B. DÉBAT

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire

La plupart d'entre nous jugeait nécessaire d'entreprendre une réforme du collège, car, comme le remarquait le représentant de l'UNSA, le collège aujourd'hui n'est ni juste, ni efficace.

Si, à l'issue de la scolarité au collège, 20 % environ des élèves ne maîtrisent pas les compétences de base en français - et 20 % d'élèves ont une maîtrise insuffisante des mathématiques - il ne faut pas oublier qu'une proportion comparable, voire supérieure, d'élèves présentent des lacunes graves dans les apprentissages fondamentaux à leur entrée au collège.

Plutôt que d'uniformiser par le bas les apprentissages au collège, notamment en détruisant les filières d'excellence, en supprimant les options de langues anciennes ou en imposant une seconde langue vivante dès la classe de 5 e - dont l'inefficacité a été prouvée à l'occasion de son expérimentation -, ne faudrait-il pas plutôt concentrer les efforts sur l'école élémentaire, afin que tous les élèves, à l'issue de celle-ci, maîtrisent pleinement les savoirs fondamentaux ?

Comme le disait Charles Péguy, « lire, écrire, compter, c'est la base de tout ». Je crains que sans cet effort nécessaire, toutes les réformes du collège restent vaines.

Je suis, par ailleurs, particulièrement préoccupé par un des grands principes de cette réforme : réduire les temps d'enseignements disciplinaires au profit de l'accompagnement personnalisé et des enseignements pratiques interdisciplinaires. Ne faudrait-il pas plutôt consacrer davantage de temps aux apprentissages fondamentaux, et notamment au français, dont le volume horaire est en diminution constante depuis quarante ans ?

Quelle est, enfin, la pertinence d'introduire les EPI au collège ? Ces derniers rappellent furieusement les IDD au collège ou les TPE au lycée, qui n'ont pas connu un franc succès...

En matière d'orientation, la réforme prévoit la suppression des options de découverte professionnelle, au profit du parcours individuel d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP). Ce parcours ne bénéficie d'aucune dotation horaire spécifique et devra donc être organisé sur du temps disciplinaire. L'avenir des classes de troisième « prépa-pro » paraît également compromis. Tout semble fait pour éloigner davantage les élèves de la voie professionnelle.

Quel regard portez-vous sur les nouveaux projets de programmes ?

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole

Certaines dispositions introduites par le décret et l'arrêté sont déjà mises en oeuvre dans l'enseignement agricole, à l'instar de l'accompagnement personnalisé ou de l'autonomie pédagogique. Cependant, cette autonomie pédagogique s'y accompagne d'une vraie autonomie de gestion, au service d'un véritable projet. Ne pourrait-on pas s'en inspirer davantage ?

Par ailleurs, l'orientation demeure le grand absent de cette réforme. L'article 6 de l'arrêté y fait allusion en prévoyant que les EPI contribuent à la mise en oeuvre du PIIODMEP. Si ce n'est un projet de référentiel publié par le CSP il y a six mois, rien n'est prévu pour sa mise en oeuvre - et surtout, aucun horaire spécifique !

Faudra-t-il donc ponctionner les disciplines pour organiser ce parcours ?

M. Jean-Rémi Girard, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC)

L'option de découverte professionnelle qui bénéficiait d'un créneau de trois heures (DP 3) a été supprimée, ce qui constitue une régression. Ceci, d'autant plus que le PIIODMEP sera mis en place sur les quotas d'heures disciplinaires et non en supplément. Par ailleurs, l'accompagnement personnalisé fonctionnera comme les EPI sur les heures disciplinaires. Au final, un élève en difficulté qui bénéficiait jusqu'alors de six heures de français se retrouvera avec seulement quatre heures et demie de cette discipline à l'issue de la réforme.

