B. UNE REMISE EN CAUSE PROGRESSIVE DES CONDITIONS DE L'AIDE INTERNATIONALE

Alors que le programme d'assistance et les réformes structurelles qu'il induit commençaient à porter leurs fruits, le gouvernement Samaras a privilégié à partir du deuxième semestre 2014 une posture critique à l'égard des bailleurs de fonds internationaux, visant particulièrement le Fonds monétaire international. Ce changement d'orientation politique, incarné par le remaniement ministériel du 9 juin 2014, apparaît comme une réponse à la lassitude de la population grecque après cinq années d'ajustement budgétaire. Celle-ci s'est traduite le 25 mai 2014 par la victoire de la plateforme de gauche radicale Syriza aux élections européennes.

1. Une année 2014 marquée par des résultats macro-économiques relativement satisfaisants
a) Un excédent primaire enfin atteint...

La quatrième revue du plan d'aide menée par la troïka le 1 er avril 2014 a souligné que la Grèce avait dégagé un excédent primaire en 2013, soit un an avant l'échéance prévue. Ce surplus résultait notamment d'un ajustement budgétaire équivalent à 13,5 % du PIB sur la période 2009-2013. La réforme de l'État a, notamment, été accélérée. Alors que le programme d'assistance étalait celle-ci sur cinq ans, la réduction des effectifs a été accomplie en trois ans et demi. Le nombre d'agents publics est désormais établi à 620 000 contre 900 000 en 2008. La masse salariale du secteur public, qui représentait 13 % du PIB en 2009, a été ramenée à 8,6 % du PIB quatre ans plus tard, les rémunérations ayant été réduites de 40 % en moyenne sur la période.

C'est à l'aune de ce relatif succès qu'il convient d'analyser le retour de la Grèce sur les marchés financiers, le 9 avril 2014. Présenté comme un premier pas vers une sortie du programme d'assistance financière à l'instar de l'Irlande ou du Portugal l'émission d'un emprunt à 5 ans de 2,5 milliards d'euros a connu un certain succès. La Grèce a in fine pu lever 3 milliards d'euros, la demande étant huit fois supérieure à l'offre. Le taux d'intérêt obtenu, soit 4,95 %, était inférieur à celui enregistré lors de la dernière adjudication de titres grecs sur les marchés financiers en février 2010 : 6,10 %. Reste que le taux obtenu demeurait supérieur à celui des prêts octroyés dans le cadre du programme d'assistance international. Au total, 7 milliards d'euros ont ainsi été levés en 2014, la durée des titres oscillant entre 3 et 5 ans. Le gouvernement souhaitait avant tout réaffirmer sa souveraineté financière.

b) Une reprise économique fragile

À l'image de l'Espagne et du Portugal, la Grèce devait renouer avec la croissance au cours de l'exercice 2014, même si le taux attendu s'avérait modeste : 0,3 % du PIB. Il s'agissait cependant d'une rupture avec la contraction continue de l'activité depuis 2007, estimée à 23 % du PIB sur la période. L'année 2013 avait, au préalable, été marquée par un ralentissement de cette contraction, - 3,9 % du PIB contre - 7 % en 2012. La chute de la consommation avait également été freinée : - 5,6 % contre - 8,9 % en 2012. De fait, seules les exportations permettaient de créer les conditions d'une dynamique économique, celles-ci progressant de 1,8 % en 2013, alors qu'elles avaient chuté de 1,7 % au cours de l'exercice précédent.

Le gouvernement tablait sur les performances du secteur touristique - qui contribue à hauteur de 18 % au PIB grec -, une relance des investissements et une progression des exportations pour consolider la reprise économique. La baisse des prix du pétrole comme la baisse de l'euro pouvaient, par ailleurs, contribuer à fortifier la croissance du pays. Une croissance comprise entre 2,5 et 3 % à l'horizon 2016 était espérée. Le gouvernement précédent soulignait par ailleurs le retour à l'équilibre de sa balance courante pour mettre en avant la réduction de sa dépendance aux financements extérieurs. Le pays n'aurait plus besoin théoriquement du reste du monde pour financer son économie.

Le pays semblait d'ailleurs regagner quelques parts de marché. La production des biens manufacturés a, de son côté, cessé de se contracter au cours de l'exercice 2014. Plusieurs indices traduisaient en outre de profonds changements structurels au sein de l'économie grecque, qu'il s'agisse de la progression des gains de compétitivité et de productivité, du redressement de la profitabilité des entreprises, de l'amélioration de leur capacité d'autofinancement ou du redémarrage de l'investissement productif privé.

