EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 30 septembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de Mme Fabienne Keller relative aux travaux menés avec M. Yvon Collin, en tant que rapporteurs spéciaux, sur les financements en matière de lutte contre le changement climatique en faveur des pays les moins avancés.

Mme Michèle André , présidente . - Je rappelle que ce rapport s'inscrit dans le cadre des travaux du Sénat sur la COP 21 et que des réunions de l'Union interparlementaire se tiendront à l'Assemblée nationale et au Sénat sur cette question.

Mme Fabienne Keller , rapporteure spéciale . - La France a fait depuis plusieurs années de la lutte contre le changement climatique une des priorités de sa diplomatie, qui s'illustre dans l'organisation - d'ici quelques semaines - de la vingt-et-unième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la « COP21 ». De nombreuses associations se sont mobilisées sur cette question, mais aussi des collectivités territoriales - je pense au sommet des villes qui s'est tenu en juillet - et, comme vous le savez, plusieurs commissions du Sénat travaillent sur le sujet.

Ce volet de notre diplomatie se retrouve naturellement dans la politique d'aide publique au développement (APD) française, qui comporte des objectifs relatifs au changement climatique. Déjà en 2011, le document cadre de la politique d'APD française distinguait quatre « enjeux stratégiques pour la coopération », dont celui de « préserver les biens publics mondiaux », parmi lesquels était mentionné le climat.

De même, la loi de programmation relative à l'aide publique au développement, adoptée à l'été 2014 prévoit dès son premier article 1 er que l'APD vise également à lutter contre le changement climatique.

Dans le prolongement de ces objectifs généraux, l'Agence française de développement (AFD), s'est dotée de sa propre stratégie « climat - développement ».

L'AFD a mis en place une procédure d'évaluation systématique de l'empreinte carbone des projets qu'elle finance dans les pays en développement et peut être amenée à écarter certains projets à travers l'application d'une grille de sélectivité en termes d'émissions de gaz à effet de serre.

Elle s'est surtout assignée des objectifs quantitatifs : au moins la moitié de l'activité de l'agence dans les pays en développement doit avoir des co-bénéfices climat ; ce pourcentage est de 30 % pour sa filiale Proparco, consacrée au secteur privé. Les objectifs de l'agence sont déclinés géographiquement : la part des financements climat doit ainsi s'élever à 70 % en Asie et en Amérique latine, à 50 % en Méditerranée et à 30 % en Afrique subsaharienne.

Ces objectifs français s'inscrivent dans le cadre global de l'engagement pris par les pays développés à Copenhague en 2009 de consacrer 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 pour financer des projets climat dans les pays en développement. Ils s'inscrivent également dans le prolongement des « objectifs de développement durable », qui viennent d'être adoptés à New York et qui remplaceront les « objectifs du millénaire pour le développement ». Le treizième objectif prévoit ainsi de « prendre des mesures urgentes pour lutter contre le changement climatique et ses impacts ».

Les financements climat de la France passent par différents outils, aussi bien multilatéraux que bilatéraux.

On peut notamment retenir le Fonds pour les technologies propres, auquel la France a contribué à hauteur de 500 millions de dollars sur 2010-2012, la « Réserve pays émergents », qui a permis de financer 450 millions d'euros, entre 2005 et 2014, de projets intégrant un objectif de lutte contre le changement climatique, ou encore le Fonds français pour l'environnement mondial qui a versé 59 millions d'euros de dons depuis 2007.

C'est cependant l'AFD qui porte la majeure partie des financements climat de la France : ses engagements climat comptabilisables en APD se sont élevés à 13,2 milliards d'euros entre 2007 et 2014. En 2007 les engagements annuels s'élevaient à 670 millions d'euros avant d'atteindre 2,4 milliards d'euros en 2010 et de stabiliser depuis lors autour de 2 milliards d'euros par an. La croissance est donc importante.

Au total, en 2013, les engagements climat de la France se sont élevés à 2,15 milliards d'euros, soit un montant équivalent à celui de l'Allemagne. Cette dernière accorde cependant exclusivement des dons, quand la France a accordé plus de 90 % de prêts.

La lutte contre le changement climatique est souvent abordée sous l'angle des pays industrialisés ou des grands émergents. Certes, les « pays les moins avancés » (PMA) ne sont pas des émetteurs importants, mais il est fondamental qu'ils adoptent dès aujourd'hui une stratégie de croissance « bas carbone » ; d'autre part, ils sont les premiers à ressentir les effets du changement climatique.

