DÉBAT EN COMMISSION

Mme Michèle André , présidente . - Je vais donner la parole à nos trois autres collègues qui étaient également membres du groupe de travail.

M. Daniel Raoul . - Je souhaiterais avant toute chose vous faire part de mon étonnement devant l'incapacité des services de l'État à fournir des chiffres cohérents, avec notamment ces fameux logements que l'on découvre au fond d'un tiroir...

Selon les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, il manquerait entre 800 000 et 1 million de logements. La comparaison de ce chiffre avec celui du nombre de logements vacants qui ne fait qu'augmenter tous les ans, et en particulier dans les zones tendues, traduit un vrai problème sur le marché immobilier. Il est tout de même anormal de voir, dans une émission à la télévision, un bailleur social proposer trois mois de loyer gratuits parce qu'il ne trouve personne dans des logements complètements réhabilités ! C'est notamment cette simultanéité entre besoins de logements et logements vacants qui m'a frappé lors de nos auditions.

Deuxième remarque : je considère toujours qu'il y a un « enrichissement sans cause » sur les terrains à bâtir, puisque une simple décision dans les plans locaux d'urbanisme créée une richesse nouvelle pour leurs propriétaires. Nous avions mis un pied dans la porte au Sénat avec cette taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus devenus constructibles. Dans les pays nordiques, il me semble que ces plus-values bénéficient aux collectivités territoriales et à la construction de logements. Il s'agit d'une mesure qui pourrait aider les maires bâtisseurs à investir.

Comme Vincent Delahaye, je ne comprends pas non plus la politique des abattements dans le régime des plus-values : elle va à l'encontre de ce qui serait souhaitable - la mise sur le marché de ces terrains -, dans la mesure où les abattements augmentent en fonction de la durée de détention alors que ce devrait être l'inverse. À recettes constantes, je souscris à la solution proposée par Vincent Delahaye.

Même si les coûts de construction sont apparemment moins élevés qu'en Allemagne, ils ont augmenté de 30 % en dix ans.

Je me réjouis qu'il ait été tenu compte de l'impact des normes dans les bâtiments dans les 50 premières mesures de simplification du Gouvernement mises en place après concertation avec les professionnels, conduisant à abaisser les coûts de la construction. Sur le sujet de l'accessibilité pour les handicapés, pourquoi ne pas faire comme aux Pays-Bas et leur réserver le rez-de-chaussée pour éviter d'adapter l'ensemble des logements ?

Il est préférable de cibler les dispositifs fiscaux en faveur du logement, car un certain nombre d'entre eux ont seulement conduit à la production de logements vacants. Ce n'est pas tant en termes d'efficacité qu'il est nécessaire de progresser qu'en termes d'efficience.

Mme Marie-France Beaufils . - Je partage pleinement l'idée de mieux prendre en compte la diversité des territoires en matière de politique du logement. Les besoins ne sont pas les mêmes partout et il faut absolument que l'on arrive à développer une analyse beaucoup plus fine des lieux où il faut construire ainsi que des logements qu'il faut réhabiliter.

Les dispositifs fiscaux en faveur du logement sont trop souvent utilisés pour faire de l'optimisation fiscale et nous avons tous en tête des exemples de petits logements qui ont servi à de la défiscalisation. En outre, ils ne permettent pas de cibler les lieux ni les types de logements dont on a besoin pour répondre à la demande. Les mêmes sommes pourraient ainsi être utilisées plus efficacement, notamment par des crédits budgétaires orientés en fonction d'objectifs clairement définis.

L'amélioration et la réhabilitation des logements vacants doit être une priorité très forte et un renforcement de l'intervention de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) pourrait constituer une aide précieuse dans cette perspective.

J'ai ainsi l'exemple dans ma commune de six tours censées être réhabilitées : il nous a fallu quatre ans pour monter le dossier, parce que les copropriétaires sont des gens qui ont acheté dans les années 1970 pour l'essentiel et qu'il s'agit presque exclusivement de propriétaires occupants et de femmes qui perçoivent des pensions de réversion. Je vous assure qu'il ne s'agit pas là de propriétaires très solvables pour faire de la réhabilitation mais si on les accompagne, ces logements réhabilités seront ensuite utiles pour d'autres foyers. Il n'est pas nécessairement indispensable de construire.

Réhabiliter, c'est aussi réduire l'impact énergétique de ces logements anciens, cela me paraît particulièrement pertinent.

Sur les coûts de la construction, je partage complètement votre constat sur le problème des coûts des intermédiaires. Je me pose aussi la question de l'évolution des coûts de la construction depuis que les grosses entreprises du bâtiment se partagent le marché au détriment des petites sociétés, et ce d'autant plus que ces grandes majors font appel à de la sous-traitance en s'affranchissant parfois de certaines règles.

Toujours sur cette question des coûts de construction, j'insiste à mon tour sur les normes. À titre personnel, je suis frappée par la part réduite de l'espace de vie du fait de la volonté de rendre tous les logements adaptés aux règles d'accessibilité : ce n'est pas sérieux ! Même si ce n'est pas politiquement correct, il faut quand même regarder la réalité. Un pourcentage dans chaque immeuble serait suffisant.

