COMPTES RENDUS DES DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LA DÉLÉGATION AUX ENTREPRISES

A. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 29 JANVIER 2015, SUITE AU DÉPLACEMENT EN VENDÉE LE 19 JANVIER 2015

Mme Elisabeth Lamure, présidente.- Aujourd'hui nous voulions échanger sur le premier déplacement de la délégation qui s'est tenu, sur proposition de Mme Annick Billon, en Vendée il y a dix jours, en présence de Mme Nicole Bricq, Mme Jacky Deromedi, M. François Aubey ainsi que M. Didier Mandelli, sénateur vendéen, et deux sénateurs des départements voisins MM. Philippe Mouiller et André Trillard. Nous avons été reçus au conseil général à la Roche-sur-Yon par notre collègue M. Bruno Retailleau, qui en est le Président, autour d'une trentaine d'entrepreneurs avec lesquels nous avons pu échanger d'une manière très conviviale et très tonique. Ces discussions ont été particulièrement intéressantes et se sont poursuivies lors du déjeuner avant la visite, dans l'après-midi, de deux entreprises vendéennes.

Nous allons maintenant vous proposer le visionnage d'une vidéo qui a été réalisée lors de ce déplacement.

Visionnage du reportage : http://videos.senat.fr/video/videos/2015/video26848.html

Ce reportage est très fidèle à ce que nous avons pu vivre lors de ce déplacement. Je laisse à présent la parole à Annick Billon pour le compte-rendu du déplacement.

Mme Annick Billon.- Madame la Présidente, mes chers collègues, je voulais à titre introductif préciser que cette journée du 19 janvier a été réalisée en très peu de temps. En effet, ce n'est que fin décembre que la décision a été prise mais grâce à cet esprit vendéen, les chefs d'entreprises se sont très vite mobilisés. Nous avions essayé de toucher un large panel de dirigeants d'entreprises afin d'anticiper les désistements ; toutefois, les quelques trente dirigeants invités ont tenu à se déplacer. Ils étaient extrêmement touchés et heureux d'accueillir les parlementaires et je pense que les collègues de la délégation qui étaient présents lors du déplacement -Mme Nicole Bricq, Mme Jacky Deromedi, M. François Aubey et Mme Élisabeth Lamure- pourront confirmer cette impression.

Comme vous l'avez vu dans le film, il y avait différents dirigeants représentatifs d'entreprises très variées : petites, moyennes ou intermédiaires avec de belles entreprises, leaders sur leur marché. Il y avait aussi des représentants de fédérations de professions telles que la fédération française du bâtiment, le syndicat de métallurgie, la CGPME, ainsi que le Medef. Par ailleurs, divers secteurs industriels étaient représentés : du BTP à la métallurgie en passant par l'agroalimentaire ou la construction navale. Ils ont tous eu à coeur de faire partager leurs expériences.

Pour amorcer la réunion, j'avais travaillé avec APM (Association pour le Progrès du Management) sur un petit film de neuf minutes où l'on avait posé à cinq chefs d'entreprises les questions suivantes : « Quelles sont les trois principales contraintes qui freinent votre développement ? » ainsi que « S'il y avait une mesure à prendre, quelle serait-elle ? ».

Nous avions une contrainte de temps forte puisque nous ne disposions que d'une heure et demie de temps de réunion pour 30 entreprises autour de la table et il s'agissait, bien sûr, que chacun puisse s'exprimer. Le déjeuner qui a suivi nous a donc permis de prolonger la discussion et d'approfondir certains sujets, mais lors de la table ronde, tous les chefs d'entreprises avaient d'ores et déjà pu s'exprimer, de manière brève et percutante.

De cette journée dense, si je ne devais retenir qu'une seule chose, ce serait le cri d'alarme que nous ont envoyé les entrepreneurs : « Laissez-nous travailler, faites-nous confiance ». Ils nous ont également suggéré quelques actions urgentes à mettre en oeuvre : si vous le voulez bien, je vais donc lister les différents points qui ont été évoqués par ces dirigeants d'entreprises.