Mme Claire Krepper

Effectivement, les options de découverte professionnelle disparaissent. Dans les faits, elles étaient réservées aux élèves dont on pensait qu'une orientation professionnelle précoce leur serait profitable. Il s'agissait d'un choix négatif. Il faut que tous les élèves puissent en profiter, ce qui amène à prévoir dans les programmes, de mettre en avant les aspects des disciplines permettant de découvrir leur dimension professionnelle. Les EPI pourront aussi être l'occasion d'approcher cette dimension professionnelle. Les classes de troisième « prépa-pro » sont maintenues pour les élèves qui ont un projet.

Mme Ophélie Sauger, représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC)

Il existe des conseillers d'orientation-psychologue (COP), dont les effectifs ont baissé cette année. Les projets du Gouvernement ne prévoient pas de revenir sur ces baisses d'effectif.

Mme Frédérique Rolet

Il faut réfléchir à porter la scolarité obligatoire à dix-huit ans. Les jeunes entrent au collège à onze ans et en sortent à quinze ans ; à seize ans, ils sont au lycée. Les élèves ont besoin d'être aidés, d'autant que ce sont les élèves des classes populaires qui sont concernés par l'orientation. Si on ajoute les projets d'éducation artistique et culturelle (PEAC) à ces modules d'orientation, on multiplie en réalité les parcours qui ne font pas l'objet d'horaires identifiés.

M. Jean-Rémi Girard

Nous sommes éminemment favorables au renforcement de l'enseignement des fondamentaux à l'école primaire. Au-delà de la traditionnelle bataille de chiffres - de 20 % à 40 % selon le Haut conseil à l'éducation - il est certain que de trop nombreux élèves présentent des difficultés lors de leur entrée en 6 e , difficultés que le collège n'arrive aujourd'hui pas à résorber. Dès lors, l'objectif doit être de limiter le nombre d'élèves en difficulté à l'entrée en 6 e . Pourtant aucune réforme de fond de l'école primaire n'y a réussi. Au contraire, les réformes successives ont eu tendance à ajouter des enseignements supplémentaires dans un cadre horaire qui n'a cessé de se réduire. Par ailleurs, les questions de formation des enseignants dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), puis les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), notamment s'agissant des méthodes d'apprentissage de la lecture, de la grammaire et du calcul, demeurent taboues au sein de l'éducation nationale. On ne peut pourtant continuer à accepter que des élèves de 6 e ne sachent pas lire un texte ! Sans prise en compte de cette réalité, toute réforme du collège sera inutile.

M. Frédéric Sève

Une école primaire efficace nécessite une réforme du collège. La France est l'un des pays qui consacre le plus d'heures à l'apprentissage des fondamentaux au cours de la scolarité. Ce n'est donc pas l'insuffisance de ces enseignements qui explique les différences de niveaux constatées avec les autres pays. À mon sens, il n'existe pas de disciplines plus fondamentales que d'autres.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Il existe, en revanche, des compétences fondamentales.

M. Frédéric Sève

Certes, mais une compétence peut se travailler dans différentes matières. Le socle commun de 2005 comme celui de 2014 ne prévoient pas autre chose.

M. Jacques-Bernard Magner

Je constate qu'il existe de nombreux points d'accord entre les intervenants. Tous sont, comme nous, préoccupés par la situation des 150 000 jeunes qui quittent chaque année le système scolaire sans diplôme. Ce constat nécessite en lui-même une réforme du collège, dont nous avons déjà débattu lors de la discussion de la loi pour la refondation de l'école de la République, même si l'école primaire était au coeur de ce texte. Le décret dont vous contestez la légitimité était prévu par cette loi, notamment pour ce qui concerne le rôle du Conseil supérieur des programmes (CSP). Cela étant, si l'on nie la nécessité de l'acquisition d'un socle commun de compétences, de connaissances et de culture, lui préférant, comme au lycée, l'accumulation de disciplines parallèles, on est effectivement défavorable à la réforme proposée. Celle-ci, en liant dans un même cycle les classes de CM2 et de 6 e , suit la logique du socle commun de compétences à acquérir au cours des scolarités primaire et secondaire. Il convient également de saluer la création de 60 000 postes en cinq ans, dont 4 000 consacrés à l'application de la réforme du collège, à rebours des 80 000 postes supprimés par le précédent gouvernement. Je partage également le constat selon lequel le temps de travail des élèves à l'école primaire et au collège doit être réduit : il faut apprendre à travailler différemment et en équipe.

