VI. LA SENSIBILISATION ET L'ÉDUCATION DU PUBLIC

A. LA CONNAISSANCE ET L'INFORMATION, PRÉMISSES INCONTOURNABLES À L'ACTION FACE AUX IMPACTS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

1. Connaître pour mieux éduquer

« La biodiversité, c'est nous et tout ce qui vit. Nous sommes tributaires de tout le vivant. Nous sommes, au quotidien, dépendants des autres espèces pour notre alimentation, nos vêtements. Nous le sommes pour notre respiration, car l'oxygène est une production des plantes vertes . La biodiversité est notre assurance-vie. Il est donc très important de bien la connaître. Et le premier constat est que le niveau de connaissance de la biodiversité est insuffisant. Mais cette diversité du vivant ne se résume pas à des listes d'espèces : il s'agit aussi du fonctionnement des écosystèmes, car les espèces ne peuvent exister que dans un milieu qui leur est propice ; elles ne sont pas indépendantes les unes des autres, et ne le sont pas non plus les écosystèmes dans lesquels chacune agit. Un arbre est un monde souterrain avec toute une cour de serviteurs microscopiques autour de ses racines pour l'aider à capter les éléments minéraux du sol ; c'est un monde aérien avec ses mousses, ses lichens, ses oiseaux, ses insectes ; et il y a l'arbre lui-même, un géant issu d'une toute petite graine... à condition qu'il y ait un sol où elle puisse s'installer. »

Ces mots d'Hubert Reeves d'avril 2015 soulignent ce que doit être l'orientation première de toute politique en matière de biodiversité et de protection des espèces et des habitats : la connaissance . Ce n'est qu'en connaissant la diversité de la biodiversité que l'on pourra, au mieux, protéger les espèces et les espaces qui constituent notre richesse, et agir en atténuant les impacts du changement climatique sur les milieux.

Si les Français ont maintenant une meilleure connaissance de ce qu'est la biodiversité - en effet, d'après une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie 44 ( * ) , deux tiers d'entre eux déclarent ainsi savoir ce qu'est la biodiversité - cette dernière, en ce qu'elle est essentielle et le préalable à toute forme d'action, est encore insuffisante, en particulier dans les territoires ultramarins , qui sont les plus exposés aux impacts du changement climatique, et qui présentent le plus grand nombre de spécificités. À titre d'exemple, il est considéré à ce jour que la majorité des espèces marines comme leurs interactions sont encore méconnues : environ 250 000 espèces marines sont actuellement répertoriées avec un champ de valorisation potentielle largement sous-évalué.

La même étude fait d'ailleurs ressortir que nos concitoyens placent de plus en plus les questions de perte de biodiversité parmi les problèmes de dégradation de l'environnement les plus préoccupants. On sait aujourd'hui que la connaissance en matière de biodiversité est largement insuffisante.

La question de la connaissance de la biodiversité comme préalable à toute forme d'action en matière de protection de l'environnement a été soulignée lors des tables rondes organisées au Sénat le 11 juin 2015 « Biodiversités des outre-mer et changement climatique » . Pascale Joannot, déléguée à l'outre-mer du Muséum national d'histoire naturelle, rappelait en ce sens que « les questions de la biodiversité outre-mer doivent faire l'objet d'approches spécifiques et valorisantes pour les collectivités d'outre-mer » , mobilisant une somme de connaissances importantes. Elle a également souligné que cette connaissance était, dans ces territoires, le résultat du travail des naturalistes et des écologues, mais aussi, avant eux, des populations locales qui ont écouté la nature, appris et transmis les savoirs locaux, et, enfin, du grand public et du monde associatif .

Cet apport des sciences collaboratives a d'ailleurs également été mis en avant dans un rapport remis à la ministre de l'écologie en janvier 2012 45 ( * ) , Gilles Boeuf, Yves-Marie Allain et Michel Bouvier ont mis en lumière l'apport des sciences participatives dans la connaissance de la biodiversité .

Rapport sur l'apport des sciences participatives
dans la connaissance de la biodiversité (extrait)

« Dès la prise de possession d'un territoire outre-mer par l'une des nations européennes, très vite vont se trouver mis à contribution les gouverneurs, le personnel consulaire, les ecclésiastiques, missionnaires, militaires, médecins, chirurgiens, aventuriers divers et variés...

Certains seront des naturalistes de qualité, explorant des zones reculées, peu ou encore jamais prospectées. Bien que n'appartenant pas à une institution scientifique « officielle », certains possèdent très souvent une solide culture scientifique à caractère assez universel, qui leur permet de développer un fort sens critique, basé sur d'excellentes qualités d'observation et une passion forte.

