C. L'ARRIVÉE AU POUVOIR D'UNE COALITION HOSTILE AUX MEMORANDUMS D'ACCORD

1. Une majorité gouvernementale inédite

Ne disposant pas de la majorité absolue, Syriza a passé un accord de coalition avec les Grecs indépendants (ANEL), qui ont intégré ainsi le gouvernement nommé le 27 janvier 2015. Le nombre de ministères a été réduit à dix contre dix-huit précédemment. Quatre super ministères ont été mis en avant : Intérieur et reconstruction administrative, Économie, infrastructures, marine marchande et tourisme, Reconstruction, production, environnement et énergie et Culture, éducation et cultes. Le resserrement du nombre de ministères est cependant trompeur puisque le gouvernement comprend en fait quarante et un membres, dont un Vice-président, trois ministres d'État, vingt ministres délégués et six secrétaires d'État s'ajoutant à cette liste. Le précédent gouvernement comprenait quarante-cinq membres.

L'aile radicale de Syriza, la « plateforme de gauche », est représentée au sein de quatre ministères. Son chef de file, Panagiotis Lafazanis, est en charge de la Reconstruction, de la production, de l'environnement et de l'énergie. Le président du « comité de la dette » de Syriza , Nikos Hountis, issu de cette aile et tenant de positions dures en matière européenne, a été nommé ministre délégué aux affaires européennes. Le ministre des affaires étrangères est, par contre, issu de l'aile modérée : Nikos Kotzias reste un proche de l'ancien Premier ministre socialiste George Papandreou. ANEL dispose de son côté du ministère de la défense, confié au président de cette formation, Pamos Kammenos, et de quatre ministères délégués ou secrétariats d'État, dont un dédié à la coordination du projet gouvernemental.

L'alliance avec ANEL peut surprendre puisque la formation fondée en avril 2012 par Panos Kammenos, ancien membre de Nouvelle démocratie , est classée à droite. Ce parti est surtout connu pour ses positions xénophobes, homophobes, anti-turques et sa proximité avec l'Église orthodoxe. Son programme économique est par ailleurs marqué par un certain libéralisme comme en témoigne ses projets de suppression de la sécurité de l'emploi pour les fonctionnaires, de baisse du taux d'imposition maximal à 25 % ou d'abrogation de la taxe foncière. Le parti est néanmoins favorable à la mise en place d'un minimum vieillesse établi à 800 € (soit l'équivalent du montant versé en France) ou à la décote des dettes des ménages. Ces mesures peuvent le rapprocher de Syriza , au même titre que son rejet du mémorandum d'accord du second plan d'aide ou de l'intervention du FMI, considérée comme un « crime économique contre le pays ». Le discours est également virulent contre l'Allemagne jugée « néo-nazie » et l'Union européenne, assimilée à un « cheval de Troie du fédéralisme bancaire et de la dictature financière ». Des doutes subsistent néanmoins sur la compatibilité du programme d'ANEL avec celui de Syriza en ce qui concerne les projets sociétaux : les Grecs indépendants souhaitent la mise en place d'un quota d'immigrés limité à 2,5 % de la population grecque et récusent le projet de séparation de l'Église orthodoxe et de l'État porté par la coalition de la gauche radicale.

Au-delà de ces divergences, l'alliance avec ANEL vise avant tout à adresser un message de fermeté à l'égard de l'Union européenne. Message qu'il aurait été plus délicat à faire passer en s'alliant avec To Potami , la formation de centre-gauche, pro-européenne, qui appelait à la poursuite des réformes structurelles adoptées par le gouvernement précédent.

2. Un programme à rebours des mémorandums d'accord
a) Une priorité : renégocier la dette

Le mémorandum d'accord signé en février 2012 avec l'Union européenne et le FMI, dans le cadre du second programme d'aide, a, quant à lui, été considéré comme annulé par le nouveau Premier ministre à l'annonce de la victoire de son parti. Ce rejet ne suppose pas pour autant une sortie de la zone euro. Syriza dispose en effet d'un double mandat qui peut paraître paradoxal : conserver la monnaie unique et stopper l'ajustement budgétaire dès lors qu'il se traduit par de l'austérité. Il convient, à ce stade de rappeler que 70 % des Grecs sont en effet hostiles à une sortie de la zone euro. Ils étaient 85 % avant le début de la crise.