Il existe toutefois des points de désaccord, notamment s'agissant du caractère urgent de la publication du décret, qui ne fait aucun doute pour moi, en vue de la préparation de la rentrée 2016. Je rappelle que les syndicats ont déjà rencontré à plusieurs reprises les ministres successifs de l'éducation nationale et que Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, s'est engagée à poursuivre avec eux un dialogue permanent. Les EPI font également débat car ils symbolisent une nouvelle façon de travailler. Nombre d'enseignants travaillent déjà de façon interdisciplinaire ; il s'agit seulement d'en généraliser la méthode. La réforme, contrairement aux critiques entendues, impose des classes bilangues dès la 5 e . En outre, le latin et le grec continueront à être enseignés en classes de littérature. Il ne s'agit donc en aucun cas d'un recul ! Pour autant, les syndicats d'enseignants doivent apporter leurs suggestions relatives à cette réforme. Lorsque je militais à la Fédération de l'éducation nationale (FEN) dans les années 70, nous prônions l'instauration d'une école fondamentale. Il est temps de refonder une pensée politique et syndicale sur l'école pour l'avenir de nos enfants. Je vous invite donc à poursuivre le dialogue.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

Cette table ronde était fort utile, tant l'émoi suscité par la publication précipitée du décret fut grand. Nul n'affirme ici qu'il ne fallait pas réformer le collège. Mais, pour que les enseignants mettent en oeuvre la réforme avec conviction, il faut, en amont, un consensus et une concertation. Certes, on ne peut nier que des échanges sur la réforme du collège ont eu lieu lors des débats relatifs à la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, mais ce texte, qui a suscité tous les espoirs après la dégradation de l'école par le précédent gouvernement, n'est pas sorti d'une logique de séquençage des réformes. Le véritable sens de la réforme de 2013 n'a pas été suffisamment expliqué. Dès lors, la réforme des rythmes scolaires, puis celle du collège, ont semblé poursuivre la déstabilisation du système. Même si les apprentissages y sont essentiels, la réussite des élèves ne peut constituer la responsabilité de la seule école primaire. À titre d'illustration, nous avions insisté, avec notre collègue Françoise Cartron, sur l'importance de la scolarité en maternelle et l'accueil des enfants dès deux ans. En réalité, la question fondamentale du « tous capables », dont le principe a été réaffirmé dans la loi pour la refondation de l'école, n'a pas été définitivement tranchée. Pourtant, l'objectif de l'école doit bien être d'éviter les difficultés scolaires dès les premières années de scolarité. À cet effet, peut-être conviendrait-il d'allonger la scolarité pour laisser à tous le temps nécessaire aux apprentissages. De ce point de vue, le passage de quatre à trois ans de la durée de scolarité en lycée professionnel a conduit à un échec patent : tous les élèves n'ont pas le même rythme. Par ailleurs, l'enjeu que constitue la formation initiale, et surtout continue, des enseignants a été totalement mis de côté. Au final, le métier d'enseignant, au potentiel formidable, est en grande souffrance, notamment du fait d'une succession, depuis quarante ans, de réformes souvent mal expliquées. Je terminerai sur le volet de la réforme relatif au développement de l'interdisciplinarité et au renforcement de l'autonomie des chefs d'établissement. Ne pensez-vous pas qu'il y a là une incohérence entre une plus grande souplesse apportée aux établissements et le risque d'inégalités auquel elle pourrait conduire ?