Les entrepreneurs vendéens ont tous fait part de leur désir de garder cette envie d'entreprendre avant tout, mais ils se demandent actuellement s'ils vont y parvenir. S'ils veulent conserver cette envie de prendre des risques, ils estiment néanmoins que les conditions ne sont pas réunies pour préserver la dynamique qui les pousse à innover et à entreprendre.

Le premier frein à l'activité, selon les entrepreneurs interrogés, serait le manque de flexibilité du marché du travail. L'un des entrepreneurs a eu cette formule : « la France cherche à préserver des emplois, au lieu de chercher à en créer ». Il s'agit de deux choses bien différentes, on cherche à préserver l'emploi alors que certains métiers pourraient peut-être évoluer. Ils ont tous fait part de leur peur d'embaucher faute de ne pouvoir débaucher ensuite, ou alors à des coûts rédhibitoires. Ils ont tenu à rappeler qu'ils ne licenciaient jamais par convenance, mais toujours la mort dans l'âme. L'un d'eux a cité l'exemple du Canada où, depuis une dizaine d'années, il est possible de licencier aussi facilement que le salarié peut démissionner. Il s'y est établi un rapport de force favorable aux salariés. Les entrepreneurs ont aussi été nombreux à dénoncer la rigidité que représentent les seuils sociaux. Je citerai l'un d'eux : « lorsqu'on passe le seuil du 50 ème salarié, il faut en embaucher un 51 ème pour gérer les nouvelles contraintes ! ».

Le deuxième frein que dénoncent les entreprises est le manque de confiance de l'État dans les entreprises ainsi que son poids excessif : la pression administrative va croissant, avec des exigences accrues et de nouvelles obligations. L'un a évalué à 30 % la part de son temps consacrée à gérer des questions administratives, ce qui est autant de temps perdu pour l'innovation et le développement de l'entreprise. Un autre s'est demandé pourquoi il fallait produire les mêmes papiers pour un marché public de 200 000 euros ou de 20 millions d'euros. Un troisième a dénoncé la nouvelle réglementation sur les métiers dangereux qui entrave la formation professionnelle : des jeunes apprentis se voient ainsi interdits d'utiliser les machines-outils (même à l'école) et se contentent de regarder pendant deux ans d'apprentissage ! D'autres, enfin, ont comparé la mise en place du compte pénibilité à une usine à gaz ; certains envisagent même de recruter une personne supplémentaire pour gérer cette nouvelle mesure ! Toutes ces obligations, qu'ils vivent comme des boulets , érodent la compétitivité de leurs entreprises. L'un d'eux a demandé « qu'on laisse courir les entreprises sans leur accrocher de nouveaux boulets aux pieds ».

De surcroît, toutes ces normes et obligations donnent lieu à des contrôles qui viennent encore peser sur les entreprises et faire grossir la sphère publique. L'un des frères Cougnaud a regretté d'avoir mis deux ans à obtenir le renouvellement d'une certification de la part du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

Le poids des charges sociales dans le coût du travail a aussi été dénoncé à maintes reprises : les cotisations continuent de grimper, alors même qu'on traite les entreprises de voleurs de baisses de charges.

L'instabilité du cadre réglementaire est un autre frein au développement de nos entreprises selon les entrepreneurs consultés. Non seulement les règles sont toujours plus nombreuses mais de plus elles changent trop souvent. On nous a d'ailleurs dit avec une pointe d'humour « Que les parlementaires craignent d'avoir de trop bonnes idées ! » car c'est à l'entreprise de les assumer sur le terrain. À titre d'exemple, pour ce qui concerne la fiche de paye, l'adaptation permanente à de nouveaux paramètres exige d'un gestionnaire de paye 3 à 4 heures par mois uniquement dédiées à cet aspect, nous a confié un entrepreneur. En matière fiscale aussi, les règles changent constamment : la défiscalisation des heures supplémentaires a été supprimée et le taux de TVA a doublé en deux ans dans certains secteurs. En outre, des dispositions prises par certains entrepreneurs sur le fondement de nouvelles lois sont ensuite contestées par l'administration fiscale, qui les juge non conformes à l'instruction fiscale prise en application de la loi. De même, les entrepreneurs nous disent que les décrets d'application sortent trop longtemps après la loi et sont susceptibles de la réorienter. Si tant est qu'ils sortent un jour car certaines lois inapplicables ne verront jamais leur décret d'application sortir.

