. Dominique Sorain. - Un schéma existe et s'applique et nous avons déjà des réalisations. Je pense au dossier sensible de la réserve marine, située sur l'unique lagon de l'île en face de l'une des zones les plus urbanisées du littoral. Il faut perpétuellement préciser les règles de gestion pour faire en sorte que tout ceci soit acceptable et applicable. On retrouve la même problématique dans le cas du Parc national.

M. Michel Vergoz . - Pourriez-vous préciser la distinction entre les cinquante pas géométriques et le domaine public maritime ?

Vous dites que les régularisations en cours sur les zones urbanisées ne concernent que deux ou trois dossiers par an. Ce chiffre me semble très faible. Vous soulignez à juste titre que les zones hyper-densifiées de Saint-Denis, Saint-Paul, voire Saint-Pierre, sont des zones sur lesquelles vous vous penchez prioritairement, mais bien d'autres communes sont concernées par l'urbanisation de ces cinquante pas géométriques. Mon collègue Serge Larcher a commis à ce sujet un rapport en 2013. Il en est ressorti l'idée de faire procéder à des opérations de titrement des occupants sans titre. Cette opération a-t-elle été lancée à La Réunion ? En vous focalisant sur les grandes zones urbaines, ne prenez-vous pas le risque de passer à côté de conflits latents dans les autres zones ? Le littoral Est est urbanisé et des poches de bidonvilles se constituent et ne peuvent pas être aménagées par les intéressés du fait du problème de propriété foncière. Ne faudrait-il pas accélérer ces régularisations éventuelles afin d'apporter des réponses aux personnes qui vivent dans des zones défavorisées qui constituent autant de foyers potentiels de tension ?

M. Michel Magras , président . - Comme notre collègue a cité le rapport de M. Serge Larcher qui est aussi co-rapporteur sur ce dossier, je lui cède la parole.

M. Serge Larcher , co-rapporteur . - Monsieur le préfet, j'ai entendu que vous vouliez que l'État garde la maîtrise de la ZPG. Pour autant, notre collègue vient de parler de poches de bidonvilles. Il y a des risques d'occupation sans titre du fait même de la pression sur la ZPG née de la forte poussée démographique que connaît La Réunion. Comment quantifiez-vous cette pression ? S'il y a occupation, se situe-t-elle dans la zone densifiée urbanisée, dans la zone semi-urbanisée ou dans celle qui est dite naturelle, gérée par la DEAL ou l'ONF ?

Vous dites que deux dossiers sont traités par an. Est-ce parce que vous n'avez pas les moyens, comme semble l'indiquer le représentant de la DEAL, d'en traiter davantage ou est-ce parce que l'État laisse faire et se retrouve ensuite confronté à une hémorragie ? Autrement dit, directement mais sans arrière-pensée, est-ce une question de moyens ou de volonté ?

La ZPG est une zone stratégique pour nos îles. Elle doit rester naturelle pour leur permettre de garder tout leur potentiel pour l'avenir. Le Sénat, au travers de la délégation à l'outre-mer, est attentif à ce que ces zones restent protégées, non seulement pour éviter les occupations sans titre, les bidonvilles, les habitats insalubres ou informels, mais aussi parce que beaucoup de potentialités sont hypothéquées du fait de l'anarchie résultant d'une carence dans la maîtrise de cette zone.

Nous souhaitons que des dispositions soient prises pour que les choses soient sauvegardées. Bien sûr, le Conservatoire procède à l'acquisition de biens, mais encore faut-il qu'il ait les moyens de police de veiller à ce que ces biens restent en bon état et soient mis à disposition du public, conformément à sa vocation.

M. Dominique Sorain. - Je ne crois pas que le représentant de la DEAL ait dit qu'il manquait de moyens. Je sais qu'en ce moment la réduction de nos moyens nous conduit à en demander un petit peu plus. Nous n'avons pas de problèmes de moyens à ce sujet.

Je voudrais insister sur un point. La situation à La Réunion n'est en aucun cas comparable à ce qui se passe aux Antilles. Nous ne connaissons aucun débordement d'occupations sans titre. Depuis le début du XX e siècle, précisément à partir de 1922, une série de lois ont permis de réaliser des cessions de parcelles de terrains occupés à des personnes privées. J'ai indiqué que, tous les ans, on procède à l'examen de deux ou trois dossiers litigieux. Si l'on n'en examine pas davantage, ce n'est pas faute de moyens ou de suivi, mais parce que cette problématique reste très largement marginale à La Réunion.