Mme Corinne Bouchoux

Sans nier le moins du monde l'intérêt de ce débat, je regrette que nul n'ait fait état du plaisir d'apprendre et du bonheur de progresser. À vous écouter, les enfants semblent être des oies que l'on peut gaver de connaissances à loisir ! Dans le cadre de cette réforme, il faut également entendre les élèves, comprendre leur hantise du classement, leur ennui, leurs craintes face à la dégradation du climat scolaire. Nous avions proposé à l'occasion de l'examen de la loi de refondation de l'école, la création de modules d'enseignement à la gestion non violente des conflits. Combien ont été réellement mis en place ? Notre point de vue sur l'école dépend souvent du plaisir d'apprendre qui fut le nôtre, mais nos craintes, s'agissant de cette réforme, me semblent infondées. Je ne crois pas que, demain, les élèves partiront massivement dans l'enseignement privé. De fait, les trois quarts des évolutions proposées par le décret existent déjà dans l'enseignement privé et dans l'enseignement agricole. L'essentiel est de remettre au coeur du débat le bonheur de travailler.

Mme Françoise Laborde

Les questions cribles programmées demain à quinze heures au Sénat sur la réforme du collège avec la ministre de l'éducation nationale, ainsi que la rencontre que nous avons avec vous ce matin, sont pour nous l'occasion d'affiner nos réflexions sur ces questions.

J'ai un véritable sujet d'inquiétude concernant les moyens dévolus à la formation continue des enseignants dans l'objectif d'une entrée en vigueur de cette réforme en septembre 2016.

L'articulation entre aides personnalisées et classes dédoublées n'est pas encore très claire pour moi ; nos intervenants pourront-ils nous apporter des réponses ?

La réforme prévoit désormais que, « sauf dérogation », les élèves de 6 e auront au maximum vingt-six heures de présence hebdomadaire, y compris l'aide personnalisée, six heures de présence quotidienne et une pause méridienne d'au moins une heure trente : quelle assurance a-t-on que ces nouvelles orientations seront bien appliquées dans tous les collèges de France, y compris dans les établissements privés sous contrat ?

L'éducation civique a longtemps été sacrifiée au sein des enseignements d'histoire-géographie-éducation civique. Quelles garanties a-t-on qu'il n'en soit pas de même demain s'agissant de l'enseignement moral et civique ?

Mme Claire Krepper

Pour répondre à Mme Brigitte Gonthier-Maurin qui s'interroge sur le degré d'adhésion des personnels à la réforme, au vu notamment du récent mouvement social, bien visible dans les établissements, je m'aperçois que les enseignants sont rassurés, voire enthousiasmés par la réforme à chaque fois que l'on prend le temps de la leur présenter positivement et de leur montrer en quoi elle va leur permettre de porter leurs projets.

La concurrence entre établissements existe déjà, y compris entre établissements publics, notamment par le biais de l'offre des options. En réduisant le poids des options, la réforme contribuera à réduire ces phénomènes de concurrence inter-établissements.

S'agissant de l'étendue de l'autonomie du chef d'établissement, il appartiendra aux équipes enseignantes de s'investir et d'occuper pleinement leur place au sein des instances - conseils pédagogiques et conseils d'administration - afin de contribuer à l'élaboration des projets de l'établissement.

Les nouveaux programmes, qui font désormais une grande place à la découverte des savoirs avec les élèves et par les élèves, devraient favoriser le « plaisir d'apprendre ». Mais si nous voulons que la réforme réussisse, il faudra aussi que les objectifs de l'évaluation des élèves évoluent.

L'un des facteurs de détérioration du climat scolaire au collège reste la ségrégation interne dans les établissements, en particulier dans certains quartiers où une ségrégation selon les résultats des élèves se double d'une ségrégation ethnique visible, qui engendre de nombreux conflits. Les travaux d'Éric Debarbieux sur ces établissements au climat scolaire dégradé nous invitent à mettre fin à ces pratiques ségrégatives et à constituer des classes véritablement hétérogènes.