Enfin, je voudrais transmettre un dernier cri d'alarme que nous n'aurions pas pu entendre si nous avions rencontré des grands groupes. Il s'agit du coût et de la complexité de la transmission d'entreprise, sujet évoqué par de nombreux entrepreneurs de Vendée, où l'entrepreneuriat familial est prépondérant. Nous l'avons particulièrement vu au travers des deux entreprises visitées l'après-midi : la première, Cougnaud, est dirigée par quatre frères cinquantenaires, qui ont repris l'entreprise fondée par leur père et qui peinent à organiser la transmission à la génération suivante. La seconde, fondée par les Fonteneau, un couple de boulangers, passe progressivement aux mains de leurs enfants, qui n'étaient pas amenés au départ à rejoindre l'entreprise ; cependant la complexité et la fiscalité sont telles qu'ils envisagent de constituer une holding de rachat pour faciliter la transmission.

Pour être complète, j'évoquerai les points positifs qui ont été mis en avant comme la réduction d'ISF pour l'investissement dans les PME. La plupart ont salué le CICE comme une bonne mesure, mais là encore, la complexité du dispositif a été déplorée. Il aurait été plus efficace de baisser les charges que de créer un crédit d'impôt car ce mécanisme entraîne un décalage temporel et oblige certaines entreprises à demander un préfinancement du CICE que les banques facturent à un coût élevé.

J'insiste sur le fait que les chefs d'entreprises avaient à coeur de faire partager leur ressenti dans le cadre d'une discussion vraiment très agréable. Il n'y avait pas de polémique autour de la table ou lors des visites et je crois que le ton constructif des échanges a été ressenti par l'ensemble des personnes présentes.

Ainsi, pour synthétiser, les urgences et les pistes évoquées sont les suivantes :

Revoir les seuils sociaux, alors que les négociations entre syndicats et patronat viennent d'échouer sur le sujet : les entrepreneurs demandent plutôt que soit annulé le seuil de 10, que le seuil de 20 passe à 50, que celui de 50 passe à 100 ;

- Assouplir le code du travail pour faciliter le licenciement et libérer l'embauche, ce qui pourrait conduire à un solde d'emplois positif ;

- Stabiliser l'encadrement législatif et réglementaire français comme européen et développer le rescrit fiscal ;

- Supprimer le compte pénibilité, à tout le moins pour le BTP ;

- Alléger les coûts salariaux et les charges sociales ;

- Simplifier la transmission d'entreprises.

Nous avons retenu l'encouragement des entrepreneurs à penser ensemble l'adoption de la loi et celle des décrets d'application, pour éviter de voter des lois inapplicables. Des études d'impact préalables pourraient y contribuer. Par ailleurs, un examen approfondi pourra être prévu pour analyser la proposition d'introduction d'un régime d'imposition différencié selon le type d'activité (pour taxer différemment l'export) et selon l'affectation des bénéfices -ainsi, les bénéfices mis en réserve pourraient être sortis de l'assiette de l'ISF. Surtout, les entreprises appellent de leurs voeux une stabilité législative dans une logique prévisionnelle : ne pas pouvoir prévoir à un an, à cinq ans, les éventuelles réformes, empêche de se projeter et d'établir un projet pour l'entreprise.

Pour conclure, je rappellerai le cri du coeur des entreprises : « Faites-nous confiance, laissez-nous travailler » .

Je tiens à remercier les sénateurs de la délégation aux entreprises qui se sont déplacés et les sénateurs voisins qui sont venus renforcer la délégation ; il n'est pas toujours très aisé de se déplacer en raison d'agendas très contraints. Nous avons été ravis de vous accueillir pour cette journée.