La question de l'enrichissement sans cause me tient également beaucoup à coeur et il faut vraiment s'y attaquer. Concernant les hypothèques, j'en ai assez de ces banques qui ne veulent prendre aucun risque, alors que si elles réalisent une bonne analyse de la situation financière des emprunteurs, il n'y a pas de raison qu'elles rencontrent des difficultés pour se faire rembourser.

Pour conclure, je ne suis pas certaine que l'allègement fiscal constitue la réponse la mieux adaptée à nos besoins de logements.

M. Jean-Claude Requier . - Ce qui frappe lorsque l'on se penche sur la question du logement et de l'immobilier, c'est la complexité de la législation, mais aussi son caractère très instable dont se plaignent les investisseurs car ils ont besoin de visibilité.

Les normes sont aujourd'hui trop nombreuses, et cela nous a conduits, par exemple, dans ma commune à renoncer à la rénovation de certains logements. Par le passé, des solutions de bon sens prévalaient, les personnes âgées s'installant au rez-de-chaussée tandis que les jeunes vivaient à l'étage.

Concernant l'urbanisme, je suis favorable à la taxation des terrains qui deviennent constructibles. Je pense aussi qu'il faut évaluer les besoins au plus près du terrain.

Plus de 40 milliards d'euros pour la politique du logement, c'est beaucoup. Ses résultats sont insuffisants, et, moi qui ai été professeur pendant quelques années, je donnerais à cette politique l'appréciation suivante : « de la bonne volonté mais peut mieux faire » !

M. Yannick Botrel . - Je souhaiterais réagir aux éléments cités par Philippe Dallier sur la construction de logement neufs, où l'on voit que dans plusieurs régions, dont la Bretagne, les constructions sont très nombreuses. Ces chiffres sont éloquents, même s'il faudrait les préciser : s'agit-il de logements collectifs ou pavillonnaires, de logements sociaux ou d'initiatives privées ?

Ces constructions, qui se concentrent certainement sur les pôles urbains en développement, s'accompagnent d'un autre phénomène particulièrement inquiétant : le nombre de logements vacants en centre-ville et en centre-bourg. Même si cela est difficile à vérifier, j'ai entendu parler de centaines de logements vides dans des petites villes telles que Guingamp ou Lannion, qui sont en décroissance au profit des périphéries - avec les autres problèmes que cela entraîne, notamment la consommation de terrains agricoles.

Je m'interroge d'ailleurs sur certaines décisions d'urbanisme, consistant à rendre l'accès des automobilistes aux centres-villes et aux centres-bourgs plus difficile. Cela peut convenir à certains, mais pas aux jeunes ménages qui ont des enfants et font leurs courses. Face à ce modèle de pensée dominant, il est difficile de convaincre les jeunes urbanistes qu'ils se trompent.

En ce qui concerne la baisse de la commande publique, les chefs d'entreprises font part de réelles difficultés. En Bretagne, certains appels d'offres aboutissent à des prix aberrants, non soutenables. Certes, le coût de la construction augmente, ce fut le cas notamment du gros oeuvre. Il y a quelques années, lorsqu'une seule entreprise répondait à un appel d'offres public, cela suffisait à faire le bonheur du maître d'oeuvre et de l'architecte. Aujourd'hui, c'est moins le cas et on constate des défaillances dans le secteur.

M. Antoine Lefèvre . - Je voudrais évoquer le cas des primo-accédants, peu abordé dans la communication par ailleurs très complète. Il conviendrait à mon sens de simplifier les choses en matière de prêt à taux zéro. Les droits de mutation et les frais de notaire pourraient également être réduits pour ces primo-accédants : ils constituent un frein à l'accession à la propriété, dans la mesure où les banques exigent souvent que ceux-ci soient apportés par l'acheteur. En contrepartie, on pourrait faire de ces frais réduits un « chèque primo-accédant » qui pourrait être revu au bout des trois ans d'occupation. Je cite aussi la TVA à taux réduit, qui pourrait permettre des incitations dans certains cas. Quant au volet administratif, il importe d'accélérer la délivrance des permis de construire : des délais de six ou dix mois ne sont pas favorables à la construction.

M. Jean-Claude Boulard . - Cette communication fourmille d'idées pertinentes : la commission des finances du Sénat devrait se concentrer sur quelques-unes d'entre elles, décisives, pour créer une mobilisation collective. Par exemple, rappeler comme cela vient d'être fait les idées reçues sur le coût de la construction peut faire avancer les choses - quitte à décomposer ensuite ce coût pour identifier précisément les dérapages.