M. Jean-Rémi Girard

Permettez-moi de vous rappeler que la loi sur la refondation de l'école constituait un cadre général très large et ne prévoyait absolument pas cette réforme du collège dans tous ses éléments actuels - diminution de l'horaire consacré au latin, fin des classes bilangues, etc. Nous considérons cette réforme comme mauvaise.

J'attire également votre attention sur le fait que les établissements privés sous contrat appliqueront la réforme à l'exclusion de ses contraintes horaires - rythmes scolaires, durée de la pause méridienne, horaires quotidiens. Les établissements privés sous contrat fonctionnent selon un mode dérogatoire - sélection à l'entrée, règles d'exclusion, etc. : ils auront donc toute la latitude nécessaire pour continuer à offrir aux familles ce que les établissements publics ne pourront plus proposer. Nous risquons donc d'assister à une fuite des familles aisées vers le secteur privé et in fine à un renforcement de la ségrégation sociale entre établissements.

Pour répondre à l'interrogation de Mme Françoise Laborde sur la place de l'enseignement moral et civique, sachez que celui-ci prend la place de l'éducation civique au sein des heures consacrées à l'histoire-géographie.

Enfin, s'agissant des programmes qui sont en cours de consultation, nous considérons que la place faite au français et aux mathématiques constitue une régression.

Mme Ophélie Sauger

L'emploi de 20 % de la dotation horaire globale de l'établissement sera laissé au libre choix du chef d'établissement. Nous sommes inquiets de la concurrence entre disciplines que cette situation risque de faire naître au sein des établissements compte tenu de l'absence de moyens supplémentaires dévolus à la réforme.

S'agissant de l'enseignement des langues étrangères, je ne pense pas que nous puissions affirmer que désormais 100 % des élèves seront en classe bilangue. Certes, les élèves de 5 e bénéficieront désormais de deux heures et demie d'enseignement d'une deuxième langue vivante chaque semaine mais, d'expérience, un enseignement de moins de trois heures hebdomadaires ne permet pas un apprentissage satisfaisant.

Nous évoquons tous le « plaisir d'apprendre » mais n'oublions pas que l'on ne développera pas de « compétences » sans « connaissances », ni de « savoir-faire » sans « savoirs ». Or, l'enseignement de la langue française en primaire et au collège est passé de 78 heures en 1977 à 53 heures en 2011.

S'agissant enfin des projets interdisciplinaires, le relatif échec des enseignements d'exploration au lycée devrait nous inciter à faire confiance au volontariat, à leur conférer un cadre structurant et à ne pas les prélever sur les horaires disciplinaires.

M. Frédéric Sève

La concurrence entre établissements existe de fait, la carte scolaire en est le meilleur témoignage. Notre objectif est de faire réussir tous les élèves ; à terme, la concurrence entre établissements devrait s'en trouver réduite car le choix de l'établissement ne sera plus un critère de réussite.

S'agissant d'une prétendue concurrence entre disciplines, je fais confiance aux équipes éducatives pour trouver au cas par cas des terrains d'entente, sans confiscation de leur choix par le chef d'établissement. J'aimerais à cet égard plaider pour que nous conservions un droit au « dissensus » : nous pouvons avoir des débats entre organisations syndicales, mais au niveau local, in fine , les équipes éducatives trouveront des accords. Restaurons une belle vision de l'enseignement et des enseignants !

Mme Frédérique Rolet

Le Gouvernement affiche le dialogue social comme l'une de ses marques de fabrique. Or, alors que nous avions très largement participé à l'élaboration de la loi de refondation de l'école ainsi qu'aux constats du rapport qui lui était annexé, force est de constater que, sur une réforme aussi complexe que celle du collège, nous n'avons eu en tout et pour tout que trois séances de concertation avec le Gouvernement. En conséquence, les enseignants ont eu le sentiment de n'avoir pas été entendus et un enseignant du collège sur deux était en grève le 19 mai dernier.