Mme Élisabeth Lamure.- Merci pour l'accueil en Vendée et pour ce compte rendu très fidèle de ce que nous avons entendu de la part des entreprises. Il n'y a pas de parti pris, les témoignages vous ont été rendus tels qu'ils ont été exprimés. Vous constaterez que ce sont les mêmes idées qui reviennent et qui constituent un socle sur lequel nous souhaiterions pouvoir travailler. Je vous donne maintenant la parole.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.- J'aimerais tout d'abord revenir sur une question d'organisation. Pour m'y être rendue, j'ai pu constater que la Vendée est effectivement une terre extrêmement dynamique sur le terrain des entreprises. Il me semble néanmoins utile de préciser qu'une entreprise n'est pas seulement un chef d'entreprise mais une communauté humaine et qu'une visite d'entreprise est également l'occasion d'écouter les représentants des salariés. En effet, si nous connaissons bien les sujets de préoccupation du patronat, nous avons rarement l'occasion d'écouter ceux des salariés. Il faut donc que cette parole puisse être entendue lors de nos prochaines visites.

D'autre part, je suis étonnée de constater que les sujets qui ont été abordés sont essentiellement d'ordre social. Il me semble que d'autres questions méritent réflexion comme par exemple l'ancienneté du parc productif -19 ans en moyenne en France contre 10 ans en Allemagne. Les dirigeants n'ont-ils pas abordé la question de l'investissement productif et du vieillissement des infrastructures ?

Pour les prochains déplacements, il faudra donc veiller à cibler de nouvelles pistes qui sortent des réflexions traditionnelles du Medef. Sur la question du surplus de normes par exemple, j'attire votre attention sur la création d'emplois qui est le corollaire de la mise en place de ces nouvelles normes. Ainsi, des bureaux comme le groupe SOCOTEC ont créé des milliers d'emplois avec les bureaux d'études qui délivrent les certifications.

M. Jean-Pierre Vial.- Oui, plus il y a d'incendies, plus il faut de pompiers...

Mme Marie-Noëlle Lienemann.- Non, ce n'est pas cela. J'en veux pour exemple la certification sur la traçabilité qui nous permet d'éviter d'importer des matériaux de moindre qualité et de favoriser les matériaux français. J'admets qu'il y a parfois de trop nombreuses normes, comme dans l'exemple des deux ans d'attente pour un renouvellement de certification, mais je vous rappelle que dans certains cas, ces délais ont permis d'éviter de découvrir des cas de contamination par des matériaux, ultérieurement. Je ne dis pas que tout est parfait mais il faut éviter l'écueil d'une vision monomaniaque du sujet.

Mme Élisabeth Lamure.- Ce que je tenais à dire afin de nous replacer dans l'esprit du déplacement et plus largement de la délégation, c'est que notre objectif est précisément d'entendre les entreprises à travers leurs chefs qui sont légitimes pour répondre à la question qui fonde la mission de la délégation : « Quels sont, selon vous, les freins au développement de votre activité ? » .

Mme Annick Billon .- Je ne peux que reprendre ce que vient d'exposer notre Présidente. Je ne pense pas avoir assisté à une réunion monomaniaque ni à une réunion du Medef. Les entreprises étaient très diverses ce qui offrait un panel de chefs d'entreprises avec des parcours très intéressants individuellement.

Par ailleurs, comme l'a rappelé notre Présidente, l'objectif de cette journée tel qu'il a été défini lors de la réunion du 19 décembre était précisément d'aller à la rencontre des chefs d'entreprises afin de les interroger sur les freins à leur développement. C'est à mon sens ce qui a été fait lors de notre déplacement.

Enfin, concernant les cabinets comme SOCOTEC, certes il y a de plus en plus de normes, de plus en plus de cabinets, d'emplois, mais j'attire votre attention sur le coût que génère cette surenchère. Qui paie la note ? Ce sont les entreprises et les collectivités. On le voit particulièrement dans nos collectivités où la moindre étude coûte 40 000 à 100 000 euros avant même de démarrer un projet. Attention à toutes ces normes !

Mme Nicole Bricq.- Je voudrais pour ma part tirer les enseignements de cette première visite et revenir en particulier sur la question de la sélection des entreprises. Tout d'abord, je vous remercie car, en effet, cette visite a été organisée très rapidement. Il faut être très attentif à la sélection pour avoir un échantillon représentatif : filiales d'entreprises étrangères, filiales de grands groupes, PME familiales, ETI ayant ouvert leur capital, etc., doivent être représentées.