Les effets du changement climatique sont très variables, tout comme l'exposition des populations, mais ils toucheront plus durement les pays en développement, du fait de leur position géographique, de leur plus grande dépendance aux ressources naturelles et d'une plus faible capacité à s'adapter à l'évolution climatique. Le risque est donc que les inégalités entre le monde développé et le monde en développement se creusent encore.

Les principaux effets du changement climatique pour les pays en développement se feront sentir en matière de pluviométrie, ce qui signifie à la fois des inondations et des sécheresses, qui auront des conséquences considérables en matière de production agricole et de santé. La montée du niveau des mers risque également de toucher un nombre de villes très important. Il résultera de ces différents effets des déplacements forcés, l'exacerbation de conflits, et des migrations importantes.

Nous rejoignons ici l'actualité : le changement climatique augmentera sensiblement les pressions à la migration économique. En 2008, l'ONU estimait que « près de 250 millions de personnes seront déplacées au milieu de ce siècle à cause de conditions météorologiques extrêmes, de la baisse des réserves d'eau et d'une dégradation des terres agricoles ». Plus récemment, le Conseil norvégien des réfugiés estimait qu'entre 2008 et 2013, en moyenne annuelle, 27,5 millions de personnes s'étaient déplacées du fait de catastrophes naturelles, notamment liées au climat.

Afin d'étudier le cas spécifique des PMA, nous nous sommes rendus au Sénégal, Yvon Collin et moi, en mai dernier. Ce pays fait partie des PMA, bien qu'il espère accéder au statut d'émergent d'ici 2035. Il est aussi particulièrement exposé aux conséquences du changement climatique.

Récemment, le cabinet britannique Maplecroft classait le Sénégal comme dixième pays d'Afrique le plus vulnérable et quatorzième pays au niveau mondial. Il est notamment exposé au changement de pluviométrie : la sécheresse, l'élévation des températures mais aussi les mauvaises pratiques culturales, ont d'ores et déjà affecté la végétation, la salinisation des terres et la fertilité des sols, ce qui se traduit par une baisse de la production agricole. Par ailleurs, l'élévation du niveau des mers affecte la majeure partie des villes côtières sénégalaises, à commencer par Saint-Louis, impliquant des déplacements de population importants.

Les conséquences du changement climatique sont déjà visibles. Du fait notamment de la montée du niveau des mers, Saint-Louis est menacée par l'érosion de la « langue de barbarie », vaste bande de sable qui la protégeait de l'océan Atlantique. Dans la région de Dakar, c'est la hausse des précipitations qui provoque des inondations à répétition, notamment dans la ville nouvelle de Pikine.

Nous avons mené plusieurs visites de terrains et notamment d'un important projet d'irrigation de cultures rizicoles, afin de pallier la plus grande variation de la pluviométrie, qui nous a permis à Yvon Collin et moi-même d'animer une réunion avec des agriculteurs locaux et de constater qu'il y avait un véritable partage des connaissances et des technologies. Nous avons également pu rencontrer de nombreux interlocuteurs sur le sujet du changement climatique, et notamment le ministre de l'environnement ou le maire de Dakar.

Nous avons eu le sentiment qu'il y avait une véritable prise de conscience des autorités sénégalaises sur la question, bien qu'il soit naturellement parfois difficile de protéger l'environnement quand les besoins de développement sont si importants.

Ces entretiens nous ont permis de mieux cerner les besoins des PMA, sans le soutien desquels, j'insiste sur ce point, la COP 21 ne pourra être un succès.

Tout d'abord, les PMA sont prêts à fournir des efforts sur leurs propres émissions ; dans leur cas, il ne s'agit pas, bien entendu, de les diminuer, mais de modifier leur trajectoire. Ils attendent cependant que les pays développés s'engagement à diminuer les leur, afin que les effets qu'ils subissent soient moins importants.