Les enseignants ne sont pas d'affreux « immobilistes » réfractaires à tout changement. Leur réaction à cette réforme a un sens et doit être prise en compte.

S'agissant de l'interdisciplinarité, qui n'est pas une véritable nouveauté, nous sommes gênés par l'idée qu'elle consisterait à proposer de « faire » à des élèves considérés comme déficients et incapables de « penser ».

M. Magner pense que les élèves travaillent trop : il est démontré que le temps passé dans les établissements contribue à réduire les inégalités entre les élèves.

Les élèves mettant en moyenne vingt minutes pour déjeuner, l'augmentation de la pause méridienne n'a de sens que si le temps dégagé est occupé utilement. Or, rien n'est prévu à ce sujet.

Nous ne sommes en aucun cas élitistes et nous aspirons à la mixité sociale et scolaire. Mais faute d'une refonte totale de la carte scolaire et des implantations des options, les parcours d'initiés perdureront. Un premier pas, certes insuffisant, avait été fait avec l'éducation prioritaire.

L'accompagnement personnalisé mis en oeuvre dans les lycées ne fonctionne pas et le fait que l'on tarde à évaluer le dispositif est assez significatif.

En résumé, nous refusons cette réforme qui ne nous paraît pas devoir bénéficier aux élèves et nous demandons à la ministre d'être à l'écoute des professionnels.

Mme Colette Mélot

Nous ne pouvons accepter que 150 000 élèves sortent chaque année du système scolaire sans formation. La réforme est indispensable car, du fait de l'évolution des populations d'élèves, le collège unique n'est plus adapté. L'autonomie des établissements constitue un bon moyen de répondre à des besoins divers. Nous devons nous concentrer sur la maîtrise des fondamentaux, mais nous devons aussi proposer des offres différenciées permettant de valoriser les aptitudes propres de chaque élève. Le collège modulaire ayant été évoqué, j'aimerais obtenir des précisions sur le bilan qui a pu être fait de cette expérience.

Je déplore enfin la disparition des classes bilangues et des classes européennes qui fonctionnent bien et constituent un apport véritable, notamment en zone d'éducation prioritaire.

Il m'apparaît que cette réforme ne contribuera en rien à réduire les inégalités.

Mme Françoise Cartron

La conclusion de Mme Mélot illustre bien le contresens qui est fait par certains. La réforme envisagée s'inscrit dans la continuité de la loi pour la refondation de l'école de la République, qui porte l'égalité des chances dans son ADN. Seul le sentiment que les chances sont égales pour tous permettra aux élèves d'avoir à nouveau confiance en l'école et en la République.

S'agissant de la concertation que vous appelez de vos voeux, je rappelle que toutes ces questions ont été longuement abordées lors de l'examen de la loi et que la ministre propose aux organisations syndicales une année entière de discussion sur l'application concrète du décret : pouvez-vous nous dire si vous participerez à ces discussions, et avec quelle feuille de route, quelles revendications ?

Certaines personnes prônent un effort accru sur les enseignements fondamentaux dispensés à l'école et regrettant les heures d'enseignement « perdues » : souhaitent-elles que l'on revienne à des semaines de vingt-sept heures ?

J'aimerais connaître votre sentiment sur le projet d'établissement : cette notion a-t-elle un sens pour vous ?

Enfin, n'oublions pas que la finalité des heures d'accompagnement est de faciliter l'accès aux disciplines.