Ma deuxième remarque concerne la teneur des témoignages. Il est vrai que pas un des chefs d'entreprises ne nous a dit que la situation était satisfaisante, ce qui est à mon sens assez logique puisque face à des sénateurs, qui se déplacent de Paris de surcroît, il est bien naturel de se concentrer sur ce qui va mal. Ils nous disent de les laisser travailler, ce à quoi je leur réponds qu'il existe des aides comme le CICE.

Par ailleurs, j'ai été frappée de constater la difficulté rencontrée pour faire connaître les négociations qui interviennent entre organisations patronales et syndicales. Je pense à celles en cours sur les seuils sociaux ou à l'accord intervenu en 2013 sur la flexi-sécurité : personne n'en a parlé autour de la table. Par ailleurs, l'ISF-PME est un dispositif qui coûte très cher aux finances publiques, tout comme le crédit impôt recherche (CIR) ; il me semble dès lors assez normal qu'il y ait des contrôles. Par ailleurs, le rescrit fiscal semble méconnu.

Ce qui m'amène à un dernier point : il faut s'accorder sur l'objectif recherché et poser des questions précises lors des déplacements, par exemple au sujet de l'investissement. Peut-être que des déplacements thématiques nous permettraient d'aller au coeur du sujet.

Enfin, sur la question du point de vue des salariés, je pense que l'on pourrait solliciter l'organisation d'une brève rencontre avec les représentants du personnel pour avoir le point de vue des salariés dans l'entreprise.

Mme Elisabeth Lamure.- Je reviens un instant sur le CIR pour préciser que les entreprises ne se plaignaient nullement du principe du contrôle effectué sur le CIR mais de l'interprétation faite par l'administration fiscale qui les place dans une situation d'insécurité juridique.

M. Dominique Watrin.- Pour ma part, je partage les remarques de Mme Marie-Noëlle Lienemann et la dernière partie de l'allocution de Mme Nicole Bricq. Je suis convaincu que nous avons un problème de méthode et que si nous nous rendons ainsi dans les entreprises, nous allons en permanence entendre les mêmes discours que j'appelle « la litanie de pleurs » du MEDEF. Il faut, lors des prochains déplacements, nous munir d'une feuille de route avec un ou deux sujets précis sur lesquels interroger les entrepreneurs. Lors de la dernière réunion, nous avons évoqué des pistes fortes intéressantes concernant l'innovation, la recherche, la coopération entre entreprises, la question des filières organisées, l'accès au crédit bancaire. Il conviendra néanmoins de faire des choix.

En définitive, cela me semble être un problème de méthodologie couplé à un problème de fond. Je pense que sur les sujets qui seront abordés, il faudra auditionner les salariés car je partage ce qui a été dit par Marie-Noëlle Lienemann, à savoir que l'entreprise n'appartient pas qu'aux entrepreneurs : c'est un lieu de travail, un lieu de vie sociale où le salarié crée de la richesse et nous ne pouvons pas ne pas les entendre, au risque de tomber dans la pensée unique des entrepreneurs.

Mme Élisabeth Lamure.- Très bien. Je tenais seulement à redire que la question qui anime la délégation est très précise et qu'il s'agit bien d'appréhender les freins au développement de l'activité des entreprises, ce qui constitue le coeur de notre mission. C'est pour cela même que nous allons sur le terrain récolter l'information à la source avant de la traduire ensuite par des actes au niveau législatif.

Mme Annick Billon .- Pour ma part, je regrette vraiment que M. Dominique Watrin n'ait pas assisté à cette réunion et je rappelle que cette dernière n'avait absolument rien de clivant. Je ne vois pas où se trouve le problème de méthodologie dans le sens où la feuille de route consistait à interroger les entrepreneurs sur les freins au développement et c'est précisément ce que la délégation a fait en Vendée. Résumer cette journée en Vendée à une réunion du Medef alors que les dirigeants d'entreprises n'avaient aucune posture militante me semble dommage et je regrette vivement que vous n'ayez pu assister à cette journée et rencontrer les chefs d'entreprises qui ont tout simplement exprimé leur bons sens.