Pour revenir à ce que disait le sénateur Vergoz, nous ne faisons pas de fixation sur les grandes villes. J'ai cité des opérations d'ampleur sur certaines villes, et notamment l'aménagement du front de mer de Saint-Denis, mais cela concerne bien sûr toutes les communes du littoral. Notre souhait aujourd'hui est de pouvoir conserver la maîtrise en distinguant ce qui relève des aménagements nécessaires des centres urbains et ce qu'exigent la préservation du littoral et la prévention des risques. Je rejoins les observations que vous avez faites sur l'importance de garder la maîtrise du foncier correspondant à ces cinquante pas géométriques. Il y a une véritable prise de conscience à La Réunion sur les questions de biodiversité et de risques naturels. Nous ne subissons pas la pression que connaissent les Antilles sur la ZPG et qui a donné lieu à une masse d'occupations sans titres. Nos objectifs sont communs mais la situation est différente.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur . - À travers vos interventions, nous mesurons la spécificité de La Réunion en termes de topographie et d'organisation de l'île. Je voudrais revenir sur la question de notre président, relative à l'évolution de la population. Quelles mesures particulières faudrait-il prendre pour anticiper l'augmentation de la population de l'île ? La pression foncière donne-t-elle lieu à de la spéculation ?

On ne peut évoquer l'augmentation de la population sans tenir compte des infrastructures, des équipements et du logement. Je pense à tout ce qui peut toucher les déplacements. Connaissez-vous des difficultés de circulation sur l'île ? Y a-t-il une anticipation pour accompagner l'évolution de la population ? Qu'en est-il de la situation de l'emploi ?

M. Jean-Jacques Hyest . - Je crois qu'il faut insister sur le fait que, pour la ZGP, La Réunion n'est pas comparable aux Antilles. Pour autant, l'augmentation de la population demandera nécessairement une densification de l'habitat. Il faudra développer les infrastructures, l'activité économique tout en protégeant certaines zones naturelles. Tout cela demande de l'espace. Que va-t-on sacrifier, si ce n'est l'économie agricole ? C'est un risque dont il faut prendre la mesure.

M. Dominique Sorain. - Nous sommes au coeur des politiques menées dans l'île. L'augmentation de la population tient au dynamisme démographique. Nous observons une tendance lourde de croissance naturelle de la population. Il y a peu d'immigration à La Réunion.

Comment préserver les équilibres territoriaux ? La satisfaction des besoins de la population passe par une densification de l'espace bâti. Il y a des dents creuses très importantes. Par exemple, à Saint-Paul, le site de l'ancienne antenne Oméga - un système de navigation - avait une emprise très importante. Nous avons la possibilité, à cet emplacement, de construire des logements pour 50 000 habitants. Ce serait une véritable ville nouvelle. La zone ne présente pas beaucoup d'intérêt en termes de biodiversité, mais elle est essentielle en termes d'enjeux fonciers. Il y a également des terrains disponibles dans l'arrière-port du Port. Cela permettrait également de développer l'activité économique.

La densification permet de protéger l'espace agricole. C'est une priorité que je me suis fixée. Une spécificité ultramarine nous y aide : la Commission départementale de consommation d'espace agricole (CDCEA) doit rendre un avis conforme pour qu'une opération foncière soit possible. Je partage les préoccupations qui ont été exprimées, il faut être vigilant pour éviter un grignotage des terres, et notamment des terres à canne là où elles sont les plus productives, en zone littorale. Nous disposons des outils pour préserver les équilibres territoriaux. Il est vrai que cela n'est pas toujours facile, que nous devons faire face à des pressions pour créer tel ou tel équipement, ou urbaniser telle ou telle zone. Nous faisons en sorte que la logique de préservation et de maintien de l'espace agricole l'emporte. Nous essayons de maintenir la surface agricole utile (SAU) à son niveau actuel. Parfois, nous réalisons des opérations d'épierrement, en enlevant les andains quand la présence de roches empêche la bonne culture d'un terrain.