Ils souhaitent également que les pays industrialisés, conformément à leurs engagements passés, mettent des financements sur la table pour les aider face au changement climatique, si possible avec un accès direct à ces financements et non à travers des structures multilatérales ou bilatérales. Surtout, leur préférence va à des financements concernant « l'adaptation au changement climatique », c'est-à-dire la lutte contre ses effets, plutôt qu'au financement de « l'atténuation » des émissions de gaz à effet de serre. Les financements en matière d'adaptation sont d'ailleurs intimement liés au développement : comme nous l'avons constaté au Sénégal, lutter par exemple contre les remontées salines permet également d'améliorer la sécurité alimentaire.

En effet, l'état des réseaux énergétiques est tel dans les PMA que les financements en atténuation sont compliqués à mettre en oeuvre.

Enfin, les pays en développement et notamment les PMA considèrent que les financements annoncés en matière de lutte contre le changement climatique doivent venir s'additionner aux financements classiques annoncés dans le cadre de l'aide publique au développement.

Si nous examinons la politique française d'APD en matière de changement climatique à la lumière des besoins des PMA, nous pouvons en tirer plusieurs enseignements.

Les chiffres des financements climat de la France montrent que cette politique n'est pas assez adaptée aux PMA. Certes, comme on l'a vu précédemment, les engagements de l'AFD sont nettement en hausse. Mais les financements en matière d'adaptation ne représentent qu'à peine plus de 200 millions d'euros par an moyenne, soit seulement 12 % du total. Et ce sont les financements en matière d'atténuation qui ont connu la hausse la plus importante.

Ce déséquilibre se retrouve dans les outils utilisés. Si l'on étudie les engagements de l'AFD, sur les sept dernières années, moins de 5 % des engagements sont constitués par des dons.

Dans ces conditions, il est logique que les PMA ne bénéficient que d'une faible part de nos financements climat : 9 % environ entre 2007 et 2014.

Le délaissement des pays les plus pauvres est une critique récurrente de notre politique d'aide publique au développement. Ainsi, les 16 « pays pauvres prioritaires » ne bénéficiaient que de 12 % des engagements de l'AFD et de 39 % des subventions en 2013, contre un objectif des deux tiers.

Cette situation existe alors même que nos documents cadre prévoient des objectifs spécifiques à ces pays, qui permettent probablement de limiter « la casse ».

Or, force est de constater qu'aucun objectif propre aux PMA ou aux « pays pauvres prioritaires » n'existe en matière de changement climatique. Certes, le rapport annexé à la loi de 2014 prévoit qu'il est crucial « d'accompagner les pays les plus pauvres et les plus fragiles pour qu'ils puissent adapter leurs modes de vie et leurs économies aux effets inéluctables et déjà présents de ce changement climatique ». Mais cette déclaration ne s'accompagne d'aucun objectif quantitatif.

C'est pourquoi nous proposons de compléter les objectifs que s'est fixés la France en matière de financement climat en prévoyant un double objectif : d'une part, un objectif d'aide destinée aux PMA ; d'autre part un objectif de financements en matière d'adaptation aux conséquences du changement climatique. Il semble raisonnable de fixer chacun de ces objectifs à 20 %, à l'horizon 2020.

Le « Fonds vert pour le climat », dont le principe a été acté à la conférence de Copenhague en 2009, est l'outil le mieux adapté aux besoins des PMA. Il doit permettre de financer, dans les pays en développement, des actions en faveur de la lutte contre le changement climatique, qu'il s'agisse d'atténuation ou d'adaptation.

L'objectif est de parvenir à 100 milliards de dollars par an d'ici 2020. Il comporte un objectif de répartition à parité entre atténuation et adaptation (en équivalent dons) et un objectif de 50 % des ressources pour les États les plus vulnérables, dont les petits états insulaires, les PMA et les États africains.

À ce jour, 10,2 milliards de dollars de promesses de dons ont été faites pour la période 2015-2018. La France s'est engagée pour sa part à hauteur d'un milliard de dollars, dont près des deux tiers sous forme de don. En avril dernier, 42 % des promesses avaient effectivement été transformées en engagements.

Il est donc nécessaire que la France fasse son possible, notamment dans le cadre de la COP 21, pour que ses partenaires des pays industrialisés contribuent à ce fonds et que l'objectif de 100 milliards de dollars par an soit atteint.

Les premiers projets pourraient être présentés au conseil d'octobre. L'AFD a été accréditée cet été et pourra donc porter des projets financés par le fonds.