M. Olivier Cadic.- Tout d'abord, je vous remercie et vous félicite pour ce film ainsi que pour le compte-rendu qui, en très peu de temps, offre une belle vision du déplacement. Si vous me le permettez, j'aimerais apporter un éclairage extérieur sur certains points du fait de mon statut de chef d'entreprise et de représentant des Français de l'étranger. Par exemple, concernant les charges sociales qui sont fréquemment citées comme un problème en France, je rappellerai simplement les chiffres qui parlent d'eux même : 48 % de charges dans notre pays contre 13 % en Angleterre. Par ailleurs, voici un exemple de feuille de paie réalisée en Angleterre (feuille de taille inférieure à un format A5) qui comporte toutes les informations nécessaires y compris l'impôt sur le revenu prélevé à la source. Pour ce qui a trait à la transmission d'entreprise, je connais bien le problème ayant fondé mon entreprise à 20 ans ; si jamais j'étais victime d'un accident, mon entreprise disparaissait avec moi, mon enfant étant trop jeune et mes salariés, incapables de payer les frais de succession. En Angleterre au contraire, j'ai pu faire un testament pour transmettre mon entreprise à mes cadres afin que l'activité puisse être poursuivie. Enfin, je pense que la question de penser ensemble l'impact de la loi est un élément crucial et j'illustrerai ce point avec un exemple : l'impôt sur le revenu. En France, on paye l'impôt sur le revenu l'année suivant sa perception, avec le risque que le taux d'imposition ait changé entre temps. Transposé à l'entreprise, payer des impôts l'année suivante, de surcroît avec une législation qui change, a un impact certain sur les marges.

Pour en revenir au déplacement en Vendée, je voulais signaler une structure en France qui est plus qu'une entreprise mais un véritable lieu d'innovation adoptant une approche inédite de la façon de vivre l'entreprise : il s'agit du Puy du Fou. Pour la France, c'est un exemple extraordinaire qui mérite d'être valorisé.

Dans la perspective du prochain déplacement, il me semble très important d'insister sur les réponses qui ont pu être apportées outre-Manche aux difficultés soulevées. Je veillerai donc à trouver des personnes qui nous expliquent comment les sujets évoqués y sont vécus. Afin de préparer notre venue au Royaume-Uni, j'aimerais que chaque participant nous indique les atouts et les points faibles du précédent déplacement afin d'ajuster au mieux l'organisation.

Je m'arrête enfin sur les remarques qui ont été faites sur la nécessité de recueillir le point de vue des salariés. Effectivement, la vision du salarié est importante à prendre en compte. Laissez-moi vous donner un exemple qui concerne l'un de mes salariés m'ayant suivi lorsque je suis parti m'installer outre-Manche : ses demandes étaient complètement différentes en France et à Londres ; ses exigences avaient donc changé du fait de son nouvel environnement !

M. Claude Nougein.- Pour ma part, je n'ai pas fait partie du voyage en Vendée, y ayant moi-même emmené une délégation de conseillers généraux de mon département. C'est incontestablement un exemple de réussite économique et l'on y avait beaucoup appris. Je me souviens d'ailleurs qu'à cette époque le taux de chômage y était autour de 3-3,5 %, ce qui était très impressionnant.

Ce que nous avons entendu à travers ce film, nous l'entendrons de nouveau au cours de tous les voyages en province car les difficultés évoquées ne sont pas nouvelles. Il y a évidemment des raisons pour lesquelles la France a presque passé le seuil de 3,5 millions de chômeurs, et beaucoup d'entreprises françaises se vendent aux étrangers, qui n'ont pas nécessairement la même approche que les nationaux. Prenons l'exemple de l'entreprise familiale : elle attend avant de licencier en raison du lien de proximité avec ses salariés, alors que les grands groupes internationaux ou les fonds d'investissement auront moins de scrupules.

Ce que je trouverais intéressant pour la délégation aux entreprises ce n'est pas tant de prendre en charge le dialogue social -nous ne sommes pas la commission des affaires sociales- mais de voir comment l'État peut faire prospérer les entreprises. Je partage pour le reste la conception selon laquelle nos entreprises doivent prospérer pour tout le monde. Cela me paraît être une règle de base.