M. Jacques Grosperrin

Je remercie notre présidente pour l'organisation de ce débat et les organisations pour leur participation. Mme Cartron vient d'exécuter un tour de passe-passe en nous expliquant que ce décret et cet arrêté étaient prévus depuis deux ans. J'ai participé activement à l'examen de la loi pour la refondation de l'école et je puis vous assurer qu'il n'en n'est rien. Dans ces conditions, je comprends que les organisations professionnelles s'interrogent sur la manière dont elles sont considérées.

Nous devons nous attaquer au collège unique, qui est devenu une sorte de totem, et qui conduit les élèves les plus faibles à décrocher. La scolarité obligatoire jusqu'à seize ans pourrait être discutée et l'on pourrait envisager, par exemple, des passerelles ou des filières de pré-professionnalisation.

La suppression des classes bilangues annonce la disparition d'un collège public d'excellence. Les élèves des milieux les plus aisés s'orienteront vers les établissements privés, dont les moyens financiers permettront de maintenir ce type de classe.

Enfin, je ne suis pas certain que le régime « latin pour personne et espagnol pour tous » soit profitable aux élèves.

Mme Dominique Gillot

Pour qu'une loi s'applique, il faut des décrets. Les décrets sont publiés selon un processus progressif et les rapporteurs s'emploient à contrôler la publication des textes d'application des lois sur lesquelles ils ont travaillé, comme je le fais, sur la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Nous sommes aujourd'hui dans la mise en oeuvre de ce beau projet consistant à refonder l'école pour refonder la République.

Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle la qualité de l'enseignement serait forcément liée au nombre d'heures de cours dispensés. L'enseignement ne doit pas se réduire à un simple « gavage » de connaissances, mais doit s'évertuer à éveiller la curiosité des élèves. Par ailleurs, à l'heure où nos collègues députés discutent que la question du burn out en milieu professionnel, je constate que nos collégiens passent en moyenne sept heures et demie dans leurs établissements.

Je souhaiterais avoir des précisions sur les marges « heures/professeur » qui pourront être utilisées pour l'ingénierie, la concertation et l'organisation des activités : ces marges passeront-elles réellement de huit à 48 heures dans un établissement comprenant seize classes ?

M. Jean-Rémi Girard

Je réfute absolument le terme de « gavage » qui a été employé par deux fois de façon assez choquante et je m'étonne que le personnel politique tienne de tels propos, qui ne peuvent avoir pour effet que de générer du mécontentement parmi les enseignants.

Le projet de collège modulaire est disponible et consultable sur le site du SNALC. Il a pour objet d'aboutir à un socle commun plus efficace et mieux adapté que le socle actuel, qui comprend plus de deux cents compétences, dont je ne suis pas certain que les personnes ici présentes les maîtrisent toutes ...

Les textes ne prévoient pas que la marge horaire puisse être utilisée pour la concertation. Cette marge ayant été créée du fait de la suppression des classes bilangues et des sections européennes, les collèges ayant les plus forts effectifs et le plus grand nombre de classes seront favorisés par rapport à des établissements plus modestes. Lorsque les marges disponibles seront insuffisantes, les professeurs renonceront à l'interdisciplinarité, comme ils ont dû le faire avec les itinéraires de découverte, car le dispositif ne fonctionnera pas.

M. Michaël Marcilloux

La loi de refondation de l'école, à laquelle mon organisation s'est opposée, comportait quelques réflexions générales sur le collège mais aucune disposition traitant de son organisation et de son fonctionnement. Et les trois soirées de discussions organisées depuis ne peuvent en aucun cas être apparentées à une véritable concertation. Je rappelle que nous attendons toujours un bilan de l'autonomisation des lycées.

Je trouve, moi aussi, assez scandaleux l'emploi du terme « gavage » alors que les enseignants se battent au quotidien pour faire réussir leurs élèves, sans toujours y parvenir.

Nous ne participerons pas aux discussions de longue haleine proposées par la ministre sur les décrets que nous n'approuvons pas et dont la publication récente a été justifiée par la nécessité de préparer la rentrée de 2016 dès maintenant.