Une comparaison des rapports Doing business 2010 et 2015 publiés par la Banque mondiale sur le climat des affaires dans les pays qui sont affiliés à cet établissement soulignait de véritables progrès en la matière :

Critères

Classement 2010 (183 pays notés)

Classement 2015 (189 pays notés)

Facilité à faire des affaires

109

52

Création d'entreprises

140

88

Transfert de propriété

107

116

Obtention de prêts

87

71

Protection des investisseurs

154

62

Paiement des impôts

76

59

Commerce transfrontalier

80

48

Exécution des contrats

89

155

La mise en place, en avril 2014, d'un Fonds d'investissement en faveur des PME « Institut pour la croissance en Grèce », doté de près de 500 millions d'euros et auxquels contribuent l'Allemagne, la France et la Banque européenne d'investissement, visait également à consolider une dynamique.

Constatant des progrès, l'agence de notation Standard & Poor's a relevé d'un cran la note de la Grèce de B- à B, l'assortissant d'une perspective stable. Selon elle, la Grèce devait renouer avec la croissance en 2015 et maintenir un excédent budgétaire primaire (hors remboursement de la dette) de l'ordre de 2 % du PIB entre 2014 et 2017.

Les projections de croissance pouvaient néanmoins apparaître optimistes en raison, notamment, du manque de compétitivité du pays. La situation du secteur bancaire fragilise également ces perspectives de reprise. Si les établissements financiers ont fait l'objet d'une recapitalisation de 50 milliards d'euros, soit 25,2 % du PIB, les créances douteuses continuent de croître, atteignant 34,1 % fin 2014 contre 24,5 % en 2012. Le financement de l'économie réelle est, quant à lui, affecté par un faible octroi de crédits.

c) Une reprise sans emplois qui exacerbe les difficultés sociales

Cette reprise relative ne s'est pas accompagnée d'une diminution du chômage, en dépit des efforts accomplis pour réduire les coûts du travail (allongement de la durée d'activité et baisse des rémunérations notamment). Dans ce contexte, le chômage atteignait 27,5 % de la population active fin 2014 contre 20,9 % en 2012. 55 % des jeunes de moins de 24 ans sont sans emploi. Ce taux de chômage record combiné aux mesures d'austérité (baisse des prestations sociales et hausse d'impôts) et aux réductions de salaires (25 % dans le secteur privé et 40 % dans le secteur public, diminution du salaire minimum de 20 % qui s'établit désormais à 586 euros) ont contribué à une chute du revenu disponible de 32,6 % depuis 2008. En accord avec la troïka, 525 millions d'euros issus de fonds structurels non consommés pour la période 2007-2013 ont pu être orientés, fin 2014, vers l'aide aux plus vulnérables (475 millions pour les retraités, 30 millions pour les personnels en uniforme touchant moins de 1 500 euros par mois, et 20 millions d'euros aux sans-abris).

Une étude publiée par deux professeurs de l'Université d'Athènes pour l'Institut allemand des politiques macroéconomiques couvrant la période 2009-2012 a permis de mesurer les conséquences sociales des ajustements budgétaires mis en place depuis le début de la crise 3 ( * ) . Un foyer sur trois disposait en 2012 d'un revenu annuel inférieur à 7 000 euros, 23 % des foyers grecs étant considérés comme pauvres. 36 % des familles sont par ailleurs proches du seuil de pauvreté (soit 60 % du revenu médian de 16 170 euros annuels). Les 10 % des Grecs les plus pauvres ont vu leurs revenus plonger de 86 % entre 2008 et 2012, là où les familles les plus riches n'ont vu leurs revenus baisser que de 17 à 20 %. La diminution des salaires a concerné l'ensemble de la population : elle atteint 19 % dans le secteur privé et 25 % dans le secteur public. La baisse des rémunérations publiques doit cependant être relativisée : une partie non négligeable de fonctionnaires (ministères des finances, de la justice, de la culture et de la défense) ont bénéficié de primes personnalisées comprises entre 500 et 1 000 euros annuels ou de promotions internes.

Cette diminution des revenus est allée de pair avec une démultiplication de la pression fiscale de façon inégalitaire : + 336 % de majoration pour les familles les plus pauvres contre 9 % pour les plus aisées. Les politiques d'exemptions fiscales, en particulier dans le secteur agricole, l'absence d'élargissement de la base d'imposition ou l'inefficacité de la lutte contre l'évasion fiscale ont exacerbé ces inégalités devant l'impôt. Les deux chercheurs grecs relèvent en outre de profondes inégalités en matière de protection sociale, la Grèce dépensant pourtant davantage dans ce domaine que la moyenne des pays de l'Union européenne.

Il convient également d'insister sur les difficultés sanitaires que rencontre, dans ce contexte, le pays. Athènes a vu se multiplier le nombre de sans domicile fixe, qui atteint aujourd'hui 15 000 personnes. Le rôle des organisations non gouvernementales et des fondations apparaît indispensable. La fondation Niarchos distribue 65 000 rations alimentaires à des enfants chaque jour. Ces difficultés au sein de la capitale, qui concentre 65 % de la population grecque, poussent un grand nombre d'Athéniens à vouloir quitter la ville. L'économie souterraine, qui représenterait entre 30 et 35 % du PIB, et la solidarité familiale constituent pour l'heure des amortisseurs sociaux.