Les financements annoncés pour lutter contre le changement climatique devraient en principe venir s'additionner à ceux prévus dans le cadre de l'aide publique au développement « classique », d'autant plus que notre APD est considérablement inférieure à celle nos voisins : l'aide de la France représente 0,36 % du revenu national brut (RNB), quand l'Allemagne est à 0,41 % et le Royaume Uni à 0,71 %.

Cependant, le contexte budgétaire et économique rend cette perspective difficile. Cette difficulté pourrait être dépassée en ayant recours aux « financements innovants », selon l'expression consacrée, c'est-à-dire par des taxes affectées, mises en place idéalement au niveau international, comme l'a été la taxe sur les billets d'avions dite « taxe Chirac ».

Pascal Canfin et Alain Grandjean ont récemment rendu un rapport sur le sujet, à la demande du Président de la République, qui explore plusieurs voies.

Pour notre part, nous avons plaidé à plusieurs reprises pour la mise en place d'une taxe sur les transactions financières (TTF) au niveau communautaire, dont le produit soit au moins partiellement affecté à l'aide publique au développement.

Cependant, comme vous le savez, la mise en place de cette TTF est laborieuse et a récemment été à nouveau reportée.

De plus, il faudra veiller, lorsqu'elle sera mise en place, à ce que son produit soit effectivement - pour une part conséquente - affecté au développement et à la lutte contre le changement climatique. Nous avons débattu de ce sujet avec Richard Yung et François Marc, lors de l'examen du projet de loi relatif au système des ressources propres de l'Union européenne. Je rappelle qu'en 2014, seulement 12 % du produit de la TTF française a effectivement bénéficié au développement.

Le marché européen de quotas carbone pourrait être une autre source de financements. Les autorités européennes cherchent à faire « repartir » ce marché : l'objectif est d'arriver à 20 euros la tonne en 2020 et 30 euros en 2030, pour pouvoir avoir un vrai caractère incitatif pour les entreprises. Je rappelle qu'actuellement la tonne de CO 2 est à 7 euros environ. Pascal Canfin et Alain Grandjean estiment que 3,5 à 5 milliards d'euros par an, à l'horizon 2030, pourraient ainsi être trouvés, grâce aux quotas mis aux enchères.

Enfin, nous pensons que les secteurs des transports aériens et maritimes, qui représentent à eux deux plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre, pourraient être mis à contribution de façon plus importante. Il pourrait être envisagé de les intégrer dans le système européen de quotas, ce qui dégagerait des ressources supplémentaires pour les pays en développement.

La taxation de ces deux secteurs est une piste particulièrement intéressante, sous la forme par exemple d'une taxe sur les carburants. Certes, la mise en place d'une telle taxe pourrait s'avérer complexe d'un point de vue juridique et nécessiterait de discuter avec l'Organisation internationale de l'aviation civile et l'Organisation maritime internationale. Concernant le secteur aérien, il serait par exemple nécessaire de modifier la convention de Chicago relative à l'aviation civile internationale ainsi que plusieurs milliers de conventions bilatérales. Mais la COP 21 offre justement un cadre aux États pour évoquer un tel sujet. Je rappelle que les carburants des navires sont les plus polluants et ne supportent aucune fiscalité.

Sans inflexion forte en termes de ressources, nous n'aurons pas les moyens d'aider les pays les moins avancés et la pression migratoire ne fera que s'accentuer. En conclusion, nous estimons que la COP 21 doit être l'occasion de donner un signal fort aux PMA, qui garantisse leur adhésion au nouveau système international de lutte contre le changement climatique.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je voudrais remercier Fabienne Keller pour cette communication qui, à la veille de la COP 21, est d'une actualité brûlante. Je lisais ce matin l'interview d'un chef d'État africain qui rappelait que, tant que l'Afrique n'aurait pas un accès suffisant à l'eau et à l'électricité, la question des flux migratoires ne pourrait pas être résolue.

J'ai une interrogation sur les taxes aériennes. En effet, la taxe sur les billets d'avion fonctionne mais, lorsque ce type de taxe n'est pas appliqué au niveau mondial, cela nuit à la compétitivité de certaines compagnies aériennes comme cela est le cas, par exemple, d'Air France par rapport à certaines compagnies du Golfe. L'application unilatérale de ce type de taxe risque donc d'avoir des conséquences sur la compétitivité de nos entreprises.