Par ailleurs, je trouverais pertinent que nous nous penchions sur des pays tels que la Grande-Bretagne ou l'Autriche, qui ont bien réussi et nous montrent des exemples de chefs d'entreprises heureux, qui gagnent de l'argent et qui investissent, des salariés qui sont heureux également et des taux de chômage qui diminuent. Ne serait-il pas intéressant de visiter ces pays ? Si l'on se rend à Londres, par exemple, ce n'est pas pour savoir comment les Français ont réussi à Londres alors qu'ils n'avaient pas réussi à Paris, nous connaissons déjà les avantages de Londres sur Paris sur certains points. Ce qui m'intéresserait davantage serait de nous rendre dans une PME anglaise pour comprendre son fonctionnement sur des points précis : au niveau des charges sociales, de l'impôt sur les sociétés, des règles. Nous désignons toujours les règles européennes comme les éternelles coupables mais dès lors que l'on se rend dans un autre pays, les contraintes semblent avoir disparu. Devant le constat d'un problème en France, il s'agirait plutôt d'examiner l'interprétation française de la règle européenne. On voit bien comment la Cour de Cassation interprète le Code du travail, par exemple.

Mme Élisabeth Lamure.- Merci pour votre contribution précieuse pour nos prochains déplacements.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.- Je n'ai rien contre les entreprises familiales ; ce qui me gêne davantage, c'est que le capital ne soit plus français. Mais un capitalisme familial est toujours mieux qu'un capitalisme volatile.

Je souhaiterais préciser que ma proposition vise à aborder le point de vue des syndicats et des salariés sous un angle économique. Je vous rappelle que dans certains cas, ce sont les syndicats qui ont tiré la sonnette d'alarme pour des entreprises en situation difficile. Enfin, idéologiquement, je ne peux pas valider l'idée que l'entreprise se résume au chef d'entreprise. L'entreprise est une communauté humaine et notre délégation aux entreprises n'est pas une délégation aux chefs d'entreprises.

M. Henri Cabanel.- Je voudrais pour ma part revenir sur la sélection des entreprises car il me semble en effet important de balayer tous les types d'entreprises -SA, EURL, individuelles, familiales, coopératives- afin d'analyser les problèmes spécifiques auxquels elles sont confrontées en fonction de leur statut. Je vous rappelle qu'il y a aujourd'hui 400 000 emplois non pourvus en raison d'une insuffisance de formation ; il serait intéressant de voir ces entreprises qui ont du mal à recruter.

Mme Élisabeth Lamure.- Il est assez difficile de procéder à la sélection des entreprises à notre niveau mais nous avons fait confiance aux représentants départementaux qui nous ont proposé, lors du premier déplacement, un panel représentatif avec des entreprises de tailles et de secteurs très différents. En ce qui concerne la taille, nous avions ciblé les PME et les ETI pour éviter les TPE et les très grands groupes et nous avons pu rencontrer les représentants d'entreprises employant de 12 à 3 300 salariés. Concernant les secteurs, nous avions autour de la table des entreprises relevant d'industries variées telles que l'agroalimentaire, le bâtiment, la construction navale, la mécanique de précision. En revanche, lorsque nous choisirons un thème particulier, nous pourrons, bien entendu, préciser notre souhait.

Mme Nicole Bricq.- Je voudrais faire une observation : autour de la table, il n'y avait pas une entreprise en difficulté et je constate que malgré toutes les contraintes citées, tous les chefs d'entreprise avaient réussi leur développement.

Mme Annick Billon .- Je crois qu'il ne faut pas sous-estimer la pudeur des chefs d'entreprise. Certaines entreprises, par exemple dans le bâtiment, souffrent terriblement. D'autres entreprises très exportatrices, comme le chantier naval OCEA qui exporte 95 % de sa production, sont confrontées au manque de confiance des banques et à leur frilosité pour financer leurs projets. D'ailleurs, si les entreprises ont été si nombreuses à se mobiliser pour assister à cette réunion, c'est qu'elles sont confrontées à de véritables difficultés au quotidien pour avancer, pour se développer.

Mme Élisabeth Lamure.- Au terme de ce tour de table très riche, je vous remercie pour votre participation.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page