Une telle situation sociale n'a, bien évidemment, pas été sans incidence électorale lors des scrutins de mai 2014 et janvier 2015.

2. Les paris du gouvernement Samaras
a) Une prise de distance avec les bailleurs de fonds internationaux

La fin de l'année 2014 a été marquée par des dissensions croissantes avec la troïka sur le rythme des réformes à accomplir. Des divergences sont notamment apparues sur la révision de la grille de rémunération du secteur public et la mise en place d'un mécanisme d'incitation à la mobilité. Les autorités grecques ont souhaité privilégier des réformes qualitatives, alors que l'efficacité de l'administration demeure encore limitée, selon certains observateurs, et marquée par des carences graves en matière de recouvrement de l'impôt ou de gestion des grandes infrastructures du pays.

La démission du secrétaire général aux recettes publiques, le 5 juin 2014, sous la pression du gouvernement qui l'avait lui-même nommé, a tendu un peu plus les relations avec la troïka qui jugeait cet organe, créé en 2012, indispensable pour mener à bien le recouvrement de l'impôt et par-delà la réforme de l'État.

Les privatisations ont également suscité quelques difficultés. Celles-ci participaient d'un double objectif : la réduction de la dette publique et la modernisation de l'économie du pays. Les projections de recettes sont cependant régulièrement revues à la baisse, à l'image des prévisions retenues initialement pour 2014 puis révisées : 2,6 milliards d'euros contre 3,5 milliards d'euros. Dans ces conditions, l'objectif de 11,1 milliards d'euros de recettes pour la période 2011-2016 paraissait ambitieux, comme la cible de 22 milliards d'euros à l'horizon 2020. Le produit des ventes réalisées depuis 2011 atteignait en effet à peine 3,8 milliards d'euros fin 2013.

Le gouvernement a enfin suspendu la clause « zéro déficit » au sein des régimes complémentaires de retraite. Celle-ci, adoptée à la demande de la troïka, prévoit une baisse des pensions complémentaires dès lors que le régime qui les verse, en l'occurrence le Fonds d'assurance complémentaire (ETEA), est en déficit. Ces coupes sont censées équilibrer le régime. Elle devait être mise en place au 1 er juillet 2014. Le gouvernement Samaras a préféré repousser sa mise en oeuvre en janvier 2015, face au risque d'une diminution des arrérages de 5,2 %. Le gouvernement renonce ainsi à une disposition censée économiser 326 millions d'euros à l'État.

b) Le débat sur une sortie du programme d'assistance financière

Le succès relatif du retour sur les marchés financiers et la prise en compte du résultat des élections européennes ont conduit le gouvernement Samaras à se prononcer pour une sortie du plan d'aide international. Sans pour autant que cette stratégie soit tout à fait lisible. Cette volonté de se dégager de la tutelle financière internationale a pu apparaître en partie paradoxale alors que le gouvernement a, dans le même temps, obtenu le 8 décembre dernier une prolongation de deux mois de l'assistance financière de l'eurozone. Celle-ci devait initialement se terminer à la fin de l'année 2014. L'absence d'accord avec la troïka sur les réformes à mettre en oeuvre a conduit à un tel report. Fort de l'excédent primaire constaté en 2013, le gouvernement Samaras souhait également une restructuration de la dette, estimant que les conditions définies par l'eurogroupe le 27 novembre 2012 étaient remplies. L'eurogroupe a refusé estimant que celle-ci ne pourrait intervenir qu'à l'issue du programme d'assistance financière.

L'annonce d'une sortie imminente du plan d'aide visait en fait en priorité le volet FMI. L'aide de celui-ci est censée se déployer jusqu'au premier trimestre 2016. Sur les 32 milliards d'euros débloqués par le FMI en faveur de la Grèce, 17 milliards environ ont d'ores et déjà été versés. Le gouvernement Samaras ne souhaitait pas, pour autant, mener à son terme le programme du FMI. Il entendait ainsi limiter son implication en matière de surveillance. La supervision opérée par la troïka ne devrait pas pour autant s'arrêter avec la sortie du programme d'aide international puisque elle prendra la forme de missions de surveillance semestrielle jusqu'à ce que le pays ait remboursé 75 % des prêts octroyés .