Vous avez parlé des conséquences du changement climatique, notamment sur les pays les moins avancés, qui sont dramatiques, on peut penser par exemple à la disparition des îles, à l'ensablement de certaines villes, ou encore aux inondations, mais existe-t-il des analyses précises et sérieuses sur la contribution de ces pays au changement climatique ? Je pense notamment à l'augmentation de leur consommation d'énergies fossiles, à la déforestation liée aux besoins de chauffage, ou au développement du parc automobile. En effet, certains pays, à l'instar de l'Inde ou de la Chine, ont connu une augmentation fulgurante de leur parc automobile, parfois au détriment de l'offre de transports publics.

M. André Gattolin . - Je partage de nombreuses observations formulées par Fabienne Keller. La question des transports maritimes et des carburants utilisés dans ce secteur est essentielle. On s'est beaucoup focalisé ces dernières années sur le transport aérien alors que les carburants utilisés dans le cadre des transports maritimes sont non seulement polluants pour les océans et émetteurs de gaz à effet de serre mais, dans les zones arctiques, le carbone-suie qui se dégage tend aussi à recouvrir la neige et à réduire l'effet d'Albédo, ce qui contribue au réchauffement climatique. Or cette question est rarement évoquée. Elle est par exemple absente des réflexions en cours sur les codes de la navigation au niveau international.

Il me semble intéressant que, dans le cadre de la préparation de la COP 21, 90 pays, représentant 80 % des émetteurs de gaz à effet de serre, aient déjà déposé une contribution, parmi lesquels certains pays d'Afrique, tels que le Gabon ou l'Éthiopie.

Je voudrais préciser les propos de Fabienne Keller : le sommet qui s'est tenu en juillet n'était pas le sommet des villes mais le sommet des acteurs non-étatiques. Il me semble important qu'au-delà des villes, des régions, des provinces, des collectivités territoriales s'engagent, notamment dans les pays en développement. Il est essentiel, qu'à côté des contributions nationales, ces collectivités participent à la réflexion, je pense par exemple à des villes comme Lagos au Nigéria. La participation de tous ces acteurs est importante pour arriver à un accord qui aura une vraie validité.

M. François Marc . - Je remercie Fabienne Keller d'avoir abordé la question du financement de la transition vers une économie bas carbone. Pour trouver les 100 milliards de dollars nécessaires au financement de ce fonds, alors que les finances publiques des États ne sont pas en capacité de l'alimenter, il est nécessaire d'imaginer, comme cela a été rappelé par la rapporteure, des financements innovants. Dans un ouvrage écrit sous la direction de Jacques Mistral, « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Anton Brender propose le recours à des partenariats public-privé. Il aborde notamment le cas de l'Afrique, présentée comme le continent qui connaîtra le développement économique le plus fort dans les années à venir, où de nombreuses entreprises vont s'implanter et réaliser des bénéfices. Il estime par conséquent nécessaire d'associer ces entreprises en amont afin de réfléchir aux moyens de les faire contribuer à l'adaptation du modèle économique des pays les moins avancés. Cette proposition me semble intéressante car elle permettrait d'orienter une partie de la ressource vers ce fonds international. La rapporteure peut-elle nous indiquer s'il s'agit d'une option évoquée dans le rapport de Pascal Canfin et Alain Grandjean ?

Mme Marie-France Beaufils . - Je voudrais revenir sur la taxe sur les transactions financières, qui me semble être une vraie piste sur laquelle on devrait travailler. Bien souvent, ces transactions profitent à ceux qui ont été à l'origine de l'épuisement des ressources et qui sont responsables de la dégradation de la situation dans ces pays. Pourriez-vous nous dire quels sont les freins que vous avez identifiés à la mise en place d'une telle mesure ? Je souhaiterais également évoquer la question des partenariats public-privé. Malheureusement, ces dispositifs profitent généralement, pour l'essentiel, au privé, qui alimente sa caisse alors qu'il n'y a pas de retour positif sur le terrain. Je suis donc sceptique. Il me semble que l'on devrait être davantage exigeant vis-à-vis de ceux qui interviennent dans ces pays afin qu'ils soient plus respectueux de règles. Je suis convaincue nous avons tous à gagner à ce que ces pays permettent à leurs habitants de continuer à vivre sur leur territoire et ne deviennent pas des exilés climatiques.