Au XVIII ème siècle, une Ordonnance du 9 septembre 1726 de Louis XV enjoignait les capitaines de navire d' « apporter des graines et plantes des colonies, des pays étrangers... »

Pour obtenir des plantes, Duhamel du Monceau fait appel à de très nombreux correspondants que sont les médecins du roi, les gouverneurs en place dans les possessions françaises d'Afrique et d'Amérique ou les consuls installés au Moyen orient. Au XIX ème siècle et au début du XX ème siècle, plusieurs opuscules sont édités par le Muséum national d'Histoire naturelle, dont l'un au titre explicite : Instruction pour les voyageurs naturalistes et pour les employés dans les colonies sur la manière de recueillir, de conserver et d'envoyer les objets d'histoire naturelle. Des listes de plantes et autres objets à rapporter sont proposées par les professeurs du Muséum.

À compter de la seconde moitié du XIX ème siècle, en France, les « sociétés savantes » se développent et face à la diversité des mondes naturels, vivant et inerte, les niveaux des connaissances progressent à une vitesse exponentielle, et rapidement elles se spécialisent dans un domaine naturaliste plus ou moins spécifique : botanique, entomologie, ornithologie, géologie, minéralogie, paléontologie... Durant cette même période, dans les grandes villes françaises sont créés des Muséums régionaux d'Histoire naturelle, et se développent des sorties naturalistes dans toutes les provinces.

Les publications locales ou régionales, - botanique, entomologie, géologie.. - sont révélatrices du travail d'inventaire effectué par ces réseaux, y compris sur des groupes assez délaissés actuellement comme les lichens, les mousses (bryophytes), les fougères (ptéridophytes) ou encore les « algues » marines... Les réseaux constitués sont bien identifiés avec des réunions à caractère scientifique assez fréquentes, hebdomadaires ou mensuelles. Ils font avancer la connaissance dans de très nombreuses régions qui ne possèdent pas encore d'Université. Sur le reste du territoire, le réseau, dense, des instituteurs, des ecclésiastiques, des médecins ruraux, des vétérinaires de campagne... va être également l'un des facteurs de diffusion des sciences, de la formation à l'observation naturaliste, de l'encadrement des collecteurs bénévoles, de la collecte de ces informations, des vérifications du bien-fondé des inventaires et de leur publication.

Malgré cette abondance de prospecteurs, une très grande partie des observations et données récoltées ont disparu. Souvent inscrits sur des carnets plus ou moins lisibles pour une tierce personne, ces relevés plus ou moins complets, avec un cadre méthodologique souvent personnel, non reproductible, pas toujours fiable, sont bien souvent très partiels et difficilement exploitables. Dans les dernières décennies du XX ème siècle, pour des raisons diverses, les associations naturalistes « académiques » ont perdu de leur attrait, les sciences de l'observation ont quelque peu périclité, étant considérées comme peu novatrices, trop descriptives, voire sans intérêt par les commissions d'évaluation des « sciences de la vie » et par certains comités éditoriaux de grandes revues scientifiques.

À partir des années 1960, le travail de fond effectué par de nombreuses associations de défense de la nature a permis d'enrayer ce déclin, de renverser la tendance et de recréer des réseaux de naturalistes actifs, effectuant comptages, recensements, observations surtout chez les botanistes, ornithologues et entomologistes. Si les techniques de relevés des observations n'ont guère évolué sur le terrain, la banalisation des outils modernes de communication dont internet, va profondément modifier les possibilités de diffusion des données et leur mise à disposition pour tous. Devant cette facilité technique, avec des outils informatiques plus conviviaux, une rigueur méthodologique certaine va s'avérer nécessaire pour tous les acteurs, dont les « amateurs » (souvent « très éclairés »), avec le respect des protocoles d'observation et de récolte des données tant dans les objets observés que dans la manière de les traiter afin de pouvoir les exploiter et en tirer des conclusions les plus pertinentes et étayées. Pour illustrer le lien entre l'histoire des simples inventaires et une reprise actuelle, autorisant à proposer des hypothèses sur la dynamique des populations, rappelons l'exemple de la traversée des Pyrénées (sur mandat napoléonien) et l'herbier d'A. de Candolle, qui ont donné lieu à une répétition comparative 200 ans plus tard, à l'initiative d'une association (Terranoos) et à la parution d'un bel ouvrage.