Nous sommes en train de travailler sur la mise en oeuvre du plan « Logement » annoncé par le Gouvernement. L'État apporte sa contribution en mettant à disposition ou en cédant des terrains qui lui appartiennent. Nous l'avons fait de manière très significative en rendant disponible le site d'une ancienne prison ou encore, très récemment, plusieurs milliers de mètres carrés.

Pour assurer la maîtrise du foncier, dans le cadre de la négociation du contrat de plan État-région, nous avons proposé à la région d'inscrire des crédits pour alimenter le Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU).

En effet, le foncier est l'une des sources de l'augmentation des coûts pour la réalisation de logements sociaux. Un objectif ambitieux de création de logements a été fixé. Nous sommes aujourd'hui à 5 000 logements sociaux neufs ou réhabilités par an. Il en faudrait environ 7 000. Globalement, 9 000 logements environ sont construits chaque année à La Réunion. C'est à peu près la moitié des constructions qui sont réalisées outre-mer. Les mesures de défiscalisation, de crédits d'impôts devraient jouer un rôle moteur dans le cadre d'opérations qui répondent à un besoin réel de la population.

Nous avons aussi besoin de logements intermédiaires. L'augmentation du plafond de crédit d'impôt, de 10 000 € à 18 000 €, est un outil supplémentaire pour cette politique. Il faut faire en sorte que l'on apporte des logements à la population, en prenant en compte l'évolution des comportements. Alors qu'autrefois plusieurs générations cohabitaient, s'est amorcé aujourd'hui un phénomène de décohabitation.

Les aménagements urbains ne se résument pas aux seuls logements. Il faut prévoir des services, des dessertes en transports collectifs, des écoles. Des opérations ont été lancées. La nouvelle route du littoral, en cours de réalisation, améliorera les liaisons nord-sud. C'est un projet sur douze kilomètres, avec des viaducs et des digues. Mais c'est insuffisant. Il faudra aménager la nouvelle entrée ouest de Saint-Denis pour éviter que la nouvelle route ne débouche sur un goulet d'étranglement.

Par ailleurs, l'un des grands enjeux des années à venir pour l'État, la région, le département et les communes, porte sur le développement des transports en commun. L'île compte entre 370 000 et 380 000 véhicules qui circulent essentiellement sur le pourtour de l'île et dans quelques communes. Nous atteindrons bientôt la saturation.

Nous avons également besoin d'espaces pour le traitement urbain des déchets, question qui doit être analysée d'ici quatre à cinq ans.

M. Michel Magras , président . - Votre réponse comme la question posée par le président Hyest font la transition avec les autres sujets que nous souhaitions aborder, et notamment les aspects liés à la forêt et au cadastre.

M. Dominique Sorain. - La forêt réunionnaise a la particularité d'être une forêt essentiellement départementale. Elle recouvre la plus grande partie de l'île et se trouve aussi dans le Parc national. Nous avons donc une situation très spécifique entre la forêt départementale, le Parc et ce qui est géré par l'ONF. Cet opérateur est très important car il emploie une centaine d'agents, 200 ouvriers forestiers et 500 contrats aidés ou d'insertion.

La forêt primaire n'existe quasiment plus à La Réunion. On trouve essentiellement des cryptomerias, qui sont des résineux, et des tamarins, qui ont besoin de quatre-vingt-dix années pour arriver à maturité. Il nous faut arbitrer entre le Parc national, qui souhaite laisser le plus possible ces forêts en l'état, quitte à les mettre sous cloche pour protéger totalement la nature, et l'ONF, qui souhaite viabiliser une partie de cette forêt pour l'exploiter. La filière bois n'est pas négligeable mais il faut trouver un équilibre en tenant aussi compte des intérêts du Parc.

Une autre question se pose sur la création de pistes de défense de la forêt contre l'incendie (DFCI).

Nous nous sommes efforcés avec le département et la région de mettre en place des instances de dialogue. Le commissaire des Hauts qui existait autrefois a été remplacé par un secrétaire général qui a pour vocation de jouer le rôle de « tampon » entre le Parc national, les collectivités et les acteurs économiques, de concilier la protection du Parc et l'activité économique traditionnelle. Il faut aussi préserver les activités agricoles d'élevage, les activités touristiques de randonnée.