Les besoins de financement pour la Grèce sont estimés à 30 milliards d'euros jusqu'en 2016. Une étude du Mécanisme européen de stabilité rendue publique en octobre insiste sur le fait que la solution adaptée à une sortie du plan d'aide international serait l'octroi d'une ligne de crédit préventive (ECCL), destinée à faire face à d'éventuelles tensions sur les marchés financiers. Cette ligne de crédit est conditionnée à la mise en place de réformes structurelles et implique une surveillance par l'Union européenne.

Le gouvernement précédent souhaitait que les 10,9 milliards du Fonds hellénique de stabilité soient, le cas échéant, affectés à cette ligne de crédit. La Commission européenne estimait au contraire qu'une partie de ces fonds doivent être reversés au Mécanisme européen de stabilité. Elle évaluait, en outre, à 3 milliards d'euros les besoins de capitalisation des banques grecques. Il convient, enfin, de rappeler que ces fonds ne sont pas pour autant des liquidités mais des obligations convertibles après accord du Mécanisme européenne de stabilité et des pays membres de l'eurozone.

Les autorités grecques entendaient, en outre, que la surveillance induite par l'octroi de cette ligne de crédit soit tempérée par une restructuration de sa dette publique, conformément aux termes de l'accord trouvé à l'eurogroupe le 27 novembre 2012. Il s'agissait de la sorte d'envoyer un message à la population grecque, lassée d'un ajustement budgétaire long et lourd. Le pays est alors traversé par une vague de contestation sociale visant les baisses des pensions de retraite, les licenciements dans la fonction publique et la diminution des salaires.

c) Un pari politique raté

Annoncée le 8 décembre dernier, l'organisation d'un scrutin présidentiel anticipé visait à lever une incertitude politique à l'heure de négocier les conditions d'une sortie du plan d'aide international. Le projet du gouvernement était de fédérer autour de lui les parlementaires de la Nouvelle démocratie, du PASOK (Parti socialiste, qui fait partie de la coalition gouvernementale) et des indépendants et resserrer ainsi sa coalition parlementaire face à la gauche radicale (Syriza) - en tête des intentions de vote dans les enquête d'opinion - et aux droites souverainiste (ANEL) et extrême (Aube dorée).

L'élection présidentielle était normalement prévue à la fin du premier trimestre 2015. Le chef de l'État, Carolos Papoulias, qui terminait son deuxième mandat ne pouvait être renouvelé. Compte tenu du mode de scrutin, l'élection d'un nouveau président de la République pouvait être envisagée comme un vote de confiance par le Premier ministre. Élu par le parlement, le chef de l'État ne dispose, en effet, que de pouvoirs limités et ne peut plus dissoudre le parlement depuis 1986. L'inconnue ne tenait pas tant au choix d'un homme qu'à la capacité du parlement à l'élire, faute de majorité suffisante. Cette élection se déroule en effet sur trois tours. Or, si au terme du dernier tour, aucun candidat n'obtient la majorité des trois cinquièmes, le parlement est alors dissous dans les dix jours et des élections législatives sont organisées 4 ( * ) . En dépit de la candidature unique de Stavros Dimas, le troisième tour de scrutin organisé le 29 décembre 2014 n'a pu déboucher sur son élection. Des élections législatives anticipées ont donc été organisées le 25 janvier 2015. Ce scrutin aurait normalement dû se tenir en juin 2016.

Sans réelle surprise, cette élection s'est traduite par la victoire, de Syriza , la coalition de la gauche radicale, partisan d'un programme anti-austérité, rejetant le mémorandum d'accord de 2012 et refusant la tutelle de la troïka, dirigée par Alexis Tsipras.

La nouvelle composition du Parlement grec est la suivante :

Formation

Nombre de sièges au Parlement

Nombre de sièges en 2012

Syriza (gauche radicale)

149

71

Nouvelle démocratie (centre droit)

76

129

Aube dorée (extrême droite)

17

17

To Potami (centre gauche)

17

- 5 ( * )

KKE (Parti communiste)

15

12

ANEL - Grecs indépendants (droite souverainiste)

13

20

PASOK (Parti socialiste)

13

33

Le différentiel de sièges entre Syriza et Nouvelle démocratie , qui ne correspond pas à leur écart en voix, est justifié par une prime à la majorité accordée à la formation arrivée en tête. 50 sièges sont ainsi attribués au parti ayant obtenu le plus de suffrages, et les 250 sièges restants sont répartis à la proportionnelle entre les formations ayant recueilli plus de 3 % des voix.


* 3 Tassos Giannitsis, et Stavros Zografakis Greece : solidarity and adjustment in times of crisis Institut für Makroökonomie und Konjunkturforschung / Macroeconomic Policy Institute, Study n°38 - Mars 2015

* 4 Pour être élu, un candidat doit obtenir deux tiers des voix à l'occasion des deux premiers tours, puis trois cinquièmes lors du dernier tour.

* 5 Une autre formation classée plus à gauche, DIMAR, disposait de 18 sièges dans le précédent Parlement.

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