Des articles récents (2010) dans des revues de vulgarisation comme Terre sauvage (France) ou la Revue durable (Suisse) communiquent sur les sciences participatives, notamment sur les principales actions pilotées par le Muséum national d'Histoire naturelle. Par ses circulaires, le ministère en charge de l'écologie, incite également les services déconcentrés à s'appuyer sur des démarches participatives pour la mise en oeuvre de certaines politiques dont celle de la stratégie nationale de création d'espaces protégés, voire de la stratégie nationale pour la biodiversité. En outre, deux colloques sur les réseaux collaboratifs et les sciences citoyennes ont été organisés à Montpellier en 2009, le premier « Réseaux collaboratifs et sciences citoyennes » sous l'égide de l'association Tela botanica, le second « Le réveil du dodo » lors des Journées francophones de la biologie de la conservation.

Ce phénomène de participation du public n'est pas propre à la France. À l'étranger des expériences, dont celles de la Grande-Bretagne, ou celles des « Citizen Sciences » nord-américaines créées en 1970, montrent la très forte implication du public, avec des taux de participation qui peuvent laisser pantois par rapport aux dispositifs français. Aux États-Unis, le Christmas Bird Count, créé en 1900 et piloté par la Société Audubon est régulièrement reconduit depuis 1900 Mathieu, 2011) : 10 000 « observateurs participatifs » ont comptabilisé 63 millions d'oiseaux dans le cadre d'un programme qui a souligné, sur une quarantaine d'années, une régression de 68 % de 20 espèces communes. Le programme français du suivi temporel des oiseaux communs (STOC) en est l'équivalent depuis 1989 . »

C'est également dans cette perspective que le projet de loi pour la biodiversité , actuellement en cours d'examen devant le Sénat, consacre dans son article 2 la connaissance de la biodiversité en en faisant une action d'intérêt général, au II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, au même titre que la protection, la restauration, la mise en valeur, la remise en état, la gestion des espaces, ressources et milieux naturels, de même que « la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent » .

2. Sensibiliser pour mieux protéger

L'approfondissement de la connaissance sur les effets du changement climatique outre-mer tant en matière de biodiversité, qu'en matière d'érosion des côtes, ou encore de conséquences sur l'agriculture, n'est pas le seul prérequis pour une politique d'adaptation efficace. Cette dernière passe aussi par une sensibilisation du public large et massive . C'est la condition pour que les réactions aux pressions exercées par le changement climatique et les actions d'adaptation qui en découlent soient correctement mises en oeuvre et partagées par l'ensemble des citoyens.

Cette diffusion de la connaissance n'est d'ailleurs pas qu'une condition de bonne mise en oeuvre des politiques publiques, elle est aussi un formidable outil de prévention des effets néfastes du changement climatique . L'appropriation de ce savoir encore en construction permet que les comportements de l'homme ne viennent plus aggraver les effets des dérèglements climatiques.

De nombreuses collectivités d'outre-mer se sont d'ores et déjà emparées de cet enjeu.

La Guyane a ainsi compris les bénéfices à tirer d'une information et d'une sensibilisation du grand public. Le conseil régional a par exemple organisé le 6 juin 2015 un grand débat citoyen sur l'énergie et le climat . L'objectif était de faire émerger des pistes stratégiques et des engagements locaux en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre et d'adaptation au changement climatique. Les résultats de ce débat ont conduit à l'adoption d'orientations ambitieuses, preuve s'il en fallait, de l'intérêt d'associer le public et la population en général à la protection de son milieu de vie. Ses conclusions ont notamment porté sur :

- l'adaptation visant à construire une société résiliente possédant des capacités intrinsèques d'adaptation au changement climatique et à poursuivre l'acquisition de connaissances sur les impacts du changement climatique et les voies d'adaptation ;

- le transport et l'urbanisme, avec l'objectif de développer les circuits courts et l'économie circulaire à toutes les échelles et pour tous les usages et de mettre en place une gouvernance et une coordination des acteurs ;

- les énergies renouvelables et la maîtrise de l'énergie, dans le but de diversifier l'offre en énergies renouvelables en ouvrant les champs d'expérimentation vers les énergies marines, de développer les habitations et bâtiments à énergie positive et les éco-constructions et de mettre en place un parcours d'accompagnement à l'excellence énergétique ;

- la limitation de la déforestation en s'attachant à développer les outils de surveillance de l'environnement pour lutter plus efficacement contre les pratiques illégales de déforestation et de dégradation forestière et à favoriser les mesures permettant le stockage de carbone ;

- la coopération en développant les plates-formes d'échanges d'initiatives, de bonnes pratiques et de politiques publiques sur le plateau des Guyanes.