Cette situation spécifique de la forêt départementale a un avantage : il y a un interlocuteur unique. Dans l'Hexagone, les situations sont différentes. Par exemple, dans le sud-ouest, des communes ont de très grandes emprises foncières et forestières qui sont confiées à l'ONF. À La Réunion, le conseil départemental joue ce rôle. Un équilibre a été trouvé avec l'ONF qui est un opérateur historiquement très engagé.

M. Michel Magras , président . - Monsieur le préfet, nous attendons avec grand intérêt les réponses écrites à la trame qui vous avait été transmise.

M. Jean-Jacques Hyest . - Pourriez-vous nous apporter des précisions sur la qualité du cadastre ? C'est une question essentielle, ne serait-ce que pour déterminer la fiscalité. La fiabilité du cadastre est-elle la même partout sur le territoire de La Réunion ?

M. Marc Van-Belle. - Le cadastre a une vocation fiscale. Il date des années 1970. Il n'a pas été réalisé à partir des actes de propriétés mais au moyen de photographies aériennes. Il identifie les parcelles essentiellement à partir de leurs limites physiques. Il ne correspond donc pas nécessairement aux propriétés juridiques.

C'est un plan qui vise à identifier les immeubles et à établir les bases pour les impôts locaux, qui peuvent être contestés si les personnes estiment ne pas être les propriétaires juridiques. Nous connaissons des cas où les occupants d'emprises dont le propriétaire n'est pas identifié paient des taxes foncières dans la perspective de bénéficier de la prescription trentenaire. Il faut garder à l'esprit que le cadastre n'a pas pour finalité d'être un outil de propriété juridique.

Mme Vivette Lopez . - J'ai reçu un témoignage d'une personne qui travaille depuis treize ans dans la même société à La Réunion et n'est toujours pas titulaire. Est-ce normal ? Je vous écrirai à ce sujet.

M. Dominique Sorain. - Le droit national s'applique totalement à La Réunion. Je prendrai connaissance de votre dossier.

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur coordonnateur . - Pourriez-vous faire le point sur l'exploitation des carrières ?

M. Dominique Sorain. - C'est une question très sensible car la route du littoral nécessite la mise à disposition massive d'enrochements. Dix-huit millions de tonnes de remblais seront nécessaires d'ici à 2019. Le schéma départemental des carrières a été mis à jour l'année dernière et est opérationnel. Nous instruisions un certain nombre de dossiers pour la mise en exploitation de carrières destinées à faire face aux grands chantiers lancés. On exploite actuellement les andains, c'est-à-dire les enrochements qui gênent les agriculteurs et sont enlevés des terres agricoles. Depuis un mois et demi, nous avons mis en place une procédure qui donne satisfaction à tout le monde, y compris les entreprises de travaux publics, tout en respectant les normes environnementales. Des dossiers de carrières sont en cours d'instruction : un site sur la commune de Saint-André et deux sur la commune de Saint-Paul. Un projet existe aussi à Saint-Leu.

Vous aviez cité dans votre trame le dossier du site des Lataniers, terrain qui se situe sur la commune de La Possession. Ce terrain appartient à l'État, il est en cours de cession à la commune. La question est de savoir s'il sera exploité comme carrière. Cela suppose une modification du schéma départemental des carrières. J'en ai discuté avec la maire de la commune, qui n'exclut pas une exploitation restreinte sans empiéter en aucun cas sur la zone de protection de la faune et de la flore.

Nous faisons face aux pressions croisées des opérateurs économiques et des défenseurs de l'environnement. Compte tenu de l'extrême sensibilité du dossier, l'ouverture des carrières se fait dans le strict respect du schéma départemental des carrières.

M. Michel Magras , président . - Monsieur le préfet, messieurs, il me reste à vous remercier pour la qualité des échanges et la précision des réponses que vous nous avez apportées. Nous espérons avoir la chance de pouvoir nous rendre compte sur place mais les informations que vous nous avez données sont particulièrement intéressantes.

M. Dominique Sorain. - Nous serons heureux de vous accueillir à La Réunion et vous faisons parvenir des réponses écrites très rapidement.

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