En ce qui concerne les normes, il faut sortir de cette situation où tout le monde est d'accord sur le diagnostic et où rien ne bouge ensuite. Là aussi, la solution consiste à identifier quelques idées symboliques et à progresser ensemble. J'ai par exemple écrit l'année dernière à la préfète de mon département sur les normes absurdes de contrôle de l'air à l'intérieur de certains lieux recevant du public. J'ai mis les rieurs de mon côté - c'est une méthode qu'il faut savoir utiliser. Le ridicule tue, y compris les normes absurdes. Il en va de même pour les normes sismiques pour les zones où la terre ne tremble pas : le conseil national des normes s'est prononcé il y a trois mois à l'unanimité pour la suspension de ces normes dans les zones 1 (très faible risque) et 2 (faible risque).

Enfin, concernant les dépenses fiscales, il appartient à la commission des finances du Sénat de rappeler que l'impôt n'est pas un outil de politique publique. Sa fonction est de couvrir les dépenses. Les multiples dépenses fiscales sont injustes - puisqu'ils ne bénéficient qu'à ceux qui paient des impôts - et produisent de nombreux effets d'aubaine. L'exemple du logement est particulièrement significatif et convaincant. Il faut résorber cela, revenir à la finalité première de l'impôt, et mettre en place des aides directes qui sont plus ciblées et permettent des politiques sélectives.

Je salue une fois de plus les excellentes idées avancées par le groupe de travail et qui méritent que l'on s'en saisisse et que l'on se mette en réseau pour les faire avancer.

Mme Michèle André , présidente . - Le groupe de travail sur le logement a précisément été créé dans la perspective de nous rassembler et de produire des idées en dépassant le cloisonnement entre rapporteurs spéciaux.

M. Albéric de Montgolfier . - En effet, la logique de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a ses qualités mais aussi ses limites. Les missions sont parfois inégales et découpées de manière artificielle. Seuls des groupes de travail permettent d'analyser certains sujets transversaux, comme nous l'avons fait sur le logement et le numérique. Il est toutefois évident que nous n'avons pas épuisé le sujet.

M. Bernard Lalande . - Votre communication est très éclairante. Il ne faut pas oublier la part de réalisme fiscal, voire de cynisme fiscal, qui sous-tend ces différentes mesures d'incitation : une personne qui se constitue un patrimoine sera ensuite taxée sur sa propriété, sur sa succession, sur les loyers perçus, etc. On relève toutefois que ces aides sont très souvent liées aux logements neufs : on devine derrière cela la puissance des grandes entreprises du bâtiment, et de l'adage selon lequel « quand le bâtiment va, tout va ».

La situation réelle du logement montre qu'il y a une incompréhension. La désertification des centres-villes et des centres-bourgs l'illustre bien. Certes, les travaux de rénovation sont coûteux, mais ils produisent des effets intéressants : les habitants reviennent, les emplois de proximité sont préservés et les collectivités territoriales n'entretiennent pas en vain les routes et les infrastructures publiques. On pourrait donc imaginer une incitation fiscale dans ce domaine - étant entendu que le « retour sur investissement » sera évidemment plus long. Il existe encore de nombreuses pistes à explorer.

M. Marc Laménie . - La question des taux réduits de TVA constitue un dilemme. D'un côté, le secteur du bâtiment est en difficulté, et c'est une aide bienvenue. D'un autre côté, comment entreprendre de simplifier le dispositif ? Le rapport du groupe de travail constituera en tout état de cause une référence.

M. Charles Guené . - Je partage également la grande utilité de ces groupes de travail sur des thèmes transversaux. Je pense, comme Yannick Botrel, qu'il est nécessaire d'adapter les dispositifs fiscaux aux logements anciens, notamment dans les centres-villes et les centres-bourgs, surtout en cas de remise aux normes - je parle bien sûr des normes véritablement utiles, telles que les normes environnementales. Je m'étonne moi aussi du nombre de logements vacants en centre-ville alors que l'on construit beaucoup de pavillons en périphérie.

Par ailleurs, je pense qu'il serait opportun de réfléchir à un produit fiscal spécifique pour les propriétaires âgés.

M. Michel Canevet . - Ce rapport va-t-il donner lieu à des propositions à l'occasion du projet de loi de finances ? Je pense notamment à la question des plus-values ou à des avantages fiscaux plus lisibles et plus incitatifs.

La réflexion doit être prolongée, notamment en ce qui concerne la question des centres-villes et des centres-bourgs, où la rénovation est susceptible de coûter plus cher que de construire du neuf, en raison notamment de la mise aux normes thermiques. L'Anah doit voir ses conditions et ses critères mieux adaptés car finalement, les propriétaires qui auraient les moyens de réaliser ces travaux, s'ils disposaient d'une aide pour les soutenir, n'entrent pas dans le champ des bénéficiaires de ses subventions.

Le prêt social location-accession (PSLA) est une formule intéressante pour l'accession à la propriété. Actuellement, l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties est de quinze ans : peut-être faudrait-il laisser la liberté aux maires pour l'introduire et en définir la durée, afin de permettre le développement de ce type de construction ?

M. Philippe Dallier . - L'idée du groupe de travail est bien d'aboutir à des amendements, notamment en matière de fiscalité. La question des normes relève davantage de la commission des affaires économiques. Il importe à cet égard d'arriver à un consensus.

La commission a donné acte de cette communication aux membres du groupe de travail et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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