COMMENT ÉVALUER LES MODIFICATIONS SOCIOLOGIQUES QUI MARQUENT LA MOBILITÉ AUJOURD'HUI ?

M. Jean-Pierre Orfeuil, urbaniste, Institut pour la ville en mouvement. La mobilité n'est pas qu'une question de transports : telle est la conviction qui nous a animés lors de la création de l'Institut pour la ville en mouvement en 2000 ; elle nous anime encore aujourd'hui et je souhaiterais vous la faire partager.

Il est difficile de parler de mobilité sans parler de modes de vie, de territoires et de mobilité pour tous. Je voudrais, à travers quatre illustrations, mettre en lumière les apports de cette conviction à la question de la transition énergétique.

J'ai connu une époque au cours de laquelle la transition énergétique dans la mobilité passait par toujours davantage de péages, de taxes, etc . Cela pose évidemment le problème des populations vulnérables, précarisées et autres. L'un de nos premiers axes de travail a ainsi été d'inventer des dispositifs, baptisés « plateformes mobilité pour l'insertion », s'inscrivant parfaitement dans le concept d'innovation frugale évoqué lors d'une précédente table ronde. J'aimerais rappeler ici que c'est en essayant de résoudre les problèmes rencontrés par des personnes en situation de précarité que l'on a commencé à développer des systèmes de mise en commun, de partage de véhicules, bien avant les dispositifs prévus pour les populations générales.

Je souhaiterais également aborder avec vous un deuxième thème, celui des nouvelles attentes et valeurs qui émergent et peuvent constituer des points d'appui clés pour la conduite de la transition énergétique.

Le premier aspect que nous avons exploré dans ce domaine, en 2006, et pour lequel nous avions alors éprouvé quelques difficultés à trouver des intervenants, est celui du partage - de véhicules, de trajets, de places, etc . Depuis, la situation a considérablement évolué, avec l'avènement des Vélo'v, Vélib, BlaBlacar et autres Autolib. Force est ainsi de constater que ce à quoi nous n'étions pas prêts dans les années 1990, à savoir sortir le véhicule de la sphère de l'intime, est advenu très rapidement et est en train de s'imposer, tout du moins dans les nouvelles générations.

Le deuxième sujet de réflexion autour des valeurs portées par la société est l'explosion de la valeur légèreté, mise en évidence par le développement des téléphones cellulaires et parfaitement analysée par Gilles Lipovetsky. On lui doit bien évidemment le retour du vélo et l'arrivée d'un éventail de moyens de locomotion encore considérés comme quelque peu exotiques.

Le problème central de la voiture en ville et de la transition dans la mobilité urbaine réside principalement, comme l'a souligné M. Denis Baupin, dans le fait que des véhicules de quatre ou cinq places soient principalement utilisés pour ne transporter qu'une seule personne ou encore que des voitures soient conçues pour rouler à 150 km/h alors que leur vitesse effective en ville ne dépassera pas les 30 km/h.

La principale difficulté est ainsi de parvenir à trouver les formes de pénétration de l'usage de petits véhicules plus ou moins dédiés aux déplacements urbains, propres, sûrs et surtout peu encombrants. Force est de constater que certains pays, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, sont en avance sur nous pour ce qui représente une forme possible de ces véhicules, les vélos à assistance électrique.

Nous avons, dans le cadre des auditions du rapport Baupin-Keller, formulé des propositions dans ce domaine, qui supposent la collaboration d'autorités locales sur ces questions, à l'échelle européenne, puisqu'il semble évident que l'on ne construira pas un petit véhicule spécifiquement pour la France, le Luxembourg ou la Belgique.

Enfin, s'il est positif d'envisager la mise en oeuvre de petits véhicules, peut-être serait-il encore mieux qu'ils puissent disposer de réseaux sur lesquels circuler d'une façon à la fois sûre et indépendante. Or nous héritons du passé des réseaux lourds, conçus pour des vitesses élevées et qui conduisent à provoquer en ville des effets de barrière, de fragmentation. Nous avons ainsi développé un programme intitulé « Passage », qui consiste justement à essayer d'amoindrir les effets de ces barrières.

À partir de différentes interventions, conduites à petite échelle, nous avons été surpris de constater, à travers notamment des concours d'architecture organisés dans plusieurs villes du monde, en Amérique latine et du Nord, mais aussi en Europe, l'intérêt des urbanistes et des concepteurs pour cette préoccupation d'inventer non seulement le véhicule du XXIe siècle mais aussi les réseaux qui l'accompagnent.

N'oublions pas que la question de la transition énergétique concerne les pays mais aussi les villes, sans lesquelles il sera difficile d'atteindre les objectifs fixés.

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