La plateforme de la gauche radicale n'envisage plus une sortie de la zone euro depuis 2012. Elle table désormais sur une restructuration de la dette. Le précédent de la conférence de Londres de 1953 qui visait la dette allemande est ainsi régulièrement mis en avant. La renégociation porterait en priorité sur celle détenue par les États européens, la Banque centrale européenne et le Mécanisme européen de stabilité.

L'ambition du nouveau gouvernement est de ramener le remboursement annuel de la dette à un montant équivalent à 2 % du PIB contre 4 % actuellement. Il n'est, en tout état de cause, pas question d'aboutir à un défaut unilatéral, qui saperait tout accès au financement par les marchés. Les nouvelles autorités grecques militent dans le même temps pour l'organisation d'une Conférence européenne sur la dette. L'ambition grecque est de porter une restructuration de l'ensemble des dettes des États membres de la zone euro, pour ramener chacune d'entre elles à 60 % du PIB.

Si la renégociation de la dette détenue par les institutions européennes et le FMI fait figure de priorité, le nouveau gouvernement n'entend pas agir de la sorte avec ses créanciers privés. En revanche, la coalition de la gauche radicale souhaitait initialement demander un délai avant de rembourser les 8 milliards d'obligations que détient la BCE, qui devraient arriver à échéance en juillet prochain.

b) Parer à la « crise humanitaire »

Conformément au programme dit de Thessalonique que la formation avait présenté en septembre 2014, Syriza souhaite, grâce à une restructuration de la dette, libérer des fonds pour permettre à l'État d'investir massivement en faveur de la croissance et répondre à des situations d'urgence sociale. Selon certains observateurs, 70 % des fonds accordés depuis 2010 ont en effet servi au remboursement de dettes existantes et 19 % à la recapitalisation bancaire. Cette question d'une restructuration de la dette était également à l'ordre du jour du précédent gouvernement.

Le programme de Syriza contient un certain nombre de mesures dites anti-austérité, au nombre desquelles l'introduction d'un treizième mois pour les retraites inférieures à 700 euros, la hausse du salaire minimum dans le secteur privé à 750 euros (contre 586 € aujourd'hui soit un niveau déjà supérieur à celui perçu au Portugal, 565,83 €) et le relèvement du seuil d'imposition de 5 000 à 12 000 euros (il est de 9 600 euros en France). Les plus démunis pourraient se voir accorder des bons d'alimentation et l'électricité gratuite.

L'ensemble de ces dispositions est estimé à 12 milliards d'euros. Syriza entendait dégager 9 milliards d'euros pour concrétiser ces promesses de campagne : 6 milliards seraient obtenus via une réaffectation des fonds structurels et le nouveau gouvernement compte, dans le même temps, récupérer 3 milliards d'euros en intensifiant la lutte contre la fraude fiscale. Reste donc 3 milliards d'euros à trouver pour compléter ce financement.

Les autres éléments du programme électoral de Syriza ne constituent pas des mesures de rupture avec les bailleurs de fonds : la coalition s'engage, en effet, à adopter des budgets à l'équilibre et des agences gouvernementales devraient être supprimées. Reste que le nouveau gouvernement entendait dans le même temps supprimer le principe d'obligation de « mobilité et d'évaluation », contesté par les syndicats alors qu'il est au coeur de la réforme de l'Etat mis en place par le précédent gouvernement, avec l'appui technique de la Commission européenne ( Task force for Greece ).

53 % de la population grecque doutait cependant avant le scrutin du 25 janvier dernier du réalisme du programme économique de Syriza . Le vote Syriza traduit avant tout une volonté de rompre avec le bipartisme, les patriciens qui dirigent ces formations et les pratiques clientélistes qui ont contaminé l'État. PASOK comme Nouvelle démocratie sont jugés à la fois responsables de la crise et incapables d'adopter les mesures nécessaires pour l'en sortir. Il est l'expression des classes populaires mais aussi, celle des classes moyennes autrefois acquises aux formations modérées.

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