M. Jérôme Bignon, président du groupe de travail relatif aux négociations internationales sur le climat et l'environnement . - Nous avons eu une réunion sous la présidence de Gérard Larcher pour fixer le calendrier des travaux de notre groupe de travail. Une réunion devrait ainsi se tenir le 22 octobre pour adopter une proposition de résolution qui serait examinée en séance le 16 novembre prochain. Je tenais d'ailleurs à saluer le travail des rapporteurs. Nous attendons les contributions de chacun pour les intégrer dans le rapport et pour que la résolution que nous proposerons soit le fruit d'un travail collectif.

Les pays en développement ou les moins avancés rencontrent une difficulté majeure pour régler des problématiques dont les principaux facteurs leur échappent : sécheresse, montée des océans etc. On ne peut qu'être frappé de la diminution de la taille du lac Tchad, dont la circonférence ne représente plus que 10 % de celle d'il y a quarante ans. On comprend dès lors que la crise humanitaire en Afrique sub-saharienne n'a pas une origine politique mais climatique. Cela crée des conflits entre les pays, entre les confessions, entre les catégories d'agriculteurs. Les questions climatiques sont souvent à l'origine de difficultés plus larges. La Syrie a ainsi été victime de crises de sécheresse qui se sont traduites par des difficultés majeures en termes d'alimentation.

J'étais en Chine la semaine dernière et j'ai pu mesurer la complexité de son positionnement sur ces questions. La Chine prétend en effet rester dans le champ des pays en développement, ce qui se justifie mais, dans le même temps, elle entend jouer un rôle politique mondial, d'influence. C'est pourquoi elle est a créé un fonds « sud-sud » qu'elle alimentera. Cette ambiguïté se retrouve dans son modèle de développement : d'un côté la Chine compte 20 millions de voitures supplémentaires chaque année mais, dans le même temps, la ville dans laquelle je me suis rendu, Wuhan, crée une nouvelle ligne de métro par an.

Mme Fabienne Keller , rapporteure spéciale . - Pour répondre au rapporteur général, nous nous sommes concentrés sur la question des pays les moins avancés, dont les niveaux d'émission sont moins importants qu'en Inde ou en Chine - qui est le premier émetteur en niveau absolu désormais - dont les émissions par habitant augmentent mais qui demeurent inférieures aux standards européens, américains ou plus encore saoudiens. Les pays les moins avancés émettent peu et ce qu'ils émettent a essentiellement un impact sur eux-mêmes. Brûler des pneus ou des déchets pour cuisiner, ce qui est souvent le cas en Afrique, dégage des particules. Cela est néfaste pour les poumons et la santé de ces personnes plus que pour la planète car l'effet volume est très faible. À cet égard, l'initiative de Jean-Louis Borloo pour développer l'électrification est intéressante.

S'agissant de la question de la déforestation, qui recoupe généralement, dans ces pays, celle de l'accès à l'énergie, des projections montrent que la croissance démographique risque d'aggraver ce phénomène.

Vous avez rappelé à juste titre que la mise en place d'une taxe aérienne peut être problématique si elle n'est pas appliquée au niveau mondial. On constate par exemple que les vols vers l'Asie font escale au Moyen-Orient car il n'y a pas de taxe d'aéroport. Si ces pays ne mettent pas en place de taxe, cela améliorera leur positionnement concurrentiel. Il me semble que la COP 21 constitue une opportunité pour discuter de ce sujet.

S'agissant des bateaux, l'amélioration des caractéristiques des moteurs, qui mobilise l'Organisation maritime internationale, sera applicable l'année prochaine. Pour autant, la durée de renouvellement des flottes est de trente ans. L'initiative est louable, mais son impact sur les émissions ne sera effectif qu'à long terme. La COP 21 peut être une occasion de marquer une volonté planétaire dans des secteurs qui présentent l'avantage, par rapport au champ d'application d'une taxe sur les transactions financières, d'être relativement concentrés : le nombre d'armateurs ou de brokers en bitumes et gasoils pour les bateaux n'est pas infini. Dès lors que nous afficherons la volonté de taxer - même légèrement - l'ensemble des volumes, nous pourrons disposer d'un dispositif novateur et d'une source de financement pérenne.