Dans le même esprit, le conseil régional du Guyane a également assuré en avril 2015, en lien avec l'Ademe et le BRGM, la publication d'une brochure contenant toutes les connaissances 46 ( * ) relatives aux effets du changement climatique en Guyane sur les risques et les secteurs tels que la santé, l'eau, la pêche, l'agriculture, la forêt ou encore l'énergie. L'objectif d'une telle diffusion est de donner à la population et aux différents acteurs locaux les principales clés de compréhension des changements climatiques et de connaissance de la vulnérabilité du territoire afin de proposer des pistes d'actions d'atténuation et d'adaptation au changement climatique. Plus de 400 exemplaires ont ainsi été distribués sur le territoire .

Toujours en Guyane, le projet original d'éducation à l'environnement vers un développement durable (EEDD), lancé en 2013 à travers la mise en place d'un « carbet de transmission » en village Wayampi sur l'Oyapock, souligne l'importance de la transmission comme support à l'éducation au développement durable, puis comme préalable à l'action et à la lutte contre les impacts du changement climatique.

Certaines familles amérindiennes sollicitent en effet un appui pour la mise en place d'ateliers de transmission afin que les adultes puissent apprendre aux jeunes et aux enfants les savoirs et savoir-faire nécessaires à la vie en site isolé. Dans ces sites, le lieu de rencontre et d'échange entre les villageois est le carbet communautaire 47 ( * ) . Dans ce contexte, à la demande du capitaine du village Yawapa, le projet de transmission des savoirs et savoir-faire relatifs à la construction a été mené dans un village de la commune de Camopi (Yawapa, Village Trois-Sauts). Ce projet a ainsi permis, à travers le chantier de construction du carbet, de transmettre aux jeunes et aux scolaires des savoirs sur les lieux de collecte de matières premières, des savoir-faire sur les techniques de collecte et de préparation de ces matériaux et enfin des savoir-faire sur les techniques de construction d'un carbet traditionnel.

On peut enfin citer en Guyane l'exemple du « Projet Carbone » , qui a permis de mettre en place des outils pédagogiques d'animation sur la question du carbone, du changement climatique et du rôle de la forêt tropicale. Créé au sein de la première réserve naturelle régionale d'outre-mer, protégeant 2 500 hectares de milieux naturels, ce « sentier carbone » unique au monde grâce à sa forte dimension pédagogique , a pour but de permettre à chacun de visualiser in situ les enjeux liés au carbone forestier amazonien face aux changements climatiques. Tout au long du sentier, des totems délivrent des informations simples et claires qui permettent de mieux explorer et comprendre les phénomènes liés au cycle du carbone forestier. Un livret pédagogique réalisé par l'équipe de la réserve a également été mis à la disposition des scolaires.

Au-delà de la sensibilisation du public, l'appropriation des savoirs et des connaissances passe également par des actions de formation, initiale ou continue, professionnelle ou universitaire. La Réunion a ainsi par exemple mis en place en juin 2015 une journée de formation des agents de l'État aux pré-requis sur la question de l'énergie et du climat, conformément à la démarche de l'État exemplaire et dans la perspective de la COP 21 48 ( * ) .

Sur le plan universitaire, le comité outre-mer de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi) a piloté la réalisation du recensement pour l'année 2012 des activités de recherche des membres de l'AllEnvi dans les collectivités d'outre-mer : sur un total global déclaré de 1 275 équivalents temps plein (ETP), 90 % des activités scientifiques sur l'outre-mer sont réalisés par les agents sur place et seulement 10 % par des agents basés en métropole. En outre, pour les organismes de recherche, les deux thématiques les plus importantes sont l'agrobiologie et l'élevage, puis les ressources marines.

Des structures comme le Muséum national d'histoire naturelle participent également très fortement à la progression de la connaissance relative à la biodiversité et aux impacts du changement climatique dans les outre-mer. Ce dernier s'est ainsi engagé, depuis 2006, dans plusieurs projets d'inventaires massifs dans le cadre de l'initiative intitulée « La Planète revisitée » avec des partenaires publics et privés.


* 44 CREDOC / « Les français et la biodiversité » - Enquête CREDOC 2013.

* 45 L'apport des sciences participatives dans la connaissance de la biodiversité - Rapport remis à la ministre de l'écologie, janvier 2012 par Gilles Boeuf, Yves-Marie Allain et Michel Bouvier.

* 46 Informations issues d'une étude réalisée par le BRGM sur les impacts potentiels du changement climatique en Guyane et les pistes d'adaptation adéquates.

* 47 Il s'agit d'une structure construite selon des principes de durabilité, avec des matériaux endogènes et mobilisant des savoir-faire traditionnels : structure ouverte en bois, avec des poteaux en bois rond et une couverture élaborée à partir de feuilles de palmiers, maintenue par les lianes.

* 48 Cet événement était d'ailleurs en lien avec l'organisation du « Forum citoyen » sur la COP 21 organisé par le conseil régional.

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