Mme Frédérique Rolet

Les objectifs égalitaires de la réforme sont certes des objectifs nobles, mais les moyens et les méthodes nous semblent inadaptés. Le décret étant par ailleurs assorti d'un arrêté d'application, je ne vois pas quelles marges de manoeuvre restent pour la concertation.

M. Frédéric Sève

Nous sommes favorables à la modularité pour les lycées, mais pas pour les écoles ni pour les collèges, l'enseignement obligatoire devant être le même pour tous.

Bien que, tous ici, nous maîtrisions le « lire-écrire-compter », il apparaît clairement que nous ne lisons pas tous la loi de la même façon et que nous comptons différemment les heures d'enseignement ou encore le nombre d'enseignants mobilisés contre une réforme.

À ceux qui s'insurgent contre le terme « gavage », je souhaite faire remarquer qu'il est utilisé par les enseignants eux-mêmes, qui déplorent l'accumulation des connaissances à transmettre prévue par les programmes.

Enfin, je rappelle que le décret relatif au collège ne sort pas de nulle part, mais a reçu l'avis du Conseil supérieur de l'éducation. Notre organisation sera présente lors des prochaines réunions de concertation, mais nous pensons qu'à ce jour, il ne s'agit plus tant de discuter au niveau national du contenu du décret que d'échanger dans les établissements sur son application.

Mme Claire Krepper

La loi pour la refondation de l'école traitait des enseignements de tronc commun, des enseignements complémentaires - sans pour autant préciser leur articulation - et de l'autonomie. L'inscription des enseignements complémentaires dans les horaires des disciplines a pour avantage de renforcer leur légitimité, de favoriser leur pérennité et de leur faire bénéficier de l'expertise professionnelle des enseignants.

Nous participerons à la concertation sur la circulaire car nous souhaitons que les changements soient présentés de façon concrète dans les établissements. Une autonomie cadrée devrait permettre l'adaptation aux situations particulières tout en préservant l'équité entre tous.

Les moyens complémentaires sont liés à la taille de l'établissement, un établissement moyen devant bénéficier en principe d'un demi-poste supplémentaire. Cela dit, nous savons tous que la répartition des moyens supplémentaires est généralement modulée en fonction de critères déterminés par les rectorats et un établissement situé, par exemple, en milieu rural isolé, pourra être légèrement avantagé.

Mme Cécile Kholer représentant le Syndicat national Force ouvrière lycées collèges (SNFOLC)

Je rappelle que les enseignants sont des personnes responsables, capables de comprendre une réforme. Si on nous explique que nous ne comprenons pas, si la réforme exige à ce point d'être expliquée, c'est peut-être qu'il y a un problème.

Les 60 000 postes supplémentaires devaient permettre de multiplier le nombre de classes et donc de diminuer les effectifs de ces classes. Nous constatons qu'il n'en est rien. Je note que des personnes effectuant de temps en temps des visites dans nos établissements recommandent aux enseignants, qui y travaillent tous les jours, de faire en sorte que les élèves « s'éclatent » en apprenant. Je leur réponds qu'il est difficile de « s'éclater » en apprenant dans une classe de trente élèves.

Mme Dominique Gillot

Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, je ne suis pas certaine que la qualité de l'enseignement dépende de la quantité d'heures de cours dispensées. Cela dit, si j'ai employé un terme qui a choqué certains, je le retire et je vous prie de m'excuser.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je souhaiterais préciser que les dispositions intitulées « repenser le collège unique » figuraient dans le rapport annexé à la loi de refondation et non dans la loi elle-même.

Je remercie vivement tous les participants à cette table ronde et je tiens à les assurer du fait que les membres de notre commission, dont beaucoup appartiennent au monde de l'éducation, tiennent les enseignants en très haute estime et éprouvent le plus profond respect pour le métier qu'ils exercent.

MERCREDI 27 MAI 2015

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