André Gattolin a rappelé que, dans le cadre de la préparation de la COP 21, de nombreux pays, dont l'Éthiopie, ont déposé une contribution. On ne peut que se féliciter que tous les pays se sentent concernés : les pays émergents, compte tenu de l'ampleur de leurs émissions, et les pays les moins avancés, en raison des conséquences qu'ils subissent, mais aussi parce qu'ils veulent être dans le jeu international.

François Marc a souligné l'importance d'organiser le financement de la transition vers une économie bas carbone. S'agissant des partenariats public-privé, le fonds vert permet d'intégrer des financements privés, mais certains pays du sud considèrent qu'on leur propose des projets relevant de l'activité économique ordinaire, qui seraient financés par ailleurs. Si l'on met tous les investissements des pays du Nord dans le fonds vert, les 100 milliards de dollars sont déjà atteints. On leur a promis ce levier, il faut donc être vigilant et lui donner un contenu. Les partenariats public-privé ne doivent pas constituer un substitut à l'aide publique.

Marie-France Beaufils a rappelé son attachement à la taxe sur les transactions financières. J'ai écrit un rapport sur ce sujet en 2012 et, comme vous le savez, nous « pataugeons » sur les questions liées aux assiettes, au siège des parties à la transaction, aux chambres de compensation, etc. Par ailleurs, si le projet est porté dans le cadre d'une coopération renforcée à onze, dans l'Union européenne, il n'existe que des structures à vingt-huit. Les États membres opposés à la taxe sur les transactions financières participent donc à la discussion, ce qui gêne les négociations... À partir d'une proposition très ambitieuse de la Commission européenne, de nombreux critères ont été restreints à la demande de certains pays et les discussions se sont arrêtées. Un nouveau projet devrait être proposé par la Commission. Pour autant, si l'objectif d'un tel dispositif me semble louable, compte tenu de la désorganisation des marchés financiers et de la disparition de toute obligation déclarative des transactions ou de passer par une chambre de compensation, la réalité de son application semble très difficile. Cela tient à la dimension immatérielle des transactions financières, c'est-à-dire à la possibilité de faire transiter l'intégralité des transactions via un « caillou » au milieu du pacifique. Imposer les carburants des bateaux a l'avantage de porter sur une assiette physique, plus mesurable. Les risques de fuite de l'assiette sont moins forts.

Je partage l'analyse de Marie-France Beaufils sur la gravité de la situation des réfugiés climatiques. Je ne crois pas que nous ayons encore pleinement pris conscience que la question climatique, aggravée par le facteur démographique, constituera bientôt une deuxième poussée à l'exil, aussi forte que les difficultés économiques.

Jérôme Bignon a souligné le rôle des pays du Sud et de la Chine en particulier. 20 millions de véhicules supplémentaires peut sembler élevé, mais à l'échelle de la population chinoise, cela ne représente qu'un véhicule pour 500 habitants. Ce phénomène est inquiétant car il peut encore se poursuivre et s'amplifier. Or, s'il est indispensable d'inciter ces pays à passer à un modèle plus sobre, je me suis rendue compte en Tunisie, à Dakar et dans d'autres pays, qu'il était souvent plus facile de construire en six mois une autoroute qui permet un désenclavement, en particulier quand elle est financée par la péninsule arabe ou la Chine, que de mettre en place un réseau de transports en commun qui, pour être intelligent, doit passer en milieu urbain et nécessite d'importants investissements et de longues études techniques. Malheureusement, le modèle automobile continue d'être dominant parce qu'il est plus facile à mettre en place.

La Chine s'intéresse à la COP 21 parce que sa population se sent très concernée par les effets de la pollution de l'air. Or ces deux sujets sont distincts : la pollution de l'air renvoie à la question des particules et non aux gaz à effet de serre. Pour autant, il s'agit de sujets corrélés. On ne peut que se féliciter que la COP 21 mobilise les États parce que ces problématiques recoupent des sujets de préoccupation nationale. Cela laisse entrevoir de belles perspectives de résultats pour cette conférence. Le Sénat est d'ailleurs très actif dans sa préparation.

Mme Michèle André , présidente . - En tant que présidente exécutive du groupe français de l'union interparlementaire, je mesure notre apport. On ne peut qu'être frappé par le rétrécissement du lac Tchad ou par les catastrophes au Bangladesh. Ces évolutions devraient nous mobiliser pour des raisons climatiques et humanitaires.

La commission a donné acte de sa communication à Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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