III. LA PRÉSERVATION ET LA MISE EN VALEUR DES BIODIVERSITÉS ULTRAMARINES

A. LA BIODIVERSITÉ ULTRAMARINE FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE : DES ÉCOSYSTÈMES SOUS PRESSION À PROTÉGER ET À VALORISER

1. La biodiversité ultramarine : une richesse sans équivalent

La biodiversité ultramarine constitue 80 % du patrimoine naturel français. Selon les chiffres du plan d'action outre-mer annexé à la stratégie nationale pour la biodiversité, les collectivités françaises d'outre-mer appartiennent à huit grandes régions biogéographiques terrestres et marines situées dans les trois océans de la planète, en zones tropicale, équatoriale, australe et antarctique et possèdent, du fait de leur caractère majoritairement insulaire, un niveau d'endémisme élevé. Leur patrimoine biologique naturel est unique, tant par sa richesse que par sa diversité. Il représente ainsi 98 % des vertébrés et 96 % des plantes vasculaires présentes en France. Dans tous les groupes, ces collectivités abritent plus d'espèces que la métropole (100 fois plus de poissons d'eau douce, 60 fois plus d'oiseaux, 26 fois plus de plantes et 3,5 fois plus de mollusques endémiques). Avec 3 450 espèces végétales vasculaires et 380 animaux vertébrés uniques au monde, elles hébergent même, pour ces deux groupes, plus d'espèces endémiques que toute l'Europe continentale.

La richesse de cette biodiversité ne se concentre pas uniquement sur les espèces , mais se retrouve également dans les milieux et les habitats . Le cas des mangroves et des coraux l'illustre bien. La France dispose de 55 000 kilomètres carrés de récifs coralliens et de lagons , soit près de 10 % de la surface des récifs mondiaux, dans trois océans. Les récifs coralliens sont, avec les forêts tropicales, les écosystèmes les plus riches et les plus productifs de la planète. Leur biodiversité est exceptionnelle : un tiers des espèces marines connues vit dans ces récifs. C'est dans ce cadre que se développent les mangroves et les herbiers .

L'ensemble de ces écosystèmes garantissent aux communautés humaines de nombreuses ressources et de nombreux services. On estime par exemple qu'en Martinique ils produisent près de 245 millions d'euros par an.

2. Une pression sur les écosystèmes lourdement accentuée par le changement climatique

La pression exercée sur eux est de ce fait très alarmante. Les récifs coralliens régressent continuellement. D'ici à 2050, 75 % d'entre eux pourraient disparaître. Le projet de loi relatif à la biodiversité, en cours d'examen, prévoit, dans ce cadre, un programme d'actions pour la protection des mangroves et des récifs coralliens.

Autre exemple, dans le Pacifique en Polynésie française, les atolls sont les systèmes les plus vulnérables face au changement climatique, qui amplifie considérablement les impacts anthropiques locaux.

La biodiversité ultramarine est, de manière globale, fortement menacée par le changement climatique.

En effet, si les écosystèmes naturels des outre-mer constituent les zones les plus riches en biodiversité, ils sont aussi les espaces les plus menacés de la planète . La Nouvelle-Calédonie ou la Guyane, par exemple, sont listés comme des « points chauds » de la biodiversité par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Pour prendre le seul exemple de la biodiversité marine, les pressions exercées par le changement climatique se manifestent par :

- des modifications des propriétés physiques et chimiques des océans et des écosystèmes marins, dont la rapidité jamais observée depuis des millions d'années, est particulièrement critique et remet en cause les capacités d'adaptation de bon nombre d'espèces ;

- des bouleversements de la distribution géographique et de l'abondance des espèces, voire des invasions biologiques par des espèces exotiques.

Au cours des tables rondes « Biodiversités des outre-mer et changement climatique » , organisées le 11 juin 2015 par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la délégation à l'outre-mer du Sénat, l'ensemble des menaces pesant sur la biodiversité ultramarine ont été exposées par les différents intervenants 42 ( * ) . Philippe Goulletquer, directeur scientifique adjoint chargé de la coordination biodiversité marine et côtière à l'Ifremer, a par exemple cité le cas des effets du changement climatique sur l'abondance et la répartition d'une espèce de thon (Listao) à l'échelle mondiale : « L'application des scénarios du Giec sur l'évolution des conditions environnementales et d'alimentation des thons, et par voie de conséquence, la répartition géographique de leurs populations, démontre les modifications induites sur les activités de pêche futures - en l'occurrence, une très forte réduction -, sur l'économie et les conditions d'alimentation des populations en zone tropicale » .

3. Un enjeu de préservation et de protection

Face à cette situation alarmante, le premier défi pour les outre-mer est la préservation de ce patrimoine naturel exceptionnel , tant à travers la mobilisation d'outils territoriaux adaptés aux spécificités locales que par le développement de la connaissance et de la recherche innovante. Les populations sont, sur ce sujet, les premiers acteurs de protection de leur cadre de vie et de leur richesse. De nombreuses collectivités l'ont d'ores et déjà compris.

À titre d'exemple, la direction de l'environnement du Gouvernement de la Polynésie française mène un programme ambitieux de lutte contre les espèces exotiques envahissantes , qui a pour objectif d'informer et de former les populations pour mieux lutter contre ces espèces menaçant la biodiversité locale.

Dans le Pacifique , alors que la salinisation et la contamination des nappes phréatiques menacent les atolls, une des réponses consiste en la mise en place et dans le développement d'aires marines et littorales protégées et de conservatoires des ressources génétiques afin de soutenir la résilience de ces écosystèmes et de garantir leur développement économique.

Dans le cadre des travaux du Grand Port maritime de la Guadeloupe nouvelle génération , est prévue la transplantation d'herbiers de phanérogames marines ainsi que de coraux , après que l'avis de l'Autorité environnementale d'octobre 2013 a mis en évidence une atteinte directe sur ces milieux marins présentant un grand intérêt écologique (voir encadré ci-dessous).

4. Une nouvelle vision dynamique de la biodiversité : la valorisation

Au-delà de la protection de ce patrimoine, la priorité doit être aujourd'hui également donnée à sa valorisation, qui consacre une nouvelle approche de la biodiversité, non plus statique, mais dynamique. La biodiversité peut en effet être valorisée économiquement, comme le développement du biomimétisme en témoigne. Par l'imitation de propriétés remarquables du vivant appliquées aux activités humaines, le biomimétisme permet des innovations dans de nombreux secteurs, comme l'industrie ou l'agriculture. Les structures osseuses des ailes d'oiseaux ont ainsi inspiré la diminution de poids et l'augmentation de la résistance des ailes de l'Airbus A380. La structure en picot hydrophobe de la feuille de nénuphar est à l'origine du concept de pare-brise anti-pluie. L'exploitation des oléagineux pour le développement d'une filière cosmétique centrée autour de l'huile de galba constitue un autre exemple de valorisation économique de la biodiversité .

Le protocole de Nagoya, adopté en 2010, traduit cette volonté nouvelle de concilier préservation et valorisation de notre patrimoine naturel. Ce protocole, par la mise en place de procédures d'accès aux ressources génétiques et de partage des avantages, permet à la fois de garantir un accès responsable et maîtrisé aux ressources naturelles ultramarines mais aussi de sécuriser l'utilisation de la biodiversité dans le cadre de projets à visée commerciale. Il permet enfin, notamment en Guyane, de préserver les droits des communautés d'habitants autochtones comme les Bushinengue.


* 42 Rapport d'information du Sénat n° 698 (2014-2015).

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